CHAPITRE II
Dispositions
renforçant
l'efficacité des investigations judiciaires
Article 5 (art. 306-1 et 400-1 [nouveaux] du code de procédure pénale) - Audition d'un témoin à huis clos en cas de risques de représailles
L'article 5 prévoit la possibilité pour les juridictions de jugement d'ordonner le huis clos pour l'audition de témoins en cas de danger pour leur vie, leur intégrité physique ou celles des membres de leur famille .
Par l'insertion de deux nouveaux articles au code de procédure pénale, le présent article vise à créer une nouvelle exception au principe de la publicité des débats au sein des tribunaux et des cours d'assises.
Posé par les articles 306 et 400 du code de procédure pénale, le principe de la publicité des débats est une règle d'ordre public et relève des exigences du procès équitable de l'article 6 de la CESDH 118 ( * ) . Comme la CEDH l'a rappelé dans une décision de 1997 119 ( * ) , « la publicité des débats est un principe fondamental qui protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public et constitue l'un des moyens de contribuer à préserver la confiance dans les cours et tribunaux ».
Le huis clos peut toutefois être ordonné, par la cour d'assises par un arrêt du président rendu en audience publique, lorsque la publicité est « dangereuse pour l'ordre ou les moeurs » et que la partie civile ne s'y oppose pas, ainsi que dans quelques hypothèses limitativement énumérées par la loi. Ainsi le huis clos est-il de droit, lorsqu'il est demandé par la partie civile, en cas de poursuites exercées des chefs de viol, torture et actes de barbarie accompagnés d'agressions sexuelles. Enfin, l'article 14 de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante soumet le jugement des mineurs à une publicité restreinte.
La jurisprudence encadre strictement ces exceptions. Dans une décision du 27 septembre 2000 120 ( * ) , la Cour de cassation a censuré le jugement d'une cour d'assises qui avait prononcé un huis clos sur des motifs tirés d'une bonne administration de la justice, et non sur des constatations de fait relative à la dangerosité pour l'ordre ou les moeurs, en considérant que la victime ne pouvait s'exprimer librement et totalement face à un large public.
Le présent article vise à permettre le prononcé d'un huis clos partiel le temps de l'audition d'un témoin en cas de menaces de représailles pesant sur lui, les membres de sa famille ou ses proches. Initialement, le projet de loi visait à autoriser une telle mesure en cas de menaces à l'intégrité « psychique » du témoin. La commission des lois de l'Assemblée nationale, à l'initiative de son rapporteur, a restreint cette possibilité aux seuls risques de représailles physiques.
Le huis clos partiel d'un témoin pourrait être prononcé pour le jugement d'infractions délimitées :
- les crimes contre l'humanité (art. 211-1 à 212-3 du code pénal) ;
- le crime de disparition forcée (art. 221-12 du code pénal) ;
- les crimes de tortures ou d'actes de barbarie (art. 221-12 du code pénal) ;
- les crimes et délits de guerre (art. 461-1 à 461-31 du code pénal) ;
- les crimes et délits relevant de la criminalité organisée (art. 706-73 du code de procédure pénale).
Lors de son audition par votre rapporteur, M. François Molins, procureur de la République de Paris, a salué cet élargissement des possibilités du huit clos. Ces dispositions sont particulièrement attendues par la cour d'assises de Paris, où s'est tenu le procès de M. Pascal Simbikangwa au printemps 2014, premier procès relatif au génocide rwandais depuis la création d'un pôle judiciaire spécialisé dans les crimes internationaux les plus graves 121 ( * ) . En effet, de nombreux témoins rwandais ont manifesté une certaine appréhension à s'exprimer publiquement, au regard de l'affluence en salle d'audience et de la présence de compatriotes dans le public. De plus, la médiatisation du procès et de leurs témoignages les exposait à de possibles représailles. Enfin, un témoin-clé du procès a finalement refusé d'être entendu, en raison de la nécessaire publicité de son témoignage.
Votre commission a jugé ces dispositions particulièrement opportunes et, outre un amendement rédactionnel COM-85 de son rapporteur, n'a pas modifié cet article.
Votre commission a adopté l'article 5 ainsi modifié .
Article 6 (art. 706-62-1 et 706-62-2 [nouveaux] du code de procédure pénale) - Dispositions renforçant la protection des témoins
Le présent article complète le vingt-et-unième titre du code de procédure pénale relatif à la protection des témoins par deux nouvelles dispositions permettant de protéger l'identité d'un témoin exposé à des risques importants de représailles.
La première vise à permettre, en cas de risques graves de représailles, dans toutes les procédures concernant des délits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement, que les témoins soient entendus publiquement en étant seulement identifiés par un numéro , sans que leur véritable identité soit diffusée.
La seconde institue un dispositif de protection et de réinsertion des témoins exposés à des risques graves de représailles similaire à celui applicable aux repentis, permettant notamment l'octroi d'une identité d'emprunt.
Les dispositifs actuels de protection des témoins anonymes Actuellement, la protection des témoins est assuré devant les juridictions françaises par les dispositions du titre vingt et unième intitulé « De la protection des témoins » inséré dans le livre IV du code de procédure pénale (articles 706-57 à 706-63). Sont ainsi prévues la possibilité pour un témoin de déclarer comme domicile, pour les besoins de la procédure, l'adresse d'un commissariat ou d'une gendarmerie, ainsi que la possibilité de témoigner sous X ou d'être confronté au mis en examen par l'intermédiaire d'un dispositif technique permettant l'audition du témoin à distance et la transformation de sa voix afin de le rendre non identifiable. |
• La création d'une
procédure de témoignage sous numéro
S'il existe depuis la loi du 15 novembre 2001 122 ( * ) une procédure de témoignage anonyme, celle-ci reste peu employée. Son utilisation est contestée au regard des droits de la défense 123 ( * ) et son efficacité demeure limitée notamment au regard du fait qu'il n'est pas possible de condamner une personne sur ce seul fondement 124 ( * ) . De plus, cette procédure n'est pas applicable si, au regard des circonstances dans lesquelles l'infraction a été commise ou de la personnalité du témoin, la connaissance de l'identité de la personne est indispensable à l'exercice des droits de la défense.
Le présent article propose un dispositif de protection des témoins intermédiaire en permettant de ne faire référence à l'identité d'un témoin que par un numéro. Si le témoignage sous numéro concerne, dans le projet de loi, le même champ d'infractions pour lesquelles le témoignage anonyme est déjà autorisé, il constitue néanmoins un dispositif de protection distinct de celui du témoignage sous X et plus respectueux des droits de la défense en ce qu'il prévoit que l'identité du témoin apparaît dans la procédure et est connue des parties, mais qu'elle n'est pas rendue publique.
Ce dispositif est particulièrement utile à l'audience, en lien avec les dispositions de l'article 5 relatif au huis clos partiel, pour protéger le témoin vis-à-vis du public. Ces dispositions permettent aussi de légitimer l'usage de pseudonymes dans la procédure, conformément aux engagements internationaux de la France.
Initialement, le projet de loi visait à autoriser une telle mesure en cas de menaces à l'intégrité « psychique » du témoin. La commission des lois de l'Assemblée nationale, à l'initiative de son rapporteur, a restreint cette possibilité aux seuls risques de représailles physiques.
Votre rapporteur s'interroge toutefois sur la portée de l'interdiction faite au prévenu de révéler des informations permettant l'identification ou la localisation du témoin, et sur l'impact que cette prohibition peut avoir sur l'exercice effectif des droits de la défense à l'audience. En effet, la contestation d'un témoignage au cours des débats publics peut, le cas échéant, se traduire par l'évocation d'éléments ou d'informations de nature à permettre, de façon plus ou moins précise, l'identification du témoin.
Votre commission a dès lors estimé prudent et opportun de préciser dans le texte, par l'adoption de l' amendement COM-87 de son rapporteur, que le délit de révélation d'informations permettant l'identification d'un témoin ne s'applique pas aux cas où cette révélation est indispensable à l'exercice effectif des droits de la défense.
•
L'extension aux témoins du
dispositif de protection et de réinsertion réservé aux
repentis
En France, la protection accordée aux témoins demeure circonscrite dans la mesure où ces derniers sont exclus du dispositif prévu par l'article 706-63-1 du code de procédure pénale réservé aux « repentis 125 ( * ) ». La France fait à ce titre figure d'exception, les témoins et collaborateurs de justice bénéficiant généralement du même type de protection dans les autres pays européens.
Or, plusieurs instruments juridiques internationaux 126 ( * ) appellent les États parties à prendre des mesures pour protéger efficacement les témoins contre d'éventuels actes de représailles ou d'intimidation. La recommandation Rec(2005)9 du Comité des ministres aux États membres du Conseil de l'Europe relative à la protection des témoins et des collaborateurs de justice vise ainsi expressément à ce que « des témoins ou collaborateurs de justice exposés au même genre d'intimidations [puissent] bénéficier d'une protection similaire ».
Le dispositif de protection et de réinsertion des repentis L'article 706-63-1 du code de procédure pénale, créé par la loi du 9 mars 2004, permet de faire bénéficier les repentis et leurs proches d'un régime ad hoc de protection ainsi que des mesures propres à assurer leur sécurité et leur réinsertion. Le décret du 17 mars 2014 est venu permettre l'application de ce dispositif, près de 10 ans après le vote de la loi Perben II. Il précise que le recours à l'identité d'emprunt relève de la compétence du président du tribunal de grande instance de Paris, sur requête du président de la commission nationale de protection et de réinsertion. Cette commission définit également « toutes mesures proportionnées destinées à assurer la protection physique des personnes » et les « mesures de réinsertion, eu égard notamment à la situation matérielle et sociale de la personne concernée et, le cas échéant, de sa famille et de ses proches ». Enfin, la création des identités d'emprunts relèvent de la compétence du service interministériel d'assistance technique du ministère de l'Intérieur (SIAT). |
L'extension aux témoins de la protection, jusqu'ici réservée aux repentis, proposée par le présent article constitue donc une évolution conforme à nos engagements internationaux, aux recommandations européennes, et un rapprochement avec les législations de nos partenaires européens. Ce dispositif est complété par la création d'un délit spécifique de révélation de l'identité d'emprunt ou de tout élément permettant l'identification ou la localisation du témoin protégé.
Cette évolution législative apparaît d'autant plus nécessaire que le principal témoin dans l'information relative aux attentats de novembre 2015 n'a pas pu bénéficier officiellement d'une protection ad hoc.
Après avoir adopté un autre amendement COM-86 de son rapporteur portant clarification rédactionnelle, votre commission a adopté l'article 6 ainsi modifié.
* 118 Article 6 : « ... Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. ... »
* 119 CEDH 24 nov. 1997, Szücs et Werner c/ Autriche , requêtes n° 2060292 et n° 2183593.
* 120 Crim. 27 sept. 2000 , no 00-82.229, bulletin criminel n° 283
* 121 Loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles.
* 122 Loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne
* 123 En cas de procédure portant sur un crime ou sur un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement, un témoin peut être entendu sans que son identité n'apparaisse dans le dossier de la procédure. Cette décision n'est pas susceptible de recours.
* 124 Conformément à l'article 706-62 du code de procédure pénale et aux exigences posées par la Cour européenne des droits de l'Homme.
* 125 L'article 132-78 du code de procédure pénale définit ces collaborateurs de la justice comme les personnes qui, impliquées dans la commission de l'infraction, ont permis d'éviter la réalisation de l'infraction et d'identifier les autres auteurs ou complices en avertissant les autorités administratives ou judiciaires.
* 126 Notamment la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (UNTOC) et la Convention des Nations Unies contre la corruption et, au sein du Conseil de l'Europe, la Convention pénale sur la corruption (STE n° 173), la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE n° 197), le Deuxième Protocole additionnel à la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale (STE n° 182) et les Recommandations du Comité des Ministres n° R (97) 13, Rec(2001)11 et Rec(2005)9.