III. LE TEXTE DU PROJET DE LOI

Délibéré lors de la réunion du conseil des ministres du 3 février 2016, le projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence a été déposé sur le bureau de votre Haute assemblée le même jour, le Gouvernement ayant engagé la procédure accélérée. Compte tenu de l'inscription de ce texte à l'ordre du jour du Sénat du mardi 9 février, votre commission a procédé à son examen et à l'établissement de son texte dans la soirée du 3 février.

Votre rapporteur rappelle qu'en application de l'article 11 de la loi organique du 15 avril 2009 78 ( * ) , ce projet de loi est dispensé de l'obligation d'être accompagné d'une étude d'impact.

L'objet exclusif de ce texte est de proroger l'état d'urgence qui, en vertu de l'article 1 er de la loi du 20 novembre 2015, est applicable jusqu'au 26 février 2016. Contrairement au choix effectué par le Gouvernement à l'automne dernier, ce texte ne procède à aucune modification des dispositifs de la loi du 3 avril 1955 et s'apparente, de ce fait, à la loi de prorogation votée et entrée en vigueur le 18 novembre 2005 79 ( * ) .

L' article unique du projet de loi soumis à l'approbation de votre commission prévoit en conséquence que l'état d'urgence, déclaré par les décrets du 14 novembre et du 18 novembre 2015 et prorogé pour trois mois par la loi du 20 novembre 2015, est à nouveau prorogé pour trois mois à compter du 26 février 2016 sur le territoire métropolitain et sur le territoire des collectivités ultramarines mentionnées par le décret du 18 novembre 2015 80 ( * ) . L'état d'urgence serait donc applicable sur ce périmètre géographique jusqu'au 26 mai 2016 . S'agissant des modalités d'application de l'état d'urgence au cours de cette nouvelle période de prorogation, le texte de cet article renvoie :

- à l'article 2 de la loi du 20 novembre 2015 qui dispose de manière expresse, conformément à l'exigence résultant de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, que l'état d'urgence emporte, pour sa durée, application des dispositions relatives aux perquisitions administratives ;

- et à l'article 3 de la même loi qui donne au pouvoir exécutif la faculté de mettre fin à l'état d'urgence de manière anticipée. En ce cas, le Gouvernement serait tenu d'en rendre compte au Parlement.

IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

A. LE PÉRIL EST-IL TOUJOURS IMMINENT ?

L'examen de ce texte législatif conduit d'abord votre commission à s'interroger sur la persistance d'un « péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public » de nature à justifier une nouvelle prorogation pour trois mois de l'état d'urgence.

Outre les appréciations formulées par le juge des référés du Conseil d'État sur la caractérisation du péril imminent, que votre rapporteur a présentées ci-dessus, il convient également de relever que l'assemblée générale de la haute juridiction administrative, dans son avis sur le présent projet de loi, a estimé que cette nouvelle prorogation était justifiée par la persistance d'un tel péril « dès lors :

- que les liens entre le terrorisme intérieur et le terrorisme dirigé depuis l'étranger contre la France n'ont rien perdu de leur intensité ;

- qu'en particulier, un nombre important de ressortissants français sont présents en zone irako-syrienne aux côtés de groupes terroristes et sont susceptibles de revenir en France à tout moment pour y accomplir des actions violentes ;

- que des actions terroristes de moindre ampleur qu'avant l'instauration de l'état d'urgence, mais pareillement inspirées, continuent de se produire sur le sol national, illustrant la persistance de la menace ».

Lors de son audition devant votre commission, le ministre de l'intérieur, afin de caractériser la nature de ce péril, a développé les différentes menaces auxquelles sont exposés nos concitoyens sur le territoire national et à l'étranger. Après avoir rappelé les différents attentats meurtriers survenus à Bamako le 20 novembre 2015, Istanbul le 12 janvier, Jakarta le 14 janvier et Ouagadougou le 15 janvier 2016, et les attentats, de moindre ampleur que ceux du 13 novembre, intervenus en France depuis lors 81 ( * ) , il a indiqué que les autorités françaises avaient démantelé 18 filières djihadistes en 2015, déjoué 11 attentats, dont 8 au cours des derniers mois de l'année, et que « nombre de ces projets étaient commandités par les mêmes personnes que les attentats de novembre ». Outre la mise en échec de projets d'attentats fin 2015 en Belgique et en Allemagne, le ministre a précisé qu'au mois de décembre dernier « deux projets terroristes en gestation sur le territoire national ont été déjoués, le premier de la part d'un individu résidant à Tours, le second émanant de deux personnes de la région orléanaise qui avaient entamé des démarches pour se procurer des armes avec le projet d'attaquer des représentants de la force publique ». Il a également précisé que le 24 décembre 2015, un couple demeurant à Montpellier avait été « mis en examen des chefs d'association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme et financement du terrorisme, et écroué » et que « de la documentation djihadistes et un faux ventre de femme enceinte qui aurait pu servir à dissimuler des objets, recouvert d'une couche d'aluminium », avaient notamment été saisis à leur domicile.

Puis, soulignant que, depuis le 13 novembre 2015, 1 492 nouveaux signalements avaient été inscrits aux fichiers gérés par les services de renseignement et que 10 000 mises à jour, dont 1 020 au cours de la semaine du 25 janvier 2016, de ces fichiers avaient eu lieu, il a jugé que « la menace terroriste demeure à un niveau très élevé, portée soit par des individus isolés et radicalisés, sensibles aux messages d'incitation au passage à l'acte qui leur sont adressés, soit par des organisations terroristes dont la force de frappe, en France ou à l'étranger contre les intérêts ou ressortissants français, est indiscutable ».

Afin d'illustrer ce propos, le ministre de l'intérieur a précisé qu'au début de l'année 2016, « environ 600 Français étaient présents en zone irako-syrienne, susceptibles de revenir sur le territoire national pour y perpétrer des actions violentes commanditées par Daesh » et rappelé que « pour la seule année 2015, 329 nouvelles arrivées sur zone en provenance de notre territoire ont été enregistrées. Le nombre de personnes velléitaires n'ayant pas encore mis leur projet à exécution est passé de 295 fin 2014 à 723 fin 2015. De même, de nombreux candidats à la lutte armée, empêchés de quitter le territoire national pour des raisons administratives ou matérielles, sont susceptibles de passer à l'acte, de manière isolée ou organisée depuis la Syrie ».

Il a conclu en indiquant que « dans sa propagande diffusée sur internet après les attentats de Paris, l'organisation terroriste Daesh a réitéré ses appels à l'action terroriste violente et meurtrières contre la France, en ciblant divers services publics, en plus de la multiplicité des objectifs potentiels dans différents secteurs de la vie sociale déjà cités dans ses communications incitant ses partisans à l'action violente au moyen d'armes ou d'explosifs ».

Pour votre rapporteur, ces informations objectives exposées par le ministre de l'intérieur constituent autant d'éléments caractérisant l'existence d'une menace élevée en France, de nature à caractériser un péril imminent au sens de l'article 1 er de la loi du 3 avril 1955.

Pour autant, comme l'a souligné le président Philippe Bas lors de la même audition, « il ne suffit pas que le péril demeure pour reconduire indéfiniment l'état d'urgence : il faut aussi démontrer que les mesures administratives prises dans ce cadre sont réellement utiles à la lutte contre le terrorisme ».


* 78 Loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

* 79 Loi n° 2005-1425 du 18 novembre 2005 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955.

* 80 Guadeloupe, Guyane, Martinique, Réunion, Mayotte, Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

* 81 Attaque à l'aide d'une arme blanche sur les forces de l'ordre à Paris le 11 janvier 2016 par un individu, apparemment porteur d'un engin explosif qui s'est ensuite révélé factice ainsi que d'un document de revendication au nom de l'organisation terroriste Daesh et agression à l'arme blanche d'un professeur de confession juive devant l'Institut franco-hébraïque de la Source à Marseille par un mineur, qui a revendiqué son action au nom de l'organisation Daesh.

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