III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : NE PAS ADOPTER UN TEXTE AUX EFFETS INOPPORTUNS, TOUT EN PARTAGEANT SON OBJECTIF DE LUTTE CONTRE LE COMMUNAUTARISME
Votre rapporteur a présenté trois motifs devant justifier de s'opposer à l'adoption en l'état de la présente proposition de loi constitutionnelle visant à inscrire les principes fondamentaux de la loi du 9 décembre 1905 à l'article 1 er de la Constitution.
A. NE PAS ADOPTER UN TEXTE AUX EFFETS JURIDIQUES INOPPORTUNS
Ainsi que cela a été exposé supra , l'adoption d'une telle proposition de loi constitutionnalisant les principes de la loi de 1905 conduirait à remettre en cause l'équilibre actuel du droit des cultes en France. Une telle remise en cause semble tout à fait inopportune à votre commission, attachée au caractère pacifié des relations actuelles entre l'État et les cultes, par rapport à la situation des années qui ont précédé et suivi l'adoption de la loi de 1905.
En effet, alors que le cadre de neutralité de l'État et de liberté religieuse issu de la loi de 1905 est aujourd'hui approuvé par tous, les cultes sont souvent devenus des partenaires de l'État ou des élus locaux. Dans ces conditions, la remise en cause du régime juridique actuel des cultes, tant du point de vue du droit applicable dans certains territoires (Alsace-Moselle et outre-mer) que des dispositions législatives qui permettent de subventionner les cultes, directement ou indirectement, complétées par une jurisprudence administrative libérale, ne reçoit pas l'approbation de votre commission.
Votre commission constate que, du point de vue du droit, l'équilibre auquel est parvenu aujourd'hui le droit des cultes en France fait l'objet d'un relatif consensus, qu'il n'y a pas lieu de remettre en cause, sauf à vouloir courir le risque de débats houleux, de polémiques inutiles et de justifications partiales. Les débats actuels en matière de laïcité ne sont pas liés aux principes de la loi du 9 décembre 1905, que la présente proposition de loi constitutionnelle de notre collègue Jacques Mézard souhaite constitutionnaliser.
B. PRÉSERVER LE CONSENSUS CONSTITUTIONNEL SUR LA LAÏCITÉ
Si elle n'ignore pas les débats actuels sur l'application de la laïcité, en particulier dans l'espace public et dans le monde du travail, et les controverses qu'ils suscitent, votre commission estime nécessaire de préserver le consensus constitutionnel sur le principe même de laïcité, sans introduire ces controverses dans notre Constitution. En effet, le caractère laïque de la République ne fait aucun doute depuis de longtemps, d'autant qu'il a été expressément affirmé à l'article 1 er de la Constitution de 1946, avant de l'être à l'article 1 er de la Constitution de 1958.
Si, à l'évidence, la laïcité doit vivre et doit continuer à vivre en France, votre rapporteur considère que cette proposition de loi n'y contribuerait pas et serait source, au contraire, de querelles nouvelles et inutiles si elle était adoptée.
Au surplus, la Constitution n'a pas vocation à devenir le « code de la République », accueillant toutes les préoccupations du moment, au détriment de sa stabilité et de sa clarté. Votre rapporteur déplore ainsi la multiplication ces dernières années d'initiatives constitutionnelles sans lendemain, alors que notre loi fondamentale appelle, par nature, une permanence dans les principes devant dépasser les querelles nourrissant l'actualité.
Depuis la dernière révision constitutionnelle en juillet 2008, six projets de loi constitutionnelle ont été présentés 78 ( * ) , dont cinq depuis 2012, sans compter le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation actuellement soumis à l'examen de nos collègues députés, sans qu'aucun n'ait été conduit à son terme. Dans la même période, quatre propositions de loi constitutionnelle ont été adoptées par l'une ou l'autre assemblée, sans examen par l'autre assemblée 79 ( * ) , sans compter la poursuite inachevée de la navette de la proposition visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers.
* 78 Projet relatif à l'équilibre des finances publiques, en 2011, projet relatif à la démocratie sociale, projet relatif aux incompatibilités applicables à l'exercice de fonctions gouvernementales et à la composition du Conseil constitutionnel, projet portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature et projet relatif à la responsabilité juridictionnelle du Président de la République et des membres du Gouvernement, en 2013, et projet autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, en 2015.
* 79 Proposition autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et proposition visant à modifier la Charte de l'environnement pour préciser la portée du principe de précaution, en 2013, proposition tendant à assurer la représentation équilibrée des territoires, en 2014, et proposition tendant à favoriser la simplification du droit pour les collectivités territoriales et à encadrer la transposition des directives européennes, en 2016.