AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Déposée le 6 novembre 2015 par notre collègue Vincent Delahaye et plusieurs de ses collègues des groupes UDI-UC et Les Républicains, la proposition de loi vise à instaurer un jour de mémoire pour perpétuer notre histoire, sensibiliser les jeunes aux sacrifices de leurs anciens et aux valeurs républicaines de la nation française.
L'objectif de ce texte est d'instituer une journée qui vise à « sensibiliser les élèves aux enjeux liés à la transmission de la mémoire combattante de notre nation » le troisième jeudi du mois de mai. Concernant en particulier les classes de CM2, de cinquième et de seconde, cette journée serait organisée conjointement par les autorités académiques et les communes.
Au cours de sa réunion du 16 décembre 2015, les membres de votre commission ont posé un regard bienveillant sur les objectifs sous-jacents de la proposition de loi et son ambition de mieux transmettre à la jeunesse la mémoire de notre nation.
Toutefois, après s'être interrogée sur les améliorations susceptibles d'être apportées à son dispositif, votre commission a considéré que ce texte ne répondait pas forcément aux exigences liées à l'exercice du devoir de mémoire dans le cadre de l'école de la République. Certains membres de la commission ont suggéré la mise en place d'un groupe de travail pour approfondir le sujet et y apporter une réponse consensuelle.
En conséquence, votre commission a rejeté la proposition de loi.
EXAMEN DE LA PROPOSITION DE LOI
I. UNE INTENTION LOUABLE : ANCRER LE TRAVAIL DE MÉMOIRE DANS LE TEMPS SCOLAIRE
A. DANS LE CADRE DE LEUR ÉDUCATION MORALE ET CIVIQUE, ASSOCIER DAVANTAGE LES ÉLÈVES AUX COMMÉMORATIONS NATIONALES
1. La mémoire nationale : un repère plus que jamais nécessaire...
Les réactions aux attentats de janvier et novembre 2015 ont mis en évidence une aspiration générale à l'unité nationale et à l'affirmation de nos valeurs.
La mémoire des sacrifices consentis pour la patrie, occupe une place fondamentale dans notre identité en tant que nation. Dans son discours Qu'est-ce qu'une nation ? , Ernest Renan définit le « principe spirituel » qu'est la nation comme reposant sur deux éléments : « [l'un] est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis (...) . La nation, comme l'individu, est l'aboutissant d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements ». La conception française de la nation, entendue comme une communauté d'adhésion, fait donc de cette dernière « une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune ».
Dès lors, la mémoire des sacrifices consentis pour la nation, des dévouements, des gloires et des souffrances partagées, tiennent une place éminente dans notre identité. La mémoire prend forme dans les différentes commémorations, qui constituent « des manifestations et des rituels nationaux qui visent à rassembler la communauté nationale, les citoyen s » 1 ( * ) .
Cette mémoire est une dette pour le citoyen, contractée envers ceux qui se sont dévoués pour que nous puissions vivre libres ; il s'agit de reconnaître, à l'instar de Georges Clemenceau, que « ces Français que nous fûmes contraints de jeter dans la bataille, ils ont des droits sur nous » 2 ( * ) . Face aux épreuves et aux dissensions, elle nous rappelle, selon les mots du Président de la République devant le Congrès, que nous sommes « un peuple libre qui est invincible quand il est uni et rassemblé » 3 ( * ) .
2. ... dont la place dans l'institution scolaire demeure encore incertaine
Lieu de la formation morale du citoyen, l'école est le lieu privilégié de la transmission de la mémoire , qui ne se confond pas avec l'enseignement de l'histoire. En effet, cette dernière « n'a pas pour but de célébrer telle ou telle mémoire particulière ni de ressusciter ce qui s'est passé, mais de faire comprendre, dans toute leur complexité, les rapports qui unissent ou divisent » 4 ( * ) .
Toutefois, la place de la mémoire nationale , en partie celle liée aux conflits majeurs du XX e siècle, au sein de l'institution scolaire est rendue incertaine par la conjonction de plusieurs facteurs.
D'une part, des injonctions mémorielles, diverses et changeantes , assises le plus souvent sur des notes de service du ministère, parfois non renouvelées. C'est le cas notamment de la commémoration de l'exécution de Guy Môquet et des otages de Châteaubriant, fixée le 22 octobre par une note de service du 2 août 2007 5 ( * ) , ou encore le projet de confier à des élèves de l'école primaire le soin d'entretenir la mémoire d'enfants juifs victimes de la Shoah 6 ( * ) .
La multiplication des commémorations , qualifiée par Pierre Nora de « boulimie commémorative » 7 ( * ) , s'observe aussi bien au niveau de la société que de l'école . Fin 2008, la commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques, présidée par André Kaspi, aboutissait à la conclusion que « les commémorations publiques ou nationales sont trop nombreuses . Elles atteignent aujourd'hui le nombre de douze, soit deux fois plus qu'en 1999. Leur nombre pourrait encore augmenter dans les années à venir. Ce qui entraîne une désaffection et une incompréhension de la part d'une très grande majorité de la population, un affaiblissement de la mémoire collective, des particularismes qui vont à l'encontre de l'unité nationale » 8 ( * ) .
On compte ainsi au moins treize commémorations nationales ayant un ancrage juridique ; d'autres cérémonies ou commémoration s'y ajoutent, à l'instar de l'hommage à Jean Moulin le 17 juin ou celles liées aux grands anniversaires. L'hommage à tous les morts pour la France prévu le 11 novembre par la loi du 28 février 2012, équivalent du Memorial Day américain, ne s'est substitué à aucune de ces commémorations, en application de son article premier 9 ( * ) .
Les commémorations nationales - journée de la mémoire des génocides et de la prévention des crimes contre l'humanité, le 27 janvier (déclaration des ministres de l'éducation du Conseil de l'Europe du 18 octobre 2002) ; - journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc, le 19 mars (loi du 6 décembre 2012 10 ( * ) ) ; - journée nationale du souvenir des victimes et héros de la déportation, le dernier dimanche d'avril (loi du 14 avril 1954) ; - commémoration de la victoire de 1945, le 8 mai (loi du 2 octobre 1981) ; - journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions, le 10 mai (loi du 21 mai 2001 11 ( * ) et décret du 31 mars 2006 12 ( * ) ) ; - journée nationale de la Résistance, le 27 mai (loi du 19 juillet 2013 13 ( * ) ) ; - fête nationale de Jeanne d'Arc et du patriotisme, le deuxième dimanche de mai (loi du 10 juillet 1920) ; - journée nationale d'hommage aux « morts pour la France » en Indochine, le 8 juin (décret du 26 mai 2005 14 ( * ) ) ; - journée nationale commémorative de l'appel du général de Gaulle du 18 juin 1940 (décret du 10 mars 2006 15 ( * ) ) ; - journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'État français et d'hommage aux « Justes » de France, le dimanche le plus proche du 16 juillet (loi du 10 juillet 2000 16 ( * ) ) ; - journée nationale d'hommage aux harkis et aux membres des formations supplétives, le 25 septembre (décret du 31 mars 2003 17 ( * ) ) ; - commémoration de l'armistice du 11 novembre 1918 (loi du 24 octobre 1922) ; - journée nationale d'hommage aux morts de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie, le 5 décembre (décret du 26 septembre 2003 18 ( * ) ). |
Si ces commémorations ne sont pas toutes relayées par l'institution scolaire, le temps scolaire est scandé d'autres « journées de », notamment :
- la journée de l'Europe, le 9 mai ;
- la journée de sensibilisation et de mobilisation des élèves des écoles, collèges et lycées pour les droits des femmes et l'égalité hommes-femmes, le 8 mars ;
- la journée de la laïcité, le 9 décembre 19 ( * ) ;
- plus récemment, la journée nationale « Non au harcèlement », dont la première a eu lieu le 5 novembre 2015.
De ce fait, la mémoire des combattants et des victimes de la guerre occupe une place relativement faible dans le temps scolaire. Les principaux jours de commémoration - 11 novembre et 8 mai - étant chômés, la participation des élèves à ces cérémonies , bien qu'encouragée par le ministère, demeure aléatoire et dépend souvent d'initiatives personnelles d'enseignants et surtout d'élus locaux .
La présente proposition de loi vise ainsi à pallier cette insuffisance, en instituant un jour de mémoire consacré notamment à la transmission de la mémoire combattante.
* 1 Henry Rousso, « Réflexions sur l'émergence de la notion de mémoire », in Histoire et mémoire, CRDP de Grenoble, 1998.
* 2 Discours devant la Chambre des députés, 20 novembre 1917.
* 3 Discours devant le Congrès, 16 novembre 2015.
* 4 Krzysztof Pomian, Sur l'histoire , Paris, Gallimard, 1991.
* 5 Note de service n° 2007-138 du 2 août 2007 relative à la commémoration du souvenir de Guy Môquet et de ses vingt-six compagnons fusillés.
* 6 Note de service n° 2008-085 du 3 juillet 2008 relative à l'enseignement de la Shoah à l'école élémentaire.
* 7 Pierre Nora, Les Lieux de mémoire , Paris, Gallimard, 1992.
* 8 Rapport de la commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques, sous la présidence d'André Kaspi, novembre 2008.
* 9 Loi n° 2012-273 du 28 février 2012 fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.
* 10 Loi n° 2012-1361 du 6 décembre 2012 relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.
* 11 Loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité.
* 12 Décret n° 2006-388 du 31 mars 2006 fixant la date en France métropolitaine de la commémoration annuelle de l'abolition de l'esclavage.
* 13 Loi n° 2013-642 du 19 juillet 2013 relative à l'instauration du 27 mai comme journée nationale de la Résistance.
* 14 Décret n° 2005-547 du 26 mai 2005 instituant une journée nationale d'hommage aux « morts pour la France » en Indochine, le 8 juin de chaque année.
* 15 Décret n° 2006-313 du 10 mars 2006 instituant le 18 juin de chaque année une Journée nationale commémorative de l'appel historique du général de Gaulle à refuser la défaite et à poursuivre le combat contre l'ennemi.
* 16 Loi n° 2000-644 du 10 juillet 2000 instaurant une journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'État français et d'hommage aux « Justes » de France.
* 17 Décret du 31 mars 2003 instituant une Journée nationale d'hommage aux harkis et autres membres des formations supplétives.
* 18 Décret n° 2003-925 du 26 septembre 2003 instituant une journée nationale d'hommage aux « morts pour la France » pendant la guerre d'Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie, le 5 décembre de chaque année.
* 19 Celle-ci a fait l'objet d'une résolution n° 269 (2010-2011) présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution instituant une « journée nationale de la laïcité », adoptée par le Sénat le 31 mai 2011.