V. LE PROGRAMME 343 : PLAN « FRANCE TRÈS HAUT DÉBIT »

1. Un plan pour réduire la fracture numérique

Annoncé par le Premier ministre le 28 février 2013 dans le cadre de la feuille de route numérique du Gouvernement, le plan « France très haut débit » vise à déployer un réseau de fibre optique 22 ( * ) à très haut débit sur l'intégralité du territoire d'ici 2022 , avec un objectif intermédiaire de 50 % des foyers en 2017.

Le déploiement des nouveaux réseaux à très haut débit représente plus de 20 milliards d'euros d'investissements sur les dix prochaines années , ainsi répartis :

- 6 à 7 milliards d'euros investis par les opérateurs privés , afin d'assurer la couverture des 3 600 communes les plus denses 23 ( * ) , représentant 55 % des logements et locaux à usage professionnel, mais seulement 10 % du territoire ;

- 13 à 14 milliards d'euros investis pour les « réseaux d'initiative publique » , déployés par les collectivités territoriales. Les réseaux d'initiative publique seront financés pour moitié par des recettes d'exploitation et le cofinancement des opérateurs, et pour moitié par les pouvoir publics (État, collectivités territoriales, Union européenne).

L'État apportera pour sa part environ 3 milliards d'euros d'ici 2022, soit près de la moitié du financement public . Deux outils sont prévus à cette fin :

- le fonds national pour la société numérique (FSN) , géré par la Caisse des dépôts et consignations (CDC) dans le cadre des programmes d'investissement d'avenir (PIA), a porté les financements de l'État jusqu'en 2014, à hauteur de 900 millions d'euros ;

- le présent programme 343 « Plan France très haut débit » vise à prendre le relais à partir de 2015, le montant total des financements devant s'élever à 2,1 milliards d'euros à horizon 2022.

Les autorisations d'engagement prévues sur le programme 343 au titre de l'année 2016 s'élèvent comme prévu à 188 millions d'euros , après 1 412 millions d'euros en 2015 et avant 150 millions d'euros en 2017. Ces sommes ont vocation à être versées aux collectivités locales qui assurent le déploiement des réseaux d'initiative publique. Aucune ouverture de crédits de paiement n'est prévue sur le triennal , compte tenu d'abord de la disponibilité des crédits du FSN, et ensuite du décalage de un ou deux ans entre l'accord préalable de principe de l'État et l'accord final de financement.

Prévisions d'ouverture de crédits
sur le programme 343 « Plan France très haut débit »

(en AE) (en millions d'euros)

PLF 2015

2016

2017

1 412

188

150

Source : projet de loi de finances pour 2016. Les crédits sont des dépenses d'intervention (titre 6) sous forme de transferts aux collectivités territoriales.

2. La révolution numérique : un impératif d'équité aux multiples dimensions

La couverture intégrale du territoire en très haut débit est à juste titre érigée en priorité nationale . De fait, la révolution numérique bouleverse tous les secteurs de l'économie - hier la musique et la publicité, aujourd'hui le transport et le logement, demain l'éducation et la santé -, qui dépendent de plus en plus du volume de données que peut acheminer le réseau. Au-delà du seul enjeu économique, la couverture intégrale du territoire en très haut débit est aussi une exigence d'équité : Internet est un nouvel instrument de l'unité territoriale de notre pays. Le déploiement du réseau permet de lutter contre la désertification de certaines zones rurales et l'enclavement des zones urbaines sensibles, de redistribuer la création de valeur et de renouveler le service public sur le territoire.

Vos rapporteurs spéciaux soutiennent donc les ambitions du plan « France très haut débit » avec force, mais avec deux réserves. D'abord, le délai de dix ans prévu pour la couverture du territoire semble trop long au regard de la rapidité des transformations induites par la révolution numérique, ce qui s'explique par le fait que les opérateurs concentrent leur effort sur les zones « rentables », laissant le reste aux investissements publics par définition plus difficiles. Ensuite, les abonnés qui bénéficieront d'une couverture plus rapide au titre des zones denses ne contribuent pas directement , dans le dispositif actuel, à combler la « fracture numérique » qui existe avec les territoires moins densément peuplés 24 ( * ) .

Vos rapporteurs spéciaux suggèrent donc de mettre en place un dispositif de « péréquation numérique » , qui pourrait par exemple prendre la forme d'une contribution prélevée sur les abonnements à Internet des particuliers et entreprises bénéficiant de la couverture en « zone dense », et dont le produit serait affecté au financement des réseaux d'initiative publique dans les zones moins rentables. Ce dispositif permettrait ainsi d'accélérer la couverture du territoire en très haut débit par la mise en oeuvre de la solidarité nationale . Cette proposition avait déjà été formulée par vos rapporteurs spéciaux à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2015.

L'enjeu de l'équité à l'heure de la révolution numérique dépasse toutefois largement la seule question de la couverture du territoire en très haut débit. La fiscalité de l'économie numérique est à cet égard un défi majeur , alors que de nombreux acteurs continuent à échapper à leurs obligations fiscales, entraînant des pertes de recettes pour l'État et des distorsions de concurrence. La commission des finances du Sénat a donc constitué un groupe de travail transversal et non partisan sur le sujet 25 ( * ) , dont font partie vos rapporteurs spéciaux et qui a abouti à la présentation de deux rapports le 17 septembre 2015 :

- « L'économie collaborative : propositions pour une fiscalité simple, juste et efficace 26 ( * ) » : alors que la plupart des particuliers ne trouvent qu'un modeste complément de revenu dans l'économie du partage, certains en ont fait une véritable activité commerciale. Or les revenus gagnés par des particuliers sur des plateformes collaboratives ne sont souvent pas déclarés, faute de règles fiscales claires et de système de recouvrement efficace. Le groupe de travail propose donc d'instituer un système de déclaration automatique des revenus des particuliers , reposant sur les plateformes, en vue d'établir une déclaration fiscale pré-remplie. Afin de « laisser vivre » et se développer l'économie collaborative, le groupe de travail propose par ailleurs de prévoir une franchise générale unique de 5 000 euros par an , en-dessous de laquelle les revenus seraient totalement exonérés. Au-delà, le droit commun s'appliquerait, y compris en cas d'exonération (ex. ventes d'occasion etc.) ;

- « Le e-commerce : propositions pour une TVA payée à la source 27 ( * ) » : l'administration fiscale est aujourd'hui démunie face à la fraude fiscale en matière de commerce en ligne, en raison de la multitude des vendeurs difficiles à détecter et souvent situés à l'étranger, de la complexité des régimes de TVA et du morcellement des flux physiques en millions de colis représentant chacun un faible enjeu fiscal. Le groupe de travail propose donc une réforme ambitieuse du mode de collecte de la TVA, adapté aux spécificités du e-commerce : prélever la TVA au moment de la transaction sur Internet, par un mécanisme de « paiement scindé » . Il ne s'agit de créer aucun nouvel impôt, mais d'assurer le recouvrement effectif de l'impôt qui est aujourd'hui dû et non collecté. Il importe de mettre fin aux distorsions de concurrence afin qu'acheter français ne soit plus incompatible avec acheter en ligne .


* 22 « Fiber to the Home » ou FttH, soit un déploiement de la fibre jusqu'à l'abonné.

* 23 Soit les 148 communes classées en « zones très denses » par l'Arcep en 2009, et les communes recensées lors de l'appel à manifestations d'intentions d'investissement.

* 24 Voir à cet égard le rapport d'information n° 730 (2010-2011) du 6 juillet 2011 de Hervé Maurey, « Aménagement numérique du territoire : passer de la parole aux actes », fait au nom de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire.

* 25 Groupe de travail de la commission des finances du Sénat sur les modalités de recouvrement de l'impôt à l'heure de l'économie numérique, constitué de sept sénateurs : Michel Bouvard et Thierry Carcenac, rapporteurs spéciaux de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », Albéric de Montgolfier et Philippe Dallier, anciens rapporteurs spéciaux de cette mission, Jacques Chiron et Bernard Lalande, rapporteurs spéciaux de la mission « Économie », ainsi que Jacques Genest.

* 26 Rapport n° 690 (2014-2015), « L'économie collaborative : propositions pour une fiscalité » simple, juste et efficace », 17 septembre 2015.

* 27 Rapport n° 691 (2014-2015), « Le e-commerce : propositions pour une TVA payée à la source », 17 septembre 2015.

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