B. UNE VISION AMBITIEUSE DONT LA CONCRÉTISATION NÉCESSITERA LE SOUTIEN DE LA FRANCE

1. Une proposition bien accueillie en France

Lors de la table ronde sur la culture face au défi numérique qui s'est tenue au Sénat le 28 mai dernier, les différentes associations présentes ont salué la réforme du droit d'auteur telle qu'elle était annoncée par la Commission. Même si certaines ont émis un avis réservé la stratégie dans son ensemble, toutes ont exprimé un satisfecit quant aux orientations de la réforme du droit d'auteur.

La précédente Commission avait proposé de refondre profondément le droit d'auteur, au motif de favoriser le consommateur européen sans tenir compte de l'importance de ce système dans la création en Europe et le soutien qu'il apporte à l'industrie culturelle. Les annonces du Commissaire en charge du marché unique du numérique, Günther Oettinger, semblent plutôt orienter la réforme vers une limitation du géoblocage et vers la portabilité des droits d'un pays européen à un autre, tout en posant la question du rôle des intermédiaires en ligne en ce qui concerne les oeuvres protégées par le droit d'auteur et des sanctions contre les atteintes aux droits de propriété intellectuelle.

Au-delà, le Gouvernement français s'est unanimement félicité de l'annonce de la Commission :

- Pour Emmanuel Macron, « cette stratégie marque la prise de conscience européenne que le numérique est un enjeu économique essentiel. Il faut désormais aller plus loin, pour développer une stratégie équilibrée autour de trois piliers : un marché unique numérique, une régulation appropriée et une ambition industrielle assumée, notamment dans le cadre du plan Juncker » .

- Pour Harlem Desir, «le numérique est un enjeu majeur d'innovation, de croissance et d'emploi pour l'Europe. Il est essentiel d'avoir une filière européenne performante dans les technologies d'avenir. La France sera particulièrement attentive à la préservation du droit d'auteur, la mise en place d'une fiscalité adaptée et la régulation des plateformes numériques» .

- Pour Axelle Lemaire, « la stratégie de la Commission européenne démontre une prise de conscience de l'importance politique et économique des enjeux du numérique, et le document affiche une ambition réelle. Le Gouvernement français a beaucoup oeuvré à élever la barre de cette ambition, pour introduire le sujet des grandes plateformes en position monopolistique, l'importance d'une vision industrielle stratégique dans des secteurs-clés, et le soutien à la croissance des start up en Europe. Les années qui viennent seront décisives pour le réveil d'une Europe du numérique qui s'affirme dans la compétition internationale » .

L'empressement du Gouvernement - ces déclarations ont été faites le lendemain de la publication de la stratégie de la Commission - à approuver les aspects les plus ambitieux de la position de l'Exécutif européen, l'ambition industrielle pour le numérique et l'évaluation du rôle des plateformes, montre que ces orientations étaient loin d'être acquises. Si la France partage avec l'Allemagne et d'autres grands pays la nécessité de développer une stratégie industrielle pour le numérique, cette conviction se heurte à d'autres conceptions d'ordre plus libéral pour lesquelles, c'est d'abord en améliorant le fonctionnement du marché unique qu'on obtiendra développement économique et création d'emplois.

C'est pourquoi, il faut souligner l'importance des déclarations conjointes des gouvernements français et allemand durant les derniers mois afin que la Commission élabore une stratégie ambitieuse et globale qui ne sape pas les bien-fondés de l'identité européenne : la diversité culturelle et la protection des droits fondamentaux comme la propriété intellectuelle et le respect de la vie privée.

2. Le début d'un processus

Il convient ici de remettre les choses en perspective : la communication du 6 mai ne fait que présenter les orientations proposées par la Commission européenne pour parvenir à un marché unique du numérique en Europe. La Commission n'a pour l'instant présenté aucun texte de portée normative. Certes, elle a le mérite de mettre tous les sujets sur la table. Toutefois, elle ne tranche pas vraiment entre les deux lignes - libérale et volontariste - qu'incarnent les deux commissaires en charge du numérique.

Le vice-président Ansip, en charge de la stratégie numérique, s'est prononcé plusieurs fois pour la suppression des freins au commerce transfrontière, pour la fin du géoblocage, tout en prônant le renforcement du marché unique au profit des consommateurs. Le commissaire Oettinger, chargé de l'économie numérique, est lui plus proche de l'ambition industrielle franco-allemande et prône « des propositions équilibrants les intérêts des consommateurs et de l'industrie » .

Ces différences de sensibilité ont d'ailleurs pu être constatées par les membres de la commission des affaires européennes du Sénat lors de leurs rencontres successives avec Günther Oettinger à Bruxelles 4 ( * ) et avec Andrus Ansip à Strasbourg 5 ( * ) . Si le premier a insisté sur l'attention particulière à porter à la dimension industrielle du secteur numérique, le second a mis l'accent sur l'amélioration de la circulation des oeuvres et l'accès des consommateurs européens aux contenus numériques et à la fin du géoblocage.

C'est pourquoi, si la Commission a le mérite d'ouvrir les discussions sur l'ensemble des sujets, il appartiendra au législateur européen d'arbitrer sur chaque point lorsque seront présentées les différentes initiatives législatives. À ce stade, il importe de rappeler ce que sont les priorités pour le Sénat afin de concrétiser avec succès l'ambition numérique européenne.

La Commission européenne présentera sa stratégie aux chefs d'État et de gouvernement lors du sommet des 25 et 26 juin prochains. C'est la raison pour laquelle l'initiative de Catherine Morin-Desailly et Gaëtan Gorce permet d'affirmer dans une résolution une position claire du Sénat pour soutenir l'action du Gouvernement français dans les négociations qui vont débuter.


* 4 Rapport du Sénat n° 419 (2014-2015), Rencontre avec les institutions : mieux identifier certains défis de l'agenda europée, par MM. Jean Bizet, Philippe Bonnecarrère, Michel Delebarre, Jean-Yves Leconte, Yves Pozzo di Borgo, Mme Patricia Schillinger, MM. Simon Sutour et Richard Yung.

* 5 Rapport du Sénat n° 485 (2014-2015), Les rencontres avec les institutions à Strasbourg, coeur de l'Europe , par MM. Jean Bizet, Michel Billout, Mme Fabienne Keller, MM. Yves Pozzo di Borgo, Claude Kern, Michel Raison et André Reichardt.

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