B. L'OPPOSABILITÉ DES DIRECTIVES ANTICIPÉES : LA CONDITION D'UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DE LA VOLONTÉ DU PATIENT
1. Droits des malades et savoir médical : un rééquilibrage inachevé
La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a consacré le principe du respect de l'autonomie de la personne. Ce principe se traduit par « le droit d'être informé sur son état de santé » (article L. 1111-2 du code de la santé publique) mais aussi l'obligation de respecter la « volonté d'une personne d'être tenue dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic » (article L. 1111-2 du code de la santé publique) et par l'obligation qu' « aucun acte médical ni aucun traitement » ne soit « pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne », ce consentement pouvant « être retiré à tout moment » (article L. 1111-4 du même code).
Malgré ce renforcement de l'autonomie du patient et un mouvement de balancier inverse à celui qui a historiquement conduit au règne d'un certain « paternalisme médical », le problème de l'expression de la volonté du malade et du respect de cette volonté par le médecin reste posé et ne pourra sans doute jamais être entièrement résolu.
Ouverte par la loi de 2005, la possibilité de rédiger des directives anticipées demeure très peu utilisée en raison notamment de la faiblesse de leur statut juridique. Le droit en vigueur, qui prévoit que le médecin « tient compte » des directives anticipées, n'en fait qu'un document consultatif qui constitue l'un des éléments de la décision médicale. Celle-ci reste in fine dans les mains du médecin qui a tout loisir pour s'écarter du contenu des souhaits émis par le patient. A cela s'ajoute la durée de validité limitée des directives anticipées qui doivent être renouvelées tous les trois ans et les difficultés liées à l'absence de cadre réellement formalisé pour la rédaction de ce document mais aussi l'accès difficile à ces documents.
Un constat analogue vaut pour le dispositif permettant depuis 2002 de désigner une personne de confiance qui sera consultée sur la décision à prendre au cas où la personne qui l'a désignée serait hors d'état de s'exprimer. Ce dispositif demeure méconnu, appliqué différemment selon les établissements et d'une mise en oeuvre difficile.
2. Le renforcement du statut des directives anticipées et du rôle de la personne de confiance : une avancée certaine mais qui ne permet pas de prévoir tous les cas
La présente proposition de loi entend poursuivre le rééquilibrage entre les droits du malade et le savoir médical par un renforcement du statut des directives anticipées et le rôle de la personne de confiance.
Son article 8 prévoit que les directives anticipées, qui deviennent révisables et révocables à tout moment, « s'imposent aux médecins » conformément à leur vocation. Les auteurs de la proposition de loi ont cependant tenu à préserver la possibilité pour le médecin de ne pas les appliquer s'il les juge « manifestement inappropriées ». Il s'agit selon eux de ne pas priver le patient « d'une chance d'améliorer sensiblement son état ». A l'initiative du Gouvernement, l'Assemblée nationale a jugé utile de prévoir que les directives anticipées soient centralisées en un point unique à l'accès limité et sécurisée afin de garantir que le médecin puisse en prendre connaissance facilement et rapidement. Un registre informatique national a ainsi vocation à conserver ces documents.
Tout en partageant pleinement les objectifs poursuivis par cet article, votre commission a souhaité limiter les hypothèses dans lesquelles le médecin n'est pas tenu de se conformer aux directives anticipées, l'expression « manifestement inappropriées » lui paraissant insuffisamment précise.
Les articles 9 et 10 précisent le rôle de la personne de confiance en prévoyant que son « témoignage prévaut sur tout autre témoignage ». Votre commission a apporté des modifications rédactionnelles et de précision à ces articles. Il est désormais prévu que la personne de confiance « rend compte de la volonté » du patient . Cette expression reflète plus fidèlement le contenu de la mission qui incombe à la personne de confiance, la notion de « témoignage » étant quant à elle réservée aux procédures judiciaires.
Votre commission juge utile de rappeler que malgré ces améliorations apportées aux dispositifs des directives anticipées et de la personne de confiance, les dispositions législatives envisagées ne pourront pas couvrir toutes les situations en y apportant une réponse évidente. Il s'agit en particulier des cas dans lesquels, comme M. Vincent Lambert, le patient se trouve dans un état végétatif chronique ou pauci-relationnel, et donc hors d'état d'exprimer sa volonté, sans pour autant avoir rédigé de directives anticipées qui auraient pu éventuellement permettre de savoir s'il aurait qualifié sa situation d'obstination déraisonnable et où, en l'absence d'une personne de confiance, les avis divergent au sein de la famille sur les traitements à dispenser ou à suspendre.
Il convient donc que, contrairement aux suites données à la loi du 22 avril 2005, le Gouvernement se saisisse de l'occasion offerte par l'adoption de cette proposition de loi afin de mener un véritable travail de pédagogie auprès de l'opinion publique.