II. INTRUSIONS ET SURVOLS : DES PHÉNOMÈNES RÉCURRENTS APPELANT DES ADAPTATIONS DES DISPOSITIFS DE SÉCURITÉ

Les installations nucléaires françaises ont fait l'objet, au cours des deux dernières décennies, d'intrusions récurrentes par voie terrestre, fluviale (dans un cas) ou aérienne (dans un autre cas). Ces intrusions, qui sont le fait de militants antinucléaires, se sont récemment multipliées.

Si elles ont pour objet de décrédibiliser l'usage de l'énergie nucléaire, ces intrusions ne représentent toutefois pas de menace directe en termes de sécurité.

Récemment apparu, le phénomène de survol d'installations sensibles par des drones est d'une autre nature, car il n'a pas été revendiqué comme le sont les intrusions des militants de Greenpeace. Les mini-drones qui ont réalisé ces survols ne représentent là encore pas de menace directe pour des installations, dimensionnées pour subir un crash d'aéronef. La rapidité de l'évolution technologique de ces appareils, et la méconnaissance des objectifs des auteurs de ces survols incitent néanmoins, là encore, à ne pas minimiser la portée de ces survols, et à engager une réflexion sur les évolutions juridiques et techniques qu'ils requièrent.

A. DES INTRUSIONS CONTESTATAIRES RÉCURRENTES DONT LA RÉPRESSION PÉNALE EST INADAPTÉE

Les intrusions ou tentatives d'intrusions relevées au cours des deux dernières décennies sont au nombre d'un peu plus d'une quinzaine . Elles se sont multipliées depuis l'accident de la centrale nucléaire japonaise de Fukushima Daiichi en 2011, qui a alerté l'opinion sur les dangers de l'énergie nucléaire. Depuis les actions concertées du 5 décembre 2011, les années 2012, 2013 et 2014 ont ainsi chacune été émaillées d'incidents d'ampleurs variables.

1. Une multiplication du nombre d'incidents depuis 2011

Entre 1996 et 2010, quatre incidents sur les centres nucléaires de production d'électricité ont été recensés 11 ( * ) .

Depuis lors, les intrusions ou tentatives d'intrusion dans les installations nucléaires se sont multipliées :

- Le 5 décembre 2011 aux centres nucléaires de production d'électricité (CNPE) du Blayais, de Chinon, de Chooz, de Cruas et de Nogent-sur-Seine, ainsi que sur le site du CEA de Cadarache. Dans un seul cas (Nogent-sur-Seine), les intrus ont été en mesure d'avancer réellement à l'intérieur du site et de monter sur le toit d'un bâtiment réacteur ;

- Le 16 avril 2012 à Gravelines (tentative) ;

- Le 2 mai 2012, un militant est parvenu à survoler et à accéder au site de la centrale du Bugey par voie aérienne ;

- Le 29 novembre 2012 sur le site de Tricastin (par voie fluviale) ;

- Le 15 juillet 2013 au CNPE de Tricastin ;

- Le 5 mars 2014 sur les sites des CNPE de Gravelines et de Bugey ;

- Le 18 mars 2014 au CNPE de Fessenheim, où l'intrusion a été réalisée par une soixantaine de militants de plusieurs nationalités.

2. Des sanctions faiblement dissuasives en l'absence de dispositif répressif spécifique

À la suite de ces intrusions, les tribunaux ont prononcé des condamnations à quelques mois de prison avec sursis . Ainsi par exemple :

- Le 27 mars 2012, le pilote du para-moteur qui s'était posé à l'intérieur du site de Bugey a été condamné à six mois de prison avec sursis pour survol de zone interdite, peine ramenée à trois mois de prison avec sursis par la Cour d'appel de Lyon ;

- Le 6 mars 2014, le tribunal correctionnel de Valence condamne 29 militants qui s'étaient introduits sur le site de Tricastin, dont un seul était présent à l'audience, à trois mois de prison avec sursis pour violation de domicile, et 3 000 euros de procédure au profit d'EDF ;

- 17 militants ont été condamnés le 22 septembre 2014 par le tribunal correctionnel de Dunkerque à quatre mois de prison avec sursis pour violation de domicile, pour avoir pénétré brièvement sur le site de la centrale nucléaire de Gravelines le 5 mars précédent ;

- Le 4 septembre 2014, le tribunal correctionnel de Colmar a condamné 55 militants qui s'étaient introduits sur le site de la centrale de Fessenheim à deux mois de prison avec sursis et 1 000 euros d'amende, également pour violation de domicile.

L'article 226-4 du code pénal dispose qu'est puni d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende le fait de s'introduire ou de se maintenir dans le domicile d'autrui à l'aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet. Cette peine est identique à celle prévue par l'article 413-5 du code pénal pour introduction frauduleuse sur un terrain affecté à l'autorité militaire ou placé sous son contrôle. Elle est supérieure à la peine prévue pour introduction sans autorisation à l'intérieur d'une zone protégée, qui est punie de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende (article 413-7 du code pénal).

Dans la mesure où il n'existe aucun délit spécifique applicable à l'intrusion dans des installations civiles abritant des matières nucléaires , il existe une incertitude quant aux qualifications juridiques susceptibles d'être retenues par le juge pénal .

Cette incertitude s'accompagne d'une inadaptation des sanctions prononcées , compte tenu de la sensibilité des installations concernées et des conséquences directes et indirectes des intrusions militantes, dont la portée n'est pas négligeable, et dépasse en tout état de cause celle d'une simple violation de domicile particulier, comme évoqué dans l'avant-propos du présent rapport.

3. Une réflexion sur le renforcement de la protection des installations
a) Une réflexion interministérielle

À la suite de ces intrusions, un groupe de travail, conduit par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), a été chargé de proposer des outils permettant de détecter plus précocement une intrusion, de retarder la progression des intrus, et de renforcer les sanctions afin de dissuader les opposants de mener des actions à l'intérieur des installations nucléaires, ce qui permettrait d'être mieux à même de distinguer cette menace de la menace terroriste.

Des rapports d'audit ont par ailleurs été demandés par le gouvernement aux inspections générales compétentes 12 ( * ) .

Intrusions dans les installations nucléaires :
les mesures préconisées par le groupe de travail interministériel ad hoc

Le groupe de travail interministériel conduit par le SGDSN, associant le ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie (MEDDE) et les ministères respectivement en charge de de la justice, de la défense et de l'intérieur, a retenu plusieurs mesures devant contribuer à un renforcement de la protection des installations de l'extérieur vers l'intérieur :

- Réglementer la circulation et le stationnement des véhicules dans un périmètre entourant les installations autorisées à accueillir des matières nucléaires ;

- Créer un délit spécifique d'intrusion dans des zones dites « zones nucléaires à accès réglementé » situées dans les installations abritant des matières nucléaires, assorti de sanctions pénales plus sévères que celles actuellement applicables, notamment en vertu du régime juridique des « zones protégées » (voir précédemment) ;

- Optimiser la recherche et la remontée du renseignement autour des installations nucléaires dans les « aires spéciales de surveillance » (ASS) définies par une instruction générale interministérielle du 7 janvier 2014 comme étant des zones délimitées autour des installations nucléaires civiles les plus sensibles et dans lesquelles s'exerce, en permanence, une recherche coordonnée du renseignement.

Enfin, le MEDDE réfléchit à l'introduction d'un dispositif de sanctions graduées en cas de manquement des opérateurs à leurs obligations en matière de sécurité des installations nucléaires, similaire à celui projeté en matière de sûreté. En effet, la seule sanction actuellement possible est le retrait de l'autorisation de détention ou d'utilisation de matières nucléaires. Cette sanction est inadaptée aux écarts couramment rencontrés.

Source : Réponse à la question de M. Gérald Darmanin, député, précitée

b) Des mesures de réglementation de la circulation et du stationnement

La réflexion conduite par le groupe de travail interministériel précédemment mentionné a abouti à l'institution par ordonnance d'une réglementation de la circulation et du stationnement autour des installations .

En application de l'article 55 de la loi relative à la programmation militaire 13 ( * ) , une ordonnance du 10 juillet 2014 14 ( * ) a modifié le code général des collectivités locales, pour y insérer un article L2215-10 permettant au préfet de réglementer les conditions de circulation et de stationnement sur les voies situées dans un rayon de cinq kilomètres autour des établissements ou installations civiles ou militaires abritant des matières nucléaires. Cette mesure est prise après avis du maire, à l'intérieur des agglomérations, et après avis du président du conseil départemental, à l'extérieur des agglomérations.

Elle permet de contrôler les abords des installations nucléaires et de repérer des comportements éventuellement suspects.


* 11 Le 9 mai 1996 au CNPE de Golfech, le 4 décembre 2003 au CNPE de Penly, le 27 mars 2007 au CNPE de Belleville et le 19 octobre 2007 au CNPE de Dampierre (source : SGDSN).

* 12 Rapport conjoint IGA (inspection générale de l'administration) / IGGN (inspection générale de la gendarmerie nationale) / IGPN (inspection générale de la police nationale) d'avril 2014 sur le renseignement relatif à la protection des installations nucléaires.

* 13 Loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale.

* 14 Ordonnance n° 2014-792 du 10 juillet 2014 portant application de l'article 55 de la loi précitée.

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