III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : CONSACRER DANS LA LOI LA COUTUME EXISTANTE
1. Un changement de nature du parrainage républicain qui pose d'importantes difficultés
En transformant une simple coutume appliquée de manière inégale sur l'ensemble du territoire en un acte d'état civil qui crée des obligations matérielles et morales pour les parrain et marraine, cette proposition de loi fait produire à un engagement facultatif et d'ordre privé des conséquences juridiques jugées inopportunes par votre commission des lois.
• Un risque de conflit avec les dispositifs du code civil en vigueur
En choisissant d'introduire les dispositions relatives au parrainage républicain dans le code civil, à la suite des dispositions sur l'autorité parentale, et en prévoyant que l'enfant est placé sous la protection de ses parrain et marraine , les auteurs de la présente proposition de loi leur confient une mission qui va bien au-delà du rôle symbolique qui est actuellement le leur .
La protection de l'enfant constitue le coeur des devoirs qui incombent à ses parents au titre de l'exercice de l'autorité parentale 6 ( * ) . Il existe alors un risque de voir les parrain et marraine s'immiscer dans la relation parents-enfant s'ils estiment que ce dernier est insuffisamment protégé.
De plus, la proposition de loi prévoit que les parrain et marraine « s'engagent à prendre soin de leur filleul comme de leur propre enfant dans le cas où ses parents viendraient à lui manquer ».
Cette rédaction soulève d'importantes interrogations. Que faut-il entendre par « manquement » des parents ? Si l'hypothèse de leur décès est assurément visée, cette notion pourrait également couvrir tout manquement aux obligations qui pèsent sur les parents au titre de l'exercice de l'autorité parentale.
Or le code civil prévoit d'ores et déjà des dispositifs juridiques apportant une réponse adaptée à ces manquements, qu'ils résultent de défaillances (mesures d'assistance éducative, délégation ou retrait d'autorité parentale) ou de la disparition des parents (désignation d'un tuteur par testament ou par le conseil de famille sous contrôle du juge des tutelles).
Dans ces hypothèses, le parrain ou la marraine peut se révéler être la personne la plus à même de s'occuper de l'enfant et être désignée membre du conseil de famille ou tuteur de l'enfant ( cf. supra ).
Mais le conseil de famille et le juge disposent alors de leur pleine liberté d'appréciation pour prendre une décision conforme à l'intérêt de l'enfant.
En consacrant le rôle particulier des parrain et marraine dans le code civil, la présente proposition de loi pourrait avoir pour effet de contraindre le juge dans son appréciation au détriment de l'intérêt supérieur de l'enfant.
Cette disposition est d'autant plus problématique qu'aucune garantie n'est prévue par la proposition de loi concernant le choix des parrain et marraine par les parents. Le texte ne pose en effet aucune condition tenant à l'âge ou à la capacité et le parrainage républicain n'est pas révocable.
De plus, comme l'ont souligné les représentants de l'union nationale des associations familiales (UNAF), entendus par votre rapporteur, avec le temps, le lien des parrain et marraine avec l'enfant a pu se distendre, rendant inopportun de leur confier l'enfant.
• L'inopportunité de faire du parrainage républicain, engagement moral d'ordre privé, un acte d'état civil
La proposition de loi fait du parrainage républicain un acte d'état civil en tant que tel. Il est fait mention dans l'acte de naissance de l'enfant de la célébration du parrainage républicain et des noms et prénoms des parrain et marraine.
Comme l'ont souligné les représentants du ministère de la justice, lors de leur audition par votre rapporteur, la création de ce nouvel événement ne correspond pas à la notion traditionnelle d'état civil.
En effet, l'état civil constitue l'« ensemble des qualités inhérentes à la personne que la loi civile prend en considération pour y attacher des effets » 7 ( * ) . Ces attributs essentiels d'une personne (la filiation, le sexe, le nom, le mariage) sont enregistrés et consignés dans des actes dotés d'une force authentique.
Votre commission a estimé que cet engagement moral des parrain et marraine, facultatif et de l'ordre du domaine privé, n'avait pas vocation à constituer l'un des éléments de l'état civil des personnes.
• Des obligations lourdes et dissuasives pour les parrain et marraine
Au-delà des considérations purement juridiques, en modifiant profondément la nature du parrainage républicain, la proposition de loi met à la charge des parrain et marraine des obligations lourdes de conséquences.
Désormais, en signant l'acte de parrainage républicain, les parrain et marraine devraient envisager d'assumer la charge d'un enfant en cas de « manquement » de ses parents.
Par ailleurs, en inscrivant dans la loi qu'il incombe également aux parrain et marraine « de développer en l'esprit de l'enfant les qualités indispensables qui lui permettront de devenir un citoyen dévoué au bien public [...] », on ne peut exclure que ces personnes puissent voir leur responsabilité civile engagée à l'égard des parents ou de l'enfant lui-même s'ils manquaient à la mission morale qui leur est confiée.
La force juridique de l'engagement des parrain et marraine qui découlerait de ce nouveau parrainage républicain pourrait dissuader un grand nombre de personne de s'y engager , ce qui est regrettable au regard de l'objectif premier de cette coutume : accompagner l'enfant dans son apprentissage de la citoyenneté et des valeurs républicaines.
Enfin, se poserait également la question de la faculté pour un maire de refuser de célébrer un parrainage s'il considère que les parrain et marraine choisis ne présentent pas les qualités nécessaires à la transmission des valeurs républicaines considérées, privant ainsi la proposition de loi d'une partie de son intérêt : permettre la célébration de parrainages républicains sur l'ensemble du territoire.
Pour l'ensemble de ces raisons et, comme en 2002 ( cf. supra ), votre commission des lois a considéré qu'il n'était pas souhaitable que le parrainage républicain produise des effets juridiques.
2. La consécration dans la loi de la pratique existante pour permettre son application uniforme sur l'ensemble du territoire
Votre commission a cependant considéré que consacrer la pratique existante dans la loi constituait une initiative bienvenue, permettant d'assurer un traitement égal de tous les citoyens qui souhaiteraient demander le parrainage républicain de leur enfant, quelle que soit la commune concernée.
De plus, comme l'ont souligné les représentants du ministère de l'intérieur, entendus par votre rapporteur 8 ( * ) , cette démarche s'inscrirait tout à fait dans la continuité des actions mises en place par les pouvoirs publics pour améliorer l'acquisition des valeurs républicaines par les jeunes générations en particulier.
Dès lors, à l'initiative de son rapporteur, votre commission a adopté quatre amendements tendant à modifier le texte en ce sens, reprenant certains éléments de la proposition de loi initiale, mais supprimant les dispositions qui auraient eu pour effet de transformer le parrainage républicain en acte d'état civil susceptible de produire des effets juridiques importants en matière de protection de l'enfant.
• Le choix de la notion de « parrainage républicain »
Dans la pratique actuelle, cet engagement est appelé indifféremment « baptême civil », « baptême républicain », « parrainage civil », « parrainage républicain ».
Les auteurs de la proposition de loi ont préféré la notion de « parrainage » à celle de « baptême » choisissant ainsi, à juste titre selon votre rapporteur, de s'affranchir de toute connotation religieuse.
Cependant, les auteurs du texte utilisent alternativement les termes de « parrainage républicain » et « parrainage civil ».
Votre commission a préféré retenir la notion de « parrainage républicain », pour sa portée symbolique et pour éviter les confusions que le terme « civil » pourrait faire naître dans l'esprit des citoyens.
L'utilisation de la notion de « parrainage civil », par analogie avec celle de « mariage civil », risquerait de renforcer l'idée erronée, mais déjà bien ancrée dans l'imaginaire collectif, selon laquelle le parrainage aurait une incidence en matière civile, et produirait des effets juridiques en cas de disparition des parents.
• La consécration du parrainage républicain dans une loi spécifique
Pour les mêmes raisons que celles qui l'ont conduite à retenir la notion de « parrainage républicain » plutôt que celle de « parrainage civil », votre commission a choisi de ne pas insérer les dispositions relatives au parrainage dans le code civil.
En effet, en introduisant ces dispositions dans le code civil, a fortiori à la suite du chapitre relatif à l'autorité parentale, le risque serait grand de laisser penser que le parrainage est élevé au rang d'institution civile, au même titre que le mariage par exemple, assortie d'effets juridiques particuliers.
Ce risque de confusion ne concerne pas seulement les citoyens mais également les services municipaux. Du fait de la multiplication des tâches qui leur sont confiées, les agents communaux peinent parfois à distinguer les démarches liées à l'état civil, qui donnent lieu à un acte authentique, des démarches purement administratives et laissées à la discrétion du maire comme la délivrance de certificats de vie commune ou de concubinage ou encore la délivrance de certificats d'hérédité et, actuellement, les documents relatifs au parrainage républicain. Votre commission a estimé qu'il n'était pas opportun d'ajouter encore à ce risque de confusion.
Par cohérence avec sa décision de ne pas faire du parrainage un acte d'état civil ( cf. supra ) enregistré par un officier d'état civil ( cf. infra ), votre commission a donc considéré qu'il était plus pertinent que ces dispositions soient inscrites dans une loi spécifique, leur conférant ainsi une certaine force symbolique et une meilleure visibilité.
• L'autorité compétente pour célébrer le parrainage républicain
En choisissant de ne pas faire du parrainage républicain un acte d'état civil, votre commission a considéré qu'il n'y avait plus de justification à confier la célébration de cet événement à un officier d'état civil agissant au nom de l'État.
Elle a donc explicitement prévu que les parrainages républicains pourraient être célébrés par les maires, les adjoints ou les conseillers municipaux, permettant ainsi de mieux répartir le surcroit de travail qui pourrait découler de l'obligation pour toutes les communes de célébrer les parrainages républicains.
Car, de fait, comme l'ont souligné les représentants du ministère de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique entendus par votre rapporteur, la question de la charge de travail supplémentaire pour les services communaux se pose légitimement (organisation de célébrations, tenue d'un registre spécifique...).
• La célébration dans la commune du domicile ou de résidence des parents ou de l'un des parents
La proposition de loi, dans sa rédaction initiale, disposait que la célébration du parrainage républicain se déroulerait dans la commune où a été enregistrée la demande.
Si cette souplesse se justifie actuellement puisque seules certaines communes acceptent de célébrer des parrainages, elle n'aurait plus lieu d'être si la proposition de loi était adoptée. Le parrainage républicain pourrait désormais être demandé dans toutes les communes du territoire.
Pour éviter de favoriser un « tourisme des parrainages républicains » et de surcharger certaines communes, votre commission a choisi de retenir le critère du domicile ou de la résidence des parents ou de l'un d'eux, établie par un mois au moins d'habitation continue à la date de la célébration.
• Une demande émanant des deux parents de l'enfant
Dans son texte initial, la proposition de loi prévoyait que le parrainage républicain pouvait être célébré à la demande de l'un ou des deux parents.
Votre commission a considéré que la demande de parrainage républicain devait émaner des deux parents, titulaires de l'autorité parentale, puisqu'il s'agit d'un acte entrant dans le cadre du développement moral et de l'éducation de l'enfant. En revanche si l'un des parents est seul titulaire de l'autorité parentale, il pourrait demander ce parrainage.
Certaines propositions de loi sur le même thème 9 ( * ) avaient proposé une rédaction un peu différente, donnant un droit d'opposition au parent qui ne souhaiterait pas que son enfant fasse l'objet d'un parrainage républicain. Cette rédaction alternative n'est pas apparue satisfaisante à votre rapporteur car, dans la mesure où le parent qui n'est pas à l'initiative de la demande aurait un droit de s'opposer au parrainage, la mise en oeuvre de ce droit supposerait de prévoir dans la loi une obligation d'information préalable de ce parent avec un délai de réflexion, ce qui alourdirait de manière inopportune le dispositif.
• Les conditions tenant aux parrain et marraine
Votre commission a choisi de poser deux conditions à la désignation des parrain et marraine. Dans la mesure où le parrainage républicain constitue un engagement moral des parrain et marraine d'accompagner l'enfant dans son apprentissage de la citoyenneté, votre commission a précisé qu'ils ne pouvaient être frappés de déchéance de leurs droits civiques ni avoir failli gravement à leur propre rôle de parent, en étant sous le coup d'une mesure de retrait d'autorité parentale.
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Votre commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.
* 6 L'article 371-1 du code civil dispose que l'exercice de l'autorité parentale a pour finalité de protéger l'enfant « dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne ».
* 7 Vocabulaire juridique, Gérard Cornu, Association Henri Capitant, éditions PUF p. 377.
* 8 Audition qui avait pour objet de présenter un exemple de cérémonie républicaine : la cérémonie d'accueil dans la citoyenneté française, prévue à l'article 21-28 du code civil, organisée pour les personnes qui acquièrent la nationalité française.
* 9 Proposition de loi de M. Bruno Le Roux et les membres du groupe socialiste, républicain et citoyen, relative au parrainage civil, n° 2020, enregistrée à l'Assemblée nationale le 11 juin 2014, proposition de loi de Mme Paulette Guinchard relative au baptême républicain n° 3806, enregistrée à l'Assemblée nationale le 23 mai 2007.