B. UNE MENACE INÉDITE APPELANT UNE NOUVELLE INTERVENTION DU LÉGISLATEUR

Dans son rapport sur le projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme 8 ( * ) , notre collègue M. Jacques Mézard estimait que : « le dispositif juridique français de lutte contre le terrorisme est efficace et couvre la grande majorité des situations rencontrées. La compétence spécialisée de la juridiction parisienne, la création de l'infraction d'association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, l'allongement de la prescription des crimes et délits de terrorisme, l'extension des prérogatives des services de police et de gendarmerie compétents dans ce domaine : les dispositions législatives adoptées entre 1986 et 2011 permettent aux pouvoirs publics et aux tribunaux de réprimer le terrorisme et de prévenir les attentats, sans que la France ait pour autant instauré une justice d'exception ».

Pourtant, dix-huit mois après la promulgation de cette loi, une évolution inédite de la menace terroriste a amené le Gouvernement à présenter un nouveau texte. Cette évolution revêt un double aspect : d'une part, les départs de plusieurs centaines de Français vers des zones de combat, essentiellement en Syrie, d'autre part, le développement intensif de la propagande terroriste sur le réseau internet, qui contribue de manière décisive à ces départs.

Il convient par ailleurs de rappeler que le présent projet de loi vient en complément du plan de lutte contre les filières djihadistes, présenté le 23 avril 2014 en conseil des ministres par le ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve. Ce plan comporte une série de mesures destinées à limiter les départs vers la Syrie, au premier rang desquelles la création d'une plateforme internet et d'un numéro vert permettant aux familles de signaler un proche présentant des risques de rupture ou de radicalisation ainsi que la mise en place d'un dispositif expérimental de réinsertion individualisée destiné à resocialiser les jeunes radicalisés.

1. Le départ de ressortissants ou de résidents français sur les théâtres d'opérations de groupes terroristes

Si les principaux éléments de la construction législative rappelée ci-dessus entendaient répondre à une série d'attentats terroristes qui ont frappé soit notre pays, soit d'autres démocraties au cours des trois dernières décennies, le présent projet de loi vise une nouvelle menace liée aux événements qui se déroulent depuis 2011 en Syrie. En effet, si le phénomène des jeunes Français ou ressortissants français se rendant dans des pays en guerre pour participer aux combats n'est pas nouveau - ce fut par exemple le cas en Afghanistan ou en Irak -, il a pris une ampleur tout à fait inédite au cours des derniers mois avec le départ de centaines de jeunes, hommes et femmes, en Syrie, pour rallier des groupes de combattants dont la plupart sont des groupes terroristes : principalement le soi-disant « État islamique » et dans une moindre mesure le Jabhat al nusra, affilié à Al Quaïda, ainsi que d'autres groupes moins importants en nombre et en force.

Or, certaines de ces personnes reviennent en France ou dans d'autres pays européens avec l'intention de commettre des actes terroristes. Ainsi Mehdi Nemmouche, qui a combattu dans les rangs de l' « État islamique », a commis l'attentat de Bruxelles du 24 mai 2014, tandis que d'autres combattants revenus de Syrie et interceptés par les services français entendaient préparer un attentat sur notre sol.

Le caractère dangereux de ces personnes de retour sur notre territoire est également lié à l'entrainement militaire de niveau professionnel qu'ils reçoivent en Syrie, notamment au sein de l'organisation de l' « État islamique », phénomène qui ne peut se comparer qu'avec la situation en Bosnie lors de la guerre de Yougoslavie. Il est également à craindre que ces jeunes, dont beaucoup de spécialistes s'accordent à reconnaître la fréquente fragilité psychologique, reviennent sur notre territoire avec des pathologies mentales lourdes liées aux événements traumatiques vécus sur les théâtres d'opérations en Syrie.

Les éléments statistiques fournis par l'unité de coordination de la lutte anti-terroriste (UCLAT), entendue par vos rapporteurs, permettent d'actualiser les données fournies par l'étude d'impact sur le nombre de personnes concernées.

Ainsi, à la date du 11 septembre 2014, 351 Français ou résidents en France étaient présents au sein des organisations islamistes sur le territoire syrien, dont 63 femmes. Sur ce nombre, 275 sont identifiés par l'administration. Par ailleurs, 171 Français ou résidents étaient en transit vers ce pays, 184 en étaient repartis. Parmi ces derniers, 120 sont revenus en France après un séjour en Syrie, pour des raisons très diverses, dont certains avec l'intention de commettre des attentats sur le sol français. Enfin, 36 sont morts en Syrie dans les combats et 2 sont détenus par le régime syrien.

Parmi ces personnes, environ les deux tiers sont de nationalité Française pour un tiers d'étrangers résidant en France.

En ce qui concerne les organisations terroristes rejointes par ces personnes en Syrie, il s'agit actuellement, au premier chef, de l' « État islamique », l'organisation terroriste Jabhat al-Nusra étant actuellement moins attractive. Selon les services de la lutte anti-terroriste, quasiment aucun de ces combattants ne rejoint l'armée syrienne libre.

De nombreuses mesures judiciaires et administratives ont déjà été mises en oeuvre à l'encontre de ces personnes.

Au plan judiciaire, 72 dossiers sont en cours d'instruction, visant 356 individus. 114 individus ont été arrêtés, 78 mis en examen et 53 écroués.

Au plan administratif, 489 individus ont été inscrits au fichier des personnes recherchées (FPR) après avoir fait l'objet d'un refus de délivrance ou de renouvellement de passeport et 10 demandes de retrait de passeport ont été transmises à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur, qui en a validé 3. Enfin, la DGSI et la direction du renseignement territorial ont mené 291 entretiens administratifs préventifs, dont très peu ont permis de dissuader une personne de partir, ce qui montre la force de l'endoctrinement idéologique, réalisé en grande partie via internet.

2. L'utilisation intensive d'internet comme moyen de propagande et de recrutement

Les responsables des services chargés de la lutte anti-terroriste ont unanimement souligné, lors de leur audition par vos rapporteurs, la très bonne maîtrise d'internet par les groupes terroristes et le rôle important joué par cet outil dans l'endoctrinement et le recrutement des « djihadistes » qui se rendent en Syrie.

En effet, des messages, des textes et des vidéos sont diffusés sur internet mettant en scène des actes terroristes ou des victimes de la guerre civile syrienne soit sur des sites spécialisés, soit sur les grands réseaux sociaux (Twitter, Facebook). Par ailleurs, d'autres sites, en plus petit nombre, permettent de motiver et de recruter des personnes susceptibles de partir ensuite pour se rendre sur des théâtres d'opérations. En outre, ces sites peuvent fournir des conseils pratiques tels que la manière de fabriquer un engin explosif à partir de matières en vente libre, des méthodes de cryptage des données ou encore des conseils de comportement pour ne pas être repéré au sein de sa famille ou par les autorités.

En 2013, 122 sites ont fait l'objet d'un signalement à l'autorité administrative pour apologie du terrorisme.

Selon les responsables des services, il existe ainsi, indépendamment de tout contact réel avec des personnes tenant un discours incitant au terrorisme, des cas d'« autoradicalisation » par internet en un temps très réduit (quelques semaines), ce qui les rend d'autant plus difficile à repérer. Il faut ainsi noter que, sur les 380 personnes signalées à ce jour à la plate-forme mise en place dans le cadre du plan anti-terroriste présenté en mars 2014 (parmi lesquelles 24 % de mineurs et 44 % de femmes), beaucoup n'étaient pas connues auparavant des services chargés de la lutte anti-terroriste.


* 8 Rapport n° 35 (2012-2013) de M. Jacques Mézard, fait au nom de la commission des lois, déposé le 10 octobre 2012 : http://www.senat.fr/rap/l12-035/l12-035.html

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