C. LE PACTE INTERGÉNÉRATIONNEL, UN DISPOSITIF DE REDISTRIBUTION DE L'ACTIVITÉ FONDÉ SUR LA SOLIDARITÉ ENTRE MONITEURS SENIORS ET JEUNES DIPLÔMÉS
La solidarité est une valeur fondamentale des territoires de montagne. Dès 1963, les moniteurs de ski des ESF en ont apporté une belle démonstration en prévoyant que les moniteurs seniors céderaient progressivement leur place aux plus jeunes, afin de favoriser l'activité de tous.
1. Un dispositif de réduction d'activité des seniors au profit des jeunes moniteurs diplômés qui existe depuis 1963 dans les ESF pour garantir l'absence de chômage au sein de la profession
En tant que membres d'une profession libérale, les moniteurs de ski sont libres de partir à la retraite quand ils le souhaitent.
Toutefois, afin de garantir aux 350 jeunes diplômés annuels de l'ENSA une bonne insertion professionnelle et leur éviter tout risque de chômage, le Syndicat national des moniteurs du ski français (SNMSF) a mis en place à partir de 1963 un système de régulation fondé sur la réduction progressive de l'activité des moniteurs permanents des ESF les plus âgés au bénéfice des moniteurs les plus jeunes . Ce dispositif a permis à tous les nouveaux diplômés, génération après génération, de trouver rapidement un emploi au sein d'une école de ski.
Ce système original, basé sur la solidarité intergénérationnelle , a été modifié à quatre reprises depuis 1963, afin de repousser l'âge auquel s'applique la réduction d'activité, et ce, pour tenir compte de l'allongement de l'espérance de vie.
En 1963, les moniteurs perdaient leur statut de permanent pour ne plus être appelés qu'en renforts par leur ESF pendant les vacances scolaires à l'âge de 55 ans. En 1996, cette limite a été repoussée à 58 ans 7 ( * ) avant d'être portée à 61 ans en 2007, parallèlement à l'intégration des moniteurs de ski dans le dispositif de droit commun de l'assurance vieillesse.
Le dispositif adopté le 3 mai 2007 à 90,28 % des suffrages exprimés par les 10 057 membres du Congrès national des moniteurs des écoles du ski français prévoyait :
« Une réduction d'activité s'impose à partir de 61 ans. Les moniteurs sont :
- permanents plein temps jusqu'à 61 ans ;
- occasionnels « renfort vacances » de 61 à 65 ans ;
- au-delà de 65 ans, ils se situent après les « renfort vacances ». »
Il convient de souligner que les dispositions relatives à la réduction d'activité des moniteurs seniors adoptées en 2007 n'étaient pas directement applicables dans les ESF locales : celles-ci ont donc soumis au vote de leurs adhérents des délibérations imposant un débrayage aux moniteurs seniors dont les modalités pouvaient varier substantiellement d'une école à l'autre (âge de début du débrayage, ampleur de la réduction d'activité...).
Pour tenir compte de la décision du TGI d'Albertville ainsi que d'un avis de la Halde considérant le dispositif de réduction d'activité des moniteurs de plus de 61 ans adopté en 2007 comme discriminatoire (voir infra ), le SNMSF a adopté le 24 novembre 2012 un Pacte intergénérationnel applicable à compter de 62 ans et garantissant aux moniteurs jusqu'alors permanents âgés de 62 à 67 ans une activité suffisante pour valider deux trimestres d'assurance vieillesse par an , soit l'équivalent d'un bénéfice minimum de 3 600 euros par saison (ce qui correspond approximativement à un chiffre d'affaires de 7 200 euros par saison).
Ce pacte disposait :
- « qu'à partir de 62 ans révolus jusqu'à 65 ans, le moniteur permanent devient « moniteur occasionnel ». Il bénéficie d'une attribution de cours par l'intermédiaire de l'ESF en fonction des besoins de celle-ci, pour lui permettre de valider a minima deux trimestres d'assurance vieillesse au titre de chaque saison.
- de 65 ans révolus à 67 ans, il devient « moniteur occasionnel renfort vacances » et bénéficie d'une attribution de cours par l'intermédiaire de l'ESF pendant les périodes de vacances scolaires, pour lui permettre de valider a minima deux trimestres d'assurance vieillesse au titre de chaque saison.
- au-delà de 67 ans, le moniteur se situe après les « moniteurs occasionnels renfort vacances » ».
Le Pacte précisait aussi que « les moniteurs gardent toute liberté d'exercice avec la clientèle qu'ils se sont constituée et ce sans limitation dans le temps ».
Pour favoriser la bonne insertion des nouveaux diplômés, le Pacte prévoyait enfin que « le moniteur nouvellement intégré au rang de « permanent » bénéficie d'une distribution d'activité de la part de l'ESF, de nature à lui valider a minima deux trimestres d'assurance vieillesse ».
Ce Pacte a obtenu 94,86 % des suffrages exprimés des 10 057 membres du Congrès national des moniteurs des écoles du ski français.
Contrairement au dispositif adopté en 2007, le Pacte intergénérationnel de 2012 était directement applicable dans les ESF, sans qu'un vote local ne soit nécessaire, et ses dispositions sont entrées en vigueur au début de la saison de ski 2012-2013.
2. L'insertion professionnelle des jeunes moniteurs de ski diplômés, un objectif difficile à atteindre sans régulation de la pyramide des âges
a) Les moniteurs de ski, une population jeune qui doit continuer à intégrer efficacement l'immense majorité des nouveaux diplômés
La profession de moniteurs de ski est l'une des professions libérales qui compte le plus de jeunes. Selon une étude réalisée par la direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS) en novembre 2012, 35,8 % des moniteurs de ski ont moins de 35 ans , contre 5,4 % des médecins et 5,9 % des notaires.
Cette jeunesse est un véritable atout pour les écoles de ski car l'enseignement des cours de compétition ou de certaines spécialités très techniques, comme le ski freeride , nécessite des capacités physiques de très haut niveau, qu'il est par définition plus difficile de conserver avec l'âge.
En outre, les jeunes moniteurs diplômés maîtrisent souvent mieux les nouvelles disciplines de glisse ainsi que les langues étrangères, des atouts précieux pour renforcer l'attractivité des écoles de ski et s'adresser à l'ensemble des publics.
Aussi, il apparaît essentiel pour les écoles de ski de pouvoir intégrer au maximum les jeunes diplômés en organisant un compagnonnage harmonieux avec les moniteurs plus âgés , dont l'expérience, la connaissance intime de la montagne et la parfaite maîtrise des règles de sécurité est, elle aussi, une richesse fondamentale qui doit être valorisée.
Figure n° 6 : Pyramide des âges de la profession de moniteurs de ski
b) Une corrélation directe entre activité des seniors et intégration des jeunes moniteurs diplômés démontrée par l'apparition d'un chômage des jeunes lors des reculs successifs de l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite des moniteurs seniors
Une étude 8 ( * ) réalisée par le cabinet Towers Watson à la demande du SNMSF en mai 2012 permet d'établir le lien entre le maintien dans l'activité des moniteurs seniors et l'insertion professionnelle des jeunes moniteurs de ski diplômés . Cette étude démontre que l'activité des moniteurs de ski étant en équilibre ou en faible croissance selon les territoires, une régulation de la pyramide des âges par les écoles de ski apparaît indispensable pour garantir un chômage zéro aux jeunes moniteurs de ski diplômés.
Le graphique ci-dessous permet de s'en convaincre en mesurant les effets des reports survenus à partir de 1996 (passage progressif de 55 ans à 58 ans) puis en 2007 (passage de 58 ans à 61 ans) de l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite des moniteurs de ski sur l'emploi des jeunes diplômés.
Figure n° 7 : Evolution de 2000 à 2011 des diplômés de l'ENSA et des effectifs des nouveaux moniteurs du SNMSF (ski alpin)
Source : étude Towers Watson, « Indicateurs statistiques de gestion des effectifs », 25 mai 2012
- En phase 1, le report de l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite de 55 ans à 58 ans décidé en 1996 est en cours : certains moniteurs liquident donc leur pension de retraite plus tard qu'auparavant et la profession ne parvient plus à intégrer en totalité les jeunes diplômés ;
- en phase 2 (de 2002 à 2006), l'effet du report de l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite décidé en 1996 est résorbé et la profession parvient à intégrer 95,5 % des jeunes moniteurs diplômés (1780 sur 1863) ;
- en phase 3 (de 2007 à 2009), les effets du report de l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite de 58 ans à 61 ans décidé en 2007 se font fortement sentir : le taux d'intégration des jeunes moniteurs diplômés passe à 77,1 %, en dépit de la baisse simultanée pourtant très conséquente du nombre de nouveaux diplômés de l'ENSA (- 39,7 % entre 2006 et 2009) ;
- en phase 4 (années 2010 et 2011), les effets du report de l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite décidé en 2007 sont absorbés et l'intégration des jeunes moniteurs diplômés remonte à 93,7 %, malgré l'augmentation des effectifs formés (+ 48,2 % entre 2009 et 2011). Début 2014, l'Ensa considérait que l'ensemble de ses diplômés de l'année précédente avaient travaillé au moins quatre semaines.
Ainsi, la bonne intégration des jeunes moniteurs de ski diplômés apparaît bel et bien directement corrélée à l'activité des moniteurs de ski ayant atteint l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite, puisque chaque période de report de l'âge de la retraite a entraîné une forte augmentation du chômage des jeunes diplômés.
Aussi la réduction progressive d'activité des moniteurs de plus de 62 ans apparaît-elle incontournable pour assurer un bon renouvellement de la pyramide des âges au sein des écoles de ski.
Pour autant, aucune génération ne peut s'estimer « sacrifiée », comme le montre clairement la figure n° 8 issue de l'étude Towers Watson commandée par le SNMSF en mai 2012. Cette figure montre en effet que le dispositif de réduction d'activité du SNMSF a permis, au cours des vingt dernières années, de concilier harmonieusement intégration des jeunes moniteurs diplômés et poursuite de l'activité des plus de 62 ans.
Figure n° 8 : Evolution cumulée des effectifs sur 19 saisons
Source : étude Towers Watson , « Indicateurs statistiques de gestion des effectifs », 25 mai 2012
* 7 Pour ne pas bloquer l'intégration des nouveaux diplômés dans la profession, le relèvement de l'âge de liquidation s'est effectué de manière progressive, soit en six ans pour trois classes d'âge.
* 8 Cette étude était basée sur des données fournies par l'ENSA et par le SNMSF.