E. RÉFORMER LE DISPOSITIF D'EXPERTISE INTERNATIONALE : UN ENJEU MAJEUR POUR LA FRANCE

1. Un projet de loi très limité en la matière

L'article 8 du projet de loi se contente d'indiquer que les opérateurs de l'expertise technique internationale contribuent à la politique de développement, « le cas échéant dans le cadre de conventions passées avec l'Etat ».

Le rapport annexé présente pourtant l'importance que représente l'expertise pour la France :

- « [...] dans les pays émergents, la dépendance à l'aide publique au développement est faible. La valeur ajoutée de l'intervention de la France repose sur l'expertise, la capacité à agir en faveur de la préservation des biens publics mondiaux et la recherche de solutions partagées à des défis communs. »

- « La France propose aussi une aide en matière de coopération technique et d'expertise. En effet, les pays en développement, et en particulier nos partenaires émergents, sont fortement demandeurs d'une expertise technique de haut niveau. En ce qui concerne l'assistance technique, le Gouvernement a créé en 2013 un fonds d'expertise technique et d'échange d'expériences (FEXTE), logé à l'AFD et dédié à la promotion des savoir-faire français chez nos partenaires. La France pourra ainsi promouvoir son expertise et son influence . »

2. Aller plus loin en appliquant le rapport que votre commission a adopté en novembre 2012

A l'occasion de l'examen du contrat d'objectifs et de performance de France expertise internationale pour la période 2012-2014, votre commission a adopté le rapport 18 ( * ) de notre collègue Jacques Berthou. Alors que la coopération internationale en matière d'expertise constitue un enjeu important pour le renforcement des capacités des pays partenaires et l'influence de la France, le constat dressé par ce rapport n'était guère encourageant. Il s'agit à la fois d'un enjeu économique et d'emploi, puisque le marché est évalué à 400 milliards d'euros sur cinq ans, et d'un enjeu en termes d'influence, notamment en ce qui concerne les normes techniques ou juridiques, les deux questions étant indubitablement liées pour les entreprises françaises.

Pourtant, la France ne s'est pas mise en état de répondre à ces enjeux, en particulier en raison de la fragmentation des opérateurs . Contrairement à ses principaux partenaires, la France ne s'est pas dotée d'un opérateur public dominant susceptible de fédérer son offre. De ce fait, les opérateurs français n'ont pas la taille critique pour être compétitifs sur les marchés internationaux dont la demande tend à aller vers des appels d'offres globaux ou groupés qui favorisent les structures importantes et pluridisciplinaires.

Il existe ainsi une trentaine d'opérateurs dont une douzaine a une présence significative sur les marchés internationaux et trois ont un chiffre d'affaires nettement supérieur aux autres :

- ADETEF est un GIP et opérateur des ministères en charge de l'économie et des finances, du commerce extérieur, de l'industrie, de l'artisanat et du tourisme, de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, de la réforme de l'Etat (27 millions d'euros d'activité en 2012) ;

- CIVI.POL est une société anonyme relevant du ministère de l'intérieur (26 millions d'euros de volume d'affaires en 2012) ;

- France expertise internationale (FEI) est un EPIC créé par la loi relative à l'action extérieure de l'Etat 19 ( * ) et relevant du ministère des affaires étrangères (28 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2012, une quarantaine de millions en 2013) ;

- le GIP ADECIA en matière d'agriculture, d'alimentation, de pêche et de forêt ;

- le GIP France vétérinaire international ;

- le GIP Justice coopération internationale (JCI), sous la tutelle du ministère de la justice, qui a succédé en 2012 à l'association Acojuris ;

- ADECRI, structure de droit privé regroupant les organismes de sécurité sociale et dont la mission est d'accompagner les pays émergents dans le développement ou la réforme de leur système de protection sociale ;

- le GIP « Santé protection sociale international » (SPSI) regroupe les principaux acteurs de l'offre française de coopération internationale en santé et protection sociale, dont ADECRI et plusieurs caisses nationales de sécurité sociale (qui sont donc directement membres à la fois d'ADECRI et de SPSI) ;

- le GIP Esther (« Ensemble pour une solidarité thérapeutique hospitalière en réseau »), opérateur public de l'Etat sous tutelle du ministère des affaires étrangères et du ministère des affaires sociales et de la santé, contribue à la mise en oeuvre de la politique française d'aide au développement dans le domaine de la santé, en particulier en ce qui concerne le sida ;

- le GIP International travail, emploi, formation professionnelle ;

- etc...

Qui plus est, le Gouvernement a créé un nouvel opérateur au sein de l'AFD en 2013, le fonds d'expertise technique et d'échange d'expériences (FEXTE), doté de 20 millions d'euros.

Le volume d'activité cumulé annuel s'élevait en 2009 à environ 80 millions d'euros dont 60 millions pour ADETEF, CIVIPOL et FEI. En Allemagne, le chiffre d'affaires de l'opérateur unique (GIZ) s'élevait à 1,7 milliard d'euros en 2009 en intégrant deux plus petits opérateurs qui ont fusionné avec le GIZ. Au Royaume-Uni, le DFID, équivalent du ministère français chargé du développement, ne distingue pas entre coopération technique et financière mais on peut relever que le « Crown Agents », société privée proche du DFID et opérateur d'expertise, avait en 2009 un chiffre d'affaires de 115 millions de livres.

Cette fragmentation des opérateurs, de leurs statuts et de leurs modes de fonctionnement et de financement aboutit nécessairement à une dispersion de l'effort public et est préjudiciable in fine à la France ; elle est en particulier incompréhensible dans le cadre contraint des finances publiques. Le rapport 20 ( * ) remis par le Gouvernement au Parlement en juillet 2011 sur cette question dresse un constat sans surprise : les conflits de périmètre entre les opérateurs sont structurels ; les modèles économiques divergents conduisent plus que jamais à une concurrence nuisible à l'intérêt collectif ; la situation génère un problème de visibilité et de lisibilité du dispositif français.

Outre la création du FEXTE, le CICID de juillet 2013 a rappelé que le Gouvernement avait décidé, lors du comité interministériel pour la modernisation de l'action publique (CIMAP) du 2 avril 2013, l'évaluation du dispositif français d'expertise technique internationale, en vue de le simplifier et de le rationaliser. Cette évaluation devait déboucher sur des recommandations opérationnelles qui auraient dû être présentées en janvier 2014.

Malheureusement, cette évaluation ne semble pas devoir déboucher sur des décisions rapides, en raison de blocages entre ministères liés assez largement à la défense de positions acquises.

C'est pourquoi la commission a estimé qu'il lui revenait d'enclencher la discussion et la réforme du dispositif français d'expertise internationale. Elle a donc adopté l'amendement présenté par Jacques Berthou et qui prévoit la fusion de six organismes dans une nouvelle « Agence française d'expertise technique internationale » (AFETI). Cette agence doit rester souple, avec une centralisation des fonctions transversales mais une relative autonomie des départements thématiques, chargés de faire vivre l'expertise par métier. Elle permettra à la France de mieux répondre aux appels d'offres internationaux et de mettre en valeur le label « France » dans un domaine qui constitue un enjeu économique et d'influence essentiel sur le long terme.

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Réunie le mercredi 30 avril 2014 sous la présidence de Jean-Louis Carrère, Président, la commission a adopté à l'unanimité le texte du projet de loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale, modifié par 79 amendements.


* 18 « Pour une « équipe France » de l'expertise à l'international », rapport d'information n° 131 (2012-2013) du 14 novembre 2012.

* 19 Loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010.

* 20 Rapport sur le renforcement de la cohérence du dispositif public de l'expertise technique internationale, Christine Mauguë, 14 juillet 2011.

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