C. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

La présente proposition de résolution européenne avance des pistes qui permettront d'alimenter la réflexion sur la nature et les modalités de fonctionnement du futur instrument de convergence et de compétitivité . Bien qu'adoptée avant la réunion du Conseil européen des 19 et 20 décembre 2013, cette proposition n'en conserve pas moins toute sa pertinence, ce dernier s'étant limité à poser les lignes directrices devant structurer la poursuite des travaux relatifs aux « arrangements contractuels » (cf. encadré ci-après).

Les « partenariats pour la croissance, l'emploi et la compétitivité »
dans les conclusions du Conseil européen des 19 et 20 décembre 2013

Les conclusions du Conseil européen des 19 et 20 décembre 2013 mentionnent les « partenariats pour la croissance, l'emploi et la compétitivité » qui intègrent tout à la fois les « arrangements contractuels » et les « mécanismes de solidarité associés ». Il est précisé que ce « système serait intégré dans le Semestre européen, ouvert aux Etats membres ne faisant pas partie de la zone euro et pleinement compatible avec le marché unique à tous les égards. Il serait applicable à l'ensemble des Etats membres de la zone euro, à l'exception de ceux faisant l'objet d'un programme d'ajustement économique ».

En outre, les conclusions indiquent que les « arrangements contractuels arrêtés d'un commun accord engloberaient un large éventail de politiques et de mesures destinées à favoriser la croissance et l'emploi, notamment en ce qui concerne le fonctionnement des marchés du travail et des produits, l'efficacité du secteur public, ainsi que la recherche et l'innovation, l'éducation et la formation professionnelle, l'emploi et l'inclusion sociale ».

Quant aux « mécanismes de solidarité associés », il est précisé qu'ils viseraient « à soutenir, si besoin est, les Etats membres participant à des arrangements contractuels arrêtés d'un commun accord, ce qui permettrait d'encourager les investissements dans des politiques destinées à favoriser la croissance et l'emploi ».

A ce stade, les principales orientations arrêtées par le Conseil européen sont donc les suivantes :

- la participation aux arrangements contractuels serait obligatoire pour les Etats membres de la zone euro - à l'exception de ceux faisant l'objet d'un programme d'ajustement économique - et volontaire pour les autres Etats membres de l'Union européenne ;

- les arrangements contractuels reflèteraient les priorités en matière de politique économique recensées dans l' analyse commune de la situation économique dans les Etats membres de la zone euro et tiendraient compte des recommandations par pays ;

- les « mécanismes de solidarité associés » - soit les instruments de soutien financier - ne seraient pas systématiquement mobilisés dans le cadre des arrangements contractuels , mais seraient réservés à des cas spécifiques.

Enfin, les conclusions du Conseil européen indiquent que les travaux devront se poursuivre sur la base des principales caractéristiques suivantes :

- « par " arrangement contractuel arrêté d'un commun accord ", on entend un engagement émanant des États membres, qui constitue un partenariat entre ceux-ci, la Commission et le Conseil. Le programme national de réforme présenté par chaque Etat membre dans le cadre du Semestre européen constituera la base des arrangements contractuels arrêtés d'un commun accord, compte tenu également des recommandations par pays. Les arrangements contractuels arrêtés d'un commun accord seront adaptés aux besoins de chaque Etat membre et porteront essentiellement sur un nombre limité de leviers importants pour une croissance durable, la compétitivité et la création d'emplois. Les objectifs et les mesures en matière de politique économique inscrits dans les arrangements contractuels arrêtés d'un commun accord devraient être définis par les Etats membres, conformément à leurs dispositions institutionnelles et constitutionnelles, et obtenir une adhésion pleine et entière au niveau national grâce à une participation appropriée des parlements nationaux, des partenaires sociaux et d'autres parties prenantes concernées. Ils devraient être examinés et arrêtés d'un commun accord avec la Commission, avant d'être soumis au Conseil pour approbation. La Commission sera chargée de suivre la mise en oeuvre convenue des arrangements contractuels arrêtés d'un commun accord, sur la base d'échéances définies conjointement » ;

- « pour ce qui est des mécanismes de solidarité associés , les travaux se poursuivront pour approfondir l'examen de toutes les options envisageables en ce qui concerne la nature exacte (par exemple prêts, subventions, garanties), la forme institutionnelle et le volume du soutien, tout en veillant à ce que ces mécanismes n'entraînent pas d'obligations pour les Etats membres qui ne participent pas au système d'arrangements contractuels arrêtés d'un commun accord et de mécanismes de solidarité associés; ils ne devraient pas être conçus comme des instruments visant à réduire les inégalités en matière de revenus, ni avoir d'incidence sur le cadre financier pluriannuel ; ils devraient respecter la souveraineté budgétaire des Etats membres. Tout accord de soutien financier associé à un arrangement contractuel arrêté d'un commun accord revêtira un caractère juridiquement contraignant. Le président de la BEI sera associé à ces travaux ».

Le Conseil européen a invité le président du Conseil européen à lui remettre un rapport en octobre 2014 sur ces différentes questions, ses travaux devant associer étroitement les Etats membres.

La présente proposition de résolution européenne sera donc susceptible de trouver une résonnance dans le cadre des travaux qui seront menés conjointement par le président du Conseil européen et les Etats membres afin de définir plus avant le contenu des « arrangements contractuels » et des « mécanismes de solidarité associés ».

Celle-ci demande, tout d'abord, que l'instrument de convergence et de compétitivité soit mis en place dans le cadre du semestre européen - cette inscription dans le semestre européen paraît, depuis le Conseil européen des 19 et 20 décembre 2013, constituer un acquis ; ceci permettra indubitablement un renforcement mutuel des deux procédures.

1. Une approche contractuelle respectueuse du principe de subsidiarité

La proposition de résolution européenne considère ensuite que la nature contractuelle de l'instrument de convergence et de compétitivité doit être mise à profit afin de préserver les marges de manoeuvre des Etats membres et des parlements nationaux et de tenir compte de la spécificité des situations nationales .

En effet, l'hétérogénéité des situations de chacun des pays de la zone euro fait obstacle à ce que les réformes structurelles nécessaires soient « pensées » à l'échelle de la zone en son entier . Si celles-ci doivent être menées dans l'intérêt de tous les Etats membres, il n'en demeure pas moins qu'elles doivent, pour être efficaces, apporter des réponses adaptées à la situation économique et sociale de chaque pays, conformément au principe de subsidiarité qui a toujours structuré la construction européenne.

Par ailleurs, les marges de manoeuvre laissées aux Etats et aux parlements nationaux constituent tout à la fois un gage de responsabilité accrue pour les autorités nationales et un gage d'acceptabilité par les citoyens , et donc de légitimité des réformes engagées.

2. La création d'un budget spécifique de la zone euro

La proposition de résolution européenne affirme également que l'instrument de compétitivité et de convergence doit être regardé comme la première phase de la création d'un budget spécifique de la zone euro « susceptible de remplir trois principales fonctions : stabilisation macroéconomique, aide aux réformes structurelles, soutien budgétaire de l'union bancaire ». A cet effet, elle se déclare favorable à ce que le mécanisme de soutien financier associé à l'ICC prenne la forme d'une véritable capacité budgétaire permettant de financer des actions relevant de chacun de ces trois fonctions.

La création d'un budget propre de la zone euro présente un intérêt économique majeur . Dans le cadre d'une zone monétaire, en effet, la résilience aux « chocs asymétriques » - c'est-à-dire des chocs d'offre ou de demande qui affectent de manière différente deux pays de la zone - peut s'avérer délicate ; aussi, plusieurs remarques peuvent être formulées à ce sujet :

- la politique de change et la politique monétaire ne peuvent constituer des mécanismes d'ajustement face à un choc asymétrique ; dès lors qu'elle concerne l'ensemble des Etats de la zone monétaire, la politique monétaire ne saurait, en effet, être ajustée pour répondre à une situation spécifique à un pays. Dans ces conditions, la politique budgétaire est l'unique instrument de politique économique permettant de faire face à un choc asymétrique ;

- néanmoins, dans la zone euro, la crise économique et financière a démontré que les politiques budgétaires nationales n'étaient pas en mesure d'assurer la stabilité macroéconomique de la zone euro , les processus de décision semblant peu adaptés à la mise en oeuvre de réponses rapides et coordonnées aux chocs économiques ;

- les mécanismes d'ajustement internes identifiés par la théorie des zones monétaires optimales - à savoir la mobilité des facteurs de production et la flexibilité des prix 12 ( * ) -, qui doivent permettre de compenser la fixité du change, ne sont pas pleinement opérationnels dans la zone euro - en particulier, la mobilité des salariés demeure limitée 13 ( * ) , en raison notamment des barrières linguistiques, de la non-portabilité des droits sociaux, etc. En tout état de cause, la littérature économique récente a montré que de tels mécanismes étaient insuffisants ; les économistes Emmanuel Farhi et Iván Werning 14 ( * ) ont, en particulier, souligné l'importance de la mise en place de « mécanismes d'assurance entre les membres [de l'union monétaire] pour assurer des transferts en direction des pays dans les pires circonstances » 15 ( * ) - donc, en quelque sorte, de l'intégration budgétaire - pour le bon fonctionnement de la zone monétaire.

Dans ces conditions, la création d'un budget spécifique de la zone euro peut constituer un moyen de renforcer la stabilité de cette dernière . C'est la raison pour laquelle il est essentiel que, dans les travaux à venir portant sur les « partenariats pour la croissance, l'emploi et la compétitivité », les aspects relatifs aux « arrangements contractuels » n'éclipsent pas ceux concernant les « mécanismes de solidarité associés » .

La présente proposition de résolution européenne appelle à ce que « le mécanisme de soutien financier associé à l'instrument de convergence et de compétitivité et, à terme, le budget de la zone euro soient dotés d'un financement significatif » ; toutefois, elle précise qu'« au regard de la situation des finances publiques dans la zone euro, [...] l'instrument de convergence et de compétitivité et, à terme, le budget de la zone euro [doivent être] financés à coût constant, sans dépenses supplémentaires, par des transferts de recettes des Etats membres sensibles à la conjoncture, par exemple d'une part du produit de l'impôt sur les sociétés ».

Ainsi, la proposition présente une position équilibrée et adaptée aux circonstances actuelles : elle considère que l'intégration budgétaire doit se faire par transfert de compétences et de ressources au niveau de la zone euro . Il ne s'agit donc pas d'ajouter un étage de compétences - ce qui serait regrettable aussi bien d'un point de vue fonctionnel que des finances publiques -, mais de redéfinir la répartition des compétences budgétaires entre les Etats membres .

Enfin, la présente proposition envisage de financer cette nouvelle capacité budgétaire par un transfert de recettes d'impôt sur les sociétés . Ainsi que l'indique une étude de la direction du Trésor, intitulée « Un budget pour la zone euro », la « composition du budget peut être choisie afin de maximiser son effet stabilisateur, ce qui implique de sélectionner les recettes et les dépenses les plus cycliques - c'est-à-dire qui sont fortement corrélées à l'activité » et précise à cet égard que, du « côté des recettes, l'impôt sur les sociétés, très sensible à la conjoncture - élasticité au PIB de 1,4 en moyenne pour la zone euro -, apparaît comme un candidat idéal » 16 ( * ) .

Bien que séduisante, cette idée suscite néanmoins des interrogations . En effet, un transfert d'une partie des recettes de l'impôt sur les sociétés (IS) impliquerait préalablement une harmonisation, au moins de l'assiette, de cette taxe. Or l'exemple récent du projet d'Assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) - qui peine à se concrétiser - a montré qu'il s'agissait d'une tâche difficile.

Aussi votre rapporteur estime-t-il peut-être préférable que la réflexion reste ouvert et examine d'autres recettes pour financer le budget spécifique de la zone euro , voire l'instrument de convergence et de compétitivité, de manière à ne pas ralentir le processus 17 ( * ) .

3. L'institution d'un véritable contrôle parlementaire

La présente proposition de résolution européenne juge que « la mise en place d'instruments de convergence et de compétitivité et, à terme, d'un budget de la zone euro, doit impérativement s'accompagner d'un renforcement de sa légitimité démocratique et être soumise à un véritable contrôle parlementaire » ; votre rapporteur estime même qu'il s'agit d'un gage d'appropriation des réformes structurelles qui pourraient être engagées dans ce cadre.

La proposition avance, à cet égard, plusieurs pistes :

- l'organisation de débats contradictoires réguliers entre les parlements nationaux et la Commission ;

- l'institution, au sein du Parlement européen, d'une structure dédiée à la seule zone euro ;

- le renforcement de la Conférence interparlementaire prévue par l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire, et la constitution, au sein de cette Conférence, d'une commission spéciale compétente pour la seule zone euro ;

- la création d'un comité mixte comprenant des membres du Parlement européen issus de pays de la zone euro et des membres des parlements nationaux de la zone euro, qui serait amené à se prononcer lors des étapes les plus importantes du semestre européen.

Votre rapporteur se félicite de ce que ces préconisations prévoient un rôle renforcé pour les parlements nationaux et, surtout, un dialogue direct entre ceux-ci et les institutions européennes ; en effet, cloisonner les relations institutionnelles entre, d'une part, la Commission européenne et le Parlement européen et, d'autre part, les gouvernements et les parlements nationaux, comme le proposait le rapport du président du Conseil européen précité (cf. supra ), lui paraît être en décalage avec la réalité de la gouvernance européenne actuelle.

Ensuite, il estime qu'une réflexion sur la constitution de lieux de dialogue entre parlementaires de la zone euro - issus du Parlement européen et des parlements nationaux - devrait être effectivement engagée , une telle évolution lui semblant constituer le corolaire d'une participation différenciée aux « partenariats pour la croissance, l'emploi et la compétitivité » - obligatoire pour les pays de la zone euro et volontaire pour les autres Etats membres de l'Union européenne. Il s'agit de pouvoir procéder à des échanges sur des problématiques propres aux Etats de la zone euro - notamment en ce qui concerne la définition des grandes orientations de politique économique - et permettre un partage efficace des bonnes pratiques.

Votre rapporteur rappelle, à cet égard, que notre collègue Jean Arthuis insistait, dans un rapport de mars 2012 18 ( * ) , sur la nécessité d'envisager de « nouvelles voies de dialogue entre les différents parlements nationaux, et entre les parlements nationaux et les institutions européennes » ; aussi proposait-il la création d'une commission de surveillance de la zone euro composée de parlementaires nationaux et européens.

Comme le suggère la proposition de résolution, ce dialogue entre parlementaires de la zone euro pourrait avoir lieu au sein d' une commission spéciale de la Conférence interparlementaire, qui serait compétente pour la seule zone euro . La création d'une telle commission spéciale est toutefois peu probable dans un avenir proche. En effet, la dernière réunion de la Conférence interparlementaire - qui s'est tenue du 20 au 22 janvier 2014 à Bruxelles - n'a permis d'aboutir ni à l'adoption d'un règlement intérieur, ni à la création d'un groupe de travail en charge de définir les modalités pratiques de fonctionnement de cette Conférence.


* 12 Cf. Les travaux de l'économiste américain Robert Mundell et, notamment, son article « A Theory of Optimum Currency Areas » paru dans The American Economic Review en 1961.

* 13 Cf. Commission européenne, « Employment and social developements in Europe 2013 », janvier 2014. Après une forte baisse entre 2008 et 2010 (- 41 %), la mobilité des travailleurs à l'intérieur de l'UE a de nouveau progressé entre 2010 et 2012 (+ 22 %). Toutefois, les dernières données disponibles indiquent que la mobilité des travailleurs a joué un rôle très limité dans l'absorption des chocs au sein de la zone euro. Par exemple, en dépit d'une hausse de 20 % des citoyens des pays du sud de l'UE travaillant en Allemagne, leur nombre demeure trop limité pour avoir un impact significatif sur la situation de l'emploi dans leurs pays d'origine.

* 14 Cf. Emmanuel Farhi et Iván Werning, « Fiscal Unions », NBER Working Paper No. 18280 , août 2012.

* 15 Traduction de la commission des finances (« insurance arrangements among members to provide transfers to countries in the most dire circumstances »).

* 16 Cf. Nicolas Caudal, Nathalie Georges, Vincent Grossmann-Wirth, Jean Guillaume, Thomas Lellouch et Arthur Sode, « Un budget pour la zone euro », Tresor-Eco , n° 120, octobre 2013.

* 17 A ce titre, le transfert d'une partie des recettes de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) dont l'assiette est déjà harmonisée pourrait être envisagé.

* 18 Rapport au Premier ministre de Jean Arthuis, « Avenir de la zone euro : l'intégration politique ou le chaos », mars 2012.

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