B. DES DIFFICULTÉS CERTAINES DANS LA MISE EN OEUVRE

En dépit de la construction européenne et de l'ouverture des frontières, le développement de nombreux projets de coopération entre établissements de santé, de part et d'autre de la frontière franco-espagnole s'est accompagné de difficultés. Les plus fréquentes sont la conséquence de la complexité des procédures administratives et financières, de la difficulté d'accès à des soins de qualité pour les populations concernées, à la complication des mécanismes de prises en charge de soins, aux difficultés d'organisation du transport sanitaire des patients et à l'absence de garantie de continuité des soins.

Ainsi a-t-on assisté à la dissolution du GEIE mis en place pour l'acquisition en commun en 2003 d'un appareil permettant de réaliser des examens d'imagerie médicale par scintigraphie (tomographie par émissions de positions) par l'hôpital de Perpignan entre le centre hospitalier de Perpignan, le centre libéral de médecine nucléaire de Béziers et le centre de médecine nucléaire de Barcelone (CETIR), ce dernier ne participant plus à cette activité.

Ou encore peut-on s'inquiéter des difficultés auxquelles se heurte le projet d'hôpital transfrontalier en Cerdagne dans sa phase d'entrée en fonctionnement alors que les bâtiments sont construits avec la participation financière de l'Union européenne.

L'hôpital transfrontalier de Cerdagne : un projet complexe à mettre en oeuvre

Partant de l'exemple concret de l'hôpital transfrontalier de Puigcerdá, d'une analyse détaillée de son statut et à la suite d'un déplacement sur place, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale 9 ( * ) a montré, dans son rapport pour avis sur le présent projet de loi, la complexité de mise en oeuvre de ce projet et du réseau de soins transfrontaliers qui l'accompagne en raison du nombre de partenaires impliqués de statut juridique très différents, soumis à des règles de droit différentes et parfois contradictoires, à des modes de gestion opposés et déjà insérés dans des réseaux nationaux ou régionaux.

Alors que l'ouverture de l'hôpital est envisagée au premier semestre 2014, les modalités concrètes de son fonctionnement de l'hôpital restent à définir. Il s'agit donc de parvenir à des accords sur le contenu et les modalités des prestations qui devront être assurées par les partenaires du Groupement, sur le cadre juridique des mises à disposition de personnel, les règles en matière de responsabilité civile, les langues de travail, l'uniformisation des pratiques médicales, y compris les pratiques en matière de pharmacie, les questions liées à l'état-civil et en matière funéraire 10 ( * ) .

L'objectif est de parvenir à un accord équitable pour les deux parties. Le budget prévisionnel de fonctionnement s'élève à 20 millions d'euros par an, dont 8 millions pour la France 11 ( * ) . Or depuis quelques mois, les promoteurs français du projet s'interrogent sur le déséquilibre entre les parties dans la gouvernance du projet. Ce déséquilibre ne s'était pas fait sentir dans les phases précédentes de réalisation de l'hôpital, menées en parallèle par la France et la Catalogne mais il apparaît depuis quelques mois s'agissant de son fonctionnement : interrogations sur la venue de patients français à l'hôpital de Cerdagne, en dehors du strict cadre des urgences et de la maternité, sur la façon de concrétiser juridiquement l'engagement pris dans le cadre de la convention constitutive du Groupement de faire fonctionner l'hôpital avec des équipes franco-catalanes , sur la mise en réseau des équipements sanitaires du plateau cerdan et l'accessibilité aux patients espagnols des installations situées en Haute Cerdagne, notamment.

Une réunion s'est tenue à Perpignan le 16 décembre rassemblant les deux conseils (exécutif et consultatif, ce qui permet d'associer les collectivités territoriales) qui a permis de préciser l'achèvement de l'installation des équipements et le caractère opérationnel de l'hôpital, mais aussi de prendre connaissance des étapes de l'ouverture. Une nouvelle réunion devrait se tenir en février 2014, en espérant que d'ici-là la ville de Puigcerdá aura donné les autorisations administratives nécessaires et que le transfert du personnel de la fondation à l'hôpital aura été acté par les autorités sanitaires catalanes.

Sur les autres questions pendantes, des solutions de bon sens devraient aux yeux des élus locaux et de votre Rapporteur être mises en oeuvre, aux besoins en adaptant la législation et la réglementation. Il est d'ailleurs regrettable que leurs évolutions n'aient pu être anticipées, il est dès lors urgent d'intervenir.

S'agissant de l'état-civil, la possibilité de transcription par le biais du registre d'état civil au Consulat de Barcelone a été obtenue pour permettre l'enregistrement des naissances d'enfants français à la maternité, mais cette solution reste peu satisfaisante car ces enfants seront toujours considérés comme nés à l'étranger et devront donc demander leur extrait de naissance à Nantes. Cette difficulté pourrait être réglée par la possibilité pour un officier d'état civil d'une des communes de Cerdagne française d'enregistrer les naissances à l'hôpital ou d'instaurer une inscription numérique. On rappellera à cet égard la proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale par notre collègue François Calvet, alors député, visant à permettre aux officiers de l'état civil français d'enregistrer les déclarations de naissance au sein de l'hôpital transfrontalier commun à la France et à l'Espagne 12 ( * ) . On notera que désormais les demandes d'extraits d'actes de naissance auprès des services d'état civil nantais se font en ligne.

Il serait aussi souhaitable d'assouplir les conditions de transport des corps en cas de décès pour permettre leur rapatriement sans qu'il soit besoin d'un cercueil en plomb et de rechercher des dérogations possibles 13 ( * ) .

De même, devrait-il être possible de permettre aux forces de police ou de gendarmerie françaises de venir interroger un patient qui aurait commis un délit en France et qui serait hospitalisé à Puigcerdá. Des réunions ont déjà été tenues sur ce sujet entre le parquet français et le gouverneur espagnol 14 ( * ) .

Enfin, plus anecdotique, il serait souhaitable que La Poste puisse être autorisée à disposer d'une boîte aux lettres sur le site de l'hôpital afin d'éviter un circuit « ubuesque » d'acheminement du courrier entre Puigcerdá et Bourg-Madame, communes limitrophes via Madrid et Paris.

C'est pour apporter une solution partielle à ces difficultés récurrentes qu'en 2007 des négociations ont été ouvertes entre la France et l'Espagne afin de préciser juridiquement, par une convention bilatérale plus générale, le cadre dans lequel devaient s'inscrire les coopérations existantes ou en cours. Les négociations ont abouti à la signature, le 27 juin 2008, de l'accord cadre bilatéral de coopération sanitaire transfrontalière, complété par un accord d'application, signé le 9 septembre, soumis ensemble à votre appréciation et dont il convient d'examiner le dispositif.


* 9 Assemblée nationale - Rapport n° 1106 de Mme Ségolène Neuville au commission des affaires sociales juin 2013 : http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r1106.asp

* 10 Pour lesquelles, il faudra probablement recourir à une nouvelle convention bilatérale.

* 11 Ce financement est inclus dans l'objectif de dépenses d'assurance-maladie (ODAM) défini à l'article L. 174-1 du code de la sécurité sociale, lui-même inclus dans l'objectif national (ONDAM) voté chaque année dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

* 12 http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion3485.asp

* 13 Interrogé par votre rapporteur, le ministère des affaires étrangères a indiqué qu'afin d'assouplir le dispositif de transport des corps entre la France et l'Espagne, et ainsi permettre notamment la crémation des dépouilles des personnes décédées dans cet hôpital qui en auraient émis le souhait, la France est favorable à la signature d'un accord bilatéral avec l'Espagne, conformément à l'article 2 de l'accord de Strasbourg du 26 octobre 1973, auquel sont parties tous les Etats disposant d'une frontière terrestre avec notre pays, à l'exception de l'Italie et de l'Allemagne. Dans cette perspective, nous souhaitons être en mesure de proposer à la partie espagnole un projet d'accord.

Sur le plan juridique, la direction juridique du Quai d'Orsay estime que compte tenu de la matière de l'accord envisagé, qui pourrait relever du domaine législatif (article L.1113-14 du code des collectivités territoriales), un accord intergouvernemental, publié et opposable aux tiers, doit être conclu. La forme la plus appropriée serait celle d'un échange de lettres entre nos deux gouvernements.

Pour ce qui concerne le fond et le texte du projet d'accord, des prises de contact ont été effectuées afin que les services concernés du ministère de l'intérieur français puisse disposer de tous les éléments d'information nécessaires à la rédaction de ce projet, notamment la question de la capacité pour les opérateurs funéraires habilités en France à intervenir en territoire espagnol et les éventuels équipements exigés par le droit espagnol . ». Le décret espagnol 2263 relatif aux transports de corps du 20 juillet 1974 prévoit, dans les zones frontalières, des accords de réciprocité. La capacité à agir des organismes des pompes funèbres venant de France sera logiquement intégrée à ce niveau.

* 14 Interrogé par votre rapporteur, le ministère des affaires étrangères a indiqué que l'accord de Blois du 7 juillet 1998 organisant la coopération policière et douanière dans les centres communs, situés aux frontières avec l'Espagne prévoit des possibilités de déplacement des forces de sécurité en zone frontalière (titre 2 sur la coopération directe), et que ce dispositif a été renforcé par l'accord de Prüm entre plusieurs pays européens, relatif à l'approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale, signé le 27 mai 2005 (et entré en vigueur en 2008 . Ce dispositif va être repris dans l'accord en cours d'écriture sur les diligences « justice » et les actes limitatifs dévolus au sein de l'hôpital de Cerdagne aux forces de sécurité. En effet outre le fait que l'accord bilatéral prévoit un certain nombre d'actes réalisables par commission rogatoire simplifiée, il autorisera de façon explicite les services d'enquête français à y accéder. Une application immédiate des commissions rogatoires simplifiées semble envisageable.

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