EXAMEN EN COMMISSION

Mercredi 15 janvier 2014

M. Jean-Pierre Michel, président . - L'ordre du jour appelle l'examen du rapport de M. Jean-Pierre Sueur et du texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 257 (2013-2014) relatif à la géolocalisation (procédure accélérée).

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Mon rapport sur ce texte vise également la proposition de loi que François Pillet a déposée le mois dernier pour autoriser l'usage de la géolocalisation dans le cadre des enquêtes préliminaires et de flagrance. En préliminaire, je voudrais évoquer la question de l'article 20 de la loi de programmation militaire. Les dispositions que nous avons prises de concert avec les députés sur la loi de programmation militaire, protectrices des libertés publiques, ont été présentées comme attentatoires aux libertés, par des personnes qui avaient intérêt à semer la confusion dans l'opinion. Nous avons défendu notre position : les parlementaires n'ont nulle intention de restreindre les libertés, nous avons pris des dispositions protectrices, tout en donnant aux services de sécurité les moyens d'accomplir leur mission, en particulier contre le terrorisme - mais une campagne d'opinion a présenté notre action à l'inverse de ce qu'elle est ; nous devrons donc reprendre l'offensive et je vous propose, dans un premier temps, d'organiser sur le sujet une journée de travail, après les municipales.

La géolocalisation en temps réel est devenue un outil indispensable à nos services de police et de gendarmerie, elles l'utilisent dans leurs missions d'investigation, contre la délinquance organisée, en particulier. Cependant, la chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt du 22 octobre dernier, vient d'exiger que la géolocalisation se déroule sous le contrôle d'un juge. Pour ce faire, elle s'est fondée sur l'arrêt Uzun contre Allemagne du 2 septembre 2010, dans lequel la Cour européenne des droits de l'homme a exigé l'intervention du juge - de manière plus souple cependant, puisque la Cour européenne n'a pas imposé de délai à cette intervention.

Deuxièmement, le texte que nous examinons se justifie par l'histoire déjà longue du refus de la Cour européenne des droits de l'homme de regarder nos magistrats du Parquet comme des magistrats à part entière - alors qu'en droit interne, la position constante du Conseil constitutionnel accorde bien cette qualité au Parquet. À cette aune, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) est devenue urgente, même à se limiter au mode de nomination de ses membres ; le président de la République l'a annoncée prochaine, et je salue les efforts de Jean-Pierre Michel pour qu'elle advienne.

Dans ces circonstances, ce texte encadre le recours à la géolocalisation ; je vous en proposerai quelques aménagements, qui me paraissent équilibrés, conciliant les avis des services ministériels de la justice, de l'intérieur, aussi bien que des syndicats de magistrats et de policiers que j'ai largement consultés.

Ce texte circonscrit d'abord le recours à la géolocalisation en temps réel : elle est possible pour les infractions punies d'au moins trois ans d'emprisonnement ; je vous proposerai de porter ce quantum à cinq ans - la peine de trois ans s'applique notamment au vol simple, ce serait placer le seuil trop bas.

Il dispose, ensuite, que ce recours doit être décidé par le procureur et que sa décision doit être confirmée dans les quinze jours par le juge des libertés et de la détention - avec un cas particulier pour le domicile privé, où l'installation d'un dispositif de géolocalisation exige une décision préalable du juge des libertés et de la détention.

Je vous proposerai d'autoriser l'officier de police judiciaire, en cas d'urgence, à prendre l'initiative du recours à la géolocalisation, à charge pour lui d'en informer le procureur ou le juge d'instruction par tout moyen - et que, dans ce cas, l'autorisation écrite du magistrat compétent intervienne dans les douze heures.

Enfin, je vous proposerai que le magistrat ait, s'il le juge nécessaire, la faculté de disjoindre du dossier de la procédure les circonstances de la mise en place de la géolocalisation, de manière à protéger les témoins ou les informateurs des services d'enquête. De fait, l'obligation de verser au dossier toutes ces circonstances ferait, dans certains cas, porter un risque sur ces personnes. Les magistrats m'ont dit n'y être pas opposés, dès lors que cette décision leur appartiendrait : c'est la solution que je vous proposerai.

Ce texte est donc très important, parce qu'il comble un vide juridique en matière de géolocalisation, un vide déraisonnable parce qu'il fige un nombre important de procédures en cours - comme cela s'est produit avec la garde à vue.

M. Michel Mercier . - Comme pour la garde à vue, il nous faut effectivement trouver une solution légale, mais il nous faut également, ici, défendre le Parquet à la française contre les coups de boutoir de la Cour européenne des droits de l'homme - qui persiste à considérer que les magistrats du Parquet n'en sont pas de véritables, ceci malgré la position constante du Conseil constitutionnel. Il est donc urgent, effectivement, de convoquer le Congrès pour réformer la nomination des membres du CSM, c'est d'autant plus aisé qu'il y a longtemps déjà qu'en pratique, le garde des Sceaux suit toujours l'avis du CSM dans ces nominations... Quant à la réforme du CSM lui-même, c'est un autre sujet - qu'on ne doit pas mêler au premier, sauf à vouloir enterrer la réforme.

Nous voterons donc ce texte utile, nécessaire même, qui assure à nos forces de l'ordre l'usage de la géolocalisation, ce dont les bandits ne se privent pas du tout !

M. André Reichardt . - Ce sujet est très sensible, notre rapporteur l'a dit et nous l'avons vu aux commentaires sur les dispositions protectrices que nous avons prises à l'initiative de Jean-Jacques Hyest sur la loi de programmation militaire : elles ont pu passer pour des atteintes gravissimes aux libertés publiques, contre notre objectif et le texte même. C'est pourquoi je me félicite de cette journée de travail annoncée sur le sujet.

Une question cependant : dès lors que la géolocalisation est souvent utilisée pour quelques jours seulement, la précaution de faire obligatoirement intervenir le juge dans un délai de deux semaines satisfera-t-elle aux exigences de la Cour européenne de justice ? Acceptera-t-elle qu'en-deçà de quinze jours, il n'y ait pas d'autorisation du juge ?

Ensuite, dès lors que les objets connectés se multiplient et qu'ils permettent de facto une géolocalisation, couvre-t-on véritablement, avec ce texte, le champ de la géolocalisation ?

M. Jean-Jacques Hyest . - Il est vrai que par son caractère attentatoire à la vie privée - bien moindre, cependant, que les écoutes -, la géolocalisation évoque des sujets que nous connaissons, pour lesquels nous avons déjà pris des règles protectrices. Il est vrai, également, que la chambre criminelle de la Cour de cassation est allée plus loin que la Cour européenne des droits de l'homme - ce qui ne manque pas d'inquiéter, quand on sait qu'effectivement, la Cour européenne ne reconnaît pas véritablement la qualité de magistrat à nos magistrats du Parquet : n'est-ce pas un moyen pour remettre en cause un nombre bien plus grand de procédures ?

Il faut donc faire quelque chose, ce texte est nécessaire. Nous avons pris des mesures en matière de lutte contre le terrorisme et contre la grande criminalité, de même que sur les écoutes, il faut le faire pour la géolocalisation.

M. Yves Détraigne . - Nous devons protéger les libertés publiques et la vie privée - en particulier la liberté d'aller et venir -, sans naïveté cependant, c'est-à-dire sans refuser à nos services d'enquête des outils nécessaires contre le grand banditisme et le terrorisme. Ce texte est nécessaire et équilibré : nous le voterons.

M. Alain Richard . - Effectivement, nous devons protéger notre Parquet à la française et la réforme constitutionnelle est devenue urgente : il faut une réforme limitée qui consolide l'indépendance du Parquet, le plus vite possible.

Cependant, avec ce texte qui vient corriger la jurisprudence de la Cour de cassation, nous risquons fort de nous heurter à une certaine mauvaise volonté de cette Cour : il faut que notre texte tienne bon. Avons-nous une expertise suffisante, en particulier, sur le statut des opérations de géolocalisation avant qu'intervienne l'autorisation du juge ? Les garanties passent-elles au crible de la Cour européenne des droits de l'homme ? Que se passera-t-il quand le magistrat du siège n'autorisera pas la géolocalisation, alors que le magistrat du Parquet l'aura dûment autorisée quinze jours plus tôt ? Quelles seront, en particulier, les conséquences de ce refus sur la procédure ?

M. Jean-Pierre Michel , président . - La réforme constitutionnelle n'arrêtera pas la question, parce qu'elle n'empêchera pas la Cour européenne de refuser la qualité de magistrat aux parquetiers. Une confusion est à la source de ce conflit : le parquetier n'est effectivement pas un juge, mais il est bien un magistrat, c'est à ce titre qu'il dispose de compétences de poursuites - le Conseil constitutionnel ne s'y trompe pas, mais cette distinction n'a pas cours à l'échelon européen. Il est tout à fait légitime que la poursuite - police et magistrats du Parquet - dispose de la géolocalisation : il ne s'agit pas de surveiller la population, mais bien de poursuivre des individus soupçonnés de se livrer à des délits et à des crimes, la nuance est de taille.

L'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, du 22 octobre dernier a fait cesser un nombre certainement important de procédures : dans le seul ressort de Besançon, une dizaine d'affaires seraient interrompues, toutes liées à des trafics et du banditisme transfrontaliers. Les trafiquants disposent de la géolocalisation, il faut qu'au moins nos services de police luttent à armes égales.

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Nous avons examiné en détail l'arrêt Uzun contre Allemagne , la Cour européenne des droits de l'homme y pose des conditions que ce texte satisfait. Le juge européen demande que le recours à la géolocalisation se cantonne à des faits d'une particulière gravité : ce texte prévoit un quantum de trois ans d'emprisonnement, je vous proposerai de l'élever à cinq ans. Le juge européen demande un contrôle par le juge sans en préciser le délai : la Cour européenne a validé une procédure, en Allemagne, où le contrôle du juge n'était intervenu qu'après un mois de géolocalisation - nous faisons intervenir le magistrat du Parquet dans les douze heures et le juge dans les quinze jours. Notre texte, tel que nous l'amendons, satisfait aux critères de la Cour européenne des droits de l'homme.

M. Alain Richard . - Un refus par le juge des libertés et de la détention annulerait la poursuite de la géolocalisation, mais n'annulerait pas la procédure, non plus que les éléments recueillis par ce mode de surveillance : est-ce bien comme cela qu'il faut lire le texte ?

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Oui, dès lors que le procureur, dans les douze heures, aura autorisé la géolocalisation.

S'agissant des écoutes sur décision administrative, je rappelle que la loi date de 1991 et qu'elle a été modifiée en 2006. Le dispositif que nous avons adopté dans la loi de programmation militaire apporte des garanties complémentaires, avec une intervention écrite du Premier ministre ou de son représentant. Nous savons qu'il y a des oppositions, les plus véhémentes venant de ceux qui stockent des milliards de données personnelles sans aucun scrupule ni aucun contrôle... Des associations de bonne foi s'y sont laissées prendre et ont protesté, sans même entendre ce que nous avons à en dire.

Article 1 er

L'amendement n° 1 est adopté, ainsi que les amendements n os 1, 2, 4 et 3.

Article 3

L'amendement n° 5 est adopté.

La commission adopte le projet de loi dans la rédaction issue de ses travaux.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1 er
Géolocalisation dans le cadre des enquêtes et de l'instruction

M. SUEUR, rapporteur

1

Peine d'emprisonnement pour l'usage de la géolocalisation : cinq ans

Adopté

M. SUEUR, rapporteur

2

Rédactionnel

Adopté

M. SUEUR, rapporteur

4

Initiative de l'OPJ

Adopté

M. SUEUR, rapporteur

3

Dossier séparé

Adopté

Article 3
Application sur l'ensemble du territoire de la République

M. SUEUR, rapporteur

5

Rédactionnel

Adopté

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