II. UNE PROPOSITION DE LOI QUI MARQUE UNE NOUVELLE ÉTAPE VERS L'ACCESSIBILITÉ UNIVERSELLE
Partant du constat que le stationnement des personnes en situation de handicap est un élément important de leur accessibilité à la Cité et s'appuyant sur les initiatives prises par certaines communes, la présente proposition de loi pose un principe d'accès gratuit et sans limitation de durée des titulaires de la carte de stationnement aux places réservées et aménagées à leur effet.
A ce titre, elle s'inscrit pleinement dans la continuité de la démarche volontariste du Gouvernement pour faire avancer le chantier de l'accessibilité universelle.
A l'initiative de son rapporteur, et en accord avec l'auteur de la proposition de loi, votre commission a souhaité aller encore plus loin en étendant, pour les titulaires de la carte, le principe de gratuité et de non-limitation de la durée du stationnement à toutes les places, qu'elles soient réservées ou non.
A. LE STATIONNEMENT RÉSERVÉ, FACTEUR ESSENTIEL D'ACCESSIBILITÉ POUR LES PERSONNES EN SITUATION DE HANDICAP
1. L'accessibilité universelle : une politique qui bénéficie d'un second souffle
• La question de l'accessibilité des personnes en situation de handicap à la cité a pris corps dans le débat public lors de l'examen de la loi du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées . Celle-ci affichait déjà des objectifs ambitieux et posait, de façon réaliste, le principe d'une mise en oeuvre progressive, tant en matière de cadre bâti que de transport.
Toutefois, la définition même de l'accessibilité souffrait d'emblée d'une vision très restrictive, puisqu'elle demeurait limitée à la question du handicap moteur, et notamment à la question des cheminements en fauteuil roulant. En outre, la traduction concrète des principes affichés par cette loi fondatrice n'a été que tardivement réalisée : la définition précise des obligations d'accessibilité a été renvoyée à des décrets qui ont prévu, faute de « garde-fou » dans la loi, un nombre important d'exceptions et de dérogations. Qui plus est, des délais importants ont été nécessaires pour leur élaboration.
Concernant les transports, la loi d'orientation du 30 décembre 1982 sur les transports intérieurs n'a fait de l'accessibilité aux personnes handicapées ou à mobilité réduite qu'un « objectif » parmi d'autres pouvant, le cas échéant, conduire à l'adoption de « mesures particulières » .
Pendant toutes ces années, les personnes handicapées ont donc continué à vivre un véritable parcours du combattant pour se déplacer dans la Cité. Il a fallu attendre la loi « Handicap » de 2005 pour donner une nouvelle impulsion au chantier de l'accessibilité.
• Conformément à la nouvelle
définition du handicap sur laquelle elle repose
2
(
*
)
,
la loi du
11 février 2005 a rénové la notion
d'accessibilité en l'étendant
:
- à tous les types de handicap (mental, sensoriel, psychique, cognitif, polyhandicap...), alors que les textes antérieurs envisageaient l'accessibilité presque exclusivement sous l'angle des personnes à mobilité réduite ;
- à tous les domaines de la vie en société : la chaîne de déplacement (cadre bâti, voirie, espaces publics, transport), la citoyenneté, l'école, les services publics, les loisirs...
On parle désormais d' accessibilité universelle , pour désigner le processus visant à éliminer toutes les barrières qui peuvent limiter une personne dans l'accomplissement de ses activités quotidiennes. Cette démarche considère non seulement les besoins des personnes ayant une déficience (motrice, intellectuelle, visuelle, sensorielle, auditive, liée à la parole ou autres), mais également ceux de toute personne pouvant être confrontée à des situations de handicap, qu'elles soient temporaires (à la suite d'un accident ou d'une maladie) ou durables (dépendance liée à l'âge). Comme aiment à le rappeler les associations, l'accessibilité universelle, c'est « l'accès de tous à tout » .
• La loi « Handicap » a
fixé
l'échéance de la mise en accessibilité
du cadre bâti, de la voirie et des transports à 2015
.
Alors que cette échéance approche, force est de constater que les différents acteurs peinent à atteindre les objectifs de la loi. Au 1 er juillet 2012, 23 % des ERP des Epci n'avaient pas réalisé leur diagnostic d'accessibilité, 44 % des communes n'avaient pas achevé tous les diagnostics de leurs ERP, 39 % des autorités organisatrices de transports n'avaient pas encore adopté de schéma d'accessibilité, 13 % des Pave étaient adoptés, 36 % n'étaient toujours pas lancés et 51 % étaient en cours d'élaboration.
Dès son arrivée aux responsabilités, le Gouvernement de Jean-Marc Ayrault a pris acte du constat énoncé par trois inspections générales (CGEDD, CGEFI, Igas) dans un rapport d'octobre 2011 3 ( * ) rendu public un an plus tard par la ministre chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion, Marie-Arlette Carlotti, selon lequel la France ne sera pas au rendez-vous de 2015.
A partir de la mise en évidence des faiblesses identifiées dans le dispositif législatif et réglementaire et fort des propositions formulées par notre collègue Claire-Lise Campion 4 ( * ) , le Gouvernement souhaite apporter les modifications nécessaires et équilibrées pour accélérer la mise en accessibilité de la société et mieux prendre en compte les différents types de handicap . L'objectif est de donner un donner un second souffle à la politique d'accessibilité et établir un dialogue de confiance avec les associations représentatives des personnes en situation de handicap, ainsi que les acteurs publics et privés concernés.
Le Comité interministériel du handicap (CIH), qui s'est tenu le 25 septembre dernier, a identifié l'accessibilité universelle comme l'une des cinq priorités de la politique du handicap . Plusieurs orientations ayant trait aussi bien aux transports, aux services publics, aux entreprises, à la culture, à la citoyenneté ont été définies :
- compléter et améliorer le volet « accessibilité » de la loi de 2005 dans un cadre concerté grâce à la mise en oeuvre d'agendas d'accessibilité programmé (Ad'Ap), ainsi que le recommandait Claire-Lise Campion dans son rapport au Premier ministre ;
- instaurer un lieu permanent d'échange sur les normes d'accessibilité au sein de l'observatoire interministériel de l'accessibilité et de la conception universelle (Obiaçu) ;
- recruter 1 000 ambassadeurs de l'accessibilité dans le cadre du service civique, qui interviendront auprès des petites et moyennes entreprises (PME) des secteurs du commerce et des services, ainsi que des petites communes pour les sensibiliser aux enjeux de l'accessibilité ;
- établir un référentiel d'accessibilité pour les services publics ;
- développer les chartes d'accessibilité dans le secteur privé ;
- encourager les fédérations sportives à intégrer un volet « sport et handicap » dans leur projet fédéral ;
- reconnaître le rôle des chiens guide ;
- définir le niveau d'accessibilité de chaque type d'élection ;
- soutenir les producteurs pour l'accessibilité de leurs films ;
- rendre plus efficace le fonctionnement de l'exception au droit d'auteur ;
- préparer le développement du relais téléphonique.
En traitant d'un sujet, le stationnement , qui n'a jusqu'à présent pas été directement abordé, cette proposition de loi complète cette dynamique en faveur d'une société plus accessible, donc plus inclusive.
2. Les initiatives prises par les communes en matière de stationnement réservé
En application de l'article L. 2333-87 du code général des collectivités territoriales, les autorités compétentes en matière de stationnement et circulation (le conseil municipal ou l'organe délibérant de l'Epci) ont la possibilité :
- de moduler le tarif en fonction de la durée du stationnement ;
- de prévoir une tranche horaire gratuite ;
- d'accorder une tarification spécifique pour certaines catégories d'usagers comme les personnes en situation de handicap .
Par parallélisme, l'article L. 241-3-2 du code de l'action sociale et des familles précise que la carte de stationnement pour personnes handicapées permet à ses titulaires de bénéficier des dispositions spécifiques qui peuvent être prises à leur égard par les autorités compétentes en matière de circulation et de stationnement.
Sur son site internet, l'association des paralysés de France (APF) a référencé, par département, les villes ayant instauré la gratuité du stationnement sur les emplacements réservés , sans prétendre toutefois à l'exhaustivité (cf. tableau ci-dessous). On en dénombre une centaine parmi lesquelles Saint-Brieuc, Lille, Paris, Dijon, Grenoble, Nice, Toulouse, Bordeaux... preuve qu'une réelle dynamique en faveur de l'accessibilité est en marche localement.
Tableau n° 1 : Liste des villes dans lesquelles le stationnement est gratuit sur les emplacements réservés et adaptés aux personnes en situation de handicap
Alpes-de-Haute-Provence (04) Digne-les-Bains, Manosque, Sisteron |
Alpes-Maritimes (06) Antibes, Nice |
Ardennes (08) Charleville-Mézières |
Ariège (09) Pamiers |
Aude (11) Carcassonne, Narbonne |
Bouches-du-Rhône (13) Aix-en-Provence, La Ciotat |
Calvados (14) Caen |
Charente (16) Cognac |
Charente-Maritime (17) La Cotinière, La Rochelle, Royan, Saintes |
Corse (20) Ajaccio |
Côte-d'Or (21) Beaune, Dijon |
Côtes-d'Armor (22) Guingamp, Saint-Brieuc |
Dordogne Périgueux |
Doubs (25) Audincourt, Besançon, Montbéliard |
Drôme (26) Crest, Die, Dieulefit, Donzère, Montélimar, Nyons, Pierrelatte, Romans, Valence (2 heures gratuites) |
Gard (30) Les Angles, Bellegarde, Bouillargues, La Grand-Combe, Laudun-l'Ardoise, Manduel, Rochefort-du-Gard, Saint-Christol-les-Alès, Sommières, Vauvert |
Haute-Garonne (31) Toulouse |
Gers (32) Auch, Samatan |
Gironde (33) Bordeaux |
Isère (38) Grenoble |
Loir-et-Cher (41) Romorantin |
Loire (42) Saint-Etienne |
Lot (46) Cahors |
Lozère (48) Langogne, Mende, Marvejols, Saint-Chely-d'Apcher |
Maine-et-Loire (49) Saumur |
Marne (51) Reims |
Meurthe-et-Moselle (54) Nancy |
Moselle (57) Thionville |
Nord (59) Lille, Villeneuve-d'Ascq |
Oise (60) Beauvais, Chantilly, Compiègne, Creil, Senlis |
Pas-de-Calais (62) Evin-Malmaison, Leforest, Lens, Le Touquet, Saint-Omer |
Pyrénées-Atlantiques (64) Hendaye |
Pyrénées-Orientales (66) Perpignan |
Haut-Rhin (68) Mulhouse |
Rhône (69) Bron, Caluire-et-Cuire, Lyon, Villefranche-sur-Saône, Villeurbanne |
Saône-et-Loire (71) Chalon-sur-Saône (2 heures gratuites) |
Savoie (73) Chambéry |
Haute-Savoie (74) Annecy-le-Vieux, Cran Gevrier, Epagny, Metz-Tessy, Meythet, Poisy, Rumilly, Seynod |
Paris (75) Paris |
Seine-Maritime (76) Le Havre, Le Tréport |
Yvelines (78) Rambouillet, Versailles |
Somme (80) Amiens |
Tarn (81) Castres |
Vaucluse (84) Avignon |
Vendée (85) Angles, Apremont, L'Aiguillon-sur-Mer, La- Faute-sur-Mer, La Roche-sur-Yon, La-Tranche-sur-Mer, Maché, Saint-Paul-Mont-Penit |
Territoire de Belfort (90) Belfort |
Hauts-de-Seine (92) Colombes, Nanterre |
Seine-Saint-Denis (93) Aulnay-sous-Bois, Bagnolet, Coubron, Drancy, Gagny, Pavillons-sous-Bois, Pré-Saint-Gervais, Romainville, Saint-Denis, Sevran, Tremblay-en-France |
Val-de-Marne (94) Vincennes |
Source : Association des paralysés de France (APF) |
* 2 Pour la première fois, la définition du handicap intègre toutes les formes de déficience (physique, sensorielle, mentale, cognitive, psychique) et dépasse l'approche strictement médicale en soulignant le rôle de l'environnement dans la constitution du handicap : « constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant. » (art. L. 114 du code de l'action sociale et des familles).
* 3 Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), contrôle général économique et financier (CGEFI), inspection générale des affaires sociales (Igas), « Rapport sur les modalités d'application des règles d'accessibilité du cadre bâti pour les personnes handicapées », octobre 2011.
* 4 Claire-Lise Campion, « Réussir 2015 », rapport au Premier ministre, mars 2013.