C. LE BREVET COMMUNAUTAIRE OU BREVET EUROPEEN « A EFFET UNITAIRE »
1. Une idée ancienne mais qui a longtemps achoppé sur la question du régime linguistique
L'idée d'un brevet de l'Union européenne assurant une protection uniforme sur tout le territoire européen - alors qualifiée de « brevet communautaire » - est ancienne puisqu'elle remonte aux années soixante.
C'est d'ailleurs en raison de l'échec de la première tentative de créer un brevet au niveau communautaire que le système du brevet européen a été mis en place dans le cadre d'une convention interétatique classique au début des années 1970.
Une deuxième tentative de création d'un brevet communautaire a abouti en 1975 à la signature de la Convention de Luxembourg sur le brevet communautaire, modifiée par l'Accord de Luxembourg du 15 décembre 1989. Elle n'est jamais entrée en vigueur, seuls la France, l'Allemagne, la Grèce, le Danemark, le Luxembourg, le Royaume-Uni et les Pays-Bas l'ayant ratifiée.
En effet, ce projet de brevet communautaire exigeait une traduction de l'intégralité du fascicule de brevet dans toutes les langues de la Communauté (six à l'époque). Les milieux intéressés ont estimé que cela entraînerait un coût excessif. De plus, le système juridictionnel aurait permis aux juges nationaux d'annuler un brevet communautaire avec effet pour tout le territoire de la Communauté, ce qui a été considéré comme un élément d'insécurité juridique rédhibitoire.
Après ces deux tentatives, le processus de mise en place d'un brevet communautaire a été relancé par le Livre vert de la Commission européenne sur le brevet communautaire et le système des brevets en Europe, du 24 juin 1997, qui s'inscrivait dans le cadre du Premier plan d'action pour l'innovation en Europe du 20 novembre 1996.
Ce Livre vert a été suivi d'une proposition de règlement relatif à la création du brevet communautaire, présentée par la Commission européenne en août 2000.
Toutefois, ce projet n'a pas pu aboutir.
Le Conseil des ministres de l'UE, au terme d'un long débat, avait alors constaté qu'il était impossible de recueillir l'unanimité requise, en raison notamment des questions touchant au régime linguistique.
En effet, l'Italie et l'Espagne, dont les langues sont respectivement la quatrième et la cinquième les plus parlées de l'espace communautaire, exigeaient de bénéficier du régime dont jouissent l'anglais, l'allemand et le français dans le cadre du brevet européen.
La Commission européenne a relancé les discussions en avril 2007 et a présenté deux nouvelles propositions en juin 2010. Toutefois, la négociation a échoué fin 2010, une fois encore en raison du régime linguistique : l'Espagne et l'Italie ont rejeté un régime fondé sur les seules langues française, anglaise et allemande.
2. Le recours à la coopération renforcée a permis de trouver un accord à 25 sur le brevet européen à effet unitaire
A la suite de cet échec, les 25 autres Etats membres ont décidé de s'engager dans une coopération renforcée au sens de l'article 20 du traité sur l'Union européenne.
12 pays, dont la France, en ont fait formellement la demande dès décembre 2010, rejoints progressivement par les autres Etats membres.
En mars 2011, le Conseil de l'Union européenne a adopté la décision autorisant, conformément à l'article 20 du traité sur l'Union européenne, une coopération renforcée dans le domaine de la création d'une protection unitaire par brevet.
QU'EST-CE QU'UNE COOPÉRATION RENFORCÉE ? La coopération renforcée est un mécanisme qui permet aux Etats membres qui le souhaitent et le peuvent d'aller plus vite et plus loin dans la voie de l'intégration européenne, sans en être empêchés par les autres, sur le modèle des accords de Schengen ou de l'euro. Introduit dans les traités par le traité d'Amsterdam, modifié par le traité de Nice et par le traité de Lisbonne, le régime général de la coopération renforcée, prévu à l'article 20 du traité sur l'Union européenne, repose sur les critères suivants : - les coopérations renforcées visent à favoriser la réalisation des objectifs de l'Union, à préserver ses intérêts et à renforcer son intégration. - les coopérations renforcées doivent être lancées en « dernier recours ». Il doit être établi que les objectifs recherchés ne peuvent pas être atteints dans un délai raisonnable par l'Union dans son ensemble. - Le nombre minimal d'Etats requis pour lancer une coopération renforcée est fixé à 9. La procédure est la suivante : - Les Etats membres qui souhaitent instaurer entre eux une coopération renforcée dans l'un des domaines visés par les traités, à l'exception des domaines de compétence exclusive et de la politique étrangère et de sécurité commune, adressent une demande à la Commission Européenne en précisant le champ d'application et les objectifs poursuivis par la coopération renforcée envisagée. - La Commission Européenne soumet alors une proposition en ce sens (cela reste une simple faculté) au Conseil qui statue à la majorité qualifiée avec l'approbation du Parlement Européen. - L'accord de la Commission et du Parlement est nécessaire au lancement d'une coopération renforcée. Le fonctionnement est le suivant : Dans le cadre d'une coopération renforcée, tous les membres du Conseil peuvent participer aux délibérations, mais seuls les représentants des Etats participant à cette coopération renforcée prennent part au vote. Les représentants des Etats participants se prononcent selon les cas à l'unanimité ou à la majorité qualifiée. Toutefois, et c'est une nouveauté, le Traité de Lisbonne dispose que dans le cadre d'une coopération renforcée, les représentants des Etats participant à la coopération renforcée peuvent, à l'unanimité, recourir aux « clauses passerelles », pour passer de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée et à la procédure de co-décision. Les coopérations renforcées sont ouvertes à la participation des autres Etats. Les dépenses résultant de la mise en oeuvre d'une coopération renforcée autres que les coûts administratifs incombant aux institutions, sont à la charge des Etats membres qui y participent, à moins que le Conseil statuant à l'unanimité, après consultation du Parlement Européen, n'en décide autrement. Le Conseil des Ministres et le Parlement Européens sont régulièrement informés de l'évolution des coopérations renforcées. Après une première utilisation en 2010, pour l'harmonisation des procédures en matière de divorce, le brevet a été le deuxième cas d'utilisation de la coopération renforcée dans le cadre des traités. Une troisième coopération renforcée dans le domaine de la taxe sur les transactions financières a été lancée depuis. Dans une Europe à vingt-huit aujourd'hui, trente demain, ce mécanisme semble désormais incontournable pour renforcer l'intégration européenne et surmonter le défi du nombre et de la diversité. |
En réaction, l'Espagne et l'Italie ont saisi la CJUE d'un recours en annulation contre la décision du Conseil autorisant la coopération renforcée en mars 2011. Toutefois, la Cour de justice a rejeté ce recours.
Sur cette base, les négociations relatives à la mise en oeuvre de cette coopération renforcée ont conduit, le 10 décembre 2012, le Conseil (Compétitivité) à trouver un accord sur les deux règlements de l'UE mettant en oeuvre la coopération renforcée (l'un portant sur la création du titre de propriété intellectuelle, et l'autre sur le régime des traductions).
Ces deux règlements ont été adoptés sur le fondement du nouvel article 118 introduit dans le TFUE par le traité de Lisbonne.
A ce titre, le règlement portant sur le titre a été adopté à la majorité qualifiée au Conseil et selon la procédure de codécision (article 118, paragraphe 1), tandis que l'autre l'a été à l'unanimité au Conseil, selon une procédure législative spéciale (article 118, paragraphe 2).
Le Parlement européen a confirmé, à une large majorité (plus de 480 voix pour, à peine 160 voix contre), son accord dès le lendemain.
Le premier règlement, adopté formellement le 17 décembre 2012 1 ( * ) , crée le titre de brevet européen à effet unitaire.
La gestion des brevets à effet unitaire sera confiée à l'Office européen des brevets (OEB), situé à Munich, déjà compétent pour gérer les brevets européens : une fois délivré par l'OEB, les effets juridiques du brevet s'étendront à l'ensemble des Etats membres de la coopération renforcée. Par conséquent, le règlement permettra de réduire considérablement les coûts liés à la validation des brevets : un brevet européen à effet unitaire valable dans l'ensemble des Etats participant à la coopération renforcée devrait coûter environ 6 500 euros selon la Commission européenne.
Le second règlement de l'UE, également adopté le 17 décembre 2012, définit le régime des traductions applicable à ce nouveau titre.
Il prévoit que le dépôt du brevet auprès de l'OEB devra se faire dans l'une des trois langues de travail de l'OEB (français, anglais, allemand). Dans le cas où le demandeur est ressortissant d'un État dont la langue n'est pas l'une des trois langues de l'OEB, il pourra rédiger sa demande dans sa langue, tout en fournissant une traduction dans une des langues de travail de l'OEB, dont le coût sera pris en charge par un mécanisme de compensation mutualisé entre les Etats membres.
En outre, un dispositif de traduction automatique dans toutes les langues officielles de l'Union (23) devra être mis en place. Par ailleurs, la publication du brevet sera faite intégralement dans la langue de procédure, c'est-à-dire pour ce qui concerne tant les revendications du brevet (qui délimitent la portée exacte de la protection par brevet) que les descriptions (qui détaillent le contenu de l'invention). Les revendications seront également traduites dans les deux autres langues de l'OEB.
Pendant une période transitoire de 6 ans (pouvant être prolongée pour 6 ans), les brevets européens délivrés en français ou en allemand feront l'objet d'une remise de traduction en langue anglaise ; les brevets européens délivrés en anglais feront l'objet d'une remise de traduction dans une langue officielle de l'Union européenne.
3. Le brevet européen à effet unitaire : un système différent mais complémentaire du brevet européen
Le brevet communautaire n'a pas vocation à remplacer les systèmes nationaux de délivrance des brevets ou le système du brevet européen, mais à coexister avec eux.
L'idée force du projet de création du brevet européen à effet unitaire réside, en effet, dans la « symbiose » avec celui du brevet européen.
Les brevets européens à effet unitaire seront, comme les brevets européens, délivrés par l'Office européen des brevets. L'Office européen des brevets, qui n'est pas un organisme communautaire, devrait donc être chargé d'examiner les demandes de brevet européen à effet unitaire, de délivrer et d'administrer ces brevets.
Le brevet européen à effet unitaire serait délivré par l'Office en tant que brevet européen désignant le territoire de l'ensemble des États membres de l'Union européenne participant à la coopération renforcée, et non plus les pays individuellement.
La différence essentielle entre le brevet européen « classique » et le brevet européen à effet unitaire porte sur son régime juridique un fois qu'il a été délivré. Contrairement au brevet européen « classique », qui est un faisceau de brevets nationaux, le brevet européen à effet unitaire sera un titre de propriété industrielle unitaire et autonome, c'est-à-dire qu'il produirait les mêmes effets dans l'ensemble du territoire des Etats de l'Union européenne.
La création du brevet européen à effet unitaire s'accompagne de la mise en place d' une juridiction unifiée de propriété intellectuelle afin de garantir l'unicité de droit et la cohérence de la jurisprudence.
BREVET EUROPÉEN ET BREVET EUROPÉEN
À EFFET UNITAIRE : QUELLES
DIFFÉRENCES ?
Le brevet européen à effet unitaire ne vise pas à remplacer le brevet européen mais à coexister avec lui. Il devrait, comme le brevet européen, être délivré par l'Office européen des brevets, selon la même procédure centralisée. La principale différence entre le brevet européen à effet unitaire et le brevet européen tient dans le caractère unitaire du premier qui devrait couvrir l'ensemble du territoire de l'Union européenne (à l'exception de l'Espagne et de l'Italie), alors que le brevet européen, qui est un faisceau de titres nationaux, n'est valable que dans les pays désignés par le déposant. Le brevet européen à effet unitaire devrait produire les mêmes effets sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne et ne pourrait donc être délivré ou annulé que pour tous les États membres de l'Union européenne. Une autre différence réside dans la mise en place d'un système juridictionnel unifié pour le contentieux relatif à la validité et à la contrefaçon du brevet européen à effet unitaire, qui relèverait d'une juridiction spécialisée. |
* 1 Règlement UE n°1257/2012 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2012 mettant en oeuvre la coopération renforcée dans le domaine d'une protection unitaire conférée par un brevet