B. L'EXÉCUTION INABOUTIE DE LA PRÉCÉDENTE LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE

1. La diminution des ressources budgétaires

La LPM 2009-2014 prévoyait d'allouer à la mission « défense » 128,7 milliards d'euros courants pour la période 2009-2012. Ce montant prenait en compte toutes les ressources disponibles, y compris les ressources exceptionnelles issues de la cession de biens immobiliers et de bandes de fréquences détenues jusqu'alors par le ministère de la défense.

En exécution sur la période 2009-2012, le ministère n'aura bénéficié que de 125,7 milliards d'euros, soit un écart de 2,9 milliards d'euros qui représente 2,3% entre la trajectoire programmée et la trajectoire exécutée.

Il est vrai que la trajectoire financière de la LPM 2009-2014 avait été sensiblement modifiée par la loi de programmation des finances publiques de 2010. Le total programmé sur la période 2009-2012 avait ainsi été ramené à 127,09 milliards d'euros, ce qui réduisait l'écart entre les deux trajectoires à 1,9 milliard d'euros, soit 1,52% du total en 2012.

Mais malgré cette rectification, et en prenant en compte les choix effectués dans le projet de loi de finances pour 2013, les deux trajectoires ont continué à diverger. L'écart est ainsi passé en 2013 à 2,66 milliards d'euros, soit 1,64% du montant initial entre la trajectoire rectifiée en 2010 et la trajectoire réellement exécutée.

L'application de la règle du « zéro volume », c'est à dire une augmentation au même rythme que l'inflation, aurait conduit, selon le rapport de la commission des finances du Sénat sur la loi de finances pour 2012, à un écart cumulé de 15 milliards d'euros sur la période 2009-2020 3 ( * ) .

L'application de la règle du « zéro valeur », c'est-à-dire le maintien en valeur faciale sans prise en compte de l'inflation, aurait conduit selon le même rapport à un écart de 29 milliards d'euros.

La comparaison de l'exécution de la LPM 2009-2014 avec les LPM antérieures est difficile puisque cette loi fut la première loi de programmation à englober la totalité des ressources de la mission défense, à l'exception il est vrai des dépenses de pension, alors que les autres ne portaient que sur les équipements.

L'écart constaté de 4,76 milliards d'euros entre la trajectoire programmée à l'origine et la trajectoire exécutée - 2,66 milliards par rapport à la trajectoire rectifiée en 2010 peut sembler faible rapporté à la somme totale de la programmation : 161,89 milliards.

Mais il faut tenir compte de l'inertie des dépenses engagées en particulier de la masse salariale, l'importance des pénalités contractuelles dans les surcoûts et enfin et surtout les effets de seuils qui renchérissent mécaniquement le coût unitaire des équipements produits chaque fois que l'on diminue la cible d'un programme.

Beaucoup plus grave : l'absence de maîtrise de l'évolution de la masse salariale inscrite dans le programme 178 « soutien des forces » est venu mécaniquement évincer les dépenses du programme 146 « équipement des forces ».

Au total, la réalisation du format d'armées tel qu'il avait était conçu en 2008 est apparu irréaliste, et la mise au point d'une nouvelle trajectoire physico-financière s'imposait.

2. L'apparition de lacunes capacitaires

Le précédent Livre blanc était porteur d'un niveau d'ambition élevé en matière capacitaire. Malheureusement l'écart entre les moyens budgétaires alloués qui diminuaient et les ambitions de défense qui restaient inchangées a provoqué l'apparition de lacunes significatives.

En effet, malgré des succès militaires incontestables attestant de la valeur de nos armées, les opérations en Lybie et au Mali ont montré les limites atteintes par un format « juste insuffisant » 4 ( * ) . Sans l'aide de ses alliés, en particulier en matière de transport stratégique et de ravitaillement en vol, la France ne pourrait conduire seule des opérations de forte intensité, dans des délais aussi brefs que ceux constatés dans ces deux opérations.

Si on examine les lacunes par systèmes de forces en commençant par le « commandement et la maîtrise de l'information », il est navrant de constater que, depuis quinze ans, les hésitations des états-majors, les atermoiements des décideurs politiques et les luttes fratricides entre industriels ont eu pour seul résultat de priver les forces françaises de drones MALE performants. Cette insuffisance a été particulièrement ressentie au Mali. Par ailleurs, l'étalement dans le temps du programme de renouvellement du système de commandement et de conduite des opérations aériennes (SCCOA) ne peut être considéré comme satisfaisant en termes de surveillance de l'espace aérien national et de respect de la « souveraineté ».

En ce qui concerne le système de force « projection et mobilité », la principale lacune capacitaire concerne le ravitaillement en vol. La flotte de Boeing C 135 et KC 135 est en fonction depuis plus de cinquante ans. Par ailleurs, les difficultés rencontrées par EADS dans la réalisation du programme A400M a conduit à différer de trois ans ce programme emblématique et à continuer à soutenir des Transall C 160 hors d'âge. Le comblement par des avions de transport tactique Casa 235 a permis de limiter l'impact en termes de préparation des pilotes et des troupes parachutées. Mais il n'en reste pas moins qu'une réduction temporaire de capacité est à redouter en matière de transport tactique à l'horizon 2015-2020.

En ce qui concerne le système de force « engagement et combat », le retard du programme SCORPION a privé l'armée de terre d'un renouvellement cohérent de ses moyens d'engagement à bout de souffle, hormis il est vrai l'entrée dans les forces du tout nouveau véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI) et de quelques dizaines de véhicules à haute mobilité (VHM).

En matière de « protection et sauvegarde », l'absence d'engagement ferme en faveur de la défense antimissile balistique (DAMB) de l'OTAN freine nos industriels dans l'acquisition des technologies génériques qui seront nécessaires pour les armes futures. La décision de privilégier les radars à très longue portée (réalisation d'un démonstrateur 1/8 eme ) par rapport au satellite a été peu satisfaisante et malgré leur questionnement, vos rapporteurs n'ont pas eu de réponses sur le fait de savoir si ce démonstrateur fonctionnait ou pas.

Seule la dissuasion nucléaire a été épargnée lors de la précédente programmation. Encore faut-il souligner que pour se déployer efficacement les forces stratégiques, aussi bien navales qu'aériennes, ont besoin d'un environnement conventionnel adapté.

3. La dégradation de la préparation opérationnelle et de la disponibilité des matériels

L'entraînement fonde la valeur opérationnelle des forces armées. La qualité de la préparation opérationnelle de l'armée française et sa cohérence avec les standards internationaux 5 ( * ) conditionnent aussi la capacité d'intégration de nos forces armées dans des coalitions multinationales.

Depuis plusieurs années, votre commission s'alarme de l'effritement continu et préoccupant des crédits dévolus à la préparation opérationnelle 6 ( * ) , et des conditions d'entraînement des militaires.

Un fossé semble de plus en plus s'instaurer, à cet égard, entre les unités projetées en OPEX et les autres.

Dans un contexte de rareté budgétaire et d'engagements nombreux en opérations, les forces armées ont été contraintes de privilégier la mobilisation d'un maximum de ressources en faveur des interventions extérieures (Afghanistan, Libye, Mali...), ce qui a eu pour contrepartie logique la rétraction des moyens disponibles pour les missions d'entraînement sur le territoire national.

Les engagements extérieurs ont conduit à privilégier la préparation à la projection au détriment de la préparation générique : c'est le principe de la « préparation opérationnelle différenciée » mise en oeuvre dans l'armée de terre, par exemple.

Ainsi, le plan d'entraînement de l'armée de terre était fortement orienté vers les opérations extérieures programmées pour les différentes unités (Afghanistan en particulier). Ceci ne permettait pas de mettre l'accent sur certaines compétences liées aux combats de haute intensité, par exemple avec une utilisation importante de l'arme blindée cavalerie, qui n'a pas connu d'engagement massif depuis la première guerre du Golfe. Or, la préparation générique constitue le socle de la préparation des forces terrestres et définit le seuil de leur crédibilité opérationnelle. Elle consiste à maîtriser les savoir-faire communs à tous les soldats, en opérations extérieures comme sur le territoire national, et les savoir-faire spécifiques de chaque métier (infanterie, cavalerie, logistique, etc.)...

En clair, la préparation opérationnelle différenciée des forces a permis de garantir un niveau d'entraînement adéquat aux unités devant partir en opérations à court terme, mais a conduit à relâcher l'effort pour les forces dont la projection n'est pas prévue à court terme. La même logique a prévalu pour l'armée de l'air voire pour la marine nationale.

Les indicateurs de préparation opérationnelle ont chuté et atteignent aujourd'hui un niveau préoccupant.

La Cour des comptes a fourni un diagnostic détaillé de ce décrochage à l'été 2012 7 ( * ) . Il a été corroboré par les chiffres contenus dans les deux derniers projets annuels de performances publiés par le Gouvernement en annexe des projets de loi de finances, qui ont fait le constat de l'impossibilité à atteindre les objectifs de préparation opérationnelle fixés par la précédente LPM, et qui ont en conséquence diminué les cibles à atteindre pour les années suivantes.

Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, l'objectif de 150 jours d'entraînement par an pour l'armée de terre, fixé par la précédente loi de programmation, budgétairement hors d'atteinte, a été revu à la baisse, dans une fourchette fluctuant selon les années entre 120 jours et 105 jours (comme c'était le cas en 2013), niveaux que votre commission a déjà eu l'occasion de juger faibles.

Indicateurs d'entraînement de l'armée de terre

Objectifs
LPM

2005

Réalisation

2006

Réalisation

2007

Réalisation

2008

Réalisation

2009

Réalisation

2010

Réalisation

2011

Réalisation

2012

Réalisation

2013

Prévision actualisée

2014 2013

Prévision

Journée d'activité (avec matériel organique)

100 (50)

96 (40)

96 (40)

96 (46)

91 (33)

-

-

-

-

-

-

JPAO

(journée de préparation et d'activité opérationnelle)

150

-

-

-

110

105

119

117

109

118

-

JPO

(journée de préparation opérationnelle)

90

(LPM 2014-2019)

-

-

-

-

-

78

78

77

83

83

Heures de vol

180

160

169

167

168

170

177.4

180

170

160

156

Source : ministère de la défense

Cette attrition de l'entraînement fragilise plus particulièrement certaines compétences.

Ainsi, compte tenu de la complexité des engagements conduits par l'aviation légère de l'armée de terre (ALAT), le besoin de préparation opérationnelle des pilotes d'hélicoptère est en réalité plus proche des 200 heures de vol par an 8 ( * ) que de la cible des 180 heures fixée par la précédente loi de programmation. Malgré le recours aux vols sur matériels de substitution et à la simulation, le nombre d'hélicoptères disponibles en métropole au titre de l'entraînement ne permet toutefois pas d'atteindre les 180 heures ( 156 heures d'entraînement en 2013 !). De ce fait, le déséquilibre OPEX /métropole s'accentue : la priorité donnée aux opérations, la faible disponibilité des matériels, le manque de personnels de maintenance et de pièces détachées (liés à Serval) grèvent encore l'entraînement en métropole.

Indicateurs d'entraînement de la Marine nationale

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013 Prévision actualisée

2014

Prévision

Objectifs LPM

Bâtiment (bâtiment de haute mer de plus de 1000 tonnes) jours de mer

92 (108)

92 (103)

94 (110)

87 (94)

87 (97)

91 (103)

92 (107)

89 (98)

88 (97)

86

(94)

100

(110)

Pilote de chasse (pilote qualifié nuit) - heures de vol

183 (203)

167

(196)

172

(199)

170

(200)

195

(199)

199

(224)

196

(232)

167 (196)

175 (210)

150

(80)

180

(220)

Pilote d'hélicoptère -

Heures de vol

204

217

211

193

188

218

199

220

202

180

220

Équipage d'avions de patrouille maritime -

Heures de vol

350

342

339

325

324

318

353

328

360

288

350

Source : ministère de la défense

Pour la Marine nationale, malgré l'emploi soutenu des avions de patrouille maritime lors de l'opération Serval, un déficit en activité aéromarine perdure toutefois, du fait notamment de la dégradation de la disponibilité des hélicoptères Lynx et Caïman. L'activité des pilotes n'est en effet généralement pas à la hauteur des objectifs de la loi de programmation, en raison principalement d'une disponibilité technique insuffisante.

Plus globalement, les matériels vieillissants (Frégates anti-sous-marine, hélicoptères Lynx, SNA) sont les plus régulièrement touchés par des défaillances qui se traduisent immédiatement par une baisse de l'activité. De plus, après des périodes d'activité plus denses, la régénération technique du matériel se traduit par une diminution significative de l'activité.

Les exceptions qui apparaissent, qui sont liées aux engagements opérationnels (Harmattan en 2011, Baliste et Corymbe en 2006-2007), masque là aussi des disparités importantes entre les différents types de bâtiments et composantes de l'aéronautique navale.

Indicateurs d'entraînement de l'armée de l'air

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013 Prévision actualisée

2014 Prévision

Objectifs LPM

Chasse

171

175

181

177

176

170

190

169

150

150

180

Transport

281

284

298

304

250

287

310

265

280

230

400

Hélicoptères

187

190

190

151

182

170

190

199

190

160

200

Source : ministère de la défense

Pour l'armée de l'air , l'insuffisance d'activité des équipages « chasse » due au manque de disponibilité des matériels ( 150 heures de vol prévues en 2013 contre un objectif de 180 ) a pour conséquence un allongement de la phase de régénération des équipages (difficultés de formation pour les jeunes équipages et d'entretien de compétence pour les équipages expérimentés). D'après le ministère de la défense lui-même, « l'activité aérienne « chasse » (...) ne pourrait être maintenue durablement à ce niveau dans le temps sans que soit remise en cause la pérennité des compétences dans ce domaine, notamment pour les flottes de Mirage 2000D, de Mirage 2000-5 et de Rafale 9 ( * ) ».

Pour les pilotes « transport » on observe le même le déséquilibre équipages confirmés/formation, du fait de Serval : l'acquisition des compétences en métropole est problématique du fait de l'activité très réduite. Les objectifs d'activité ont en effet été régulièrement affectés par des contraintes liées au vieillissement des parcs. Le plan d'actions élaboré pour les flottes C130 et C160 a permis de redresser l'activité en 2011, sans atteindre toutefois les objectifs de la loi de programmation.

Par ailleurs, les chiffres masquent de fortes disparités de qualification entre les équipages de l'armée de l'air. Au sein d'une même flotte, l'activité opérationnelle a généré des déséquilibres entre les pilotes aptes aux missions de guerre, engagés en OPEX, et les pilotes à l'instruction dont l'activité d'entraînement a souffert d'un encadrement en diminution et de contraintes sur les équipements.

COMPARAISONS INTERNATIONALES EN MATIÈRE D'ENTRAÎNEMENT

ACTIVITÉ

(par unité

et par an)

Normes d'entraînement

OTAN

ETATS UNIS

ROYAUME-UNI

ALLEMAGNE

ARMEE DE TERRE

Journées de préparation et d'activités opérationnelles (JPAO)/ homme

/

N.C

290 jours par cycle de 30 mois

(180 jours en OPEX),

soit 116 jours annuels (44 hors OPEX)

85 jours hors OPEX

Nombre d'heures de vol/ pilote d'hélicoptère/an

/

N.C

200 environ (entre 170 pour Gazelle jusqu'à 240 pour Apache).

10 heures en moyenne pour les pilotes hors unité projetable

120 à 140 heures pour les pilotes en unité projetable

MARINE

Jours de mer par bâtiment (bâtiments de haute mer)

80

(108)

123

106

115

Heures de vol/ pilote de chasse

(qualifié appontage de nuit)

240

N.C

Plus d'aviation de chasse embarquée

Pas d'aviation de chasse au sein de la marine

Heures de vol / pilote d'hélicoptère marine

N.C

395 (Sea King)

120

Heures de vol / équipage de patrouille maritime

N.C

Plus de patrouille maritime

160

ARMEE DE L'AIR

Heures de vol

par pilote de chasse

180

180 à 200

(sans OPEX)

et

350

(avec OPEX)

180

125/125

Heures de vol / pilote de transport

150 à 200

(sans OPEX)

et

400

(avec OPEX)

350 (de 180 à 450)

134/135

Heures de vol / pilote d'hélicoptère

180 à 200

(avec OPEX)

240 à 380 selon

type d'appareil

78/75

Source : ministère de la défense

Même si ces chiffres sont à prendre avec précaution compte tenu des différences d'acception et de périmètre, on peut relever que dans plusieurs cas l'armée française se situe plutôt dans le bas de la fourchette en matière d'entraînement.

• La disponibilité des matériels est aujourd'hui dégradée.

La priorité donnée aux opérations s'est également ressentie pour les matériels et équipements utilisés pour l'entraînement, dont la disponibilité opérationnelle s'est trouvée particulièrement contrainte. Et ce d'autant plus que les dotations budgétaires consacrées à l'« entretien programmé des matériels » se sont progressivement éloignées des trajectoires de la loi de programmation.

LE DÉCROCHAGE DES CRÉDITS D'ENTRETIEN PROGRAMMÉ DU MATÉRIEL

(Extrait du r apport d'information n° 1233 des députés Yves Fromion et Gwendal Rouillard relatif à une revue capacitaire des armées, juillet 2013)

L'entretien programmé des matériels (EPM) de l'armée de terre nécessiterait théoriquement 430 à 450 millions d'euros par an pour chaque milieu (terrestre et aéroterrestre). Or, la dotation s'est trouvée minorée chaque année, s'élevant par exemple à 370 millions d'euros en 2013. En cumul, une annuité d'EPM a manqué sur l'ensemble de la période. (..). Les difficultés sont du même ordre concernant les matériels aéronautiques . Il faudrait ainsi 300 millions d'euros de plus par an, selon les chiffres donnés par l'état-major de l'armée de l'air, pour assurer une disponibilité du matériel suffisante à même d'assurer l'entraînement des pilotes tel que prévu dans le contrat opérationnel : 180 heures dans la chasse, 350-400 heures pour le transport et 200 heures pour les hélicoptères.

Au total, les crédits consacrés à l'EPM se sont éloignés des prévisions (...). Maintenues à moins de 10% en cumulé, les baisses peuvent sembler relativement limitées. Cependant, leur accumulation dans le temps risque d'entraîner un besoin de crédits particulièrement élevé lors de la nouvelle programmation. Il pourrait être difficile d'assumer un tel report de charges, ce qui entraînerait inévitablement des dégradations de capacité.

Il en est ressorti un taux de disponibilité dégradé des différents équipements. Plusieurs facteurs se sont cumulés pour expliquer cette situation :

- le vieillissement du parc d'équipement et son caractère hétérogène, qui rendent la maintenance (maintien en condition opérationnelle, ou MCO) plus difficile et plus couteuse ;

- l'arrivée de nouveaux matériels, qui renchérit également le coût d'entretien, insuffisamment couvert par les dotations budgétaires ; (le cumul de ces deux phénomènes, bien connus, place le ministère face à une « courbe en baignoire » où le coût du MCO se renchérit aux deux extrémités du spectre) ;

- puiser dans le stock de pièces de rechange a permis, un temps, de pallier la rareté des ressources, mais a fini par affecter directement la disponibilité des matériels.

Comme l'indique la réponse au questionnaire écrit de votre commission, compte tenu de l'inertie qui existe en la matière, « les efforts consentis à compter 2014 au profit de l'entretien programmé des matériels ne permettront pas d'inverser dès cette année la tendance baissière des indicateurs, une inflexion qui ne pourra intervenir que dans les années suivantes. C'est le cas dans le domaine de l'activité aéronautique pour les hélicoptères , l'aviation de transport , la patrouille maritime et les avions de chasse de la marine . »

DISPONIBILITÉ DES MATÉRIELS PAR RAPPORT
AUX EXIGENCES DES CONTRATS OPÉRATIONNELS
(en %)

La prévision de disponibilité est tombée à seulement 40% pour les véhicules de l'avant blindé (VAB), à 50% pour les frégates et à 60% pour les avions de combat de l'armée de l'air....

Il existe des « points noirs » : transport stratégique et tactique de l'armée de l'air, patrouille maritime de la marine, AMX10 de l'armée de terre.

Plus précisément, pour le matériel terrestre de l'armée de terre, le parc de VAB, très sollicité en opérations, est toujours en situation difficile. Il en va de même pour les canons de 55 et, s'agissant du matériel aérien, des hélicoptères de manoeuvre Puma et Cougar. Pour la marine nationale, le porte-avions était en arrêt technique jusqu'au 5 juillet. La flotte de SNA voit sa disponibilité altérée par les difficultés rencontrées sur l'appareil propulsif, de même que les frégates. Pour la patrouille maritime, la disponibilité est très en deçà des prévisions, pénalisée par des difficultés techniques et le poids de la maintenance corrective. Pour l'armée de l'air, la régénération des matériels suite aux opérations en Libye et au Mali se poursuit. Du fait du bas niveau des stocks de pièces de rechange, la disponibilité est affectée et devient critique sur les C130 et C160.

4. L'enchaînement des réformes et les réductions d'effectifs
a) Un objectif de déflation atteint au prix d'une réorganisation importante des forces...

La précédente LPM prévoyait la suppression de 54 923 emplois entre 2008 et 2015, hors externalisations, soit une diminution de 17% du plafond d'emploi du ministère.

L'objectif a été tenu au prix d'une réorganisation importante du fonctionnement du ministère et des forces armées.

Le rythme de la déflation des effectifs a également été tenu.

Le ministère avait commencé à réduire ses effectifs avant même que les objectifs correspondants soient fixés par la loi de programmation militaire, et le rythme de déflation n'a pas ralenti depuis lors.

D'une manière générale, les réductions d'emplois du ministère de la défense se sont opérées, peu ou prou, depuis 2009, conformément aux grands équilibres de la « manoeuvre RH ».

Cette déflation devait, en effet, aux termes de la loi de programmation, obéir à un double critère :

- elle devait globalement préserver la répartition entre emplois civils et emplois militaires au sein du ministère de la défense, et pour cela, concerner à hauteur de 75% des effectifs militaires et à hauteur de 25% des effectifs civils;

- elle devait porter à 75% sur des emplois liés à l'administration et au soutien des forces et à 25% à des emplois touchant directement aux capacités opérationnelles.

Au final, les suppressions d'emplois (ETPE) sur le programme 178 « Préparation et emploi des forces » ont été réparties à 80% sur des emplois militaires et 20% sur des emplois civils.

Mais, conformément à l'objectif fixé, la répartition des suppressions d'emplois à 75% sur les emplois militaires et 25% sur les emplois civils est respectée au niveau global de la mission « Défense ».

De même, 75% des suppressions ont porté sur les fonctions de soutien et 25% sur les fonctions opérationnelles.

La loi de programmation 2009-2014 prévoyait également, pour mener à bien la diminution du plafond d'emplois de la « mission Défense », que le ministère de la défense utilise trois leviers principaux :

- la régulation des recrutements et des renouvellements de contrats (4 000 militaires et 1 250 civils par an, soit 20% de la déflation) ;

- la mobilité au sein de la fonction publique (1 100 militaires et 350 civils par an, soit 20% de la déflation) ;

- les incitations financières au départ (1 200 militaires et 500 civils, dont 350 ouvriers d'Etat, par an, soit 60% de la déflation).

En revanche, ces modalités n'ont pas été strictement conformes aux prévisions.

Contrairement au ratio de 60/20/20, en 2012, sur le périmètre du ministère, la déflation a été mise en oeuvre par ces trois types de leviers dans les proportions suivantes :

- 69% la régulation par les flux ;

- 14% le reclassement et la mobilité au sein de la fonction publique ;

- 16,5% les départs incités financièrement.

Si les départs aidés sont conformes aux objectifs, les reclassements dans la fonction publique, pour le personnel militaire, n'ont pas été à la hauteur des objectifs, ce qui a contraint les armées à utiliser le premier levier au-delà de ce qui était prévu.

Or en réduisant le recrutement de jeunes soldats pour diminuer les effectifs, sans provoquer trop de départs parmi les anciens, le ministère de la défense a pris le risque que la déflation d'effectifs ne se traduise par :

- le vieillissement des armées,

- un déséquilibre de la pyramide des grades,

- un embouteillage des carrières,

- et vraisemblablement un gonflement des soutiens.

Cette situation résulte d'une baisse d'efficacité des leviers d'aide au départ pour le personnel civil (indemnités de départ volontaire et mobilité externe), en partie compensée par l'attractivité du pécule d'incitation à une seconde carrière pour le personnel militaire.

Pour ces derniers, le ministère est néanmoins confronté à des difficultés pour reclasser le personnel militaire au sein de la fonction publique de l'Etat, ce qui explique le résultat mitigé des « reclassements-mobilités ».

L'année 2013 s'inscrit dans cette tendance. Ainsi, l'objectif global de déflation ne pourra être atteint que par une contrainte supplémentaire sur les recrutements, malgré les conséquences qui en découlent.

Cela étant dit, les objectifs quantitatifs ont globalement été atteints en matière de réduction des effectifs grâce à une réorganisation particulièrement ambitieuse du mode de fonctionnement du ministère et des forces avec la mutualisation et l'interarmisation des fonctions d'administration et de soutien jusqu'alors dupliquées entre armées ou services du ministère, la réorganisation territoriale et la densification d'un dispositif encore très dispersé, source d'une multiplication et d'un éparpillement des personnels de soutien et de nombreuses autres mesures de réorganisation.

La « grande manoeuvre des ressources humaines » programmée par la précédente LPM est donc beaucoup plus qu'une réduction des effectifs.

Il s'agit, en effet, d'une réforme sans précédent des méthodes de gestion des armées dont on commence à peine à mesurer les effets.

b) ...dont les gains financiers ont été réduits par l'absence de maîtrise de la masse salariale

L'équation financière qui sous-tendait la LPM (2009-2014) consistait à réaliser des économies substantielles sur le soutien des forces et les ressources humaines, pour les réinvestir intégralement au profit de la condition des personnels et de l'amélioration des équipements.

Or, cinq ans après la mise en oeuvre de cette stratégie, il apparaît que cette équation financière a de plus été mise à mal par des réalisations très différentes des prévisions en matière de masse salariale

Dans son rapport sur le bilan à mi-parcours de la loi de programmation militaire 10 ( * ) , la Cour des comptes constate un paradoxe : alors que les effectifs du ministère ont fortement diminué sa masse salariale - dite « dépenses de titre 2 » - a continué à croître.

La Cour relève, en effet, que les économies de masse salariale diminuées des coûts d'accompagnement des restructurations pour le personnel sont estimées, par le ministère de la défense, à un montant net cumulé de 5,4 milliards d'euros dont 1,1 milliard d'euros avant la fin de l'exercice 2011.

Comparant les économies revendiquées par le ministère avec les données d'exécution budgétaire, la Cour des comptes comptabilise, quant à elle, une augmentation de 1,02 milliard d'euros des dépenses de titre 2 entre 2008 et 2011.

Cette divergence d'appréciation tient en partie aux méthodes de calcul.

L'évolution de la masse salariale de 1 milliard d'euros entre 2008 et 2011 est appréciée dans le rapport de la Cour des Comptes en incluant les dépenses liées aux pensions. Or, sur la période 2007-2011, la hausse de la masse salariale, au sens de la Cour des comptes, a été portée principalement par les dépenses de pensions qui ont crû de +577 M€ (de 6 715 M€ en 2008 à 7 292 M€ en 2011).

La hausse relevée par la Cour est ainsi en partie due à des dépenses dont l'évolution obéit à des facteurs exogènes au ministère de la défense.

Force est de constater que, faute de comptabilité analytique digne de ce nom, l'appréciation des économies effectivement réalisées est particulièrement difficile s'agissant des déflations d'effectifs.

En effet, le pilotage des effectifs du ministère s'inscrit dans une logique de flux, avec un volume de départs très important chaque année : selon le SGA, une déflation de 8 000 postes en un an est la résultante, en moyenne, de 25 000 départs et de 17 000 recrutements ; or ce ne sont pas nécessairement les agents dont les postes sont supprimés qui quittent le ministère.

Un certain consensus se dégage cependant pour estimer qu'au total l'évolution de la masse salariale s'explique pendant la période 2008-2013 par divers facteurs exogènes et endogènes : mise en oeuvre de mesures de rattrapage indiciaire des militaires par rapport au reste de la fonction publique, pyramidage de la déflation provoquant un accroissement de personnels dans les hauts de la pyramide et donc une augmentation du taux d'encadrement, augmentation des personnels affectés au sein des instances internationales (OTAN, UE), dérive du « glissement vieillesse-technicité » (GVT), conséquences de la loi portant réforme des retraites, réformes et restructurations générant des coûts (mobilité, incitations au départ et reconversion).

L'analyse financière de la Cour des comptes met en particulier en valeur plusieurs sources de dépenses mal anticipées.

Ainsi le coût de l'évolution de la pyramide des effectifs militaires s'élève, selon les différentes estimations, à un montant variant de 22 à 40 millions d'euros par an en moyenne.

La dynamique des dépenses de personnel du ministère s'explique également par les mesures statutaires de revalorisation de la condition des militaires qui ont été prises depuis 2009, qui s'élèverait en moyenne à 79 millions d'euros par an en moyenne pour la période 2008-2012, ce qui représente un « taux de retour catégoriel » moyen de 43%, soit moins que l'objectif qui avait été annoncé de 50%.

L'évolution des dépenses de titre 2 du ministère de la défense doit enfin beaucoup à l'évolution des dépenses dites « hors socle », qui regroupent les dépenses de titre 2 non récurrentes comme l'indemnisation au titre du chômage et des dommages liés à l'amiante , ou encore les différentes mesures d'incitation au départ volontaire dans le cadre de l'accompagnement des restructurations.

Pour la période 2009-2013, l'évolution de ces deux agrégats est contrastée : les dépenses « socle » sont en baisse de 1%, tandis que les dépenses « hors socle » connaissent une augmentation de près de 17%.

Dépense exécutée hors pensions, hors OPEX hors fonds de concours, en M€ courants

2009

2010

2011

2012

2013

(prévision)

PLF 2014

Socle

10 979

10 960

10 902

10 985

10 595

10 345

Hors socle

621

717

726

715

717

687

TOTAL

11 600

11 677

11 628

11 700

11 312

11 032

Les déflations annuelles se sont traduites par une diminution progressive des dépenses de socle de 2009 à 2011.

La hausse constatée de ces dépenses en 2012 est principalement due à des facteurs conjoncturels. Les dysfonctionnements du calculateur de solde Louvois sur l'armée de terre, la marine et le service de santé des armées se sont notamment traduits par des erreurs de calcul générant des indus de solde.

L'évolution des dépenses hors socle s'explique, quant à elle, par la nature même de ces dépenses qui recouvrent notamment :

- le plan d'accompagnement des restructurations (près de 200 M€ par an en moyenne sur le périmètre T2), qui conditionne la réalisation de la déflation ;

- les dépenses de chômage en augmentation de 30% de 2009 à 2012 ;

- des dépenses de guichet comme l'indemnisation de l'amiante : + 5% de 2009 à 2012.

S'agissant du Plan d'Accompagnements des Restructurations, le tableau suivant montre une certaine stabilité des coûts autour de 200 millions depuis 4 ans.

On observe notamment le poids du pécule d'incitation au départ dont le coût s'élève à plus de 100 millions d'euros.

Aujourd'hui, cette dynamique d'ensemble des dépenses de personnel est jugée incompatible avec l'objectif de retour à l'équilibre des comptes publics décidé par l'Etat.

C'est pourquoi, le ministère de la défense a choisi à travers ce projet de loi de programmation d'effectuer une réforme de la Gouvernance des ressources humaines du ministère et un ciblage des populations qui pourraient faire l'objet de mesures d'incitation au départ, par corps et par grade.

Cette méthode devrait permettre de prendre en compte les besoins de dépyramidage et de meilleure maîtrise de la masse salariale.


* 3 Rapport général n°107 (2011-2012) fait au nom de la commission des finances du Sénat - tome III - annexe 8 - Défense - MM. Yves Krattinger et François Trucy - p. 59 http://www.senat.fr/rap/l11-107-38/l11-107-381.pdf

* 4 Rapport d'information n°680 (2011-2012) de MM. Jean-Marc PASTOR, André DULAIT, Jacques BERTHOU, Mme Michelle DEMESSINE, MM. Jacques GAUTIER, Alain GOURNAC, Christian NAMY et Alain NÉRI, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat - 18 juillet 2012

* 5 Standards OTAN

* 6 Voir notamment le rapport n° 150 (2012-2013) de MM. Gilbert ROGER et André DULAIT , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 22 novembre 2012, sur le projet de loi de finances pour 2013

* 7 Cour des Comptes, « Bilan à mi-parcours de la loi de programmation militaire », rapport public thématique, juillet 2012.

* 8 Source : projet annuel de performance, projet de loi de finances pour 2013

* 9 Source : Document remis aux rapporteurs budgétaires de la commission dans le cadre du contrôle parlementaire de l'exécution budgétaire 2013 (septembre 2013), page 24

* 10 Le bilan à mi-parcours de la loi de programmation militaire, Cour des comptes 2012 http://www.ccomptes.fr/index.php/Publications/Publications/Le-bilan-a-mi-parcours-de-la-loi-de-programmation-militaire

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