III. LES MAISONS DE NAISSANCE : UNE RÉPONSE CONCRÈTE ET SÛRE AUX DEMANDES DE CERTAINES FEMMES
1. Le souhait d'un accompagnement global et personnalisé de la grossesse et de l'accouchement : une femme - une sage-femme
Si une enquête 10 ( * ) réalisée en 2006 par la Drees sur la satisfaction des usagères des maternités dresse un tableau positif, les attentes des femmes se portent en priorité sur l'écoute et l'accompagnement, puis le dialogue et les explications reçues, avant la qualité technique de la prise en charge. En outre, environ 6 % des femmes interrogées se déclarent pas du tout ou plutôt pas satisfaites en ce qui concerne le déroulement de l'accouchement.
On peut donc estimer que les maternités accueillent les femmes de manière satisfaisante pour la grande majorité d'entre elles mais qu'un certain pourcentage souhaiterait une prise en charge différente qui n'existe pas aujourd'hui. Selon une enquête Ipsos de décembre 2010, 2 % des femmes enceintes déclarent qu'elles préfèreraient accoucher à domicile et un groupe minoritaire souhaitant pouvoir bénéficier d'un accouchement peu médicalisé a été identifié lors de la préparation du plan Périnatalité 2005-2007.
En 2010, l'Union nationale des associations familiales (Unaf) a réalisé une enquête auprès de 952 femmes : 15 % d'entre elles estiment que leur projet de naissance ou leur choix pour l'accouchement n'a pas été respecté et 36 % déclarent ne pas avoir été libres de bouger ou de se positionner lors de l'accouchement .
L'ensemble des acteurs de la périnatalité mettent d'ailleurs en avant la nécessité de retrouver « l'humain », alors même que les maternités sont de plus grande taille qu'auparavant et que les personnels sont en situation de contraintes importantes. Il s'agissait d'ailleurs d'un axe fort du plan Périnatalité 2005-2007 mais les résultats sont nettement insuffisants : quelques espaces physiologiques ont été créés dans certaines maternités mais le plus souvent sans personnel dédié et sans changement réel de prise en charge.
Les maisons de naissance permettent d'apporter aux femmes et aux couples qui le souhaitent et qui remplissent les conditions d'une grossesse physiologique un accompagnement global et personnalisé , c'est-à-dire qu'il associe une femme, un couple et une sage-femme du début de la grossesse à la fin du post-partum .
Cet accompagnement autorise une écoute particulière, sur la durée , et crée une relation de confiance qui facilite grandement l'accouchement et le suivi postnatal.
2. Aujourd'hui, les sages-femmes prennent déjà en charge 80 % des accouchements par voie basse
En France, la profession de sage-femme est une profession médicale , réglementée par le code de la santé publique (article L. 4151-1 et suivants) et un code de déontologie, que l'ordre est chargé de faire respecter. Spécialistes de la grossesse physiologique, c'est-à-dire celle qui ne présente aucun trouble pathologique, les sages-femmes interviennent à toutes les étapes de la grossesse : en consultation pour assurer son suivi, en salle de naissance lors de l'accouchement puis en suites de couches pour surveiller le rétablissement de la mère et le bon développement de l'enfant. Depuis la loi HPST 11 ( * ) , elles peuvent effectuer des consultations de suivi gynécologique de prévention et de contraception auprès de toutes les femmes en bonne santé.
Le nombre de sages-femmes a quasiment doublé entre 1990 et 2010 et devrait continuer à augmenter jusqu'en 2030. Début 2011, 18 800 sages-femmes exercent en France 12 ( * ) .
Elles exercent majoritairement à l'hôpital public : elles y assurent la majorité des accouchements, les médecins n'intervenant que pour ceux difficiles ou à risque. Dans le secteur privé, c'est le médecin qui est le plus souvent en charge de l'accouchement, la sage-femme étant chargée de la préparation et de l'accompagnement de la femme.
Selon l'enquête Périnatalité 2010, les accouchements sont réalisés, dans plus de la moitié des cas, par une sage-femme , et ce pourcentage est en nette augmentation puisqu'il est passé de 47,5 % en 2003 à 55,8 % en 2010 . En cas d'accouchement par voie basse non opératoire , le pourcentage d'accouchements par sage-femme est passé de 69,1 % en 2003 à 79,7 % en 2010 . Dans le secteur public, les accouchements par voie basse non opératoire sont réalisés presque systématiquement par des sages-femmes (91,8 % en 2010).
Dans son rapport précité sur le rôle des sages-femmes dans le système de soins, la Cour des comptes souligne l'intérêt d'une plus large prise en charge des grossesses à bas risque par les sages-femmes . Ainsi, une méta-analyse citée par la Cour et relative à la comparaison des modèles de soins obstétricaux effectués par les sages-femmes par rapport à d'autres modèles de soins conclut à des bénéfices importants pour ce qui concerne la réduction du nombre de péridurales, d'extractions instrumentales, d'hospitalisation des nouveau-nés et en termes de mise en place de l'allaitement. Selon cette analyse, la satisfaction relative aux différents aspects des soins semble plus élevée dans les modèles de pratique de sages-femmes.
3. Le collège national des gynécologues-obstétriciens est favorable à l'expérimentation
Malgré la position d'un certain nombre de gynécologues-obstétriciens, le collège national fut d'abord opposé, en 2008, à la création de maisons de naissance en France.
Il y est aujourd'hui favorable. Dans un document relatif à l'accouchement physiologique publié le 5 décembre 2012, il estime que « les progrès réalisés pour la prise en charge du haut risque obstétrical sont tels que personne, raisonnablement, ne songerait à revenir en arrière. Mais dans le même temps, de nombreuses voix se sont élevées pour préconiser une prise en charge moins médicalisée de l'accouchement normal, ce qui avait été espéré dès 2001 puis en 2005 par l'annonce par le ministère de la santé d'un projet d'expérimentation de maisons de naissance ».
Le collège considère ainsi que la simplification de la prise en charge obstétricale de l'accouchement physiologique pourrait aussi s'envisager selon les modalités suivantes : lieu spécifique aménagé en dehors du plateau technique médicalisé (mais à proximité immédiate et en lien fonctionnel avec lui pour des raisons de sécurité), prise en charge par des sages-femmes dans les limites de leurs compétences reconnues.
Le dispositif retenu dans la proposition de loi entre pleinement dans le champ approuvé par le collège national des gynécologues-obstétriciens , ce qui a été confirmé à votre rapporteure durant l'audition des représentants de ce collège.
Plusieurs personnalités, dont le professeur René Frydman, gynécologue-obstétricien, ont en outre publié une tribune 13 ( * ) en mars 2012 qui se concluait ainsi : « Il est difficilement compréhensible que malgré les résultats des expériences européennes et les approbations successives des autorités de tutelle au cours des dix dernières années, une expérimentation ne puisse enfin être réalisée en France ».
4. Des maisons de naissance fonctionnent à l'étranger dans des conditions pleinement satisfaisantes
Les premières maisons de naissance sont apparues aux Etats-Unis dans les années 1970. En Europe, un premier « centre de naissance librement choisie » a été ouvert à Berlin en 1987. Des maisons de naissance existent dans de nombreux pays : Australie, Canada, Allemagne (150 structures), Suisse (22) Suède (8), Belgique, Pays-Bas, Italie, Espagne, Autriche, Royaume-Uni (« Birth centers »)...
Au Québec, 76 % des accouchements ont lieu en maison de naissance , 1,5 % à 2 % en Allemagne et en Suisse et 0,3 % aux Etats-Unis.
Les maisons de naissance qui existent à l'étranger présentent certaines caractéristiques communes. Elles sont tout d'abord gérées de façon autonome par des sages-femmes . Celles-ci effectuent un suivi global des patientes, tout au long de leur grossesse, au cours de l'accouchement et jusqu'à trois heures après celui-ci. Une aide natale, profession qui existe par exemple aux Pays-Bas, peut alors prendre le relais pour assurer un suivi dans les jours qui suivent l'accouchement.
Contrairement aux dispositions de la proposition de loi, les maisons de naissance ne sont pas nécessairement « attenantes » à une maternité, mais elles se situent à proximité d'un plateau technique obstétrical avec laquelle elles ont une relation de collaboration. Ce dispositif permet d'assurer le transfert des parturientes en cas de complication durant le travail. Au Québec, il est prévu que les maisons de naissance doivent pouvoir transférer leurs patientes dans une maternité en moins de trente minutes dans les pires conditions climatiques.
Ce sont enfin des structures de taille modeste , qui assurent un nombre limité d'accouchements chaque année (au plus 350). Elles n'assurent pas l'hébergement des femmes, qui n'y séjournent pas au-delà de 24 heures après l'accouchement, un suivi à domicile prenant ensuite le relais.
Les bénéfices de ces structures sont reconnus à la fois par la littérature médicale internationale et par les pouvoirs publics nationaux qui les intègrent dans l'organisation du système de santé et dans la sécurité sociale.
Une étude 14 ( * ) anglaise publiée le 24 novembre 2011 a ainsi établi que, pour les femmes multipares 15 ( * ) ayant eu une grossesse simple à bas risque, le taux d'incidents périnataux ne différait pas significativement selon le lieu d'accouchement . Ces travaux, qui ont porté sur un total de 64 583 enfants nés à terme, se fondaient sur une comparaison des résultats périnataux et des interventions pendant le travail selon le lieu d'accouchement planifié à travers le réseau du National Health Service britannique.
Aux Etats-Unis, une large étude 16 ( * ) publiée en 2013 a porté sur 15 574 femmes ayant prévu d'accoucher dans une maison de naissance gérées par des sages-femmes (« birth center ») , dans 79 centres répartis dans 33 Etats et sur la période 2007-2010 : 84 % d'entre elles ont bien accouché dans la maison de naissance, 4 % ont été transférées à l'hôpital avant leur admission dans la maison de naissance et 12 % l'ont été durant le travail. Au total, 93 % ont connu une « naissance vaginale spontanée » (« spontaneous vaginal birth »), 1 % une « naissance vaginale assistée » (« assisted vaginal birth ») et 6 % une césarienne. Il n'y a pas eu de mortalité maternelle. Le taux de mortalité du foetus au moment de l'accouchement s'est élevé à 0,47 pour 1 000 et le taux de mortalité néonatale à 0,4 pour 1 000.
Selon cette étude, diverses analyses ont démontré que les maisons de naissance pouvaient assurer la prise en charge de la maternité pour les femmes dont la grossesse est à « bas risque », de manière sûre, efficace, en déployant moins de ressources et avec un haut niveau de satisfaction des patientes.
5. L'engagement personnel de sages-femmes et de parents a permis le fonctionnement de projets pilotes, dont les résultats sont très encourageants
Dans le cadre des travaux du plan Périnatalité 2005-2007, qui prévoyait l'expérimentation des maisons de naissance, plusieurs projets ont émergé et certains ont abouti malgré l'absence de cadre juridique établi. Votre rapporteure en a visité deux. Plusieurs autres projets sont en cours d'élaboration ou fonctionnent : Rennes, Thonon, Remiremont, Marseille, Lyon... Depuis trois ans existe également la maison de naissance de la polyclinique Bordeaux Rive droite, dite « Maison arc-en-ciel », où se sont déroulées cinquante-huit naissances en 2012.
a) Maison de naissance de l'hôpital de Pontoise
Un projet a démarré à Pontoise en 2006, dans un cadre strictement hospitalier et sous l'impulsion du chef de service de la maternité, le docteur Jean-Michel Muray : la maison de naissance se situe à un étage du bâtiment femme-enfant de l'hôpital René Dubos de la ville, elle est inscrite dans le schéma régional d'organisation des soins (Sros) d'Ile-de-France et s'insère dans un réseau périnatal. Les deux sages-femmes qui l'animent sont salariées de l'hôpital. Une association de parents, Pamana, participe pleinement à ce projet.
Chaque sage-femme assure le suivi global et personnalisé de ses patientes : le premier entretien, les consultations prénatales, les séances de préparation à la naissance et à la parentalité, l'accouchement physiologique et la consultation postnatale.
Depuis 2007, une centaine de femmes sont suivies chaque année et autant d'accouchements sont pratiqués. Depuis 2010, la maison de naissance est obligée de refuser environ 150 femmes chaque année par manque de place . La maternité, de type III, a réalisé au total 4 200 accouchements en 2010. La maison de naissance constitue donc, du point de vue de la maternité, un moyen de mieux répartir la prise en charge de l'accouchement et d'alléger quelque peu le travail de l'équipe dédiée au plateau technique.
Environ 20 % des femmes sont transférées vers l'unité classique d'obstétrique, située dans le même bâtiment. La moitié de ces transferts ont lieu « pré-partum » (c'est-à-dire durant la grossesse), en raison d'une complication ou par choix personnel de la parturiente, et l'autre moitié « per-partum ». Seules 10 % des femmes sont donc transférées en maternité durant le travail .
b) Comme à la maison (CALM), association pour la maison de naissance des Bluets (Paris)
En 2008, un autre projet a vu le jour, à Paris, au rez-de-chaussée de la maternité des Bluets. Il est porté par une association de parents (le CALM) et les sages-femmes y exercent en libéral.
Contrairement à Pontoise où tout l'accouchement se déroule dans une salle de la maison de naissance, le travail commence dans les locaux de l'association mais la femme et la sage-femme se déplacent dans une salle de la maternité un peu avant l'accouchement pour des raisons d'assurance de la professionnelle. Ce déplacement n'entraîne pas de mobilisation du personnel de la maternité ; c'est la sage-femme du CALM qui continue le travail et l'équipe médicale de la maternité n'intervient qu'en cas de complication.
Depuis la création de l'association, 220 bébés sont nés au CALM.
c) Des structures difficilement pérennes en l'état actuel du droit
Ces projets pilotes n'existent que par la bonne volonté des individus, notamment les chefs d'établissement et de service des maternités concernées. Un cadre juridique leur assurerait donc une pérennité et un mode de fonctionnement plus clair.
Il permettrait notamment aux sages-femmes libérales de contracter une responsabilité civile professionnelle adaptée permettant effectivement de pratiquer les accouchements dans la maison de naissance.
Il permettrait également de trouver des modalités de financement équilibrées et durables .
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Réunie le mercredi 20 février 2013, sous la présidence de Mme Annie David, présidente, la commission a adopté la proposition de loi sans modification.
* 10 « Satisfaction des usagères des maternités à l'égard du suivi de grossesse et du déroulement de l'accouchement », Etudes et résultats, Drees, n° 660, septembre 2008.
* 11 Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.
* 12 « La profession de sage-femme : constat démographique et projections d'effectifs », Etudes et résultats, Drees, n° 791, mars 2012.
* 13 Huffington Post, 8 mars 2012.
* 14 P. Blockehurst (Université d'Oxford), « Perinatal and maternal outcomes by planned place of birth for healthy women with low risk pregnancies : the Birthplace in England national prospective cohort study », British medical Journal, 24 novembre 2011.
* 15 Femmes ayant déjà eu un enfant auparavant.
* 16 Susan Rutledge Stapleton, Cara Osborne et Jessica Illuzi : « Outcomes of care in birth centers : demonstration of a durable model », in Journal of Midwifery and Women's Health, janvier-février 2013.