II. LE MÉCANISME EUROPÉEN DE STABILITÉ (MES)
A. LE CONTEXTE DU TRAITÉ INSTITUANT LE MÉCANISME EUROPÉEN DE STABILITÉ (MES)
1. Une décision de principe prise par le Conseil européen le 17 décembre 2010
a) La décision de créer le MES
La décision de principe de remplacer le FESF et le MESF par le MES est ancienne, puisqu'elle remonte à la réunion du Conseil européen du 17 décembre 2010.
Conclusions du Conseil européen des 16 et 17 décembre 2010 - extrait « 1. Le Conseil européen a salué le rapport présenté par son président dans le prolongement de ses conclusions des 28 et 29 octobre 2010. Il a décidé que le traité devait être modifié afin que les États membres de la zone euro mettent en place un mécanisme permanent pour préserver la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble (mécanisme européen de stabilité). Ce mécanisme remplacera le Fonds européen de stabilité financière (FESF) et le mécanisme européen de stabilisation financière (MESF), qui seront maintenus jusqu'en juin 2013. Étant donné que ce mécanisme est conçu pour préserver la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble, le Conseil européen a décidé qu'il ne sera plus utile de recourir à l'article 122, paragraphe 2, à ces fins. Les chefs d'État ou de gouvernement sont donc convenus que cette disposition ne devrait pas être utilisée à ces fins. « 2. Le Conseil européen a approuvé le texte du projet de décision modifiant le TFUE qui figure à l'annexe I. Il a décidé de lancer immédiatement la procédure de révision simplifiée prévue à l'article 48, paragraphe 6, du TUE. La consultation des institutions concernées devrait s'achever à temps pour permettre l'adoption formelle de la décision en mars 2011, l'accomplissement des procédures nationales d'approbation d'ici la fin de 2012 et l'entrée en vigueur du traité modifié le 1 er janvier 2013 . » |
b) Le lancement de la procédure de révision simplifiée de l'article 136 du TFUE
C'est à cette occasion que le Conseil européen a lancé la procédure de révision simplifiée de l'article 136 du TFUE.
(1) Supprimer une possible incompatibilité avec la clause de « no bail-out »
Il s'agissait d'insérer une disposition permettant de contourner l'article 125 du TFUE.
En effet, l'article 125 précité, parfois qualifié de « clause de no-bail out », dispose : « l'Union ne répond pas des engagements des administrations centrales, des autorités régionales ou locales, des autres autorités publiques ou d'autres organismes ou entreprises publics d'un État membre, ni ne les prend à sa charge, sans préjudice des garanties financières mutuelles pour la réalisation en commun d'un projet spécifique. Un État membre ne répond pas des engagements des administrations centrales, des autorités régionales ou locales, des autres autorités publiques ou d'autres organismes ou entreprises publics d'un autre État membre, ni ne les prend à sa charge, sans préjudice des garanties financières mutuelles pour la réalisation en commun d'un projet spécifique ».
Dans ces conditions, la conformité à l'article 125 du TFUE d'un organisme qui, comme le MES - ou d'ailleurs le FESF -, devait prêter à des Etats de la zone euro, ou acheter des titres de leur dette publique sur le marché secondaire, pouvait sembler fragile.
Cette possible incompatibilité du MES avec la clause de « no bail-out » aurait pu avoir des conséquences pratiques importantes. En particulier, la Cour constitutionnelle allemande se réserve le droit de décider de ne pas appliquer en Allemagne un acte communautaire qu'elle jugerait non conforme aux traités.
La conformité à la Loi fondamentale allemande des dispositifs destinés à assurer la stabilité de la zone euro Le 30 juin 2009, à l'occasion de la ratification du traité de Lisbonne par le Parlement allemand, la Cour constitutionnelle allemande a rendu un arrêt 27 ( * ) selon lequel elle se réserve le droit de décider de ne pas appliquer en Allemagne un acte communautaire qu'elle jugerait non conforme aux traités. Elle considère également dans cet arrêt que la construction européenne ne peut avoir pour conséquence de déposséder le Parlement allemand de ses prérogatives. Le 8 mai 2010, la Cour constitutionnelle a refusé d'annuler par référé la participation allemande au dispositif de soutien à la Grèce. Son jugement portait toutefois sur la possibilité d'un référé, et non sur le fond. La requête a ainsi été rejetée parce que selon la Cour, pour les citoyens allemands, les inconvénients d'une annulation auraient été supérieurs à ses avantages 28 ( * ) . La Cour constitutionnelle a statué le 7 septembre 2011 sur la conformité du FESF et du futur MES à la Loi fondamentale. Si elle n'a pas annulé la participation allemande à ces dispositifs, elle a renforcé le rôle du Parlement allemand dans leur mise en oeuvre. Ainsi, les garanties de l'Allemagne ne pourront être accordées qu'avec l'accord de la commission du budget du Bundestag. |
(2) La procédure de révision simplifiée
La procédure de révision simplifiée du TFUE est prévue par l'article 48, paragraphe 6, du traité sur l'Union européenne (TUE).
Selon l'article 48, paragraphe 6, précité : « Le Conseil européen peut adopter une décision modifiant tout ou partie des dispositions de la troisième partie du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Le Conseil européen statue à l'unanimité, après consultation du Parlement européen et de la Commission ainsi que de la Banque centrale européenne dans le cas de modifications institutionnelles dans le domaine monétaire. Cette décision n'entre en vigueur qu'après son approbation par les États membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives ».
(3) L'article 136 du TFUE
On rappelle que l'article 136 du TFUE, fréquemment sollicité depuis le début de la crise, prévoit qu'« afin de contribuer au bon fonctionnement de l'union économique et monétaire (...), le Conseil adopte (...) des mesures concernant les États membres dont la monnaie est l'euro pour (...) renforcer la coordination et la surveillance de leur discipline budgétaire » ou « élaborer, pour ce qui les concerne, les orientations de politique économique (...) ».
Il a été fait le choix de compléter cet article plutôt que de modifier celui relatif à la clause de « no bail-out », ce qui aurait été politiquement plus difficile.
2. Un début de concrétisation de cette décision par le Conseil européen des 22 et 24 mars 2011
a) La révision de l'article 136 du TFUE
Conformément à ce qui avait été décidé le 17 décembre 2010, le Conseil européen a pris la décision n° 2011/199/UE précitée du 25 mars 2011, qui modifie l'article 136 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).
Cette décision conduit à compléter l'article 136 du TFUE par un alinéa qui prévoit : « Les Etats membres dont la monnaie est l'euro peuvent instituer un mécanisme de stabilité qui sera activé si cela est indispensable pour préserver la stabilité de la zone euro dans son ensemble. L'octroi, au titre du mécanisme, de toute assistance financière nécessaire, sera subordonné à une stricte conditionnalité. »
b) Des conclusions très détaillées
Le Conseil européen des 22 et 24 mars 2011 a également adopté, en annexe de ses conclusions, un texte décrivant très précisément le régime du MES, tel qu'il était alors envisagé.
c) Une mise en place alors prévue pour la mi-2013
Les conclusions de ce Conseil européen prévoyaient explicitement que le MES entrerait en fonction à partir de la mi-2013 (et non de juillet 2012 comme cela est actuellement prévu).
3. La signature d'une première version du traité instaurant le MES le 11 juillet 2011
Une première version du traité instituant le MES a été signée le 11 juillet 2011. Comme on le verra ci-après, elle a été considérablement modifiée afin de prendre en compte les évolutions survenues depuis.
4. La décision d'anticiper la mise en place du MES au mois de juillet 2012
a) La détérioration de la capacité d'emprunt du FESF
La décision d'anticiper d'une année le remplacement du FESF par le MES vient de la détérioration de la capacité d'emprunt du FESF.
Comme on l'a indiqué ci-avant, le 14 janvier 2012, Standard & Poor's a dégradé plusieurs Etats de la zone euro, dont la France et l'Autriche, passées de AAA à AA+. En conséquence, la notation du FESF a connu une évolution identique le 16 janvier.
En effet, le FESF ne peut prêter 440 milliards d'euros comme prévu tout en conservant la notation AAA que tant que la somme des garanties des Etats notés AAA est elle-même au moins égale à 440 milliards d'euros. Or, la dégradation de la France et de l'Autriche ramène la somme de ces garanties à seulement 270 milliards d'euros environ, ce qui correspond à une diminution de 40 % si le FESF veut toujours disposer de la notation AAA.
La capacité de prêt résiduelle du FESF, si celui-ci devait émettre avec une notation AAA, ne serait donc plus alors de l'ordre de 250 milliards d'euros, mais plutôt de l'ordre de 100 milliards d'euros . Ce raisonnement par l'absurde montre que le FESF ne peut de fait plus émettre avec la notation AAA au sens de Standard & Poor's , dont la décision est donc logique.
Les capacités de prêt du FESF avec la notation « triple A », avec et sans la France et l'Autriche
(en milliards d'euros)
Garanties totales |
Garanties des Etats « triple A » = capacité de prêt avec la notation « triple A » |
|||
Avec la France et l'Autriche |
Sans la France et l'Autriche |
|||
Montants |
En % |
Montants |
Montants |
|
Belgique |
27,03 |
3,47 |
||
Allemagne |
211,05 |
27,06 |
211,05 |
211,05 |
Irlande |
12,38 |
1,59 |
||
Espagne |
92,54 |
11,87 |
||
France |
158,49 |
20,32 |
158,49 |
|
Italie |
139,27 |
17,86 |
||
Chypre |
1,53 |
0,2 |
||
Luxembourg |
1,95 |
0,25 |
1,95 |
1,95 |
Malte |
0,7 |
0,09 |
||
Pays-Bas |
44,45 |
5,7 |
44,45 |
44,45 |
Autriche |
21,64 |
2,78 |
21,64 |
|
Portugal |
19,51 |
2,5 |
||
Slovénie |
3,66 |
0,47 |
||
Slovaquie |
7,73 |
0,99 |
||
Finlande |
13,97 |
1,79 |
13,97 |
13,97 |
Grèce |
21,9 |
2,81 |
||
Estonie |
1,99 |
0,26 |
||
Total |
779,78 |
100 |
451,54 |
271,42 |
-40 % |
Source : calculs de la commission des finances
Or, le MES devrait pouvoir emprunter avec la notation « triple A » malgré la dégradation de la notation de la France et de l'Autriche . Cela vient du fait que, contrairement au FESF, il disposera non seulement d'un « capital appelable », devant jouer notamment le rôle de garantie, mais aussi d'un « capital libéré » versé par les Etats au cours des cinq premières années, comme on le verra ci-après.
b) Une anticipation souhaitée par la France et l'Allemagne le 5 décembre 2011
Craignant la perte de son « triple A » par la France, en particulier à la suite de la dégradation de la note souveraine des Etats-Unis par Standard & Poor's le 5 août 2011, la France et l'Allemagne ont décidé d'anticiper d'une année la mise en place du MES.
Ainsi, lors de leur conférence de presse commune à l'issue du sommet franco-allemand du 5 décembre 2011, le Président et la Chancelière ont annoncé être convenus d'anticiper celle-ci à juillet 2012 (au lieu de la mi-2013).
Ainsi, dans leur déclaration du 9 décembre 2011, les chefs d'Etat et de Gouvernement de la zone euro déclarent : « Nous convenons d'accélérer l'entrée en vigueur du traité instituant le Mécanisme européen de stabilité (MES). Ce traité entrera en vigueur dès que les États membres représentant 90 % des engagements en capital l'auront ratifié. Notre objectif commun est que le MES entre en vigueur en juillet 2012 ».
Les statuts du MES devaient en outre être modifiés pour que, selon les termes du Président de la République, « les décisions puissent être prises non pas à l'unanimité mais à une majorité qualifiée dont nous estimons aux alentours de 85 % le quota ».
* 27 Cf . rapport d'information n° 119 (2009-2010) fait par notre collègue Hubert Haenel au nom de la commission des affaires européennes du Sénat, déposé le 26 novembre 2009.
* 28 Cf . le communiqué de presse (en anglais) publié par la Cour constitutionnelle sur cet arrêt.