N° 341
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012
Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 février 2012 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi de Mme Claire-Lise CAMPION et plusieurs de ses collègues relative à l' égalité salariale entre les hommes et les femmes ,
Par Mme Claire-Lise CAMPION,
Sénatrice
(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , président ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Louis Lorrain, Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, Catherine Deroche, M. Marc Laménie, Mme Chantal Jouanno , secrétaires ; Mmes Jacqueline Alquier, Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, MM. Jean-Noël Cardoux, Luc Carvounas, Mme Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, M. Yves Daudigny, Mme Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mme Muguette Dini, M. Jean-Léonce Dupont, Mme Odette Duriez, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Mme Samia Ghali, M. Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Claude Léonard, Jean-Claude Leroy, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, M. Louis Pinton, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. René Teulade, Michel Vergoz, André Villiers, Dominique Watrin. |
Voir le(s) numéro(s) :
Sénat : |
230 , 342 , 334 et 342 (2011-2012) |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Près de quarante ans après l'entrée en vigueur de la loi du 22 décembre 1972, qui a posé dans le code du travail le principe de l'égale rémunération des femmes et des hommes, force est de constater que beaucoup de chemin reste à parcourir.
L'écart salarial entre les femmes et les hommes reste élevé, de l'ordre de 25 %, et les femmes ne bénéficient toujours pas d'opportunités de carrière professionnelle identiques à celles des hommes. Elles demeurent peu nombreuses dans les équipes dirigeantes des grandes entreprises, sont sous-représentées dans les fonctions d'encadrement ainsi que dans les métiers les plus qualifiés. Les stéréotypes continuent de peser sur les choix d'orientation des jeunes filles, ce qui conduit encore trop souvent à les cantonner dans des métiers réputés exiger des qualités « féminines », ceux de l'enfance et des services à la personne par exemple.
De surcroît, les femmes subissent, depuis une dizaine d'années, les conséquences de la dérégulation de l'économie et de la hausse de la précarité qui en a résulté. La grande majorité des travailleurs à temps partiel ou en contrat à durée déterminée sont des femmes et les contrats à temps très partiel, moins de quinze heures par semaine, sont de plus en plus nombreux. Les revenus que les salariées retirent de ce type d'emploi ne leur permettent évidemment pas de vivre décemment. On imagine aisément les difficultés financières que rencontrent notamment les femmes qui élèvent seules leurs enfants lorsqu'elles ne parviennent pas à trouver un emploi stable et à temps complet.
Votre commission est convaincue que c'est par la négociation collective, dans les branches mais aussi dans les entreprises, au plus près des réalités, que les inégalités entre les hommes et les femmes pourront être résorbées. Pour autant, elle considère que la négociation collective doit être appuyée par une volonté politique affirmée et que les politiques publiques doivent être complémentaires des mesures impulsées au niveau des branches professionnelles ou dans les entreprises.
Or, la question de l'égalité salariale et professionnelle entre les femmes et les hommes a été largement délaissée par le Gouvernement, au cours des dernières années, comme en témoigne notamment la baisse drastique des crédits consacrés à cette politique.
L'adoption de cette proposition de loi marquera donc une rupture avec ce désintérêt porté aux questions d'égalité entre les femmes et les hommes et enverra un signal fort aux acteurs de l'entreprise pour qu'ils placent ce sujet en tête de leurs priorités. C'est pourquoi votre commission vous invite à approuver ce texte, qui se veut la première étape d'une politique ambitieuse pour l'égalité professionnelle.
I. LES INÉGALITÉS SALARIALES ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES DEMEURENT À UN NIVEAU PRÉOCCUPANT EN DÉPIT DE LA VOLONTÉ DU LÉGISLATEUR
Comme le rappelle l'exposé des motifs de la proposition de loi, de nombreux textes ont eu pour objectif, depuis une quarantaine d'années, de lutter contre les inégalités salariales entre les femmes et les hommes. Pourtant, malgré cette volonté maintes fois réaffirmée du législateur, ces inégalités demeurent à un niveau élevé et elles ont cessé de se réduire depuis le milieu des années 1990.
A. L'ÉGALITÉ SALARIALE, UN OBJECTIF RÉAFFIRMÉ AVEC CONSTANCE PAR LE LÉGISLATEUR
La loi n° 72-1143 du 22 décembre 1972 a inscrit dans le code du travail le principe d'égalité de rémunération à travail égal entre les femmes et les hommes. Elle été suivie par de nombreux autres textes : loi n° 83-635 du 13 juillet 1983, dite loi « Roudy », loi n° 2001-397 du 9 mai 2001, dite loi « Génisson », loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations, loi n° 2006-340 du 23 mars 2006 relative à l'égalité salariale entre les hommes et les femmes, article 99 de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites. Ces lois ont permis de mettre en place un ensemble de dispositions destinées à assurer l'égalité salariale et professionnelle entre les femmes et les hommes.
1. Les principes
Les articles L. 3221-1 à L. 3221-10 du code du travail posent le principe de l'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes . Il faut entendre par rémunération le salaire et tous ses accessoires payés par l'employeur. Ce principe d'égalité de rémunération s'entend « pour un même travail ou pour un travail de valeur égale » . L'article L. 3221-4 précise que sont considérés comme ayant une valeur égale « les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse » .
L'égalité entre les femmes et les hommes est également abordée dans le code du travail sous l'angle de la lutte contre les discriminations : l'article L. 1132-1 dispose en effet qu'aucun salarié ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire, notamment en matière de rémunération, d'intéressement et de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son « sexe » .
2. Le rapport de situation comparée
La loi « Roudy » de 1983 a mis en place un outil fort utile pour évaluer l'ampleur des inégalités : le rapport de situation comparée (RSC) des conditions générales d'emploi et de formation des femmes et des hommes dans l'entreprise.
Obligatoire dans les entreprises de plus de trois cents salariés, ce RSC est soumis pour avis au comité d'entreprise. Il permet de comparer, pour chaque catégorie professionnelle de l'entreprise, la situation respective des femmes et des hommes, sur la base d'indicateurs précis.
Dans les entreprises de plus de deux cents salariés, le comité d'entreprise constitue, en son sein, une commission de l'égalité professionnelle. Elle est notamment chargée de préparer les délibérations du comité d'entreprise sur le RSC.
Dans les entreprises de moins de trois cents salariés, c'est le rapport annuel que l'employeur doit remettre au comité d'entreprise sur la situation économique de l'entreprise qui aborde la situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation des femmes et des hommes dans l'entreprise.
L'article 99 de la loi de 2010 portant réforme des retraites a prévu que ces rapports comportent, à compter du 1 er janvier 2012, un plan d'action destiné à assurer l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Ce plan d'action fixe des objectifs et les mesures à prendre pour les atteindre et les évaluer.
Cependant, l'obligation d'établir un RSC n'est que très imparfaitement respectée par les entreprises : les contrôles effectués par l'inspection du travail ont montré que seules 45 % des entreprises concernées le réalisaient.
3. Les négociations obligatoires
Considérant que l'égalité professionnelle et salariale ne peut être réalisée sans la mobilisation des partenaires sociaux, le législateur a instauré des obligations de négocier.
a) Au niveau des branches
Dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire sur les salaires, les branches professionnelles doivent prendre en compte l'objectif d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
De plus, elles doivent organiser, tous les trois ans, une négociation consacrée « aux mesures tendant à assurer l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et sur les mesures de rattrapage tendant à remédier aux inégalités constatées » . Dans ce cadre, doivent être discutées, notamment, les conditions d'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelle, ainsi que les conditions de travail et d'emploi, notamment pour les salariés à temps partiel.
Selon les chiffres communiqués par Jean-Denis Combrexelle, directeur général du travail, à votre rapporteure, trente-sept accords de branche consacrés à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ont été signés, en 2010, et cent quarante-neuf accords de branche ont abordé ce sujet.
b) Au niveau des entreprises
Dans les entreprises où est constituée une section syndicale, deux négociations annuelles obligatoires sont prévues.
La première porte sur les objectifs d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ainsi que sur les mesures permettant de les atteindre. Cette négociation doit permettre d'aborder des sujets tels que les conditions d'accès à l'emploi, la formation, la promotion professionnelle, les conditions de travail et d'emploi, en particulier pour les salariés à temps partiel, et l'articulation entre la vie professionnelle et les responsabilités familiales.
Depuis le 1 er janvier 2012, les entreprises d'au moins cinquante salariés qui ne sont pas couvertes par un accord relatif à l'égalité professionnelle résultant de cette négociation ou qui, à défaut d'accord, n'ont pas mis en oeuvre le plan d'action prévu dans le rapport de situation comparée s'exposent à une pénalité, égale à 1 % au maximum de leur masse salariale.
La seconde négociation vise à définir et à programmer les mesures permettant de supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes. Elle se déroule dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire sur les salaires effectifs. C'est cette obligation de négocier sur l'égalité salariale entre les femmes et les hommes que la proposition de loi vise à renforcer, en l'assortissant d'une sanction financière.
En 2010, environ deux mille accords d'entreprise relatifs à l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ont été signés.