EXPOSÉ GÉNÉRAL
I. UN RICHE ENCADREMENT NORMATIF DEVANT ÊTRE ACTUALISÉ
Cette proposition de loi, naturellement, n'est pas le premier maillon d'une chaîne de normes de différentes natures et sources visant, dès 2004, à favoriser le développement des réseaux numériques. Elle vise toutefois à actualiser certaines dispositions de ces textes, au regard de leur application, des évolutions technologiques les plus récentes et des pratiques des différents acteurs.
A. LES TEXTES LÉGISLATIFS
À deux textes d'origine gouvernementale, datant de 2004 et 2008, et ayant un champ plus large que le seul développement des réseaux numériques, a succédé, en 2009, un texte d'origine parlementaire y étant plus spécifiquement consacré, sous l'angle de l'aménagement du territoire.
1. La loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, dite « LCEN »
Si les collectivités locales se sont engagées dans des projets de réseaux ouverts au public (ROP) dès 1999, et si divers textes 4 ( * ) ont posé les jalons d'un encadrement juridique, c'est par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) qu'a été introduit dans le code général des collectivités territoriales, à l'initiative de notre assemblée, et notamment de l'un des deux auteurs de la proposition de loi 5 ( * ) , un nouvel article L. 1425-1 .
Cet article, fondamental dans l'architecture actuelle des compétences en matière de haut et très haut débit, étend le champ d'action des collectivités dans le domaine des télécommunications en leur permettant non seulement d'établir et d'exploiter des ROP sous forme de service public délégué, mais aussi d'exercer des activités d'« opérateur d'opérateurs » .
Enfin, ces dernières sont également autorisées à fournir elles-mêmes des services de télécommunications à la condition, plus rigoureuse, de prouver la carence de l'initiative privée.
On notera que cet article L. 1425-1 a été placé dans le livre IV du code général des collectivités territoriales, intitulé « services publics locaux ». Il donne ainsi, sous certaines conditions, à l'intervention des collectivités territoriales dans le domaine des télécommunications le caractère de service public local . Et ce au même titre que leur action dans les domaines de l'assainissement, du ramassage des ordures ménagères ou encore de la gestion des bibliothèques ou des musées.
2. La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, dite « LME »
La loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, dite « LME », a été la première à définir un cadre général pour faciliter l'aménagement du territoire en réseaux à haut et très haut débits.
a) Le développement des infrastructures
Au terme de la LME, toute proposition d'un opérateur pour installer à ses frais des lignes à très haut débit sur un immeuble en vue de le desservir par un réseau de communications électroniques est inscrite de droit à l'ordre du jour de la prochaine assemblée générale des copropriétaires . La décision d'accepter doit être prise à la majorité des membres présents à l'assemblée, un propriétaire ne pouvant s'y opposer que pour un motif « sérieux et légitime ».
Une convention passée entre les propriétaires et l'opérateur installateur de fibre optique doit venir déterminer les conditions d'installation des lignes, ainsi que la gestion, l'entretien et le remplacement.
Les immeubles neufs dont le permis de construire a été délivré après le 1 er janvier 2010 doivent, eux, être obligatoirement équipés d'un boîtier en fibre optique.
L' intervention des collectivités est fortement encouragée car elles garantissent, selon la loi, l'utilisation partagée des infrastructures en respectant le principe d'égalité et de libre concurrence. Elles peuvent donc profiter des travaux de génie civil réalisés par des établissements publics en charge de l'eau ou de l'électricité pour poser ou entretenir des fourreaux et « tirer » de la fibre.
b) La mutualisation des réseaux
L'article L. 34-8-3 du code des postes et communications électroniques, tel qu'il résulte de la LME, oblige toute personne ayant équipé un immeuble en très haut débit , qu'elle soit propriétaire ou opérateur, à faire droit aux demandes d'accès raisonnables d'autres opérateurs . Cet accès doit être fourni dans des conditions transparentes et non discriminatoires, permettant un raccordement effectif à des conditions économiques, techniques et d'accessibilité raisonnables.
Une convention détermine chaque fois les conditions techniques et financières d'accès entre les personnes concernées. La mutualisation des réseaux existants, ainsi favorisée, invite les opérateurs à rationaliser leurs stratégies de déploiement de manière complémentaire, permettant d'étendre plus rapidement la couverture du territoire national.
Par ailleurs, les communes et groupements de communes ayant conclu des conventions pour l'établissement et l'exploitation de réseaux câblés peuvent décider de mettre ces infrastructures à la disposition des opérateurs qui le demandent. Dans un délai de trois mois, il doit être fait droit à toute demande d'accès des opérateurs aux infrastructures, dans le cadre d'une convention, et à des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires.
Enfin, le marché de la sous-boucle locale - c'est-à-dire le segment de réseau entre un sous-répartiteur et la prise de l'abonné - est officiellement ouvert par la loi. Les opérateurs réputés exercer une influence significative sur ce marché - en pratique, l'opérateur historique - sont ainsi tenus d'y fournir une offre d'accès à un tarif raisonnable.
c) La cartographie des infrastructures de communications électroniques
Afin de renforcer la connaissance par les collectivités publiques de la couverture du territoire en réseaux de communication électronique, il est prévu par la LME que les gestionnaires d'infrastructures et opérateurs de communications électroniques communiquent gratuitement à l'État, aux collectivités locales et à leurs groupements qui en font la demande les informations y étant relatives.
L'application de cette disposition, figurant à l'article L. 33-7 du code des postes et communications électroniques, n'a pas été sans difficultés. Un décret a déterminé, à l'article D. 98-6-3 du même code, les conditions de transmission des informations aux collectivités. Or, le Conseil d'État a annulé , pour défaut de base légale, les dispositions relatives à la transmission de ces informations sous forme de systèmes d'information géographique et permettant la transmission à des tiers. C'est finalement la loi du 22 mars 2011 portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques, transposant le troisième « paquet télécoms », qui est venue encadrer explicitement la prise d'un nouveau décret, qui à ce jour n'est toujours pas paru .
S'agissant des réseaux mobiles, il est prévu dans la LME que chaque opérateur fournisse la liste des nouvelles zones qu'il couvre chaque année. En outre, a été demandé à l' ARCEP la remise de deux rapports , l'un sur les interventions des collectivités territoriales en application de l'article L. 1425-1 précité, et l'autre sur la couverture du territoire en téléphonie mobile, un an après l'entrée en vigueur de la loi.
3. La loi n° 2009-1572 du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, dite « loi Pintat »
Si l'on met à part les dispositions concernant le passage de la télévision analogique à la télévision numérique terrestre (TNT), la « loi Pintat » concernait quatre séries de mesures relatives aux réseaux de communications électroniques visant à en structurer le déploiement dans notre pays, en particulier pour ce qui est du très haut débit.
Or, comme le souligne le rapport des députées Laure de La Raudière et Corinne Erhel sur son application 6 ( * ) , dont sont en grande partie issus les éléments suivants, deux de ces mesures - la mise en place du FANT, essentielle, et le rapport sur la tarification selon le débit réel - n'ont toujours pas été mises en oeuvre à ce jour.
a) Le cadre règlementaire de déploiement de la fibre optique
Les articles 18 et 20 de la loi ont donné à l'ARCEP compétence pour édicter un tel cadre.
C'est ainsi que l'Autorité a pu, par deux décisions, imposer dans certains cas que l'accès offert par l'opérateur d'immeuble à ses concurrents puisse consister en la pose de fibres dédiées, ainsi que des obligations de complétude de la couverture 7 ( * ) .
b) L'intervention planificatrice des collectivités territoriales
Deux articles, centraux dans la proposition de loi de M. Xavier Pintat, traitaient de cette thématique.
L' article 23 crée les schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique (SDTAN), qui doivent constituer l'« ossature numérique » de la planification territoriale en la matière. Établis à l'échelle d'un département au moins, ils ont pour objectif de construire un projet d'aménagement numérique cohérent et partagé par tous les acteurs du territoire et de déterminer les modalités de sa réalisation sur le long terme.
Cette disposition était d'effet direct et ne nécessitait donc pas de mesure d'application spécifique. Fin octobre 2011, 79 projets de SDTAN avaient été déclarés à l'ARCEP 8 ( * ) . Sur ce total, seuls 4 projets étaient portés par des régions, les autres étant portés par des départements ou des groupements de collectivités compétents sur un territoire départemental. Aujourd'hui, la quasi-totalité du territoire de la France fait l'objet d'une déclaration de SDTAN. Au total, 11 SDTAN ont été totalement finalisés et transmis à l'ARCEP 9 ( * ) . Ils prévoient tous la mise en oeuvre de réseaux d'initiative publique (RIP).
Le Gouvernement a pris acte de la création par la loi de ces schémas, en sanctionnant leur existence à travers le « guichet B » du PNTHD . Ses fonds ne sont accordés aux collectivités que pour autant que leurs projets de déploiement s'inscrit dans ces schémas. La circulaire du Premier ministre du 16 août 2011 10 ( * ) est venue également apporter un certain nombre de précisions.
L' article 24 de la « loi Pintat » créé par ailleurs un fonds d'aménagement numérique des territoires (FANT), qui doit contribuer au financement des infrastructures et réseaux prévus par les SDTAN.
La mise en place de ce fonds nécessitait des mesures règlementaires visant à préciser sa composition, son mode de fonctionnement et d'alimentation, et ses modalités d'usage. Or, et comme cela a été souligné à de nombreuses reprises 11 ( * ) , ces précisions n'ont pas été apportées , laissant ce fonds comme une « coquille vide » dont on ne sait ni si, ni quand, ni comment elle sera abondée.
Le Gouvernement a fait le choix, comme support du soutien public au déploiement d'un réseau très haut débit, de passer par l'intermédiaire d'un autre fonds, le FSN, qui est l'instrument de mise en oeuvre de la partie des « investissements d'avenir » consacrée au numérique. En pratique, comme l'indique fort à propos le rapport précité de l'Assemblée nationale sur l'application de la « loi Pintat », « le FSN s'est substitué au FANT, qu'il est censé préfigurer ».
Enfin, ladite « loi Pintat » prévoyait des dispositions complémentaires visant à asseoir l'intervention des collectivités territoriales pour la structuration des réseaux numériques :
- possibilité pour ces dernières de participer au capital de sociétés commerciales ayant pour objet l'établissement et l'exploitation d'infrastructures passives de communications électroniques (article 21) ;
- dispositions visant à mieux coordonner les enfouissements : « droit aux tranchées » garantie aux collectivités (article 27), et clarification des règles financières et de propriété en cas d'enfouissement coordonné (article 28).
Ces dispositions complémentaires soit étaient suffisamment claires et précises pour pouvoir recevoir application directe (articles 21 et 28), soit ont été précisées par voie règlementaire (article 27, qui a fait l'objet du décret n° 2010-726 du 28 juin 2010, pris en application de l'article L. 49 du code des postes et des communications électroniques).
c) La procédure d'attribution des licences 4G
Dans son article 22, la « loi Pintat » visait à s'assurer que la procédure d'attribution des licences de téléphonie mobile de quatrième génération - dites « 4G » -, qui prendront le relai de la génération actuelle (« 3 G », qui a succédé à la « 2 G ») en permettant des échanges de données à très haut débit, permettra une couverture maximale du territoire national .
C'est en ce sens qu'il faut entendre la disposition de l'article L. 42-2 du code des postes et des communications électroniques, telle que modifiée par ladite loi, qui prévoit que le ministre chargé des communications électroniques doit fixer des conditions d'attribution et de modification des autorisations d'utilisation correspondant à ces fréquences qui « tiennent prioritairement compte des impératifs d'aménagement numérique du territoire ».
De ce point de vue, la procédure de « mise aux enchères » des licences semble avoir respecté les prescriptions ainsi imposées.
Il en est ainsi des critères retenus dans le cahier des charges de l'appel d'offre. En effet, des objectifs ambitieux de couverture du territoire ont été fixés : 98 % de la population métropolitaine dans un délai de 12 ans et 99,6 % dans un délai de 15 ans ; tous les axes routiers prioritaires dans un délai de 15 ans ; 40 % de la population d'une zone prioritaire, représentant les 18 % de la population métropolitaine non couverte en 3G à l'été 2009, dans un délai de 5 ans, et 90 % dans un délai de 10 ans ; et 90 % de la population de chaque département métropolitain dans un délai de 12 ans.
La commission du dividende numérique , composée de parlementaires et présidée par notre collègue Bruno Retailleau, a bien été consultée et a rendu le 11 mai 2011 un avis positif sur la prise en compte de ces impératifs.
L' ARCEP a ainsi pu rendre sa décision finale le 31 mai 2011 au Gouvernement, qui l'a arrêtée le 14 juin. Le 22 septembre, elle a présenté la liste des quatre opérateurs finalement retenus - France Télécom-Orange, Bouygues Telecom, SFR et Iliad-Free - pour un montant total d'enchères de 936 millions d'euros.
Reste, comme votre rapporteur l'avait souligné dans son rapport d'information précité, à ce que les critères d'aménagement du territoire « soient pris en considération et respectés par les opérateurs qui se verront octroyer les licences », sachant que « ces dernières ne sont en effet accordées qu'au regard de simples engagements ». L'expérience de la 2G, puis de la 3G, a en effet démontré qu'il y avait une différence entre les prescriptions formellement imposées aux opérateurs en matière d'aménagement du territoire, et la réalité du déploiement de leur réseau.
d) Les rapports de diverses natures
Les articles 25, 33, 34 et 35 de la « loi Pintat » comportaient des demandes de rapports au Parlement sur divers sujets numériques tels que, respectivement, le fossé numérique, la montée en débit, la neutralité de l'internet et la protection des données personnelles. L'ensemble de ces rapports a aujourd'hui été rendu par le Gouvernement 12 ( * ) .
En revanche, n'a toujours pas été présenté au Parlement le rapport , prévu à l'article 31 de la loi, sur la tarification en fonction du débit réel.
* 4 La loi du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, dite « loi Voynet » ou « LOADDT », ainsi que la loi du 17 juillet 2001 portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel.
* 5 M. Philippe Leroy.
* 6 Application de la loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, rapport d'information n° 4029 (13 e législature) fait par Mmes Laure de La Raudière et Corinne Erhel au nom de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale.
* 7 Voir infra .
* 8 L'intervention des collectivités territoriales dans le secteur des communications électroniques, compte-rendu des travaux du GRACO, ARCEP, décembre 2011.
* 9 Ain, Auvergne, Calvados, Eure-et-Loir, Haute-Marne, Jura, Lozère, Manche, Mayenne, Seine-et-Marne et Vaucluse.
* 10 Voir infra .
* 11 Voir notamment les deux rapports d'information précités de votre rapporteur, mais également le rapport sur l'application de la « loi Pintat » précité, le memorandum des sept collectivités territoriales visant à replacer les collectivités « au coeur de l'aménagement numérique », ou encore les propositions de loi n° s 3829 de Mme Chantal Robin-Rodrigo et 3898 de M. Vincent Descoeurs et plusieurs de leurs collègues (XIIIème législature) visant à organiser un déploiement équilibré et coordonné du très haut débit.
* 12 Le fossé numérique en France, rapport du 31 mars 2011 du conseil d'analyse stratégique ; La montée vers le très haut débit : améliorer les débits disponibles dans les territoires et favoriser le déploiement du très haut débit dans les zones rurale, rapport du 29 septembre 2010 de l'ARCEP ; La neutralité de l'internet, un atout pour le développement de l'économie numérique, rapport du 16 juillet 2010 du Gouvernement ; La conservation et l'utilisation des données à caractère personnel par les prestataires du we, rapport du 2 juillet 2010 du Gouvernement.