III. LA POSITION DE LA COMMISSION SUR LA PROPOSITION DE RÈGLEMENT RELATIF AU RÉSEAU TRANSEUROPÉEN DE TRANSPORT
Votre commission salue le regain d'engagement de la Commission européenne pour la réalisation de grandes infrastructures de transport d'échelle continentale. Cependant, tout comme la commission des affaires européennes, votre commission estime que ce volontarisme communautaire doit composer avec le principe de subsidiarité, qui régit l'exercice des compétences partagées entre les États membres et l'Union.
A. UN VOLONTARISME SALUTAIRE POUR LES RÉSEAUX TRANSEUROPÉENS
L'objectif d'un réseau transeuropéen de transport est à la fois ancien et très loin d'être atteint : les initiatives européennes ne sont pas parvenues à fédérer le développement des réseaux existants, dont le cadre est resté national.
Les premières initiatives pour un réseau transeuropéen de transport apparaissent au milieu des années 1980 ; en 1992, le traité de Maastricht donne une base juridique à l'action européenne ; en 1994, le Conseil européen d'Essen identifie 14 grands projets européens qui deviennent prioritaires pour les subventions communautaires 11 ( * ) ; en 1996, la Commission européenne fixe des orientations communautaires pour le développement d'un réseau, en annexant les 14 projets identifiés à Essen 12 ( * ) ; en 2004, à la suite du Livre blanc sur les transports et dans la perspective de l'élargissement, le Parlement européen et le Conseil adoptent une nouvelle décision 13 ( * ) : 30 projets nouveaux y figurent 14 ( * ) , établis à l'échelle des Vingt-Sept et déclarés d'intérêt européen pour une réalisation en 2020.
Pour aider le financement des projets, les institutions européennes ont mobilisé le Fonds de cohésion, le Fonds européen de développement régional (FEDR), ainsi que des prêts de la Banque européenne d'investissement ; des règles particulières ont même été définies par la Commission européenne et par un règlement financier du RTE 15 ( * ) .
Dans un souci de clarté, le Parlement européen et le Conseil ont refondu en 2010 l'ensemble des règles dans une nouvelle décision 16 ( * ) .
Le bilan de trois décennies d'intervention, cependant, est décevant : certes, des voies nouvelles ont été réalisées, des spécifications communes ont été acceptées, mais les objectifs fixés sont hors d'atteinte dans les calendriers fixés ; la Commission évalue à 500 milliards d'euros les investissements encore nécessaires à l'ensemble du réseau et les projets prioritaires ne seront pas réalisés en 2020.
Le diagnostic réalisé par la Commission européenne 17 ( * ) a identifié les principaux obstacles suivants :
- des chaînons manquants empêchent la continuité du réseau, en particulier aux tronçons transfrontaliers ;
- des différences importantes de qualité et de disponibilité des infrastructures entretiennent des goulets d'étranglement ;
- les connexions multimodales sont en nombre très insuffisant pour parvenir à fluidifier les trafics ;
- enfin, les différences dans les règles nationales, en particulier pour l'interopérabilité, entretiennent la congestion du réseau.
De plus, l'engagement européen de réduire de 60% les émissions de gaz à effet de serre par le secteur des transports d'ici 2050 passe par la mise en place d'un réseau multimodal efficace.
Dès lors, la Commission européenne a élaboré une stratégie d'action pour parvenir, d'ici 2050, à un réseau complet d'infrastructures de transport ferroviaire, fluvial, routier, maritime et aérien. Cette stratégie comprend trois axes :
- une planification qui distingue deux strates du réseau transeuropéen 18 ( * ) : d'une part, le réseau « global », composé par les infrastructures multimodales des principales aires urbaines des Vingt-Sept ainsi que les principaux ports maritimes et fluviaux, dont certaines infrastructures à créer ; la proposition de règlement fixe l'objectif que ce réseau global - infrastructures existantes et nouvelles - soit mis aux normes d'ici fin 2050, à la charge des seuls Etats-membres ; deuxième strate, le réseau « central », qui comprend les sections les plus stratégiques du réseau global, en particulier les chaînons manquants, les goulets d'étranglement et les noeuds multimodaux ; la proposition de règlement fixe l'objectif que ce réseau central soit établi d'ici fin 2030, avec le soutien des financements européens.
- la définition de nouveaux instruments de planification, en particulier des « corridors de réseau central », qui englobent les corridors de fret ferroviaire dont la réglementation européenne a déjà eu à connaître 18 ( * ) et qui serviront de cadre à la mise en oeuvre coordonnée du réseau central. Concrètement, ces corridors comportent au moins trois modes de transport et traversent au moins trois Etats membres ; chaque corridor est une plateforme pour la gestion des capacités, la programmation des investissements, l'établissement et la coordination d'installations de transbordement multimodales et le déploiement de systèmes de gestion du trafic interopérables.
- enfin, la mise en place de nouveaux outils de financement, à travers le mécanisme pour l'interconnexion en Europe (« Connecting Europe facility »), d'un montant de 31,7 milliards d'euros pour les années 2014-2020, dont 10 milliards du Fonds de cohésion qui sont réservés aux projets de transports dans les pays qui bénéficient de ce fonds.
En application de cette stratégie, la Commission européenne a présenté, le 19 octobre 2011, cinq propositions d'actes législatifs :
- trois propositions de règlements relatifs respectivement aux orientations pour les réseaux transeuropéens en matière de transport (RTE-T, objet du présent avis motivé), d'énergie (RTE-E) et de télécommunication ;
- une proposition de règlement établissant le mécanisme pour l'interconnexion en Europe (MIE), en cours d'examen par la commission des affaires européennes du Sénat ;
- une proposition de règlement pour expérimenter en 2012-2013 de nouveaux instruments financiers, en particulier des « obligations de projet » (« projects bonds »), sous la forme de garanties d'emprunts obligataires émis par des sociétés de projet d'infrastructure ; cette proposition est également en cours d'examen par la commission des affaires européennes du Sénat.
Votre commission estime que l'Union européenne est tout à fait dans son rôle lorsqu'elle établit, en concertation avec les États membres, le schéma du réseau transeuropéen, lorsqu'elle soutient l'harmonisation des normes techniques et lorsqu'elle aide financièrement les projets qui s'inscrivent dans le réseau transeuropéen. A l'évidence, un tel réseau renforce la cohésion de l'Union et réalise concrètement l'espace européen unique des transports.
Cette perspective implique un rôle moteur de l'Union, en application même du principe de subsidiarité : c'est parce que les dimensions et les effets du réseau transeuropéen vont bien au-delà du cadre - comme des moyens - de chaque État, que l'Union est mieux à même d'atteindre les objectifs de manière « suffisante », pour paraphraser l'article 5 du traité de l'Union.
Ce regain bienvenu de volontarisme, cependant, doit rester compatible avec le principe de subsidiarité.
* 11 Pour la France quatre lignes ferroviaires à grande vitesse : la ligne Paris-Bruxelles-Cologne-Amsterdam-Londres, très largement réalisée ; la ligne Sud Europe Madrid-Montpellier, partiellement réalisée ; la ligne Est Europe Paris-Karlsruhe, très largement achevée pour la partie française ; la ligne Lyon-Turin, en cours d'étude.
* 12 Décision n° 1692/96/CE du Parlement Européen et du Conseil du 23 juillet 1996 sur les orientations communautaires pour le développement du réseau transeuropéen de transport.
* 13 Décision n° 884/2004/CE du Parlement Européen et du Conseil du 29 avril 2004 modifiant la Décision n° 1692/96/CE sur les orientations communautaires pour le développement du réseau transeuropéen de transport.
* 14 Aux quatre projets de lignes ferroviaires identifiés en 1994, la décision de 2004 a ajouté la LGV Rhin-Rhône, le canal Seine-Nord-Europe, les autoroutes de la mer Atlantique et Méditerranée et une troisième traversée ferroviaire des Pyrénées.
* 15 Règlement (CE) n°680/2007 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2007 déterminant les règles générales pour l'octroi d'un concours financier communautaire dans le domaine des réseaux transeuropéens.
* 16 Décision n° 661/2010/UE du Parlement Européen et du Conseil du 7 juillet 2010 sur les orientations de l'Union pour le développement du réseau transeuropéen de transport.
* 17 La Commission européenne a mené une consultation publique entre février 2009 et juin 2010, adopté un « livre vert », publié les recommandations de plusieurs groupes d'experts, tenu deux conférences ministérielles et entretenu des contacts permanents avec les Etats membres via le comité chargé du contrôle et du suivi des orientations et de l'échange d'informations (conformément à la décision n°1692/96/CE).
* 1 Pour les cartes du réseau, voir http://ec.europa.eu/transport/infrastructure/revision-t_en.htm
* 18 Règlement (UE) n° 913/2010 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2010 relatif au réseau ferroviaire européen pour un fret compétitif.