3. La France plus que jamais sous pression
a) Nos conditions de financement se dégradent comparativement à l'Allemagne

Votre rapporteure générale prend acte des conditions de financement satisfaisantes qui ont caractérisé l'année 2011, ainsi que des hypothèses prudentes qui ont présidé à l'évaluation de la charge d'intérêts pour 2012. Des tensions sur les conditions de financement de notre dette se sont néanmoins manifestées depuis quelques semaines , qui transparaissent notamment dans le creusement de l'écart de taux à 10 ans ( spread ) entre la France et l'Allemagne.

La courbe ci-après fait apparaître le creusement significatif du spread franco-allemand à 10 ans depuis l'été 2011. Celui-ci a triplé, passant de moins de 40 points de base jusqu'en juin à environ 160 points de base mi-novembre . Cette série longue confirme que le spread France-Allemagne à 10 ans est en train de retrouver un point haut . Elle rappelle que cet écart n'a pas toujours été en défaveur de la France, puisque notre pays s'est financé, à échéance 10 ans, dans de meilleures conditions que l'Allemagne au cours de l'année 1997.


Ecart de financement à 10 ans entre la France et l'Allemagne depuis 1990

(en points de base)

Source : Agence France Trésor

b) L'impact d'un choc de taux

L'Agence France Trésor estime qu'un choc de 1 % sur l'ensemble des taux à compter de 2012 et par rapport aux hypothèses actuellement retenues susciterait, toutes choses égales par ailleurs, une augmentation de la charge de la dette négociable de près de 2 milliards d'euros en 2012 , progressant jusqu'à 14 milliards d'euros à l'horizon 2021 au fur et à mesure du renouvellement du stock de dette à moyen et long termes ( cf . graphique).

Simulation d'un choc de taux de 1 % sur la charge
de la dette négociable (OAT, BTAN et BTF)

(en milliards d'euros)

Source : Agence France Trésor

c) Relativiser la portée des CDS

Dans le contexte de crise que nous traversons, une attention plus soutenue a été portée à l'évolution des CDS 119 ( * ) ( Credit default swaps ), appréhendés comme des indicateurs pertinents de la perception par les marchés du risque de défaut total ou partiel (ou « événement de crédit ») d'un débiteur, souverain ou non. Cette pertinence est sujette à caution.

L' International Swaps and Derivatives Association (ISDA) promeut des normes applicables au marché des CDS, et qui régissent notamment la définition d'un événement de crédit en fonction de l'entité de référence sur laquelle porte le contrat . Pour un émetteur souverain classé « Western European Sovereigns », l'évènement de crédit peut être déclenché dans trois cas que sont le défaut de paiement , la répudiation ou le moratoire (par exemple : contestation de la validité juridique d'une dette par son émetteur), et la restructuration (réduction du taux ou du montant des intérêts payables...) 120 ( * ) .

Les primes de CDS des émetteurs souverains ont fortement augmenté à la fin de l'année 2008 , consécutivement à la faillite de la banque Lehman Brothers et à la crise financière. Les tensions ont culminé en mars 2009, puis ont évolué de manière erratique, à des niveaux néanmoins supérieurs à ceux observés avant la crise. Les primes de CDS des émetteurs non-AAA suivent une tendance haussière depuis mai 2010, tandis que les émetteurs AAA de la zone euro voient leur prime de CDS fortement augmenter depuis le mois de juin 2011. Ce mouvement haussier récent n'est pas cantonné aux seules économies de la zone euro et s'observe également sur les titres souverains japonais, américains ou anglais. Le mouvement d'aversion pour le risque survenu récemment s'est donc globalement traduit par une envolée de l'ensemble des cours des CDS des émetteurs souverains.

Source : AFT

Le graphique ci-après représente l'encours brut et net 121 ( * ) des CDS des émetteurs souverains de la zone euro, en pourcentage de leur dette publique. Les encours bruts apparaissent dans un nombre de cas limité relativement élevés (plus de 30% de la dette publique concernant le Portugal), mais les encours nets demeurent à des niveaux très bas, ce qui atteste la très faible profondeur du marché des CDS au regard de celui de la dette publique. Cette caractéristique n'est pas sans incidence sur le fonctionnement intrinsèque du marché des CDS. Comme le marché est peu profond, de faibles volumes échangés peuvent occasionner de fortes variations des primes , ce qui confère aux participants un pouvoir de marché non négligeable.

Source : DTCC, Banque Mondiale, AFT

Les évolutions des primes de CDS observées récemment dénotent un certain dysfonctionnement de ces marchés. En théorie, la prime payée sur un contrat CDS doit refléter le risque de crédit de l'entité de référence. Toutes choses égales par ailleurs, plus le risque d'évènement de crédit est élevé, plus la prime doit être élevée. On peut ainsi déduire des primes de CDS la probabilité théorique de défaut qui en découle à un certain horizon. A titre illustratif, les probabilités théoriques de défaut à cinq ans de la plupart des émetteurs souverains de la zone euro figurent dans le tableau ci-dessous et sont comparées à celles de quelques pays émergents. On constate que les probabilités de défaut déduites des derniers cours observés sur le marché des CDS sont parfois absurdes. Ainsi, selon la mesure du risque de crédit découlant de la prime de CDS, l'Allemagne aurait une probabilité de faire défaut sur sa dette dans 5 ans d'environ 10 %, la France de 14 % et l'Autriche de 13 % ; la probabilité de défaut de la Finlande serait inférieure à celle de l'Allemagne à cet horizon.

Probabilités théoriques de défaut dans 5 ans

Pays

Prime de CDS à 5 ans

Probabilité implicite de défaut

Allemagne

103

9%

France

177

14%

Autriche

163

13%

Pays-Bas

100

9%

Finlande

80

7%

Espagne

355

28%

Italie

463

33%

Portugal

1 106

63%

Grèce

>3 000

100%

Indonésie

254

21%

Thaïlande

213

18%

Chine

155

13%

Brésil

181

12%

Argentine

988

51%

Afrique du Sud

199

13%

Source : Bloomberg, AFT

On observe donc une forte déconnexion entre probabilités d'évènement de crédit et fondamentaux économiques, ce qui, selon l'Agence France Trésor, délégitime l'emploi des primes de CDS en tant qu'évaluation du risque de crédit.

En plus des signaux erronés que les marchés de CDS véhiculent, leur transparence est très limitée. Les contrats sont échangés de « gré à gré », et ne transitent donc pas par des chambres de compensation, ce qui soulève la question de la gestion du risque de contrepartie, et plus généralement de la gestion du risque systémique.

La déconnexion entre l'évolution des primes de CDS et le risque de crédit est enfin mise en évidence par la corrélation négative observée entre l'évolution de ces primes et celle des taux d'intérêt . En 2011, quand les primes de CDS français augmentent, les taux d'intérêt obligataires français ont tendance à baisser. Cette observation a priori paradoxale (une augmentation du risque de crédit sur le marché des CDS s'accompagne d'une diminution du risque de crédit sur le marché obligataire) souligne à quel point le marché des CDS est déconnecté des fondamentaux économiques et de la perception du risque souverain tel qu'estimé par les principales agences de notation . La très faible profondeur du marché des CDS, son opacité ainsi que les principaux acteurs qui y participent relativement au marché obligataire français incitent donc, selon l'AFT, à la plus grande prudence dans l'interprétation des signaux véhiculés par les primes des contrats CDS.

Evolution conjointe du taux obligataire à 10 ans
et de la prime de CDS 10 ans en France

Source : AFT

L'ensemble de ces éléments conduisent votre rapporteure générale à considérer l'évolution des primes de CDS avec la plus grande circonspection et à fonder son appréciation des conditions de financement de la dette française sur l'évolution des écarts de taux à 10 ans avec le Bund qui, si elle n'est guère rassurante, s'appuie à tout le moins sur un marché profond et transparent.


* 119 Un CDS est un contrat liant deux parties, l'acheteur et le vendeur. Sur toute la durée du contrat, l'acheteur s'engage à payer périodiquement une prime au vendeur, en contrepartie de quoi celui-ci s'engage à dédommager l'acheteur de la perte encourue sur un montant défini initialement (le « notionnel ») en cas d' « évènement de crédit » d'une partie tierce (l'entité de référence). Par exemple, l'achat d'un CDS à 5 ans pour un montant notionnel de 1 000 euros dont la prime annuelle est fixée à 10 %, avec pour sous-jacent une entreprise Z, protègera l'acheteur d'un évènement de crédit de Z moyennant le paiement d'une prime annuelle de 100 euros pendant 5 ans.

* 120 Des conditions précises doivent par ailleurs être remplies, concernant le montant de la dette restructurée le cas échéant ou encore la gamme d'investisseurs concernée. Si l'évènement de crédit est entériné, le prix des titres post-évènement de crédit est déterminé, et les détenteurs de CDS sont remboursés à hauteur de la perte constatée sur le montant notionnel.

* 121 Les encours de CDS doivent s'apprécier à la lumière des encours nets, et pas des encours bruts. Pour un participant donné au marché des CDS, l'encours brut vis-à-vis d'une entité de référence correspond à la somme des montants notionnels correspondant, tandis que l'encours net est la différence entre les positions acheteuses et vendeuses. Par exemple, une position acheteuse sur le contrat CDS à 5 ans portant sur l'entité de référence Z pour un montant notionnel de 1 000, et une position vendeuse sur l'entité Z pour le même notionnel de 1000, se traduit par une position brute de 2 000, et une position nette nulle.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page