C. LE STATUT ET LA PLACE DU FRANÇAIS DOIVENT ÊTRE MIEUX GARANTIS AU SEIN DE LA FORCE DE GENDARMERIE EUROPÉENNE
Si le traité instituant la Force de gendarmerie européenne paraît particulièrement utile, il présente toutefois une difficulté importante, qui tient au régime linguistique .
En effet, l'article 38 du traité stipule : « les langues officielles de l'EUROGENDFOR sont celles des Parties. Une langue de travail commune peut être utilisée ».
Certes, cet article prévoit que toutes les langues officielles des Etats parties - comme le Français, l'Espagnol ou l'Italien - auront le statut de langue officielle au sein de la Force de gendarmerie européenne.
Mais cet article ouvre la possibilité de recourir à une seule langue de travail.
Or, en pratique, c'est l'anglais qui est d'ores et déjà utilisé comme unique langue de travail au sein de la Force de gendarmerie européenne .
Ainsi, tous les documents publiés sur le site Internet de la Force de gendarmerie européenne sont uniquement disponibles en anglais 1 ( * ) .
Certes, on comprend tous les avantages d'une langue de travail commune, en termes de réduction des coûts et d'efficacité.
Mais n'est-il pas paradoxal d'encourager les gendarmes français, les gardes civils espagnols ou les carabiniers italiens à s'exprimer et à échanger uniquement en anglais ? Et, cela alors que la Force de gendarmerie européenne ne comprend pas le Royaume-Uni, ni aucun autre pays anglo-saxons, mais qu'elle ne comporte - outre les Pays-Bas - que des pays latins, comme l'Espagne ou l'Italie !
Certes, juridiquement, le fait de reconnaître le français comme langue officielle - au même titre que les autres langues des Etats parties - et de prévoir que l'usage d'une langue de travail commune - qui n'est d'ailleurs pas précisée - n'est qu'une simple faculté, ne semble pas de nature à méconnaître les principes et valeurs constitutionnels, comme l'article 2, alinéa premier, de la Constitution, qui dispose que la langue de la République est le français.
Toutefois, politiquement, il semble, qu'au moment où l'usage du français est menacé par la forte poussée de l'anglais et où il paraît indispensable de défendre le statut et l'usage de notre langue dans les organisations internationales, il s'agit là d'un mauvais signal, qui pourrait créer un dangereux précédent.
Rappelons que le français - parlé par plus de 220 millions de francophones dans le monde - dispose d'un statut reconnu dans la plupart des organisations internationales.
Le français fait ainsi partie des six langues officielles des Nations unies et il est, avec l'anglais, l'une des deux langues de travail du secrétariat général des Nations unies.
Il est aussi, avec l'anglais, l'une des deux langues officielles de l'OTAN. Il est, avec l'anglais et l'allemand, l'une des trois langues officielles et de travail au sein de l'Union européenne.
Toutefois, le statut et l'usage du français sont menacés par la forte progression de l'anglais dans les enceintes internationales, mais aussi par le comportement de certains de nos compatriotes qui préfèrent la langue de Shakespeare à celle de Molière.
Comme le soulignait déjà Léopold Sédar Senghor : « L'élite française fait preuve parfois d'une grande légèreté et d'une incompréhensible cécité. Cette remarque vaut pour la Francophonie comme pour la langue française. Certains considèrent notre langue et son rayonnement dans le monde comme un héritage désuet et encombrant ».
A cet égard, il n'est pas inutile de rappeler les récents propos du ministre des affaires étrangères et européennes, M. Alain Juppé, prononcés lors de l'ouverture des états généraux de la promotion du français dans le monde, le 19 octobre dernier : « Notre défi à tous est de permettre au français de demeurer cette langue universelle qu'il a toujours été » .
Et il ajoutait plus loin : « Il va de soi que les Français doivent donner l'exemple. Comme l'a indiqué le Président de la République, nous serons vigilants avec ceux d'entre eux qui choisissent de parler anglais dans ces institutions dont le régime linguistique et les facilités d'interprétariat permettent pourtant l'utilisation du français ».
Votre commission estime donc qu'il aurait été préférable de prévoir la possibilité de recourir à au moins deux langues de travail, afin de garantir au français un statut au sein de la Force de gendarmerie européenne comparable à celui dont il dispose au sein de l'OTAN, de l'Union européenne ou des Nations unies.
Malheureusement, il n'est plus possible aujourd'hui de modifier le texte de la convention et nous ne pouvons que soit approuver le texte du projet de loi, soit le rejeter.
Le Sénat pourrait toutefois demander au Gouvernement de prendre un engagement afin que la France demande de revoir le régime linguistique au sein de la Force de gendarmerie européenne.
Il existe, en effet, un précédent, rencontré lors de l'examen du projet de loi autorisant la ratification des statuts de l'Agence internationale pour les énergies renouvelables IRENA.
Lors de l'examen de ce projet de loi, votre commission s'était interrogée sur le fait que l'anglais ait été reconnu comme la seule langue de travail de l'Agence, même si cela ne figurait pas directement dans le texte de la convention (il s'agissait d'un accord verbal, repris ensuite dans le règlement intérieur).
Lors du débat en séance publique au Sénat, le 16 février 2011, Mme Michèle Alliot-Marie, alors ministre des affaires étrangères, avait pris l'engagement selon lequel la France demandera d'aligner le régime linguistique d'IRENA sur celui des Nations unies, dans lequel la langue française a toute sa place.
On pourrait donc s'inspirer de ce précédent pour renforcer le statut et la place du français au sein de la Force de gendarmerie européenne.
* 1 http://www.eurogendfor.eu/