Rapport n° 98 (2011-2012) de M. Jean-Louis CARRÈRE , fait au nom de la commission des affaires étrangères et de la défense, déposé le 15 novembre 2011

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N° 98

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012

Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 novembre 2011

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , autorisant la ratification du traité entre le Royaume d' Espagne , la République française, la République italienne , le Royaume des Pays - Bas et la République portugaise , portant création de la force de gendarmerie européenne EUROGENDFOR ,

Par M. Jean-Louis CARRÈRE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Louis Carrère , président ; MM. Jean-Pierre Chevènement, Robert del Picchia, Didier Boulaud, Christian Cambon, Mme Josette Durrieu, MM. Jacques Gautier, Robert Hue, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Daniel Reiner , vice-présidents ; Mmes Leila Aïchi, Hélène Conway Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Gilbert Roger, André Trillard , secrétaires ; MM. Pierre André, Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, René Beaumont, Pierre Bernard-Reymond, Jacques Berthou, Jean Besson, Michel Billout, Jean-Marie Bockel, Michel Boutant, Jean-Pierre Cantegrit, Pierre Charon, Marcel-Pierre Cléach, Raymond Couderc, Jean-Pierre Demerliat, Mme Michelle Demessine, MM. André Dulait, Hubert Falco, Jean-Paul Fournier, Pierre Frogier, Jacques Gillot, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Gournac, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Gérard Larcher, Robert Laufoaulu, Jeanny Lorgeoux, Rachel Mazuir, Christian Namy, Alain Néri, Jean-Marc Pastor, Philippe Paul, Jean-Claude Peyronnet, Bernard Piras, Christian Poncelet, Roland Povinelli, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Claude Requier, Yves Rome, Richard Tuheiava.

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 13 ème législ.) :

2278 , 2643 et T.A. 519

Sénat :

669 (2009-2010) et 99 (2011-2012)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité portant création de la Force de gendarmerie européenne, signé à Velsen, aux Pays-Bas, le 18 octobre 2007.

Issue d'une initiative française, la Force de gendarmerie européenne a été créée en 2004. Ses cinq pays fondateurs sont la France, l'Espagne, l'Italie, les Pays-Bas et le Portugal. Ils ont été rejoints par la Roumanie en décembre 2008.

Outre les membres de plein exercice, la Force compte deux pays partenaires, la Pologne depuis mars 2007 et la Lituanie depuis décembre 2009. Enfin, en mai 2009, la Turquie s'est vue octroyer le statut d'observateur.

Cette Force constitue un exemple d'une coopération européenne souple et pragmatique, menée entre six pays membres de l'Union européenne disposant d'une force de police à statut militaire, sur le modèle de la gendarmerie nationale.

Le caractère militaire de cette Force lui permet d'être employée dans un large spectre de missions, en particulier dans le cadre des opérations de gestion de crise, sous mandat de l'Union européenne, mais aussi de l'ONU, de l'OTAN ou même de manière autonome.

La création de la Force de gendarmerie européenne trouve sa justification dans le bilan tiré de l'expérience des interventions conduites par les Européens depuis une quinzaine d'années, notamment dans les Balkans. Il s'agit, en effet, de combler le vide opérationnel, constaté lors des opérations de gestion de crise, entre le moment où les forces armées entrent sur le théâtre des opérations et le moment où les forces de police parviennent à y remplir normalement leurs fonctions.

Opérationnelle depuis 2006, la Force de gendarmerie européenne a ainsi été engagée en Bosnie-Herzégovine en 2007 et en Haïti en 2010. Elle est également déployée, depuis 2009, en Afghanistan.

Le présent traité devrait permettre de renforcer son fondement juridique et de clarifier un certain nombre de questions relatives notamment aux droits et obligations des personnels de la force et au droit applicable lors d'opérations extérieures.

Il soulève néanmoins une importante difficulté, qui tient au régime linguistique, et en particulier au statut et à l'usage du français au sein de la Force de gendarmerie européenne.

Cette difficulté devrait toutefois trouver une issue favorable avec l'engagement pris par le ministre de l'Intérieur, M. Claude Guéant, devant votre commission, d'engager la démarche diplomatique nécessaire afin de renforcer la place du français au sein de la Force de gendarmerie européenne.

I. LA FORCE DE GENDARMERIE EUROPÉENNE : UNE COOPÉRATION EUROPÉENNE QUI ILLUSTRE TOUT L'INTÉRÊT DE DISPOSER D'UNE FORCE DE POLICE À STATUT MILITAIRE, À L'IMAGE DE LA GENDARMERIE NATIONALE

A. UNE INITIATIVE FRANÇAISE QUI REGROUPE AUJOURD'HUI SIX PAYS MEMBRES DE L'UNION EUROPÉENNE DISPOSANT D'UNE FORCE DE POLICE À STATUT MILITAIRE

La Force de gendarmerie européenne (FGE ou EUROGENDFOR) a été créée à l'automne 2004, à l'initiative de Mme Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la défense.

Elle s'inscrit dans le cadre de la construction de l'Europe de la défense. En effet, il s'agissait, conformément aux conclusions des Conseils européens de Santa Maria de Feira de juin 2000 et de Nice de décembre 2000, de contribuer au développement de la politique européenne de sécurité et de défense (PSDC) en dotant l'Union européenne d'une capacité de conduire toutes les missions de police lors d'opérations de gestion de crise.

Elle repose jusqu'à présent sur une déclaration d'intention, signée le 17 septembre 2004 à Noordwijk, aux Pays-Bas, par les ministres de la défense néerlandais, portugais, italien, espagnol et français.

Les cinq pays fondateurs sont l'Espagne (garde civile), la France (gendarmerie nationale), l'Italie (arme des carabiniers), les Pays-Bas (maréchaussée royale) et le Portugal (garde nationale républicaine). Ils ont été rejoints en 2008 par la Roumanie (jandarmeria).

Cette Force n'est pas un organisme de l'Union européenne, mais une coopération intergouvernementale, une sorte de « coopération renforcée » menée hors traité mais entre des Etats membres de l'Union européenne, et destinée en priorité à doter celle-ci d'une capacité à conduire toutes les missions d'une force de police lors d'opérations de gestion de crise.

La Force de gendarmerie européenne peut aussi être mise à la disposition de l'ONU, de l'OSCE, de l'OTAN ou bien d'autres organisations internationales ou encore d'une coalition ad hoc .

La principale « valeur ajoutée » de la Force de gendarmerie européenne tient au fait qu'il s'agit d'une force « robuste », capable d'agir dans un environnement non stabilisé et de faire face aux différentes situations de maintien de l'ordre et de sécurité publique.

Le caractère « militaire » de cette Force lui permet d'être utilisée dans un très large spectre de missions et dans l'ensemble de l'arc de la crise, depuis la phase militaire, jusqu'à la phase de stabilisation, avec une aptitude particulière pour les situations intermédiaires entre la guerre et la paix.

La Force de gendarmerie européenne n'est pas un « club fermé », mais elle a vocation à s'élargir à d'autres pays désireux de s'y associer.

Trois conditions doivent être réunies pour faire partie de la FGE :

- être un pays membre de l'Union européenne ;

- disposer d'une force de police à statut militaire de type « gendarmerie » ;

- cette force doit exercer au quotidien toutes les missions confiées habituellement à une force de police.

L'admission de nouveaux pays, comme membre de plein droit, comme partenaire ou observateur, est soumise à l'acceptation unanime des États participants.

La Roumanie est devenue membre de la Force de gendarmerie européenne en 2008, après son adhésion à l'Union européenne en 2007.

Plusieurs États membres de l'Union européenne (Pologne, Lituanie) ou pays candidats (Turquie) ont déjà déposé formellement leur candidature.

La Pologne (gendarmerie militaire) est partenaire de la FGE depuis mars 2007 et la Lituanie (service de sécurité publique) depuis décembre 2009.

La Turquie s'est vu octroyer en mai 2009 le statut d'observateur.

En revanche, deux « grands » pays, le Royaume-Uni et l'Allemagne, qui ne disposent pas de force de police à statut militaire de type « gendarmerie », restent à l'écart de cette initiative.

B. L'ORGANISATION ET LE FINANCEMENT DE LA FORCE

La chaîne de commandement de la Force de gendarmerie européenne est organisée en trois niveaux :

- le comité interministériel de haut niveau (CIMIN), composé des représentants des différents ministères des six États participants, agit comme un véritable conseil d'administration, chargé de la direction politico-stratégique de la Force. Toutes les décisions se prennent à l'unanimité ;

- l'état-major permanent, multinational, modulable et projetable, installé à Vicence, en Italie, se compose d'une trentaine d'officiers et de sous-officiers supérieurs, issus des six pays participant à la Force. La répartition des différents postes fait l'objet d'une rotation égalitaire entre les six pays membres tous les deux ans ;

- la Force de gendarmerie européenne dispose d'une capacité initiale de réaction rapide de 800 gendarmes pouvant être déployés sur un théâtre extérieur dans un délai inférieur à 30 jours. L'effectif maximal mis à la disposition de la FGE peut atteindre 2 300 hommes et femmes. Les contingents mis à la disposition de la Force par les pays participants sont regroupés en IPU (« Integrated Police Units »), comprenant chacune environ cent vingt gendarmes. La gendarmerie française est le plus gros contributeur en personnels de la Force.

La Force de gendarmerie européenne est financée par les contributions des Etats participants, selon une clé de répartition fondée sur le nombre d'officiers de l'Etat concerné détachés au quartier général permanent. La France, qui compte six officiers à l'état-major de la Force, contribue à près de 100 000 euros à la Force de gendarmerie européenne. Cette contribution est prélevée sur le budget de la gendarmerie nationale.

A cette contribution, s'ajoutent le coût du déploiement des militaires en opérations, qui est assumé par chaque nation.

Une délégation de votre commission, composée de son ancien président M. Serge Vinçon et de notre ancien collègue M. Jean Faure s'était rendue au siège de la Force de gendarmerie européenne, à Vicence, en Italie, en mai 2007.

Lors de ce déplacement, nos collègues avaient pu s'entretenir avec les principaux officiers de l'état-major, issus des pays participant à la Force de gendarmerie européenne, dont son premier commandant, le général de brigade français, Gérard Deanaz, qui a depuis été remplacé par un commandant des carabiniers italien, le colonel Giovanni Truglio, un officier de la gendarmerie portugaise, le colonel Jorge Esteves, puis par un commandant de la maréchaussée royale néerlandaise, le colonel Cornelis Kuijs.

Ce déplacement avait fait l'objet d'une communication de notre ancien collègue M. Jean Faure devant la commission, lors de sa réunion du 25 juillet 2007.

C. UNE FORCE DÉSORMAIS PLEINEMENT OPÉRATIONNELLE

La Force de gendarmerie européenne a été déclarée opérationnelle en juillet 2006. Deux exercices, avec des troupes déployées sur le terrain, ont été menés en 2005 et en 2006.

Elle a été engagée pour la première fois, à partir de la fin 2007, dans le cadre de la mission de police de l'Union européenne « Althéa » en Bosnie Herzégovine. Actuellement, une unité de police intégrée comprenant 132 gendarmes, dont 4 gendarmes Français, y est déployée.

L'emploi éventuel de la Force de gendarmerie européenne pour la mission de police de l'Union européenne au Kosovo (EULEX) a également été évoqué, mais cette idée s'est heurtée à certaines difficultés d'ordre politique en raison des divergences entre les pays membres à propos de la reconnaissance de l'indépendance de cette province. En effet, l'Espagne n'a pas reconnu l'indépendance du Kosovo, en raison de la crainte que lui inspire ce précédent du point de vue des revendications indépendantistes ou autonomistes de certaines de ses provinces (comme le Pays Basque ou la Catalogne).

En 2010, la Force de gendarmerie européenne a également été engagée en Haïti, sous mandat de l'ONU (MINUSTAH), avec un effectif de 270 gendarmes, dont 147 gendarmes français, 122 carabiniers italiens et 23 gardes-civils espagnols.

Enfin, depuis décembre 2009, la FGE contribue à la formation de la police afghane dans le cadre de l'opération de l'OTAN en Afghanistan.

Dans ce cadre, 411 gendarmes sont mobilisés, dont 196 gendarmes français, qui servent dans les centres de formation de la police afghane ainsi qu'au sein des POMLT ( « Police Operational Mentoring and Liaison Team » ).

Ainsi, des formateurs sont déployés au centre régional de formation de Mazar-e-Sharif, qui assure la formation des officiers et sous-officiers de la police afghane chargée du maintien de l'ordre (ANCOP) ainsi que les unités spécialisées. 27 gendarmes français y sont actuellement engagés, renforcés par 10 gardes civils espagnols, 2 personnels de la maréchaussée néerlandaise et 4 gendarmes militaires polonais.

Le centre de formation de la police nationale afghane du Wardak, assure, quant à lui, la formation initiale des officiers et sous-officiers de l'ANCOP depuis le 5 mars 2011. Assurant la direction de l'instruction et le rôle de « nation cadre », la gendarmerie nationale a déployé 40 instructeurs, appuyés par 15 gendarmes portugais, 12 policiers militaires tchèques et 23 gendarmes roumains. Tous sont en charge de l'encadrement des instructeurs afghans.

Au total, la France a engagé en Afghanistan près de 200 gendarmes, l'Italie 121, l'Espagne 23, le Portugal 10 et les Pays-Bas 3.

Les personnels mis à disposition de la Force de gendarmerie européenne conservent leur uniforme national mais arborent, depuis 2005, un insigne spécifique de couleur bleu, symbole de leur appartenance européenne et de leur mission spécifique.

La devise de la Force est « Lex paciferat » (« Que la loi pacifie »).

II. UN TRAITÉ QUI PERMET D'APPORTER DES CLARIFICATIONS JURIDIQUES MAIS QUI POSE UNE IMPORTANTE DIFFICULTÉ S'AGISSANT DE SON RÉGIME LINGUISTIQUE

A. LE CONTENU DE L'ACCORD

Le traité portant création de la Force de gendarmerie européenne a été signé à Velsen, aux Pays-Bas, le 18 octobre 2007, entre la France, l'Espagne, l'Italie, les Pays-Bas et le Portugal.

Le contenu du traité est très largement inspiré de la déclaration d'intention du 17 septembre 2004 et des arrangements administratifs ultérieurs.

Il comporte 47 articles répartis en six chapitres.

Le chapitre Ier (articles 1 à 3) est consacré aux dispositions générales du traité.

L'article premier et l'article 2 définissent l'objet du traité et en déterminent les principes. En particulier, l'article 1 er stipule que le traité a pour objet la création d'une Force de gendarmerie européenne comprenant exclusivement des éléments de forces de police à statut militaire, pour assurer toutes les missions de police dans le cadre d'opérations de gestion des crises.

L'article 3 définit les principaux termes employés dans le texte du traité. Il précise notamment que la FGE se compose d'un quartier général permanent projetable situé à Vicence en Italie et de forces désignées par les parties. Il précise également que l'« Etat hôte » est la partie sur le territoire de laquelle se trouve le quartier général (en l'occurrence l'Italie) et l'« Etat d'accueil » la partie au traité sur le territoire de laquelle des forces sont stationnées ou en transit.

Le chapitre II (articles 4 à 6) définit les missions de la FGE, ainsi que les principes d'engagement et de déploiement de cette force en opération.

L'article 4 vise à assurer un vaste champ de missions possibles à la force et une grande souplesse d'emploi. Cet article prévoit que la FGE doit être capable de couvrir l'ensemble des missions de police, par substitution ou renforcement, durant toutes les phases d'une opération de gestion des crises (les tâches possibles sont détaillées au troisième alinéa). La FGE peut agir seule ou avec d'autres forces, et être placée aussi bien sous autorité civile que sous commandement militaire.

L'article 5 précise que la FGE peut être mise à la disposition d'organisations internationales (UE, ONU, OSCE, OTAN notamment) ou de coalitions ad hoc .

L'article 6 règle les conditions d'engagement et de déploiement de la FGE en opération. Pour le stationnement ou le déploiement de la FGE sur le territoire d'un État tiers, il prévoit la conclusion d'un accord entre les États d'origine des forces et du personnel et l'État tiers concerné.

Le chapitre III traite des aspects institutionnels et juridiques.

L'article 7 définit la composition et les missions du comité interministériel de haut niveau (CIMIN), qui est l'organe de décision de la FGE. Il renvoie les détails spécifiques à sa composition, à sa structure, à son organisation et à son fonctionnement à des règlements adoptés par le CIMIN. L'article prévoit la conclusion d'un règlement intérieur pour la tenue des réunions du CIMIN.

Le comité est composé de représentants des ministères compétents de chaque État partie. Les décisions y sont prises à l'unanimité.

Les tâches générales du CIMIN sont détaillées au troisième alinéa, parmi lesquelles :

- le contrôle politique sur la Force et la définition des orientations stratégiques ; la nomination des principaux responsables (commandant de la FGE, président du conseil financier, commandants de mission) et l'approbation du rôle et de la structure du quartier général, ainsi que des critères de rotation des postes-clés ;

- la décision d'engagement de la FGE en opération et l'approbation du cadre d'action, l'orientation et l'évaluation des activités de la FGE en cas de déploiement, la participation des États contributeurs, les demandes de coopération d'États tiers ou d'organisations internationales ;

- l'approbation des principales mesures concernant les aspects administratifs, en particulier le budget annuel.

Le CIMIN se prononce sur les demandes d'adhésion et accorde les statuts d'observateur ou de partenaire.

L'article 8 définit les missions du commandant de la FGE, principalement le commandement du quartier général permanent, l'exécution des directives du CIMIN, l'élaboration du budget des dépenses et, le cas échéant, le commandement des forces déployées de la FGE.

L'article 9 dote la FGE de la capacité juridique de contracter sur le territoire de chacune des Parties. Le commandant de la FGE, ou une personne qu'il désigne pour agir en son nom, la représente en justice.

Le chapitre IV (articles 10 et 11) fixe les modalités d'installation du quartier général permanent, ainsi que le régime des permissions d'accès de l'État hôte. Ce dernier met gratuitement à disposition de la FGE les installations du quartier général permanent. Les conditions relatives aux prestations de soutien par l'État hôte sont renvoyées à des arrangements d'application.

Le chapitre V (article 12) pose un principe de protection des informations et des matériels classifiés conformément aux règlements en vigueur. Il prévoit la conclusion d'un accord de sécurité entre les Parties. Des accords de sécurité spécifiques sont prévus pour les échanges avec des tiers.

Le chapitre VI (articles 13 à 18) traite des dispositions relatives au personnel pendant son séjour sur les territoires de l'État hôte ou de l'État d'accueil.

L'article 13 impose au personnel de la FGE et à leur famille de se conformer à la législation en vigueur dans l'État hôte ou dans l'État d'accueil.

L'article 14 prévoit que le personnel du quartier général permanent et leur famille ne sont pas assujettis à la réglementation en vigueur applicable aux étrangers dans l'État hôte.

L'article 15 règle les aspects juridiques et médicaux en cas de décès d'un personnel militaire ou civil de la FGE.

L'article 16 précise les règles de port d'uniforme et d'armes par le personnel de la FGE. La détention, le port et le transport d'armes doivent être conformes à la législation de l'État hôte et de l'État d'accueil.

L'article 17 impose aux Parties de reconnaître la validité des permis de conduire militaires du personnel de la FGE délivrés par un autre État Partie.

L'article 18 fixe les règles selon lesquelles une assistance médicale est assurée au personnel de la FGE et à leur famille, dans l'État hôte ou l'État d'accueil.

Le chapitre VII (articles 19 à 24) détaille les privilèges et immunités de la FGE et de son personnel.

L'article 19 fixe les règles d'exonération d'impôts et de droits de douanes applicables aux avoirs, revenus et biens de la FGE dans le cadre de leur usage officiel, ainsi que de leurs achats, importations, cession et mise à disposition.

L'article 20 fixe les règles relatives aux privilèges individuels du personnel de la FGE dans l'État hôte.

L'article 21 pose un principe d'inviolabilité des installations, bâtiments et archives de la FGE sur le territoire des Parties, et en détaille les modalités de mise en oeuvre.

L'article 22 impose aux Parties d'accorder une immunité d'exécution sur les propriétés et fonds de la FGE, ainsi que sur les biens mis à sa disposition pour son usage officiel.

L'article 23 traite des aspects liés aux communications de la FGE et à leur protection.

L'article 24 précise que le personnel du quartier général permanent établissant sa résidence dans l'État hôte uniquement en raison de l'exercice de ses fonctions conserve sa résidence fiscale dans son État d'origine pour les impôts sur le revenu et le patrimoine.

Le chapitre VIII (articles 25 à 27) fixe les dispositions relatives à la juridiction et aux pouvoirs disciplinaires.

L'article 25 fixe les règles de partage des compétences de juridiction pénale et disciplinaire entre États d'origine du personnel de la FGE et État hôte ou État d'accueil.

L'article 26 institue un principe d'entraide judiciaire entre les États Parties et en définit les modalités.

L'article 27 détermine les règles de rapatriement, d'absence ou d'éloignement du personnel de la FGE.

Le chapitre IX (articles 28 à 32) traite des dommages.

L'article 28 stipule que les Parties renoncent aux demandes d'indemnités entre elles pour les dommages survenus dans le cadre du traité et en fixe les modalités.

L'article 29 définit les règles de réparation des dommages causés à un tiers ou à la propriété d'un tiers : répartition entre les Parties ; cas d'une négligence grave ou d'une faute intentionnelle d'un membre du personnel de l'une des Parties ; traitement des demandes d'indemnité.

En cas de doute sur la question de savoir si le dommage a été causé dans l'exécution du service, l'article 30 prévoit que le CIMIN statue sur la base d'un rapport établi par le commandant de la FGE.

L'article 31 prévoit la possibilité de conclure des arrangements ad hoc sur les questions des dommages pour les exercices et opérations conduits sur le territoire d'un État tiers.

L'article 32 étend les dispositions des chapitres VIII et IX aux experts scientifiques ou techniques amenés à effectuer des missions au sein de la force, dans le cadre et pour la durée de leur mission.

Le chapitre X (articles 33 à 37) traite des questions financières et relatives au droit de propriété.

L'article 33 crée un conseil financier, dont il précise la composition et les tâches. Cet article prévoit l'adoption par le CIMIN d'un règlement financier définissant les modalités de fonctionnement du conseil financier et le calendrier de présentation, d'examen et d'approbation du projet de budget de la FGE.

L'article 34 précise les différents types de dépenses de la FGE et renvoie leur définition et leurs modalités de financement au règlement financier.

L'article 35 définit les grands principes du budget annuel de la FGE pour les coûts communs.

L'article 36 prévoit que les auditeurs nationaux peuvent obtenir toutes les informations et examiner tous les documents détenus par le personnel de la FGE pour assurer leur fonction d'audit à l'égard des gouvernements nationaux et de reddition de compte devant les parlements nationaux.

L'article 37 précise les modalités selon lesquelles la FGE peut passer des marchés publics conformément aux principes en vigueur dans l'Union européenne.

Le chapitre XI (articles 38 à 47) contient les dispositions finales du traité.

L'article 38 stipule que les langues officielles de la FGE sont les langues des Parties et qu'une langue de travail commune peut être utilisée.

L'article 39 prévoit que les différends entre Parties seront réglés par voie de négociation.

L'article 40 règle les modalités d'amendement du traité par les Parties.

L'article 41 fixe les modalités de retrait du traité. Un délai minimal de douze mois est prévu après la notification au dépositaire d'une décision de retrait.

L'article 42 fixe les règles d'adhésion à la FGE. Tout État membre de l'Union européenne disposant d'une force de police à statut militaire peut adhérer au traité.

Les articles 43 et 44 définissent les conditions de candidature aux statuts d'observateur ou de partenaire de la FGE. Le critère de distinction entre les deux statuts est uniquement lié aux caractéristiques de la force de gendarmerie dont dispose le pays candidat :

- le statut d'observateur de la FGE peut être demandé par tout État membre de l'Union européenne disposant d'une force de police à statut militaire ou par tout État candidat à l'Union européenne disposant d'une force de police à statut militaire. S'agissant des membres de l'Union européenne, le traité précise que le statut d'observateur peut être une première étape avant l'adhésion au traité. Le statut d'observateur permet de détacher un officier de liaison au quartier général permanent ;

- le statut de partenaire de la FGE peut être demandé par tout État membre de l'Union européenne disposant d'une force à statut militaire ayant quelques compétences en matière de police ou par tout État candidat à l'Union européenne disposant d'une force à statut militaire ayant quelques compétences en matière de police.

L'article 45 permet de compléter le traité par des accords ou arrangements d'application spécifiques.

L'article 46 fixe la date d'entrée en vigueur au premier jour du mois suivant la notification aux Parties du dépôt du dernier instrument de ratification.

L'article 47 désigne l'Italie comme État dépositaire.

B. UN TRAITÉ QUI PERMETTRA DE DONNER À LA FORCE DE GENDARMERIE EUROPÉENNE UN FONDEMENT JURIDIQUE PLUS STABLE ET DE CLARIFIER UN CERTAIN NOMBRE DE QUESTIONS

Actuellement, la Force de gendarmerie européenne repose sur une simple déclaration d'intention, signée le 17 septembre 2004 à Noordwijk, aux Pays-Bas, par les ministres compétents des cinq Etats fondateurs.

Cette déclaration a été complétée par un certain nombre de documents, comme l'arrangement technique sur les questions financières relatives à la Force de gendarmerie européenne, signé à Madrid, le 14 mars 2006, l'arrangement technique sur les questions financières relatives aux opérations de la force, signé à Amsterdam le 15 novembre 2007, et le document relatif au statut des membres, des observateurs et des partenaires de la force, agréé par les Etats membres à Amsterdam le 15 novembre 2007.

Toutefois, le remplacement de la déclaration d'intention et des textes qui la complètent par un véritable traité international permettra de doter la Force de gendarmerie européenne d'un fondement juridique incontestable.

Le traité instituant la Force de gendarmerie européenne permettra également de clarifier un certain nombre de questions juridiques, relatives notamment aux droits et obligations des personnels de la force et au droit applicable dans le cadre d'opérations extérieures.

Ainsi, le régime juridictionnel et disciplinaire applicable aux militaires engagés dans le cadre de la FGE est décrit à l'article 25 du traité, qui précise les prérogatives respectives de l'Etat d'origine, de l'Etat hôte (c'est-à-dire l'Italie) et de l'Etat d'accueil (Etat sur le territoire duquel transitent ou stationnent les personnels engagés au titre de la FGE).

En ce qui concerne le régime disciplinaire, le CIMIN a adopté, le 20 mai 2010, un document relatif aux règles disciplinaires au sein de la FGE. Ce document pose comme principe général que la discipline demeure une responsabilité nationale. Le respect des règles de discipline est assuré dans le cadre des engagements de la force par le représentant national de l'Etat concerné.

En complément, une procédure graduée a été instaurée au sein de la FGE prenant en compte l'environnement multinational. Cette procédure comporte trois niveaux de sanctions en fonction de la gravité de la faute commise (avertissement verbal, avertissement écrit et une demande de relève de poste à l'autorité nationale compétente) et n'interfère pas avec les procédures nationales.

Lorsqu'elle est déployée dans le cadre d'opérations de gestion de crise conduites par des organisations internationales, la Force de gendarmerie européenne bénéficie en principe d'un accord sur le statut des forces préalablement conclu entre l'organisation dans le cadre de laquelle elle est déployée et le pays d'accueil.

Dans le cas où la FGE serait amenée à conduire une opération de manière autonome, un tel accord devrait être négocié par la présidence en exercice de la Force et approuvé par les membres du CIMIN dans le respect des règles juridiques nationales applicables à ce type d'accord.

C. LE STATUT ET LA PLACE DU FRANÇAIS DOIVENT ÊTRE MIEUX GARANTIS AU SEIN DE LA FORCE DE GENDARMERIE EUROPÉENNE

Si le traité instituant la Force de gendarmerie européenne paraît particulièrement utile, il présente toutefois une difficulté importante, qui tient au régime linguistique .

En effet, l'article 38 du traité stipule : « les langues officielles de l'EUROGENDFOR sont celles des Parties. Une langue de travail commune peut être utilisée ».

Certes, cet article prévoit que toutes les langues officielles des Etats parties - comme le Français, l'Espagnol ou l'Italien - auront le statut de langue officielle au sein de la Force de gendarmerie européenne.

Mais cet article ouvre la possibilité de recourir à une seule langue de travail.

Or, en pratique, c'est l'anglais qui est d'ores et déjà utilisé comme unique langue de travail au sein de la Force de gendarmerie européenne .

Ainsi, tous les documents publiés sur le site Internet de la Force de gendarmerie européenne sont uniquement disponibles en anglais 1 ( * ) .

Certes, on comprend tous les avantages d'une langue de travail commune, en termes de réduction des coûts et d'efficacité.

Mais n'est-il pas paradoxal d'encourager les gendarmes français, les gardes civils espagnols ou les carabiniers italiens à s'exprimer et à échanger uniquement en anglais ? Et, cela alors que la Force de gendarmerie européenne ne comprend pas le Royaume-Uni, ni aucun autre pays anglo-saxons, mais qu'elle ne comporte - outre les Pays-Bas - que des pays latins, comme l'Espagne ou l'Italie !

Certes, juridiquement, le fait de reconnaître le français comme langue officielle - au même titre que les autres langues des Etats parties - et de prévoir que l'usage d'une langue de travail commune - qui n'est d'ailleurs pas précisée - n'est qu'une simple faculté, ne semble pas de nature à méconnaître les principes et valeurs constitutionnels, comme l'article 2, alinéa premier, de la Constitution, qui dispose que la langue de la République est le français.

Toutefois, politiquement, il semble, qu'au moment où l'usage du français est menacé par la forte poussée de l'anglais et où il paraît indispensable de défendre le statut et l'usage de notre langue dans les organisations internationales, il s'agit là d'un mauvais signal, qui pourrait créer un dangereux précédent.

Rappelons que le français - parlé par plus de 220 millions de francophones dans le monde - dispose d'un statut reconnu dans la plupart des organisations internationales.

Le français fait ainsi partie des six langues officielles des Nations unies et il est, avec l'anglais, l'une des deux langues de travail du secrétariat général des Nations unies.

Il est aussi, avec l'anglais, l'une des deux langues officielles de l'OTAN. Il est, avec l'anglais et l'allemand, l'une des trois langues officielles et de travail au sein de l'Union européenne.

Toutefois, le statut et l'usage du français sont menacés par la forte progression de l'anglais dans les enceintes internationales, mais aussi par le comportement de certains de nos compatriotes qui préfèrent la langue de Shakespeare à celle de Molière.

Comme le soulignait déjà Léopold Sédar Senghor : « L'élite française fait preuve parfois d'une grande légèreté et d'une incompréhensible cécité. Cette remarque vaut pour la Francophonie comme pour la langue française. Certains considèrent notre langue et son rayonnement dans le monde comme un héritage désuet et encombrant ».

A cet égard, il n'est pas inutile de rappeler les récents propos du ministre des affaires étrangères et européennes, M. Alain Juppé, prononcés lors de l'ouverture des états généraux de la promotion du français dans le monde, le 19 octobre dernier : «  Notre défi à tous est de permettre au français de demeurer cette langue universelle qu'il a toujours été » .

Et il ajoutait plus loin : « Il va de soi que les Français doivent donner l'exemple. Comme l'a indiqué le Président de la République, nous serons vigilants avec ceux d'entre eux qui choisissent de parler anglais dans ces institutions dont le régime linguistique et les facilités d'interprétariat permettent pourtant l'utilisation du français ».

Votre commission estime donc qu'il aurait été préférable de prévoir la possibilité de recourir à au moins deux langues de travail, afin de garantir au français un statut au sein de la Force de gendarmerie européenne comparable à celui dont il dispose au sein de l'OTAN, de l'Union européenne ou des Nations unies.

Malheureusement, il n'est plus possible aujourd'hui de modifier le texte de la convention et nous ne pouvons que soit approuver le texte du projet de loi, soit le rejeter.

Le Sénat pourrait toutefois demander au Gouvernement de prendre un engagement afin que la France demande de revoir le régime linguistique au sein de la Force de gendarmerie européenne.

Il existe, en effet, un précédent, rencontré lors de l'examen du projet de loi autorisant la ratification des statuts de l'Agence internationale pour les énergies renouvelables IRENA.

Lors de l'examen de ce projet de loi, votre commission s'était interrogée sur le fait que l'anglais ait été reconnu comme la seule langue de travail de l'Agence, même si cela ne figurait pas directement dans le texte de la convention (il s'agissait d'un accord verbal, repris ensuite dans le règlement intérieur).

Lors du débat en séance publique au Sénat, le 16 février 2011, Mme Michèle Alliot-Marie, alors ministre des affaires étrangères, avait pris l'engagement selon lequel la France demandera d'aligner le régime linguistique d'IRENA sur celui des Nations unies, dans lequel la langue française a toute sa place.

On pourrait donc s'inspirer de ce précédent pour renforcer le statut et la place du français au sein de la Force de gendarmerie européenne.

CONCLUSION

Compte tenu de l'importance qui s'attache à la préservation du statut et de l'usage du français au niveau international, la commission des Affaires étrangères, de la défense et des Forces armées a décidé, sur proposition de votre rapporteur, lors d'une première réunion tenue le 8 novembre 2011, de reporter sa décision sur ce projet de loi à une date ultérieure, dans l'attente de l'audition du ministre de l'Intérieur.

Lors de son audition devant la commission, le 9 novembre, le ministre de l'Intérieur, M. Claude Guéant, a rappelé que l'article 38 du traité stipule que les langues officielles de la FGE sont les langues des parties et qu'il ne préjuge pas du choix de la ou des langue(s) de travail.

Il a également indiqué, qu'en pratique, les représentants français, dont le directeur général de la gendarmerie nationale, s'expriment systématiquement en français lors des réunions du Comité Interministériel de la FGE (CIMIN), seule instance à revêtir un caractère décisionnel.

Toutefois, afin de répondre à la demande de votre commission, le ministre de l'Intérieur a confirmé, lors de son audition, que le Gouvernement engagera la démarche diplomatique nécessaire afin de renforcer la place du français au sein de la Force de gendarmerie européenne.

Compte tenu de cet engagement, votre commission vous recommande l'adoption du projet de loi autorisant la ratification du traité instituant la force de gendarmerie européenne.

PREMIER EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné une première fois, le 8 novembre 2011, le présent rapport.

M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. - Le Sénat est saisi du projet de loi n° 669 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité portant création de la Force de gendarmerie européenne (FGE ou EUROGENDFOR), dont j'avais été désigné comme rapporteur, avant l'été, et dont notre collègue Alain Néri a été le rapporteur pour la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale l'année dernière.

Si l'on ne peut que se féliciter de la création de cette Force de gendarmerie européenne, le projet de loi qui nous est soumis pose une question de principe, qui tient au statut et à l'usage du français au sein de cette Force.

Mais avant d'évoquer ce point, je voudrais rappeler brièvement l'origine, le rôle et le fonctionnement de la Force de gendarmerie européenne et vous présenter le texte sur lequel nous sommes appelés à nous prononcer.

La Force de gendarmerie européenne a été créée en 2004, à l'initiative de l'ancien ministre de la défense, Mme Michèle Alliot-Marie.

Cette Force n'est pas un organisme de l'Union européenne, mais une coopération intergouvernementale, une sorte de « coopération renforcée », menée en dehors du cadre des traités, entre plusieurs pays membres de l'Union européenne qui disposent d'une force de police à statut militaire.

Les cinq pays fondateurs de cette force sont : l'Espagne, la France, l'Italie, les Pays-Bas et le Portugal. Ils ont été rejoints en 2008 par la Roumanie.

Outre ses six pays membres, la Force de gendarmerie européenne compte deux pays partenaires : la Pologne et la Lituanie. Enfin, en 2009, la Turquie s'est vu octroyer le statut d'observateur.

Je précise d'emblée que ni le Royaume-Uni, ni l'Allemagne ne font partie de la Force de gendarmerie européenne, car ces pays ne disposent pas de force de police à statut militaire.

Il s'agit là d'une spécificité que l'on retrouve surtout dans les pays de tradition latine, avec par exemple la garde civile espagnole ou l'Arme des carabiniers italiens, même si le modèle de la « gendarmerie » attire aussi de nombreux pays d'Europe centrale et orientale, comme la Pologne par exemple.

La Force de gendarmerie européenne a été créée afin de contribuer au développement de la politique européenne de sécurité et de défense, et, plus particulièrement, à l'objectif de doter l'Union européenne d'une capacité à conduire toutes les missions d'une force de police lors d'opérations de gestion de crise.

Elle peut aussi être mise à la disposition de l'ONU, de l'OSCE, de l'OTAN ou bien d'autres organisations internationales ou encore d'une coalition ad hoc.

La principale « valeur ajoutée » de la Force de gendarmerie européenne tient au fait qu'il s'agit d'une force « robuste », capable d'agir dans un environnement non stabilisé et de faire face aux différentes situations de maintien de l'ordre et de sécurité publique.

Le caractère « militaire » de cette force lui permet, en effet, d'être utilisée dans un très large spectre de missions et dans l'ensemble de l'arc de la crise, depuis la phase militaire, jusqu'à la phase de stabilisation, avec une aptitude particulière pour les situations intermédiaires entre la guerre et la paix.

Opérationnelle depuis 2006, la Force de gendarmerie européenne est engagée depuis 2007 en Bosnie-Herzégovine, dans le cadre de l'opération Althéa de l'Union européenne (132 gendarmes, dont 4 français). En 2010, elle a également été engagée à Haïti sous mandat de l'ONU (270 effectifs dont 147 gendarmes français). Depuis décembre 2009, la FGE contribue à la formation de la police afghane au sein de la mission de l'OTAN. C'est dans ce cadre que la France a engagé près de 200 gendarmes, qui assurent des missions de formation dans les écoles de police ou qui accompagnent les policiers afghans sur le terrain.

A l'image de l'OTAN, la Force de gendarmerie européenne n'est pas un corps de gendarmerie multinational. Elle ne dispose pas en propre de personnels ou d'équipements.

En effet, chaque composante de cette Force reste placée sous les ordres de ses autorités nationales.

L'instance de décision est le Comité interministériel de haut niveau (CIMIN), qui est composé de représentants des ministères des affaires étrangères, des ministères de la défense ou de l'intérieur de chaque Etat membre, et qui statue à l'unanimité.

La Force de gendarmerie européenne comprend un état-major permanent, multinational, modulable et projetable, installé à Vicenza (en Italie), qui se compose d'une trentaine d'officiers et de sous-officiers supérieurs, issus des six pays participant à la Force.

La répartition des différents postes fait l'objet d'une rotation égalitaire entre les six pays tous les deux ans (la France compte six officiers français insérés à l'état-major).

Elle dispose d'une capacité initiale de réaction rapide de 800 gendarmes pouvant être déployés sur un théâtre extérieur dans un délai inférieur à 30 jours. L'effectif maximal mis à la disposition de la Force peut atteindre 2 300 hommes et femmes.

Les forces mises à la disposition de la Force par les pays participants sont regroupées en unités, comprenant chacune environ cent vingt gendarmes. La gendarmerie française est le plus gros contributeur en personnels de la Force.

La Force de gendarmerie européenne est financée par des contributions des Etats participants, selon une clé de répartition fondée sur le nombre d'officiers de la nationalité de l'Etat concerné.

En 2010, la contribution de la France s'élevait à plus de 56 000 euros sur un budget total de 290 000 euros. Cette contribution est prélevée sur le budget de la gendarmerie nationale.

S'y ajoute le coût du déploiement des gendarmes français dans les opérations, en Bosnie et en Afghanistan.

Actuellement, la Force de gendarmerie européenne repose sur une simple déclaration d'intention, signée en septembre 2004 par les ministres de la défense des cinq pays fondateurs.

Cette déclaration d'intention a été complétée depuis par plusieurs documents, comme des arrangements techniques sur les questions financières, un document relatif au statut des membres, des observateurs et des partenaires, ou encore un document relatif à la participation des Etats au processus de planification.

Toutefois, son statut juridique actuel n'est pas très clair.

Son remplacement par un véritable traité international devrait permettre de doter la Force de gendarmerie européenne d'un fondement juridique incontestable et de clarifier un certain nombre de questions d'ordre juridique, comme les droits et obligations du personnel ou encore le droit applicable lors d'opérations extérieures.

Le traité portant création de la Force de gendarmerie européenne a été signé à Velsen aux Pays-Bas, le 18 octobre 2007, par les cinq Etats fondateurs. Il comporte 47 articles.

Ses stipulations s'inspirent de la déclaration d'intention de 2004 et des arrangements techniques ultérieurs, mais elles apportent également certaines précisions utiles, par exemple en ce qui concerne les privilèges et immunités ou encore le droit applicable.

Ainsi, le statut des personnels détachés au quartier général de la Force s'inspire de celui prévu pour les personnels des organisations internationales ou des représentations diplomatiques.

Ces personnels bénéficient de la plupart des privilèges et immunités, et peuvent même porter leur arme et leur uniforme, sous réserve du respect de la législation du pays hôte.

De même, les biens de la Force sont inviolables et leur accès est soumis à l'autorisation du commandant de la Force.

En définitive, ce traité permet de conforter le statut juridique de la Force de gendarmerie européenne et d'apporter certaines précisions.

Il a d'ores et déjà été ratifié par les quatre autres pays signataires et il ne manque plus que la ratification par la France pour permettre son entrée en vigueur.

Le projet de loi autorisant sa ratification a déjà été adopté par l'Assemblée nationale et il nous appartient désormais de nous prononcer.

Que faut-il penser de ce traité ?

La création, à l'initiative de la France, de la Force de gendarmerie européenne me paraît être une excellente chose.

Elle illustre, en effet, l'intérêt pour un pays de disposer d'une force de police à statut militaire, à l'image de la gendarmerie nationale, en particulier dans le cadre d'opérations extérieures.

L'expérience des Balkans, comme au Kosovo par exemple, montre, en effet, qu'il existe une phase intermédiaire, entre l'action militaire proprement dite et le rétablissement de la paix, qui nécessite une action parfois « musclée » de maintien de l'ordre, pour laquelle ni les militaires, ni les policiers ne sont bien préparés et pour laquelle les forces de police à statut militaire, de type « gendarmerie » paraissent au contraire particulièrement adaptées.

Le présent traité permettra donc de conforter son statut et de clarifier certaines incertitudes juridiques.

Il présente toutefois une difficulté importante, qui tient au régime linguistique.

En effet, l'article 38 stipule - je cite : « les langues officielles de l'EUROGENDFOR sont celles des Parties. Une langue de travail commune peut être utilisée ».

Certes, cet article prévoit que toutes les langues officielles des Etats parties - comme le Français, l'Espagnol ou l'Italien - auront le statut de langue officielle au sein de la Force de gendarmerie européenne. Mais cet article ouvre la possibilité de recourir à une seule langue de travail.

Or, en pratique, c'est l'anglais qui est d'ores et déjà utilisé comme unique langue de travail au sein de la Force de gendarmerie européenne.

Ainsi, les documents publiés sur le site Internet de la Force sont uniquement disponibles en anglais.

Et, cela alors que la Force de gendarmerie européenne ne comprend pas le Royaume-Uni, ni aucun autre pays anglo-saxons, mais qu'elle ne comporte -outre les Pays-Bas - que des pays latins, comme l'Espagne ou l'Italie !

Certes, on comprend tous les avantages d'une langue de travail unique, en termes de réduction des coûts et d'efficacité. Mais n'est-il pas paradoxal, au sein d'une institution européenne qui ne comporte aucun Britannique ou Irlandais, d'encourager les gendarmes français, les gardes civils espagnols ou les carabiniers italiens à s'exprimer uniquement en anglais ?

N'aurait-il pas été préférable de prévoir la possibilité de recourir à au moins deux langues de travail, afin de garantir au français un statut comparable à celui dont il dispose au sein de l'OTAN, de l'Union européenne ou des Nations unies ?

Comme vous le savez, le français - parlé par plus de 220 millions de francophones dans le monde - dispose d'un statut reconnu dans la plupart des organisations internationales.

Le français fait ainsi partie des six langues officielles des Nations unies et il est, avec l'anglais, l'une des deux langues de travail du secrétariat général des Nations unies. Il est, avec l'anglais, l'une des deux langues officielles de l'OTAN. Il est aussi, avec l'anglais et l'allemand, l'une des trois langues officielles et de travail au sein de l'Union européenne.

Comme l'a rappelé récemment le ministre des affaires étrangères et européennes, M. Alain Juppé, lors des états généraux de promotion du français dans le monde, il convient d'être particulièrement vigilant sur la défense de ce statut et sur l'obligation faite pour les fonctionnaires français de s'exprimer en français.

Malheureusement, nous ne pouvons plus modifier le texte de la convention et nous devons soit l'approuver, soit le rejeter.

On pourrait toutefois demander au ministre un engagement afin que la France demande de revoir le régime linguistique.

Il existe, en effet, un précédent, que nous avons rencontré lors de l'examen du projet de loi autorisant la ratification des statuts de l'Agence internationale pour les énergies renouvelables IRENA.

Lors de l'examen de ce projet de loi, nous nous étions interrogés sur le fait que l'anglais ait été reconnu comme la seule langue de travail de cette agence, même si cela ne figurait pas explicitement dans le texte de la convention (il s'agissait d'un accord verbal, repris ensuite dans le règlement intérieur).

Lors du débat en séance publique au Sénat, le 16 février 2011, Mme Michèle Alliot-Marie, alors ministre des affaires étrangères, avait pris l'engagement selon lequel la France demandera d'aligner le régime linguistique d'IRENA sur celui des Nations unies, dans lequel la langue française a toute sa place. Je compte donc interroger demain le ministre de l'Intérieur, M. Claude Guéant, sur ce point.

Dans l'attente de cette audition, je vous proposerai donc de reporter notre décision sur ce projet de loi.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je partage entièrement votre préoccupation au sujet de la place du français et il me paraît important que notre commission s'attache à défendre fermement le statut et l'usage de notre langue au sein des différentes organisations ou instances internationales. Comme vous l'avez rappelé, le français est l'une des deux langues officielles de l'OTAN et l'une des trois langues de travail au sein de l'Union européenne.

J'avais d'ailleurs exprimé devant notre commission la même préoccupation lors de l'examen en décembre 2006 du traité relatif au corps européen (ou « eurocorps »), entre la France, l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne et le Luxembourg, l'anglais étant la seule langue de travail au sein de ce corps européen. Toutefois, malgré notre intervention, aucun progrès n'a été fait concernant la place du français au sein du corps européen.

Il faut donc faire preuve d'une très grande vigilance et fermeté sur ce point.

M. Alain Néri. - Je suis heureux de constater que nous sommes tous d'accord pour défendre le statut et l'usage du français.

Il est paradoxal, voire caricatural, que l'anglais soit la seule langue de travail utilisée au sein de la Force de gendarmerie européenne, alors que cette coopération ne comporte aucun pays anglophone.

Je partage donc entièrement votre avis.

Suivant l'avis du rapporteur, M. Jean-Louis Carrère, la commission décide à l'unanimité de reporter sa décision à une date ultérieure dans l'attente de l'audition du ministre de l'intérieur sur ce point.

AUDITION DU MINISTRE DE L'INTÉRIEUR, M. CLAUDE GUÉANT

(Extraits)

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a auditionné le ministre de l'intérieur, M. Claude Guéant, le 9 novembre 2011.

M. Jean-Louis Carrère, président . - (...)

Enfin, nous aimerions connaître votre sentiment concernant le projet de loi autorisant la ratification du traité portant création de la Force de gendarmerie européenne, et notamment son article 38 qui prévoit la possibilité d'utiliser une langue de travail unique, que notre commission a examiné hier et sur lequel elle a décidé de reporter sa décision dans l'attente de votre audition.

En effet, on constate que l'anglais est, en pratique, la seule langue de travail utilisée au sein de la Force de gendarmerie européenne, alors même que ni Royaume-Uni, ni l'Irlande n'en font partie et qu'elle comprend en majorité des pays latins, comme l'Espagne, l'Italie ou le Portugal. Ne pensez-vous pas que les gendarmes français devraient s'exprimer en français et que notre langue devrait être reconnue comme la deuxième langue de travail au sein de la Force de gendarmerie européenne, comme c'est le cas à l'ONU, à l'OTAN ou dans l'Union européenne ? Pourriez-vous prendre l'engagement, devant notre commission, que la France oeuvrera pour la reconnaissance de ce statut au sein de la Force de gendarmerie européenne ?

(...)

M. Claude Guéant, ministre de l'Intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. -

(...)

Enfin, tout en étant intégrée au ministère de l'intérieur, la gendarmerie continue naturellement à participer aux opérations extérieures. A ce titre, elle est présente sur tous les théâtres d'opérations, aux côtés des armées. Elle participe également à la Force de gendarmerie européenne (FGE).

Dans ce cadre, vous avez appelé mon attention, Monsieur le président, sur l'usage de la langue anglaise comme langue de travail au sein de la Force de gendarmerie européenne.

L'article 38 du Traité stipule que les langues officielles de la FGE sont les langues des Parties et qu'une langue de travail commune peut être utilisée. Il ne préjuge pas du choix de la ou des langue(s) de travail.

En pratique, les représentants français, dont le directeur général de la gendarmerie nationale, s'expriment systématiquement en français lors des réunions du Comité Interministériel de la FGE (CIMIN), seule instance à revêtir un caractère décisionnel.

On note d'ailleurs que, sur le terrain, en Bosnie-Herzégovine dans un cadre européen, en Haïti sous mandat des Nations unies comme en Afghanistan sous bannière de l'OTAN, les personnels de la FGE ont approfondi leurs connaissances mutuelles et ont développé un climat de confiance qui passe aussi par la maîtrise de la langue de l'autre.

Toutefois, afin de répondre à votre demande, le gouvernement engagera la démarche diplomatique nécessaire afin de renforcer la place du français au sein de la Force de gendarmerie européenne.

(...)

SECOND EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, a procédé, le 15 novembre 2011, à un nouvel examen, suite à l'audition du ministre de l'intérieur, M. Claude Guéant, du présent rapport.

M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. - Je vous avais présenté, lors de notre réunion de mardi dernier, le projet de loi autorisant la ratification du traité portant création de la Force de gendarmerie européenne.

Vous vous souvenez sans doute que je vous avais fait part d'une difficulté concernant le statut et l'usage du français au sein de la Force de gendarmerie européenne. Nous avions alors décidé de reporter notre décision dans l'attente de l'audition du ministre de l'intérieur, M. Claude Guéant.

Lors de son audition, mercredi dernier, le ministre de l'intérieur a pris l'engagement de faire une démarche diplomatique afin de renforcer la place du français au sein de la Force.

Je vous proposerai donc de prendre acte de cet engagement et donc d'approuver le projet de loi qui nous est soumis. Toutefois, compte tenu de l'importance de ce sujet et de l'intérêt de sensibiliser le gouvernement dans son ensemble, je vous proposerai un examen en séance publique afin d'avoir un débat sur cette question.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté le présent projet de loi et proposé qu'il fasse l'objet d'un débat en séance publique.

ANNEXE - ETAT DES RATIFICATIONS

Pays-Bas : 18 avril 2008

Portugal : 26 septembre 2008

Espagne : 26 novembre 2008

Italie : 14 mai 2010


* 1 http://www.eurogendfor.eu/

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