Audition de Jean-François PILLIARD, président de la commission Protection sociale du Mouvement des entreprises de France (Medef) (mardi 14 septembre 2010)
Sous la présidence de Muguette Dini, présidente, la commission a procédé à l' audition de Jean-François Pilliard, président de la commission Protection sociale du Mouvement des entreprises de France (Medef), sur le projet de loi n° 713 (2009-2010) portant réforme des retraites dont Dominique Leclerc est le rapporteur .
Dominique Leclerc, rapporteur. - J'aimerais avoir le sentiment du Medef sur les dispositions du projet de loi sur les retraites relatives à la pénibilité, qui prévoient une démarche individualisée. Que pensez-vous de l'amendement de MM. Méhaignerie et Jacquat, qui favorise la négociation d'accords de branche et crée un fonds de mutualisation destiné à financer des mesures de compensation du travail pénible ?
Ne faudrait-il pas améliorer l'information des salariés pour leur permettre de mieux gérer leur carrière, par le biais du Gip Info Retraites ?
Enfin, le transfert de cotisations chômage vers l'assurance vieillesse à l'horizon 2018 vous semble-t-il réaliste ?
Alain Vasselle, rapporteur général. - Certains envisagent de trouver d'autres ressources que les cotisations assises sur les salaires pour financer la protection sociale et en particulier les retraites : suppression du bouclier fiscal et taxation des stock-options, des actions gratuites, des revenus tirés de l'intéressement et des retraites chapeaux : cela permettrait, disent-ils, de maintenir à soixante ans l'âge légal du départ à la retraite. Cela vous semble-t-il réaliste ?
Jean-François Pilliard, président de la commission Protection sociale du Medef. - La réforme des retraites est essentielle pour l'avenir de notre protection sociale. Le Medef considère que cette réforme doit obéir à un principe d'équité sociale et garantir à nos concitoyens une retraite décente. Il est également convaincu que le problème de l'équilibre des régimes de retraite est avant tout d'ordre démographique : l'espérance de vie augmente, les jeunes entrent de plus en plus tard sur le marché du travail, et la proportion des actifs et des inactifs s'inverse. Il était donc indispensable d'augmenter la durée de cotisation - c'est chose faite depuis la loi Fillon de 2003 - et de relever l'âge du départ à la retraite et de la retraite à taux plein, sans renoncer à prendre en compte les spécificités de certaines catégories de salariés. Le rythme choisi par le Gouvernement nous paraît satisfaisant, et le rapprochement des régimes des secteurs public et privé équitable.
Quant à la pénibilité, c'est un sujet que je connais bien puisque je suis issu du milieu industriel. Je vous encourage à allier la forme au fond et à adopter des textes clairs et opérationnels, afin que les entreprises puissent effectivement les appliquer. Or, à ce stade, les solutions retenues paraissent relativement complexes au regard de leur mise en oeuvre. Il faut distinguer entre ce que j'appellerai, faute d'un autre terme, la réparation du travail pénible et sa prévention. S'agissant de la réparation, le dispositif relatif aux carrières longues, introduit dans la loi Fillon et qui concerne près de cent mille personnes chaque année, constitue une première réponse : les salariés ayant commencé à travailler tôt sont aussi ceux qui sont le moins qualifiés et sont le plus souvent confrontés à un environnement pénible. En outre, la prise en charge de l'incapacité au travail par la collectivité regarde cent vingt mille personnes par an. Le Gouvernement prévoit d'abaisser de 20 % à 10 % le taux d'invalidité au-delà duquel les employés pourront partir à la retraite dès soixante ans sans décote, au terme d'une procédure individualisée devant une commission pluridisciplinaire. En tout, près de deux cent cinquante mille personnes partant à la retraite sur huit cent mille seraient concernées chaque année par des mesures de réparation : peu de pays nous égalent.
La prévention est essentielle car, à terme, elle rend la réparation moins nécessaire. Le Medef est très attaché à ce que se poursuive l'amélioration des conditions de travail observée depuis vingt ans, et qui s'est traduite par la diminution du nombre d'accidents du travail. Il est possible d'aller plus loin, tout en ménageant les fragiles équilibres des entreprises. Nous sommes favorables à ce que les partenaires sociaux se réunissent périodiquement dans le cadre des branches professionnelles, comme l'ont proposé MM. Méhaignerie et Jacquat, afin de donner l'impulsion nécessaire. Les thèmes prioritaires de leur réflexion devraient être l'ergonomie du poste de travail et, plus généralement, l'environnement de travail, l'aménagement des carrières - dans la plupart des pays européens, la prévention des risques fait partie de la politique des ressources humaines et l'on se soucie qu'aucun salarié ne reste durablement affecté à un poste pénible alors qu'en France, on se contente généralement de verser des primes qui incitent à rester dans l'environnement de pénibilité - et celui des fins de carrières. Toutefois, le Medef est hostile à l'extension des cessations anticipées d'activité, alors même que les partenaires sociaux, encouragés par l'Etat, tentent d'inverser une tendance vieille de trente ans qui consiste à mettre les seniors à la retraite prématurément. Le relèvement de l'âge du départ à la retraite doit absolument s'accompagner d'une hausse du taux d'emploi des seniors !
Nous sommes très réservés, pour ne pas dire plus, sur la pénalité d'un montant égal à 1 % de la masse salariale imposée aux entreprises n'ayant pas conclu d'accord sur l'emploi des seniors. C'est une forme de mépris pour la capacité des acteurs sociaux à progresser. Quand une loi ou un accord est adopté, on se laisse généralement un certain délai avant d'apprécier si l'objectif est atteint et, dans le cas contraire, on recherche les moyens d'inverser la tendance avant d'envisager des sanctions. Mais la France est le pays où le nombre des lois, règlements et accords d'entreprises est le plus élevé et leur efficacité la plus faible, par exemple en ce qui concerne l'égalité entre les hommes et les femmes.
La création de fonds de mutualisation au niveau des branches ne nous paraît pas souhaitable. Ce sont les entreprises qui les alimenteront ; or, les secteurs d'activité où le travail est pénible sont aussi ceux où les marges sont les plus réduites. Rappelons que la France caracole en tête des pays de l'OCDE pour le niveau des charges pesant sur les entreprises. Ne croyons pas que l'Etat pourra lui-même abonder ces fonds : nous connaissons tous l'état des finances publiques et la nécessité de réduire les déficits. L'Etat n'a-t-il pas décidé, sans même consulter les partenaires sociaux, de prélever 300 millions d'euros sur le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), alimenté par les entreprises ? Quant au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, il sert trop souvent à faire bénéficier d'une cessation anticipée d'activité des gens qui n'ont jamais été exposés à l'amiante !
Au sujet de la prévention, notre démarche est constructive. N'oublions pas que sur les 10 milliards d'euros de la banche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) de la sécurité sociale, 300 millions y sont consacrés. Il faut concevoir des mesures simples et opérationnelles, à coût constant, et éviter la superposition des dispositifs.
J'en viens à la question du financement de l'assurance vieillesse. On ne peut pas se déclarer attaché à la retraite par répartition, qui consiste en ce que les cotisations d'une année financent les pensions de la même année, et vouloir que la fiscalité devienne la première source de financement ! Le Medef, cependant, n'est pas hostile à une réforme systémique, passé le temps de la réforme paramétrique destinée à répondre à l'urgence ; une telle réforme globale est d'ailleurs inéluctable. Aucun régime de la sécurité sociale n'est à l'équilibre. Ce n'est pas avec quelques recettes supplémentaires et conjoncturelles que l'on résoudra un problème structurel. Toute nouvelle taxation rendrait nos entreprises moins compétitives et augmenterait le taux de chômage qui oscille, selon les statistiques officielles, entre 7 % en période de croissance et 10 % en période de crise, voire entre 15 % et 20 % si l'on excepte la fonction publique.
On parle de taxer les revenus tirés de l'intéressement et de la participation. Mais alors qu'un système de retraite par répartition est par essence aléatoire, il importe d'encourager l'épargne retraite. Si les PME, contrairement aux grands groupes, rechignent à développer ces formes de rémunération, c'est en raison de la complexité de la réglementation, et parce qu'elles sont exposées au risque permanent d'un relèvement de la taxation de ces dispositifs. Celle-ci a déjà augmenté récemment, et la relever de deux points ne nous paraît pas aller dans le bon sens.
S'agissant des stock-options, comme je le disais à l'Assemblée nationale, on pourrait aussi bien les taxer à 100 % : cela rapporterait un milliard d'euros la première année, puis plus rien. Je crois nécessaire en revanche que les revenus tirés des stock-options dépendent non seulement du cours des actions, mais aussi des performances économiques à moyen terme des entreprises. N'oublions pas que ce type de rémunération permet à des start up d'attirer des talents alors qu'elles ne peuvent pas mener la même politique salariale que les grands groupes ! Les entreprises doivent d'ailleurs s'adapter à leur environnement international.
Pour ce qui est des « retraites chapeaux », terme impropre, il convient de distinguer deux catégories de bénéficiaires : des dirigeants d'entreprises, aux émoluments élevés, et de nombreux salariés, qui ne sont pas tous des cadres et n'ont souvent droit qu'à de modestes pensions de base. En tout cas, le Medef a toujours dit qu'il estimait légitime que les entreprises et les bénéficiaires des « retraites chapeaux » acquittent une contribution.
Alain Vasselle, rapporteur général. - Vous avez évoqué l'éventualité d'une réforme systémique des retraites et, tout en disant votre attachement à la répartition, estimé nécessaire de développer l'épargne retraite. Seriez-vous hostile à une réforme d'ensemble, inspirée, par exemple, du modèle suédois qui repose sur les « comptes notionnels » ?
Le Président de la Cour des comptes a déclaré qu'il fallait s'attaquer aux « niches sociales » et aux allègements de charges sociales, qui coûtent 45 milliards d'euros chaque année. Qu'en pensez-vous ?
Que répondez-vous à ceux qui tirent argument du faible taux d'emploi des seniors pour condamner le relèvement de l'âge légal du départ à la retraite ?
Encore une fois, le transfert des cotisations chômage vers l'assurance vieillesse vous semble-t-il judicieux ?
Gisèle Printz. - Si les conditions des hommes et des femmes tardent à s'égaliser, ce n'est pas en raison de la multiplication des textes mais parce que les entreprises n'appliquent pas ces derniers !
Jean-François Pilliard. - Nous l'avons dit d'emblée : après cette réforme urgente qui s'impose pour éviter une baisse drastique du niveau des pensions et préserver les équilibres économiques, sans quoi les incidences sociales seraient dramatiques, il faudra s'atteler à une réforme plus fondamentale. J'ai quelque expérience des régimes sociaux des autres pays européens, et je regrette que nous n'ayons pas adopté le principe de la « réforme permanente », qui prévaut notamment en Allemagne et où la réforme des retraites a pris des années. Il n'est pas surprenant que chaque projet des gouvernements successifs suscite des remous dans l'opinion française, car nous ne savons réformer que par à-coups ! Or nous savons tous que cette réforme-ci n'est pas la dernière : les hypothèses macro-économiques sur lesquelles elle repose ont peu de chances de se vérifier, et l'Etat reste largement mis à contribution pour financer les retraites du secteur public.
Les partenaires sociaux gèrent déjà les régimes complémentaires de l'association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc) et de l'association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (Arrco), dont certains reposent sur un système par points. Notre position n'est pas idéologique : nous sommes attachés à la répartition, mais croyons en la nécessité de la compléter par l'épargne. Plus généralement, la sécurité sociale, créée dans un contexte économique tout à fait différent, doit sans doute évoluer ; les sédimentations issues des réformes successives n'ont pas réglé le problème des ressources. Le financement de la protection sociale doit reposer sur la solidarité nationale, sur les cotisations des employeurs et des salariés, mais aussi sur les citoyens qui consomment entre autres des produits de santé.
En ce qui concerne les allègements de charges, il faut cesser de les considérer comme des cadeaux aux employeurs : ils ont été consentis en contrepartie de la réduction du temps de travail. Le coût du travail et le poids des charges, auxquels s'ajoutent les faibles performances de notre système éducatif, la rigidité du marché de l'emploi et les aléas juridiques qui pèsent sur les entreprises rendent notre économie peu compétitive. Dans les secteurs à fort taux de main-d'oeuvre, qui emploient le plus de salariés peu qualifiés et bénéficient à ce titre d'allégements de charges, la suppression de ces allégements aurait de graves conséquences en termes d'emploi et nuirait par là même à l'équilibre des comptes sociaux. Nous étions déjà opposés à l'annualisation du calcul des allégements et il serait tout à fait inopportun d'aller plus loin, à moins de leur substituer un système pérenne qui ne pénalise pas les entreprises.
Le taux d'emploi des seniors jusqu'à soixante ans est, en France, sensiblement équivalent à celui que l'on observe dans les autres pays européens ; c'est l'Etat, premier employeur, qui a le plus souvent recours à des cessations anticipées d'activité. En revanche, nous sommes en retard en ce qui concerne les plus de soixante ans. Toutefois, le Medef est convaincu que le relèvement des bornes d'âge modifiera la perception des employeurs et des employés. D'autres mesures sont envisageables. Depuis trente ans, lorsqu'une entreprise se trouve en sureffectif, elle peut soit arrêter d'embaucher - ce dont pâtissent les jeunes -, soit encourager ses employés les plus âgés à partir en retraite anticipée - les mesures de ce type sont jusqu'à présent plébiscitées de tous -, soit procéder à des licenciements, qui coûtent à peu près aussi cher qu'ailleurs en Europe mais prennent beaucoup plus de temps : il s'écoule entre six et vingt-quatre mois entre le constat d'un problème de sureffectif et sa résolution. A cela, s'ajoutent des aléas juridiques : un tribunal vient parfois ordonner trois ou quatre ans après la réintégration des salariés licenciés d'une filiale, alors même que ceux de la maison mère ont tous été reclassés en CDI... C'est pourquoi les entreprises n'ont d'autre choix que de recourir au travail précaire. Dans d'autres pays, le CDI est la règle, mais en contrepartie il peut y être mis fin rapidement sans s'exposer aux mêmes risques juridiques. Il sera très difficile de progresser sur l'emploi des seniors si l'on ne s'attaque pas aux problèmes plus généraux du marché de l'emploi.
Des lois ont été votées, des accords de branche conclus et des négociations sont en cours au sein des entreprises. On n'inverse pas une tendance vieille de trente ans en un tournemain, au beau milieu de la crise économique la plus grave de l'après-guerre. Les entreprises sont prêtes à reconnaître leurs responsabilités, mais on a trop tendance en France à croire qu'il suffit d'adopter une loi pour qu'un problème soit réglé. Plutôt que de multiplier les textes et les sanctions, donnons-nous le temps de promouvoir et d'évaluer les dispositifs existants. Le travail des femmes, par exemple, a progressé dans les entreprises où une véritable concertation avait eu lieu et où l'on avait pu mesurer les effets bénéfiques de la mixité : la réunion de personnes de genres, d'âges et de nationalités différents stimule l'innovation. En outre, une femme est plus efficace pour vendre à une femme, comme un senior à un senior.
Gisèle Printz. - Votre réponse ne me satisfait pas. Si l'on vous suit, on ne parviendra jamais à l'égalité entre les hommes et les femmes.
Jean-François Pilliard. - Des mesures spécifiques peuvent être envisagées dans le cadre de cette réforme des retraites pour remédier aux problèmes que rencontrent les femmes, comme la prise en compte pour le calcul des pensions des indemnités journalières et des revenus de substitution. Mais ce projet de loi n'a pas vocation à résoudre tous les problèmes de société.
Alain Milon. - Le projet de loi sur la médecine du travail semble enterré, le Gouvernement ayant choisi de procéder par amendements au texte sur les retraites. Que pensez-vous de la méthode et du fond ?
Jean-François Pilliard. - Il ne nous revient pas de commenter la méthode du Gouvernement : nous en prenons acte. Les négociations avec les syndicats à ce sujet n'ont pas été loin d'aboutir. Pour notre part, nous estimons que la médecine du travail n'est efficace pour prévenir les risques que si les praticiens sont intégrés dans l'entreprise et étroitement associés aux employeurs et aux employés. Sur le plan de la gouvernance, les services de santé au travail sont dirigés pour les deux tiers par des représentants des employeurs et pour un tiers par des représentants des employés : cette organisation résulte d'un accord interprofessionnel. Faut-il la remettre en cause ? Je rappelle que ce sont les chefs d'entreprises qui sont pénalement responsables en cas d'accidents ou de maladies du travail.