EXAMEN DES ARTICLES
Article premier - Interdiction de la dissimulation du visage dans l'espace public
Cet article tend à interdire la dissimulation du visage dans l'espace public.
Le droit en vigueur ne comporte pas de mesure à caractère général : il prévoit, d'une part, des obligations pour la personne d'apparaître à visage découvert, d'autre part, de manière encore plus circonscrite, des cas d' interdiction de dissimulation du visage et, enfin, des hypothèses spécifiques d'interdiction du voile islamique au titre du principe de neutralité des services publics.
Les obligations de découvrir son visage commandées par la nécessité d'identifier la personne en certaines occasions
Cette exigence peut être motivée par des considérations de sécurité . Tel est le cas en matière de contrôles d'identité. Ainsi, aux termes de l'article 78-1 du code de procédure pénale « toute personne se trouvant sur le territoire national doit accepter de se prêter à un contrôle d'identité effectué dans les conditions et par les autorités de police visées aux articles suivants ». Le contrôle peut se fonder soit sur la police judiciaire -lorsqu'il vise par exemple une personne à l'encontre de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction- soit sur la police administrative afin de prévenir une atteinte à l'ordre public quel que soit le comportement de la personne. Dans ce cas, le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 93-323 DC du 5 août 1993 a estimé que « la pratique de contrôles d'identité généralisés et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la liberté individuelle (...). L'autorité concernée doit justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières établissant le risque d'atteinte à l'ordre public qui a motivé le contrôle ».
L'obligation de découvrir son visage peut résulter de manière plus générale de dispositions législatives et réglementaires subordonnant l'accès de certains biens ou services à l'identification de la personne.
Situations où une identification ponctuelle peut être exigée
Délivrance de documents d'identité exigeant une photographie tête nue |
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Délivrance d'une carte d'identité |
CE, 27 juillet 2001, Fonds de défense des musulmans en justice |
Délivrance d'un passeport |
CE, 2 juin 2003, Melle R.A . et CE, 24 octobre 2003, Mme B. |
Délivrance d'un permis
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CE 15 décembre 2006, Association United Sikhs et M. S . confirmé par la décision d'irrecevabilité CEDH, 13 novembre 2008, M. S . |
Délivrance d'un diplôme |
CEDH, 63 mai 1993, Karaduman c/Turquie |
Accomplissement de certaines démarches |
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Lors de la remise d'un enfant
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Note du 24 novembre 2008 du ministère de l'Education nationale prescrivant de ne pas remettre d'enfant à une personne qui n'accepterait pas de s'identifier |
A l'entrée d'un consulat |
CE, 7 décembre 2005, El M ., confirmé par la décision d'irrecevabilité CEDH, 4 mars 2008, El M. c/France , validant le refus de délivrer un visa à une personne qui a refusé de retirer temporairement son voile islamique à l'entrée d'un consulat |
Lors du retrait d'un recommandé à La Poste |
Article 3.2.5 des Conditions générales de vente prévoyant la possibilité de contrôler l'identité du destinataire |
Lors de l'accomplissement
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Circulaire du 20 décembre 2007 du ministère de l'intérieur prescrivant de refuser le vote d'une personne voilée intégralement |
Lors d'une cérémonie
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Réponse écrite à la question d'un parlementaire du 3 avril 2007 indiquant que l'officier d'état civil ne peut pas célébrer le mariage sans s'assurer du consentement des époux et donc sans voir leur visage |
Sources : mission d'information de l'Assemblée nationale sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national et Conseil d'Etat.
Les interdictions de dissimulation du visage
Le droit français admet aujourd'hui deux cas d'interdiction de dissimulation du visage.
En premier lieu, l'article R. 645-14 du code pénal introduit par le décret n° 2009-724 du 19 juin 2009 punit d'une amende de 1 500 euros « le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l'ordre public », hormis le cas où les manifestations sont conformes aux usages locaux ou lorsque la dissimulation du visage est justifiée par un motif légitime. Ce décret fait l'objet d'un recours pour excès de pouvoir pendant devant le Conseil d'Etat statuant au contentieux. Par ailleurs, l'article 3 de la loi n° 2010-201 du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public fait de la dissimulation du visage une circonstance aggravante de certaines infractions.
En second lieu, au titre de leurs pouvoirs de police administrative générale, le maire, sur le fondement de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, et le préfet sur celui de l'article L. 2215-1 du même code, pourraient, sous le contrôle du juge administratif, interdire la dissimulation du visage dans certains lieux publics. Comme le précise le Conseil d'Etat dans son étude relative aux possibilités juridique d'interdiction du port du voile intégral, les lieux concernés devraient être « exposés à des risques avérés pour la sécurité publique » et l'interdiction ne serait ordonnée que si elle est proportionnée à ces risques et adaptée aux « circonstances locales particulières dûment justifiées ».
Des mesures spécifiques prohibant le port du voile islamique
La dissimulation du visage par un voile islamique est incompatible avec l'état du droit en trois hypothèses.
En vertu des principes de neutralité des services publics consacrés tant par la jurisprudence administrative 26 ( * ) que par celle de la Cour européenne des droits de l'homme 27 ( * ) , les agents publics ne peuvent pas manifester leurs croyances religieuses, notamment par le port de signes religieux, dans l'exercice de leurs fonctions.
Cette interdiction ne concerne pas les usagers du service public à l'exception, depuis la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 28 ( * ) , des élèves des écoles, collèges et lycées publics qui ne peuvent porter des signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse. La conformité de cette disposition à la convention européenne des droits de l'Homme a été confirmée par le Conseil d'Etat 29 ( * ) ainsi que par la Cour européenne des droits de l'Homme 30 ( * ) .
Enfin, le droit du travail permet, sous réserve du principe de finalité et de proportionnalité prévu à l'article L. 1121-1 du code du travail que l'employeur interdise à un salarié de porter une tenue incompatible avec l'exercice de son activité professionnelle quelles que soient ses convictions religieuses 31 ( * ) .
Le principe d'une interdiction générale
La formulation proposée par l'article premier, adoptée sans modification par les députés, doit être approuvée à quatre titres :
- une interdiction à caractère général est conforme aux exigences de l'ordre public social dont la défense ne peut être circonscrite en fonction de circonstances de temps et de lieu ;
- dans la mesure où le manquement à l'interdiction de dissimulation du visage est constitutif d'une infraction dont la peine est prévue à l'article 2, le champ de l'interdiction prend en compte le critère d' intentionnalité requis par le droit pénal pour caractériser une infraction. L'interdiction concerne en effet la tenue « destinée à dissimuler » le visage ;
- enfin, l'interdiction est strictement bornée à l' espace public .
Compte tenu du cadre ainsi fixé à l'interdiction de dissimulation du visage, votre commission a adopté l'article premier sans modification .
Article 2
Définition de l'espace public - Exceptions au principe de
l'interdiction
Cet article tend, d'une part, à définir la notion d'espace public -dans lequel la dissimulation du visage est interdite- et, d'autre part, à déterminer les exceptions au principe de cette interdiction.
1. Définition de l' « espace public »
Le 1 de cet article définit l'espace public dans lequel le projet de loi a vocation à s'appliquer comme constitué des « voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public ».
La notion de « voies publiques » doit être entendue au sens le plus large, tel qu'il a été précisé dans un arrêt récent de la Cour de cassation 32 ( * ) , comme « tout passage accessible, route ou chemin, ouvert au public ».
La référence aux « lieux ouverts au public » figure déjà dans notre droit. Ainsi, l'article 10 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité autorise la vidéosurveillance dans « les lieux et établissements ouverts au public ». Selon la jurisprudence judiciaire, un lieu ouvert au public est « accessible à tous, sans autorisation spéciale de quiconque, que l'accès en soit permanent et inconditionnel ou subordonné à certaines conditions » 33 ( * ) . Au regard de ces critères, seraient exclus du champ des lieux ouverts au public, comme le précise l'étude d'impact, « un local associatif, les locaux d'une entreprise privée réservés à son personnel, un foyer, un immeuble, une chambre d'hôtel ».
En revanche, les lieux de culte paraissent répondre à ces conditions. Or comme l'avait souligné l'étude du Conseil d'Etat, l'interdiction de dissimulation du visage serait, dans de tels lieux, « délicate, sinon impossible à faire respecter, sauf à troubler plus gravement encore l'ordre public ». Néanmoins, depuis la loi de 1905, les responsables du culte gèrent directement la police de ces lieux et la force publique n'intervient qu'à leur demande.
La notion de « lieux affectés à un service public » -consacrée par la jurisprudence administrative 34 ( * ) et la loi 35 ( * ) comme l'un des critères de la domanialité publique- permet de viser certains lieux dont l'accès n'est pas général. Tel est le cas notamment des écoles, des hôpitaux ou encore des mairies.
2. Les exceptions au principe de l'interdiction
Le projet de loi prévoit trois séries d'exceptions.
Les tenues prescrites ou autorisées par la loi et le règlement
Initialement, le projet de loi mentionnait, d'une part, la tenue prescrite par une loi ou un règlement et, d'autre part, celle autorisée pour protéger l'anonymat de l'intéressé.
La catégorie de personnes visées par cette seconde hypothèse n'est toutefois pas apparue très clairement. S'agissait-il des témoins intervenant dans le cadre d'une procédure pénale dont l'identité est toutefois protégée par d'autres voies que la dissimulation du visage ? S'agissait-il de certains membres des forces de l'ordre dont le cas est couvert par le deuxième motif de dérogation admis par le projet de loi tenant aux considérations professionnelles ? Par souci de simplification, les députés, à l'initiative de leur commission des lois, ont privilégié une rédaction plus synthétique recouvrant tous les cas où la dissimulation du visage est « prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires ».
Au titre des prescriptions, il convient de citer plus particulièrement l'obligation du port du casque pour les conducteurs de deux roues fixée par l'article R. 431-1 du code de la route.
La dissimulation justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels
Si la protection du visage pour des motifs professionnels peut être prescrite par des dispositions à caractère réglementaire (par exemple le « masque complet, cagoule ou encore scaphandre » commandé par l'article R. 4412-128 du code du travail pour le désamiantage), et entre, à ce titre, dans la première série d'exception, elle peut aussi se fonder sur des stipulations conventionnelles, le règlement intérieur de l'entreprise, le contrat de travail (article L. 3121-3 du code du travail) voire la simple demande de l'employeur (article L. 4122-1 du code du travail).
Quant aux « raisons de santé » -rédaction préférée par la commission des lois de l'Assemblée nationale à celle, initialement proposée, de « raisons médicales »-, elle autorise, par exemple, le port d'un masque respiratoire ou de bandages.
Dans ces différents cas de figure, cependant, l'objectif premier n'est pas la dissimulation du visage mais sa protection. Aussi constituent-ils peut-être moins une série d'exceptions qu'une explicitation du sens de l'interdiction posée par l'article premier du présent projet de loi -la dissimulation du visage n'étant proscrite que si elle présente un caractère intentionnel.
La tenue inscrite dans le cadre de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles
Les principales hypothèses sont ici le théâtre de rue ou le carnaval. L'Assemblée nationale, à l'initiative de sa commission des lois, a également entendu viser les tenues utilisées dans le cadre de pratiques sportives comme l'escrime.
En tout état de cause, comme le souligne l'étude d'impact, « au-delà de cette énumération des dérogations possibles, les forces de l'ordre auront pour mission d'appliquer avec discernement et souplesse l'interdiction nouvelle posée par la loi ».
Votre commission a adopté l'article 2 sans modification .
Article 3 - Sanctions encourues en cas de non respect de l'interdiction posée par l'article 1er
Cet article prévoit les sanctions qui pourront être prononcées en cas de non respect de l'interdiction de porter une tenue destinée à dissimuler son visage dans l'espace public posée par l'article 1 er du projet de loi.
La sanction prévue est en principe celle d'une amende contraventionnelle de deuxième classe -soit, en vertu du deuxième alinéa de l'article 131-13 du code pénal, un montant maximal de 150 euros-, mais l'article 3 ouvre la possibilité de compléter ou remplacer cette amende par un stage de citoyenneté.
Le choix d'une amende de deuxième classe répond à un souci de proportionnalité. Selon l'article 131-13 du code pénal qui détermine le montant des amendes prévues pour les contraventions, l'amende serait de 150 euros maximum.
1. Le choix d'une sanction adaptée
La sanction retenue par le projet de loi semble proportionnée à la gravité de l'infraction. En comparaison, la dissimulation volontaire du visage dans une manifestation sur la voie publique « afin de ne pas être identifié dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l'ordre public » est punie par une contravention de cinquième classe 36 ( * ) depuis l'adoption du décret du 19 juin 2009.
Par ailleurs, l'article 131-13 précité ne prévoit de peines spécifiques en cas de récidive que pour les contraventions de cinquième catégorie. La récidive de l'infraction créée par l'article 3 du projet de loi n'est donc pas punie d'une peine aggravée.
La sanction paraît d'autant plus adaptée que le deuxième alinéa de l'article 3 permet de prononcer à la place de l'amende ou en même temps que celle-ci l'obligation de suivre un stage de citoyenneté. Le projet de loi rend ainsi applicable le 8° de l'article 131-16 du code pénal qui prévoit que « l'obligation d'accomplir, le cas échéant à ses frais, un stage de citoyenneté » peut être prévue à titre de peine complémentaire par le règlement qui réprime une contravention.
Le stage de citoyenneté a été introduit par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Selon l'article R. 131-35 du code pénal, le principe de cette mesure est d'obliger la personne condamnée à suivre un stage dont l'objet est « de rappeler au condamné les valeurs républicaines de tolérance et de respect de la dignité de la personne humaine et de lui faire prendre conscience de sa responsabilité pénale et civile ainsi que des devoirs qu'implique la vie en société » . Cette disposition fait également référence à la mission d'insertion sociale du stage de citoyenneté.
Les articles R. 131-36 à R. 131-44 précisent les modalités de déroulement et d'organisation des stages de citoyenneté. Ceux-ci peuvent être collectifs, avoir lieu en sessions continues ou non. Le coût du stage, qui peut être mis à la charge de la personne condamnée, ne peut excéder 450 euros. Ces dispositions mentionnent explicitement la nécessité d'adaptation du contenu du stage à différents paramètres, dont les plus importants sont la personnalité de la personne condamnée et la nature de l'infraction qui a justifié le prononcé de cette mesure.
Lors des auditions, cette nécessité d' adapter le contenu de ce stage à la spécificité des situations en cause a été soulignée . En effet, l'attention de votre rapporteur a été attirée sur les risques de stigmatisation que pourraient emporter l'accomplissement de ce stage, en raison de sa dénomination et de son contenu. Il semble donc important que le stage s'apparente plutôt à une mesure d'accompagnement , destinée à être le point de départ d'un travail social et psychologique avec la personne qui le suit.
L'Assemblée nationale, lors de la discussion en première lecture, a rejeté un amendement qui visait à rendre le stage obligatoire. Le rapporteur et le Gouvernement ont rappelé que l' accord de la personne condamnée était indispensable pour le prononcé d'une telle mesure. Il semble en effet qu'en l'absence du consentement, le stage ne pourrait produire les effets escomptés.
Le Gouvernement indiquant dans l'étude d'impact ne pas envisager la forfaitisation de l'amende, il reviendrait donc au juge de proximité de se prononcer dans le cas où des poursuites seraient engagées.
Cependant, le ministère public pourra décider de proposer une alternative aux poursuites, en particulier la composition pénale prévue par l'article 41-2 du code de procédure pénale qui est applicable lorsque la personne reconnaît avoir commis l'infraction. Parmi les mesures applicables dans le cadre d'une composition pénale figure le stage de citoyenneté.
2. Les conditions de constatation de l'infraction
L'étude d'impact transmise par le Gouvernement indique les conditions dans lesquelles devrait être constaté le non respect de l'interdiction posée par l'article 1 er du projet de loi. L'article 78-2 du code de procédure pénale permet aux officiers et agents de police judiciaire de procéder à un contrôle d'identité qui doit les conduire à constater l'infraction, sans pour autant contraindre la personne à enlever le vêtement ou l'accessoire dissimulant le visage.
En cas de refus de se soumettre au contrôle d'identité, la personne dont le visage est dissimulé pourrait être conduite au poste de police ou de gendarmerie pour qu'il soit procédé à une vérification d'identité. En revanche, en matière contraventionnelle, la garde à vue et l'interpellation sont exclues.
Si lors de la vérification d'identité, qui ne permet de retenir la personne au poste que pour une durée maximale de quatre heures, celle-ci refuse toujours de permettre l'identification, le procureur de la République peut autoriser la prise d'empreintes digitales ou de photographies, sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 78-3 du code de procédure pénale.
La personne qui refuserait encore de procéder à ces prises de photographies se rendrait coupable du délit prévu par l'article 78-5 du code de procédure pénale, puni de trois mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende. La tenue pourrait alors être ôtée, le cas échéant, par la contrainte, au cours de la fouille de sécurité qui ouvrirait le placement éventuel en garde à vue.
Votre commission a adopté l'article 3 sans modification .
Article 4 - (section I ter nouvelle, art. 225-4-10 nouveau du code pénal) - Institution du délit de dissimulation forcée du visage
Cet article tend à compléter le chapitre V, consacré aux atteintes à la dignité de la personne, du titre II du livre II du code pénal par une section nouvelle intitulée « De la dissimulation forcée du visage » comprenant un article.
Serait incriminé le fait pour toute personne d'imposer à une ou plusieurs autres personnes de dissimuler leur visage par menace, violence, contrainte, abus d'autorité ou abus de pouvoir en raison de leur sexe.
Cette rédaction permet de couvrir les différents moyens de pression susceptibles d'être employés pour forcer le choix d'une personne 37 ( * ) .
L'Assemblée nationale a rétabli en séance publique la référence au sexe de la personne que la nouvelle rédaction proposée par sa commission des lois ne mentionnait plus. Faute de cette précision, le champ de l'incrimination risquait de présenter un caractère excessif. Il est nécessaire, en effet, de déterminer le mobile de l'auteur de la violence. En outre, de fait, les victimes de ces actes sont des femmes.
L'Assemblée nationale, à l'initiative de sa commission des lois, a alourdi les peines applicables à ce délit. Alors que le projet de loi déposé par le Gouvernement prévoyait une peine d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende, les députés ont porté l'amende à 30.000 euros. Surtout, ils ont aggravé les sanctions lorsque la victime était mineure au moment des faits : les peines seraient alors portées à deux ans d'emprisonnement et 60.000 euros d'amende.
Cette infraction complètera utilement le dispositif pénal en vigueur réprimant les violences exercées à l'encontre des mineurs ou au sein du couple. Aux termes de l'article 222-13 du code pénal, les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ayant entraîné aucune incapacité de travail sont punies de trois ans d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende lorsque, notamment, elles sont commises sur un mineur de quinze ans ou par le conjoint ou le concubin de la victime.
Le législateur a consacré avec la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein du couple et aux incidences de ces dernières sur les enfants, la jurisprudence réprimant ces violences « quelles que soit leur nature, y compris s'il s'agit de violences psychologiques ».
Néanmoins, la preuve de la perturbation psychologique peut être délicate à apporter. Les éléments constitutifs de l'incrimination proposée par le présent article devraient être plus aisés à réunir, garantissant ainsi une meilleure protection des victimes. Lorsque le trouble psychologique est avéré, la qualification plus rigoureuse de l'article 222-13 du code pénal devrait cependant -selon l'adage major poena minorem absorbat et la jurisprudence de la Cour de cassation- être retenue.
Dès lors que l'utilisation de la contrainte sera avérée en vertu du principe posé par l'article 122-2 du code pénal selon lequel « n'est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l'empire d'une force ou d'une contrainte à laquelle elle n'a pas pu résister », la personne ayant dissimulé son visage ne pourra pas se voir appliquer les sanctions prévues par l'article 3 du projet de loi.
Votre commission a adopté l'article 4 sans modification .
Article 5 - Entrée en vigueur différée des articles 1er à 3
Cet article dispose que les trois premiers articles du projet de loi n'entreront en vigueur que six mois après la promulgation de la loi.
Il s'agit donc de laisser un délai de six mois avant que l'interdiction de dissimuler son visage dans l'espace public ne soit effective puisque le différé concerne l'interdiction et sa sanction. Cependant, l'article 5 ne vise pas la dissimulation forcée du visage introduite par l'article 4, qui entrera donc en vigueur immédiatement.
Ce délai de six mois doit permettre d'effectuer le travail de pédagogie nécessaire avant la mise en oeuvre effective de l'interdiction. Ce procédé de l'entrée en vigueur différée avait été choisi lors de l'adoption de la loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics 38 ( * ) .
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la justice et des libertés, a indiqué lors de la discussion du texte en première lecture à l'Assemblée nationale que : « durant ces six mois, avec les autorités religieuses, les associations, les collectivités territoriales et l'ensemble de la police et de la gendarmerie, le but sera bien d'aller contacter chacune [des femmes concernées]. »
Votre commission a adopté l'article 5 sans modification .
Article 6 - Application territoriale
Cet article précise que la loi s'applique sur l'ensemble du territoire de la République. Le projet n'établit pas de différence entre l'application en métropole et outre-mer. De même que pour la loi de 2004 précitée, les valeurs républicaines défendues par l'interdiction de dissimulation du visage dans l'espace public ne peuvent varier selon le territoire de la République en cause.
L'étude rendue par le Conseil d'État a d'ailleurs précisé que concernant la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, une interdiction applicable à l'ensemble du territoire de la République ne posait pas de problèmes au regard de la répartition des compétences entre l'État et ces collectivités, puisque dans chacune d'elles, l'État reste compétent en matière de garantie des libertés publiques, de droit pénal et d'ordre public 39 ( * ) .
Votre commission a adopté l'article 6 sans modification .
Article 7 - Remise d'un rapport au Parlement sur l'application de la loi
Cet article impose au Gouvernement la remise d'un rapport sur l'application de la loi au Parlement dix-huit mois après sa promulgation. Le texte du projet de loi prévoyait que ce rapport détaillerait les mesures d'accompagnement prises par le Gouvernement ainsi que les difficultés rencontrées dans l'application de la loi. La rédaction retenue par la commission des lois de l'Assemblée nationale et maintenue à l'issue de la séance publique prévoit également, de manière plus générale, un bilan de la mise en oeuvre de la loi. Selon le rapporteur de l'Assemblée nationale, ce bilan devrait notamment permettre de préciser les données quantitatives sur le nombre des infractions prévues aux articles 3 et 4 du projet de loi effectivement relevées pendant cette période.
Votre commission a adopté l'article 7 sans modification .
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Votre commission a adopté le présent projet de loi sans modification .
* 26 Avis du CE du 3 mai 2000, Melle Marteaux.
* 27 CEDH, 26 septembre 1995, Vogt c/ Allemagne.
* 28 Article premier de cette loi codifié à l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation.
* 29 CE, 8 octobre 2004, Union française pour la cohésion nationale.
* 30 CEDH, 30 juin 2009, n° 43563/08, Aktas.
* 31 Ainsi une vendeuse peut se voir interdire de porter un « foulard dissimulant totalement le cou et une partie du visage » (Cour d'appel de Paris, 16 mars 2001).
* 32 Civ. 3, 13 mai 2009, n° 08-14640.
* 33 TGI Paris, 23 octobre 1986, confirmé par CA Paris, 19 novembre 1986.
* 34 CE 19 octobre 1956, Société Le Béton.
* 35 Article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques.
* 36 Art. R. 645-14 du code pénal, créé par l'article 1 er du décret n° 2009-724 du 19 juin 2009 relatif à l'incrimination de dissimulation illicite du visage à l'occasion de manifestations sur la voie publique.
* 37 Les références à la menace, violence et contrainte sont empruntées aux incriminations concernant les agressions sexuelles (article 222-22 et suivant), celles à l'abus d'autorité ou de pouvoir à l'article 121-7 du code pénal définissant la notion de complicité (la jurisprudence prend en considération l'autorité légale ou morale - Crim. 24 novembre 1953).
* 38 Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004.
* 39 Article 14 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française et article 21 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.