EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est invité à examiner la proposition de loi relative au régime de publicité applicable devant les juridictions pour mineurs, adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture le 16 février 2010 à l'initiative de MM. François Baroin et Jack Lang.
L'objectif de ce texte est d'introduire une dérogation au principe de la publicité restreinte des débats devant les juridictions pour mineurs, en autorisant la publicité de ces débats lorsque l'accusé, mineur au moment des faits, est devenu majeur.
Ce faisant, cette proposition de loi soulève la question de l'équilibre défini par notre droit entre les principes, consacrés par le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme, de publicité des débats, d'une part, et de spécificité du droit pénal applicable aux mineurs, d'autre part.
Pour les auteurs de la proposition de loi, il s'agit de renforcer le droit au procès public, « gage d'un bon fonctionnement de la justice, de sa transparence, de la garantie des droits de la défense, du respect dû aux victimes, et de la nécessaire dose de pédagogie que comporte toute procédure judiciaire vis-à-vis de la société » (exposé des motifs), en donnant au juge la possibilité de décider de la publicité des débats, lorsque l'auteur des faits comparaît majeur devant la juridiction.
Votre commission, profondément attachée au principe de spécialité du droit pénal des mineurs, gage de protection de ces derniers, considère qu'une modification de la procédure applicable devant les juridictions pour mineurs, tendant à permettre à celles-ci de passer outre le refus d'un mineur devenu majeur d'être jugé en public, ne devrait être envisagée que dans le cadre d'une refonte globale du dispositif de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.
I. LA PUBLICITÉ RESTREINTE DEVANT LES JURIDICTIONS POUR MINEURS : UN PRINCIPE QUI DÉCOULE DE LA SPÉCIALITÉ DU DROIT PÉNAL DES MINEURS
A. UNE EXCEPTION AU PRINCIPE DE PUBLICITÉ
Dans une société démocratique, la publicité des débats apparaît comme une garantie de transparence et d'impartialité de l'institution judiciaire. Telle est la raison pour laquelle le principe de publicité figure parmi les principes fondamentaux de la procédure pénale :
- l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule ainsi que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle » ;
- le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, considère quant à lui que les articles 6, 8, 9 et 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen rendent nécessaire que « le jugement d'une affaire pénale pouvant conduire à une privation de liberté [fasse], sauf circonstances particulières nécessitant le huis clos, [...] l'objet d'une audience publique ».
De son côté, la Cour de cassation considère que le principe de publicité présente un caractère d'ordre public 1 ( * ) et sanctionne sa méconnaissance par la nullité de la procédure 2 ( * ) .
Le principe de publicité se décline en deux volets :
- d'une part, il implique que le public ait accès à la salle d'audience , afin de pouvoir assister aux débats ;
- d'autre part, il autorise les journalistes à diffuser dans la presse les comptes-rendus des débats auxquels ils ont assisté, l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse disposant que « ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte-rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux » 3 ( * ) .
Le principe de publicité n'est toutefois pas un principe absolu, et son application peut être aménagée afin d'assurer la sécurité publique, l'équité de la procédure ou le respect d'autres droits fondamentaux tels que la présomption d'innocence ou la dignité de la personne 4 ( * ) .
L'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des droits fondamentaux stipule ainsi que « l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice ».
Le Conseil constitutionnel considère également que des « circonstances particulières » peuvent justifier que les débats aient lieu à huis-clos (décision précitée).
Devant la cour d'assises, l'article 306 du code de procédure pénale prévoit ainsi que le huis-clos peut être ordonné si la publicité risque d'être « dangereuse pour l'ordre ou les moeurs ». Il est également ordonné de plein droit à la demande de la victime partie civile ou de l'une des victimes parties civiles lorsque les poursuites sont exercées du chef de viol ou de tortures et actes de barbarie accompagnés d'agressions sexuelles.
Devant le tribunal correctionnel, l'article 400 du code de procédure pénale permet au tribunal correctionnel d'ordonner que les débats auront lieu à huis-clos s'il constate dans son jugement que la publicité « est dangereuse pour l'ordre, la sérénité des débats, la dignité de la personne ou les intérêts d'un tiers ».
En tout état de cause, l'arrêt ou le jugement sur le fond est toujours prononcé en audience publique.
Toutefois, la principale dérogation au principe de publicité des débats est apportée par la procédure spéciale applicable devant les juridictions pour mineurs .
* 1 Cass. Crim., 10 juillet 1974.
* 2 Cass. Crim., 1 er juin 1988.
* 3 En revanche, l'emploi d'appareils d'enregistrement ou d'appareils photographiques pendant l'audience est interdit depuis une loi du 6 décembre 1954 afin de préserver la sérénité des débats et la dignité des personnes entendues.
* 4 F. Desportes, L. Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, Economica, 2009, § 431 et suivants.