N° 610

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 juillet 2010

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire (1), comportant le texte de la commission, sur la proposition de résolution européenne de M. Jean BIZET présentée au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur le marché du lait ,

Par M. Gérard BAILLY,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Paul Emorine , président ; MM. Gérard César, Gérard Cornu, Pierre Hérisson, Daniel Raoul, Mme Odette Herviaux, MM. Marcel Deneux, Daniel Marsin, Gérard Le Cam , vice-présidents ; M. Dominique Braye, Mme Élisabeth Lamure, MM. Bruno Sido, Thierry Repentin, Paul Raoult, Daniel Soulage, Bruno Retailleau , secrétaires ; MM. Pierre André, Serge Andreoni, Gérard Bailly, Michel Bécot, Joël Billard, Claude Biwer, Jean Bizet, Yannick Botrel, Martial Bourquin, Jean Boyer, Jean-Pierre Caffet, Yves Chastan, Alain Chatillon, Roland Courteau, Jean-Claude Danglot, Philippe Darniche, Marc Daunis, Denis Detcheverry, Mme Évelyne Didier, MM. Philippe Dominati, Michel Doublet, Daniel Dubois, Alain Fauconnier, Alain Fouché, Serge Godard, Francis Grignon, Didier Guillaume, Michel Houel, Alain Houpert, Mme Christiane Hummel, M. Benoît Huré, Mme Bariza Khiari, MM. Daniel Laurent, Jean-François Le Grand, Philippe Leroy, Claude Lise, Roger Madec, Michel Magras, Hervé Maurey, Jean-François Mayet, Jean-Claude Merceron, Jean-Jacques Mirassou, Jacques Muller, Robert Navarro, Louis Nègre, Mmes Renée Nicoux, Jacqueline Panis, MM. Jean-Marc Pastor, Georges Patient, François Patriat, Jackie Pierre, Rémy Pointereau, Ladislas Poniatowski, Marcel Rainaud, Charles Revet, Roland Ries, Mmes Mireille Schurch, Esther Sittler, Odette Terrade, MM. Michel Teston, Robert Tropeano, Raymond Vall.

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Sénat :

590 (2009-2010)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La crise du lait, particulièrement violente, intervenue à partir de la mi-2008 et qui a pris toute son ampleur en 2009, a été le baromètre de la crise agricole.

Connaissant une situation inédite dans un secteur traditionnellement stable , la filière laitière est le symbole des bouleversements liés à l'exposition plus forte de l'agriculture aux marchés, mise en oeuvre dans le cadre des réformes successives de la politique agricole commune (PAC).

La commission des affaires européennes du Sénat avait analysé dès juin 2009 l'évolution des prix du lait dans les États membres de l'Union européenne 1 ( * ) , montrant, derrière les spécificités nationales, une tendance commune et le besoin d'une nouvelle visibilité et d'une cohérence de la politique européenne.

La commission de l'économie du Sénat, pour sa part, a mis en évidence le besoin d'une nouvelle régulation à la fois européenne et nationale du marché du lait 2 ( * ) , suite à l'avis rendu sur la demande de son président, Jean-Paul Émorine, par l'Autorité de la concurrence, sur la situation du marché du lait.

Au-delà de la crise conjoncturelle, la perspective de la fin des quotas laitiers au 1 er avril 2015 , avec relèvement progressif de ceux-ci chaque année jusqu'en 2015, décidée dans le cadre du bilan de santé de la PAC, avait en effet profondément bouleversé le secteur et changé ses perspectives .

Devant l'ampleur prise par le problème du lait au niveau européen, Mme Fischer Boel, alors commissaire européen chargé de l'Agriculture et du développement rural, a annoncé, le 5 octobre 2009, la création d'un groupe d'experts de haut niveau (GHN) ayant pour mission de faire des propositions pour ce secteur.

Rendu le 15 juin 2010, le rapport du GHN constitue la base de discussions en vue d'une proposition législative de la commission attendue à la fin 2010.

La commission des affaires européennes a souhaité réagir rapidement après la sortie du rapport du GHN , sans laisser passer l'été, afin de prendre pied dans le débat qui s'ouvre sur la réforme de la PAC après 2013, à travers une proposition de résolution européenne.

Cette initiative s'appuie sur plusieurs auditions déjà menées par le groupe de travail commun à la commission de l'économie et à la commission des affaires européennes sur la PAC, constitué en mai 2010 3 ( * ) .

Si les conclusions du GHN vont dans le bon sens, celui d'une régulation européenne qui, il y a peu, paraissait encore incongrue, les pistes ouvertes devront se traduire par des dispositifs consistants et ambitieux dans le futur texte législatif européen.

La crise agricole a fait prendre conscience qu'un changement de cap était nécessaire pour la PAC. Sans revenir sur les acquis du passé et défendre une vision administrée de la PAC, car la France se trouverait vraisemblablement seule à Bruxelles pour la soutenir, il convient de faire évoluer les instruments financiers et juridiques de la PAC, de manière à rechercher une plus grande stabilité des marchés.

Le défi de l'après 2013 passe donc d'abord par le lait.

I. LES PROPOSITIONS DU GROUPE DE HAUT NIVEAU SUR LE LAIT : UN DÉBUT DE RÉPONSE AU DÉFI DE L'ORGANISATION DU SECTEUR LAITIER EUROPÉEN.

A. LE SECTEUR LAITIER EUROPÉEN EN PLEIN BOULEVERSEMENT.

1. L'Europe laitière en ordre dispersé devant une crise sans précédent.
a) Une crise laitière d'une ampleur et d'une violence inattendues, qui bouleverse les repères.

Après une montée très forte et générale dans toute l'Europe des prix du lait en 2007 et 2008, la tendance s'est retournée avec la crise économique européenne et les prix sont tombés en dessous de leur niveau tendanciel de long terme, à un peu plus de 200 € la tonne début 2009, soit en dessous des niveaux de prix déclenchant les mesures de soutien prévues par le règlement européen OCM unique 4 ( * ) .

Depuis le deuxième semestre 2009, le marché du lait s'est à nouveau stabilisé avec des prix en hausse pour atteindre 284 euros la tonne en novembre 2009 et se maintenir à ce niveau, alors que le premier semestre 2010 aurait dû enregistrer une baisse, conformément au schéma saisonnier du marché du lait 5 ( * ) .

Les variations de prix, particulièrement fortes, ont déstabilisé la filière laitière, habituée à une grande stabilité . Les relations entre producteurs et acheteurs s'en sont trouvées compliquées, car les parties n'arrivaient pas à s'accorder sur les prix, dès lors que le marché suivait une évolution inattendue.

En France, le système des négociations interprofessionnelles sur le prix du lait, menées entre producteurs et transformateurs dans le cadre du Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (CNIEL), a volé en éclats en mai 2008 sous l'effet de la hausse des prix : il apparaissait largement contraire à la libre concurrence et le CNIEL a abandonné ses recommandations de prix, devant le risque de voir ce système qualifié d'entente illégale par les autorités communautaires.

C'est dans un contexte radicalement différent d'effondrement des prix payés aux producteurs qu'un encadrement national des relations entre producteurs et acheteurs a été conclu avec l'accord du 3 juin 2009, afin de garantir un prix-cible de lait entre 262 et 280 € pour 1000 litres. Mais cet accord a été appliqué de manière très imparfaite.

A l'expiration de celui-ci, le nouvel accord conclu le 30 juin 2010 a été très difficile à obtenir, les parties ayant des vues divergentes sur le juste prix du lait.

b) L'émergence d'une concurrence intra-européenne.

Le secteur laitier est soumis depuis quelques années à une concurrence de plus en plus forte au sein de l'Union européenne.

Certes, les mouvements physiques de lait sont faibles entre États membres. Toutefois, dès lors qu'il n'y a pas de spécificité géographique (zone d'appellation d'origine contrôlée) ou un positionnement de leur production sur un segment de marché porteur (comme le lait biologique), les producteurs sont mis en concurrence à travers l'aval de la filière : les transformateurs, qu'ils soient industriels privés ou en coopératives .

La contrainte de compétitivité pèse en effet sur l'industrie laitière qui fabrique à grande échelle des produits standardisés comme l'emmental, ou encore des produits industriels comme la poudre de lait ou le beurre en vrac.

L'Allemagne, qui s'est lancée depuis quelques années dans une stratégie de réduction de ses coûts de production dans le secteur agricole, gagne ainsi des parts de marché au détriment de ses voisins. D'après la Fédération nationale des industries laitières (FNIL), en 2009, le prix du lait payé aux producteurs allemands était 15 % inférieur au prix payé aux producteurs français.

En réalité, l'Allemagne semble avoir misé durant la crise du lait sur une stratégie de compensation des baisses de prix par une hausse des volumes , permise par l'assouplissement des quotas dans le cadre de l'atterrissage en douceur (hausse progressive des quotas) mise en oeuvre par l'Union européenne avant leur suppression complète en 2015, alors que d'autres États comme la France ont contingenté leur production, espérant ainsi faire remonter les cours.

Cette nouvelle concurrence européenne rend impuissantes les stratégies de régulation nationale du secteur laitier qui viseraient à fixer des prix du lait déconnectés des prix de marchés . Dans ces conditions, l'industrie est incitée à se fournir chez nos voisins européens, ce qu'elle ne s'est d'ailleurs pas privée de faire en 2009.

Le secteur laitier allemand

Le secteur laitier allemand est l'un des plus performants d'Europe, et occupe une place prépondérante dans l'industrie agro-alimentaire du pays, avec près de 22 milliards d'euros par an.

En 2008 les quelques 99 400 exploitations laitières ont produit près de 28,4 millions de tonnes de lait, soit 20 % de la production globale européenne, au premier rang européen devant la France et ses 23 millions de tonnes de lait.

La production de lait est concentrée en Bavière (27,1 % de la production nationale) et Basse-Saxe.

Il existe une grande variété dans l'amont de la filière (coexistence de grandes fermes laitières et de petites exploitations) que dans l'aval, avec des petites laiteries qui jouxtent des exploitations industrielles plus importantes, mais l'aval connaît depuis quelques années une tendance à la concentration.

2. La fin des quotas oblige à rechercher de nouveaux mécanismes.
a) Le lait : un marché pas comme les autres.

Les spécificités du secteur laitier justifient que le marché soit organisé , faute de quoi il connaîtrait des déséquilibres importants.

La première particularité du marché du lait tient au caractère non stockable du produit : le lait doit être collecté tous les trois jours, sinon il devient inutilisable. Le producteur est donc très dépendant de ses acheteurs.

La deuxième particularité tient à l'absence de maîtrise de sa production à court terme par l'éleveur : il n'a pas le choix de traire ou non les vaches, c'est une obligation. Et celles-ci produisent une quantité de lait peu maîtrisable, y compris par l'alimentation. Une des seules possibilités d'augmenter ou diminuer la production consiste à adapter la taille du cheptel, ce qui, à l'échelle d'un bassin laitier, peut prendre plusieurs années.

Enfin, le marché du lait se caractérise par une grande dispersion des producteurs face à une industrie de transformation très concentrée : le pouvoir de marché est donc structurellement déséquilibré en défaveur des premiers.

b) La fin des quotas en 2015 bouleverse l'économie laitière européenne.

La décision de supprimer les quotas a été prise dans le cadre du bilan de santé de la PAC dans le but de libérer le potentiel de production des éleveurs européens.

Or les quotas ont constitué depuis leur instauration en 1984 le moyen de réguler la production laitière et d'obtenir une certaine stabilité de ce marché en Europe, tout en supprimant les stocks qu'avaient permis les mécanismes d'intervention en vigueur avant 1984.

Le contingentement de la production européenne n'a cependant pas pu être maintenu. D'abord, les quotas ne sont pas tenables dans un marché internationalisé . Ils ne garantissent pas un prix qui puisse s'éloigner durablement des cours mondiaux, dans la mesure où les industriels pourraient dans ce cas s'approvisionner à l'étranger. Le rétablissement des quotas n'apporterait ainsi pas une solution miracle à la crise du lait en Europe.

Au demeurant ? il n'existe pas aujourd'hui une majorité au Conseil des ministres de l'Union européenne pour décider d'un tel retour en arrière .

Par ailleurs, on peut souligner que l'Union européenne est en sous-réalisation de ses quotas de 7 % en 2009.

Il faut donc réinventer une régulation nouvelle, passant par de nouveaux outils, dans l'ère de l'après-quotas. Imaginer ces outils constituait la mission du GHN.

c) La crise du lait provoque un changement d'approche des européens.

La crise du lait a renforcé au demeurant les tenants de la régulation. Le rapport du GHN marque d'ailleurs un changement d'état d'esprit. L'idée même d'un marché organisé était considérée comme un combat d'arrière-garde il y a peu.

Les européens viennent de redécouvrir les vertus du volontarisme politique pour rattraper la crise laitière . De fait, la remontée des cours depuis le début de l'année 2010 a été favorisée par les mesures prises tout au long de l'année 2009.

Les mécanismes d'intervention, stockage public et aide au stockage privé, se sont révélés efficaces. Et les dégagements de stocks effectués avec la remontée des cours ont pu être mis en oeuvre par la commission sans provoquer des chutes de cours.

S'il est encore trop tôt pour proclamer la sortie de crise, le marché du lait est désormais bien orienté, donnant aux producteurs une bouffée d'air bienvenue. Et la régulation européenne a fait la preuve de son utilité.

Les mesures prises par l'UE pour faire face à la crise du lait.

- été 2008 : extension du programme de distribution de lait dans les écoles aux établissements secondaires.

- octobre 2009 : possibilité d'avancement d'un mois et demi de 70 % des paiements directs aux agriculteurs, prolongation de la période d'intervention pour le beurre et le lait écrémé et autorisation des États membres à verser aux agriculteurs des aides plafonnées à 15 000 €.

- décembre 2009 : déblocage d'un crédit de 300 millions d'euros pour le soutien aux producteurs de lait.

3. Les trois défis du secteur du lait.

Avant d'imaginer les outils de la nouvelle régulation du secteur laitier, il est nécessaire de définir les objectifs de cette régulation.

De ce point de vue, le monde agricole s'accorde pour estimer que la PAC devrait garantir un revenu décent aux éleveurs, à travers des prix rémunérateurs .

Simplement, les voies pour y parvenir divergent :

- certaines organisations syndicales agricoles préconisent une régulation quantitative, à travers le maintien de quotas de production, qui pourraient être trimestriels, à l'instar du Canada ou d'Israël. Mais très peu voire aucun des États membres de l'Union n'est susceptible de défendre une telle orientation.

- d'autres organisations réfutent une telle économie administrée du lait et soulignent que c'est le marché, c'est-à-dire le prix de vente de la production, qui demain, plus encore qu'hier, contribuera au revenu des agriculteurs .

Les industriels et les coopératives ne peuvent durablement payer le lait plus cher que leurs concurrents, faute de quoi ils disparaîtront du paysage économique.

Dans un secteur orienté vers le marché, la nouvelle régulation doit donc viser trois objectifs :

- atteindre des coûts de production compétitifs ;

- offrir tant aux producteurs qu'à leurs acheteurs une certaine stabilité des prix et des volumes, à moyen terme ;

- obtenir une juste répartition de la valeur ajoutée dans la filière.


* 1 Rapport d'information n° 481 (2008-2009) déposé le 23 juin 2009 par M. Jean Bizet au nom de la commission des affaires européennes, sur le prix du lait dans les États membres de l'Union européenne.

* 2 Rapport d'information n° 73 (2009-2010) déposé le 30 octobre 2009 par MM. Jean-Paul Emorine et Gérard Bailly, au nom de la commission de l'économie, sur l'avis de l'Autorité de la concurrence relatif au fonctionnement du secteur laitier.

* 3 Ce groupe est co-présidé par MM. Jean-Paul Emorine et Jean Bizet, Mmes Odette Herviaux et Bernadette Bourzai.

* 4 Règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (règlement «OCM unique»).

* 5 Commission européenne - rapport trimestriel sur le marché laitier - 29 juin 2010.

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