II. LA PROPOSITION DE LOI : L'ÉTAGE LÉGISLATIF D'UNE FUSÉE À TROIS ÉTAGES

Trois types de mesures complémentaires s'avèrent ainsi nécessaires :

- en premier lieu, pour encadrer la mise en place de la contribution numérique . En effet, les principaux réseaux ont déjà engagé la mutation numérique de leurs salles. Ils y sont d'ailleurs fortement incités par la multiplication des films en numérique et le développement de la 3D, le succès du film « Avatar » en étant l'une des récentes illustrations.

Selon Cinego.net, à ce jour, 1 436 salles sont numérisées en France , réparties dans 469 établissements (sur un total de 5 470 écrans exploités par 2 066 établissements) ;

- en second lieu, pour permettre l'équipement de l'ensemble des salles . Les petits et moyens exploitants, notamment ceux qui exploitent les films plusieurs semaines après leur sortie ou qui disposent de peu d'écrans, peuvent aujourd'hui difficilement entrer dans ce type de montage contractuel, car ils ne génèrent pas suffisamment de contributions en vue de financer leurs investissements. Certaines dispositions de la proposition de loi, et surtout un dispositif spécifique d'aides publiques vont dans ce sens ;

- enfin, pour réglementer le domaine des engagements de programmation et celui de la diffusion de programmes dits « hors film » dans les salles numérisées.

En définitive, il s'agit de créer les conditions permettant à l'ensemble des acteurs concernés - les professionnels mais aussi les spectateurs - de bénéficier pleinement des avancées permises par la technologie numérique, tout en évitant les effets potentiellement pervers de cette mutation.

A. LA PROPOSITION DE LOI POUR GÉNÉRALISER ET ENCADRER LE DISPOSITIF DE LA CONTRIBUTION NUMÉRIQUE

La proposition de loi vise à généraliser et à encadrer le système de la contribution numérique contractuelle. Elle ne crée pas de nouvelle taxe, mais organise la redistribution d'une partie des économies réalisées par les distributeurs en direction des exploitants. Il ne s'agit pas d'une contribution pérenne, puisqu'elle ne sera plus versée une fois la couverture du coût de la transition numérique assurée dans l'ensemble des salles.

L'encadrement du dispositif de contribution numérique a pour double objectif de maintenir la liberté de programmation des exploitants et de garantir la maîtrise par les distributeurs de leurs plans de diffusion des films, c'est-à-dire le libre accès aux films pour les uns et le libre accès aux salles pour les autres.

En effet, le système contractuel actuel pourrait favoriser le placement de copies numériques au détriment des autres films pendant la période de transition et entraîner une accélération de la rotation des films, ce qui serait préjudiciable à leur bonne exposition. Les films les plus fragiles seraient bien sûr les premiers touchés.

A cette fin, le texte veille à assurer l'étanchéité entre d'une part, les contrats de contribution numérique et, d'autre part, la négociation sur les conditions de location et d'exposition d'un film.

Le respect de ce cadre s'exercera sous le contrôle du CNC et du Médiateur du cinéma.

Les dispositions essentielles du texte sont les suivantes :

- la contribution numérique est exigible, par salle, durant les deux premières semaines suivant la sortie nationale du film, et - comme l'a précisé l'Assemblée nationale - au-delà lorsque l'oeuvre est mise à disposition dans le cadre d'un élargissement du plan initial de sortie du film. Elle est donc fixée sur le pic du tirage des copies. Les professionnels que nous avons rencontrés lors du Festival de Cannes nous ont convaincus de la pertinence de cette solution ;

- en revanche, la contribution n'est pas exigible lorsque les films sont mis à disposition pour une exploitation dite « en continuation », c'est-à-dire lorsqu'une salle reprend une copie déjà existante ;

- comme l'a précisé l'Assemblée nationale, la contribution n'est due que pour l'installation initiale des équipements de projection numérique, et non pour leur renouvellement. Elle ne sera plus requise une fois assurée la couverture du coût des équipements, compte tenu des autres financements de l'exploitant et, en tout état de cause, au delà d'un délai de dix ans après l'installation initiale des équipements de projection numérique, sans que ce délai ne puisse excéder le 31 décembre 2021 ;

- l'Assemblée nationale a précisé qu'elle serait due aux salles homologuées avant le 31 décembre 2012 ;

- elle a, en outre, prévu que le financement de l'équipement puisse être mutualisé (entre exploitants ou par des intermédiaires financeurs) ; en effet, en l'absence d'un système généralisé et obligatoire, seules les salles les plus « rentables » pourraient s'équiper, les plus petites salles étant dans l'incapacité d'attirer les investisseurs pour assurer leur numérisation. C'est pourquoi, en permettant leur regroupement en vue de mutualiser la collecte des contributions, le texte leur permet de s'organiser pour assurer cette transition, avec ou sans l'aide de tiers ;

- elle a aussi prévu que la contribution numérique sera également due par les personnes qui soit mettent à la disposition de l'exploitant soit lui louent une salle de projection en vue de diffuser des programmes dits « hors film », comme la captation de spectacles vivants ou la retransmission de compétitions sportives ou d'émissions audiovisuelles.

En contrepartie de ces obligations, des garanties sont apportées à la fois aux distributeurs et aux exploitants :

- le montant de la contribution doit rester inférieur à la différence entre le coût de la mise à disposition d'une oeuvre sur support photochimique et celui de la mise à disposition d'une oeuvre sous forme de fichier numérique.

Le Médiateur du cinéma - qui a la confiance de tous les professionnels - pourra être saisi de tout litige relatif à la contribution numérique. Sur la proposition de nos collègues députés Patrick Bloche et Franck Riester, l'Assemblée nationale a précisé qu'il pourra demander la transmission du contrat de location des films, ce qui garantira davantage la transparence et l'étanchéité du dispositif.

- par ailleurs, toute clause contractuelle qui ferait dépendre du versement de la contribution, soit les choix de distribution ou de programmation, soit le taux de location, serait nulle de plein droit, ceci « afin de préserver la diversité de l'offre cinématographique » ;

- un comité de concertation professionnelle est chargé d'élaborer des recommandations de bonne pratique. Comme le demandaient les professionnels, l'Assemblée nationale a prévu qu'il puisse s'ouvrir aux autres acteurs du secteur si l'ordre du jour l'exigeait ;

- à la suite des réunions de concertation auxquelles votre rapporteur a participé, l'Assemblée nationale a aussi adopté un article additionnel après l'article 2, prévoyant une clause de rendez-vous un an après la promulgation de la loi ainsi qu'un comité de suivi parlementaire composé de deux députés et de deux sénateurs chargé d'évaluer le fonctionnement du nouveau dispositif. Ce comité disposera du concours du CNC, lequel devra produire un rapport sur la mise en oeuvre de la loi.

Le comité de suivi, le comité de concertation professionnelle et le Médiateur du cinéma devront, chacun dans son rôle, vérifier l'étanchéité entre le versement de la contribution numérique et la programmation, ainsi que le respect des engagements de programmation et des plans de diffusion des films.

- par ailleurs, l'Assemblée a adopté un amendement de notre collègue député Marcel Rogemont tendant à lier le principe du versement par le CNC d'une aide financière destinée à financer l'équipement numérique d'un établissement au respect d'engagements de programmation. Ceci est essentiel ;

- enfin, avec l'article 5 (nouveau), l'Assemblée a répondu à la forte demande des exploitants concernant la fixation de la valeur locative des locaux monovalents, compte tenu de la nécessité de maintenir des cinémas en centre ville. Ainsi, la référence aux usages de la profession pour fixer le loyer des salles de cinéma sera obligatoire, et non plus facultative.

La proposition de loi est donc globalement consensuelle, sur les principes et sur l'urgence à les mettre en oeuvre. Même s'il est évident que, le secteur étant composé d'acteurs aux intérêts parfois violemment divergents et l'aventure numérique emportant de légitimes inquiétudes, il a été un peu compliqué de trouver un texte d'équilibre. Votre rapporteur estime néanmoins qu'il est aujourd'hui atteint.

Le dispositif doit garder une certaine souplesse afin que les acteurs le fassent vivre. Il conviendra de suivre avec vigilance son application et de se remettre à l'ouvrage si cela s'avérait nécessaire.

Néanmoins, il convient de faire confiance aux professionnels, au comité de concertation professionnelle, au CNC et au Médiateur du cinéma pour qu'une application intelligente du texte permettent d'en satisfaire tous les objectifs.

Votre commission s'est certes interrogée sur la question du formalisme du contrat de location de films, les professionnels privilégiant la forme orale à l'écrit. Comme précisé dans la seconde partie du présent rapport, elle a préféré, à ce stade, en rester aux dispositions prévues sur ce point par l'ordonnance n° 2009-1358 du 5 novembre 2009.

Pour toutes les raisons évoquées précédemment, votre commission a adopté la présente proposition de loi sans modification dans la rédaction de l'Assemblée nationale.

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