C. 2010 : L'IMPASSE AYANT CONDUIT À L'ÉLABORATION DE LA PRÉSENTE PROPOSITION DE LOI
1. Parmi les facteurs à prendre en compte : l'évolution du marché
Tous les acteurs en présence s'accordent sur le fait que la question de la numérisation des salles de cinéma recouvre plusieurs volets indissociables :
- un volet culturel et d'aménagement du territoire , les deux étant liés. En, effet, il s'agit de favoriser la diversité culturelle et de veiller à ce que les exploitants gardent toute liberté en matière de programmation des films dans leurs salles ; il faut aussi aider les cinémas de petite et moyenne taille à acquérir les équipements numériques au même rythme que les grandes salles. A défaut, elles ne survivraient pas à la concurrence de ces dernières ;
- un volet financier, car la diffusion des films sous forme de fichiers numériques en salle de cinéma nécessite des investissements importants de la part des exploitants de salles. Elle suppose l'acquisition d'un nouveau matériel beaucoup plus coûteux que le matériel traditionnel de projection de pellicules « 35 mm » et la réalisation, le plus souvent, de travaux architecturaux pour l'adaptation des cabines de projection. Ces investissements sont estimés à 80 000 euros en moyenne . Notre pays comptant plus de 5 400 écrans actifs, le montant total des investissements requis s'élève ainsi à plus de 430 millions d'euros ;
- et un volet social , car la révolution numérique implique une formation, et parfois une reconversion, des personnels concernés : les projectionnistes mais aussi les personnels des laboratoires. A cet égard, votre rapporteur insiste sur la nécessité d'accompagner les mutations qu'entraîne la « révolution numérique » pour l'ensemble des acteurs, y compris pour les industries techniques .
Or, le passage à la projection numérique profite très inégalement aux différents « maillons » de la filière cinématographique.
• Les avantages tirés de la projection
numérique pour les
exploitants
sont variables :
- peu de gain de qualité sauf pour certains films (notamment les films d'animation ou à effets spéciaux) et pour les films qui font l'objet d'une exploitation dans la durée (en raison de l'usure des copies « 35 mm ») ;
- mais une souplesse de programmation et un changement de films d'une séance à l'autre facilités ;
- un accès à l'offre de films en relief, qui augmente sensiblement avec l'avènement de la 3D ;
- la possibilité de diversifier la programmation avec la diffusion d'oeuvres non disponibles en « 35 mm », telles que des documentaires, la retransmission d'événements culturels (spectacles vivants, opéras, concerts) ou sportifs 5 ( * ) ;
- et l'automatisation partielle des projections permettant des gains de productivité.
• A contrario, le passage à la diffusion
numérique présente des avantages financiers très
conséquents pour les
distributeurs
:
- forte réduction du coût de tirage des copies (entre 150 à 300 euros en numérique, contre 600 à 2 000 euros en 35 mm) ;
- réduction des frais de transport et de stockage des copies.
Cette forte dichotomie entre les charges supportées par les exploitants et les avantages financiers pour les distributeurs a eu rapidement pour conséquence la tenue de négociations entre ces deux secteurs pour qu'une partie de l'économie réalisée par les distributeurs soit reversée aux exploitants pour couvrir une partie du financement de l'équipement.
Sans attendre l'élaboration d'un dispositif public, de nouveaux acteurs privés - appelé « tiers investisseurs » - ont proposé leur intermédiation et mis en place un modèle économique permettant la numérisation d'un certain nombre de salles, d'établissements surtout de grande taille mais aussi de plus petites ayant adhéré à un groupement permettant une mutualisation.
Ils ont suivi en cela les États-Unis , où est apparu le principe des frais de copie virtuelle ( VPF ou « Virtual Print Fee ») : pour chaque film distribué en numérique dans un établissement, le distributeur paye une somme forfaitaire représentant une partie de la différence entre le coût d'une copie « 35 mm » et celui d'une copie numérique. Ce principe d'une « contribution numérique » des distributeurs s'est par la suite imposé partout et il est aujourd'hui largement accepté par les distributeurs en France. La numérisation des exploitants les plus importants peut ainsi être financée par le marché.
Il est cependant essentiel que les pouvoirs publics s'assurent que la totalité du parc de salles puisse passer au numérique, en maintenant leur liberté et diversité de programmation. Les modèles de financement ne doivent pas interférer avec la liberté de programmation des exploitants et la maîtrise du plan de sortie des distributeurs ou exclure une partie des salles.
* 5 Qui relèvent de ce qu'il est convenu d'appeler le « hors film ».