IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : CONFORTER LA PROPOSITION DE LOI DES DÉPUTÉS
Votre commission partage sans réserve les objectifs poursuivis par cette proposition de loi. Il lui paraît en effet essentiel que tous les efforts soient mis en oeuvre pour que les faits de violences conjugales soient portés à la connaissance de la Justice, que leurs auteurs soient sanctionnés et que les victimes soient protégées.
Pour cette raison, votre commission a souhaité adopter cette proposition de loi, tout en lui apportant ponctuellement un certain nombre de modifications destinées à la conforter sur le plan juridique.
Tout d'abord, votre commission a souhaité modifier l'intitulé de la proposition de loi, afin de faire référence aux violences commises au sein du couple ou commises spécifiquement contre les femmes. S'il est avéré que les femmes constituent une majorité des victimes de violences conjugales, il n'en demeure pas moins que des hommes sont également victimes de telles violences et qu'ils peuvent également se prévaloir des dispositions créées par la présente proposition de loi. Toutefois, il convient de faire également référence aux violences commises spécifiquement contre les femmes, telles que l'excision, le mariage forcé ou l'ensemble des comportements reposant sur des préjugés sexistes (comme le harcèlement sexuel par exemple).
En ce qui concerne l'ordonnance de protection , votre commission a souhaité conforter son dispositif en renforçant les garanties qu'il présente. À cet égard, elle a décidé de la recentrer sur les violences au sein des couples et sur la victime. À ce titre, elle a supprimé la possibilité reconnue aux associations de saisir le juge avec l'accord de la partie intéressée, cette saisine extraordinaire n'étant pas conforme aux règles du procès civil. En revanche, elle a souhaité que le juge informe systématiquement la victime de son droit à être épaulée par une association.
S'agissant de la procédure , votre commission a simplifié pour la victime l'introduction de la demande en supprimant l'obligation d'assignation qui lui était faite et en chargeant le juge de convoquer, par tout moyen, l'autre partie. Elle a par ailleurs réaffirmé l'exigence du contradictoire, redonné au juge la possibilité de décider ou non de la tenue d'auditions séparées et explicité les éléments sur lesquels le juge devra fonder son appréciation, supprimant en conséquence l'idée selon laquelle l'ordonnance attesterait des violences, ce qui aurait lié l'appréciation ultérieure du juge pénal et n'aurait pas été conforme au caractère provisoire de l'ordonnance. Enfin, votre commission a organisé la procédure en deux temps afin de permettre au juge, après avoir rendu l'ordonnance de protection, de la modifier de sa propre initiative en considération des éléments nouveaux qui lui auraient été apportés par les mesures d'instruction qu'il aurait ordonnées.
S'agissant de l'autorité parentale , votre commission, après avoir constaté que les dispositions modifiées avaient vocation à s'appliquer à toutes les situations et pas uniquement à celles de violences au sein des couples, a souhaité conservé les principes sur lesquels repose actuellement le droit positif et maintenu volontairement ouverte la définition de l'intérêt de l'enfant. Elle a par ailleurs rétabli le pouvoir d'appréciation du juge en matière d'organisation du droit de visite des parents. En revanche, elle a précisé que le juge devrait prendre en compte, dans l'organisation des modalités de remise de l'enfant à l'autre parent, le danger auquel cette remise directe expose éventuellement l'un d'entre eux, et prévoir les garanties nécessaires, comme par exemple l'intervention d'un tiers de confiance ou d'une association qualifiée. Pour éviter toute exacerbation du conflit familial, elle a cependant supprimé la présence possible de l'association accompagnant le parent victime des violences dans ces démarches, au moment de la rencontre de l'autre parent avec son enfant. Votre commission a par ailleurs supprimé la disposition permettant la saisine du juge aux affaires familiales pour lever le refus d'un parent de consentir à des soins psychologiques sur son enfant, considérant que le juge disposait d'ores et déjà de la possibilité de se prononcer sur ce point.
Votre commission, sur proposition de son rapporteur, a également souhaité aménager la mesure de rétention dont pourrait faire l'objet une personne qui viole les obligations définies dans le cadre de son contrôle judiciaire. Votre commission a considéré qu'une telle mesure de rétention ne se justifiait qu'en raison de l'imminence d'un danger pour la victime : elle en a donc restreint le champ à la violation des interdictions d'approcher la victime et de paraître au domicile du couple. En revanche, elle a souhaité que les services de police ou de gendarmerie aient la possibilité d'appréhender une personne mise en examen dès lors qu'il existe « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a manqué aux obligations qui lui incombent », sans attendre que cette inobservation soit avérée. Enfin, elle a apporté quelques aménagements aux droits reconnus à la personne ainsi retenue.
Dans un souci d'améliorer la protection des victimes , votre commission a par ailleurs souhaité élargir le champ des dispositions facilitant le placement sous surveillance électronique mobile d'un conjoint violent, en permettant au juge d'instruction (dans le cadre d'une assignation à résidence) et à la juridiction de jugement (dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire) de recourir à une telle mesure dans tous les cas où elle paraîtrait nécessaire (et pas uniquement pour vérifier que la personne respecte l'interdiction qui lui a été signifiée de paraître au domicile du couple). Elle a également souhaité que les personnes reconnues coupables de menaces à l'encontre de leur compagne ou de leur compagnon puissent être condamnées à une peine complémentaire de suivi socio-judiciaire. Enfin, dans un souci de proportionnalité et d'harmonisation avec le droit positif, elle a souhaité préciser que le placement sous surveillance électronique mobile, à titre de mesure de sûreté, d'une personne condamnée à un suivi socio-judiciaire pour des violences ou des menaces à l'encontre de son conjoint ne pourrait intervenir que lorsque cette personne a également été condamnée à une peine d'emprisonnement égale ou supérieure à cinq ans, et qu'une expertise médicale a constaté sa dangerosité.
S'agissant du recours à la médiation pénale dans le cadre de violences conjugales, votre commission a souhaité adopter une démarche pragmatique. Si elle considère qu'une telle mesure alternative aux poursuites doit absolument être proscrite en cas de violences graves, répétées, ou se manifestant par une emprise de l'auteur des faits sur la victime, elle a considéré qu'il n'était pas opportun d'empêcher totalement d'y recourir dans le cas de violences ponctuelles, commises dans le cadre d'un conflit particulier et pour lesquelles la médiation pénale demeure une réponse adaptée. Pour ces raisons, elle a souhaité que la médiation pénale ne puisse pas être proposée à une victime de violences conjugales qui a saisi le juge aux affaires familiales d'une demande d'ordonnance de protection. En dehors de cette hypothèse, la médiation pénale pourrait être proposée mais la victime demeurerait libre de la refuser.
S'agissant de la création d'un délit spécifique de harcèlement psychologique au sein du couple , votre commission, qui considère que de tels faits peuvent d'ores et déjà être réprimés par le droit pénal existant, a pris acte de l'attente forte que suscitent ces dispositions chez un certain nombre d'associations de défense des droits des femmes et chez nos collègues députés. Elle a toutefois souhaité apporter un certain nombre d'aménagements à la rédaction retenue pour ce délit, dans un souci de sécurité juridique mais également dans l'intérêt des victimes - un certain nombre de personnes entendues par votre rapporteur ayant souligné le risque que ce nouveau délit puisse être détourné par les auteurs de violences conjugales pour justifier les violences infligées à leur compagne ou leur compagnon par un prétendu « harcèlement » dont ils feraient l'objet au quotidien.
En revanche, votre commission n'a pas souhaité retenir les propositions des députés s'agissant du délit de harcèlement sexuel, ne partageant pas leurs inquiétudes quant à la compatibilité de notre droit pénal avec le droit communautaire sur ce point. En revanche, votre commission, relevant que des dispositions sur le harcèlement moral et le harcèlement sexuel figurent à la fois dans le code pénal et dans le code du travail, a souhaité, dans un souci de lisibilité de la loi, harmoniser les peines prévues par ces deux codes pour ces infractions.
Enfin, votre commission a adopté un amendement de son rapporteur tendant à permettre l'application de cette proposition de loi dans les collectivités d'outre-mer, où le phénomène des violences conjugales n'est pas moindre qu'ailleurs.
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Au terme de son examen, votre commission a constaté que les articles 1 er (incrimination des violences habituelles au sein du couple) et 2 (éviction du concubin ou du partenaire violent du domicile commun) de la proposition de loi de notre collègue Roland Courteau, ainsi qu'une partie de son article 3 (information des élèves sur le respect mutuel et l'égalité entre les sexes), étaient satisfaits par la proposition de loi des députés.
Si elle a considéré que les dispositions de l'article 3 visant à instituer une journée nationale de sensibilisation aux violences au sein des couples pourraient être intégrées dans le texte de la proposition de loi à l'occasion de son examen en séance publique, elle regrette que les dispositions de l'article 4, portant sur l'organisation de formations spécifiques à l'attention des personnels en charge de victimes de violences conjugales, ne puissent être intégrées du fait de leur irrecevabilité financière.
Enfin, elle a estimé qu'il n'était pas opportun de conserver les dispositions de l'article 5 de cette proposition de loi, qui visait à permettre à l'ensemble des victimes de violences aggravées (et donc pas uniquement aux victimes de violences conjugales) d'accéder à l'aide juridictionnelle sans conditions de ressources.
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Votre commission a adopté la proposition de loi tendant à renforcer la protection des victimes et la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises spécifiquement contre les femmes ainsi rédigée.