N° 428
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010
Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 mai 2010 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , de finances rectificative pour 2010 ,
Par M. Philippe MARINI,
Sénateur,
Rapporteur général
(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis , président ; M. Yann Gaillard, Mme Nicole Bricq, MM. Jean-Jacques Jégou, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Joël Bourdin, François Marc, Alain Lambert , vice-présidents ; MM. Philippe Adnot, Jean-Claude Frécon, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Sergent, François Trucy , secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; M. Jean-Paul Alduy, Mme Michèle André, MM. Bernard Angels, Bertrand Auban, Denis Badré, Mme Marie-France Beaufils, MM. Claude Belot, Pierre Bernard-Reymond, Auguste Cazalet, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Éric Doligé, André Ferrand, François Fortassin, Jean-Pierre Fourcade, Christian Gaudin, Adrien Gouteyron, Charles Guené, Claude Haut, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Yves Krattinger, Gérard Longuet, Roland du Luart, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Gérard Miquel, Albéric de Montgolfier, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Bernard Vera. |
Voir le(s) numéro(s) :
Assemblée nationale (13 ème législ. ) : |
2452, 2460 et T.A. 453 |
Sénat : |
424 (2009-2010) |
INTRODUCTION
1. Une loi de finances rectificative pour tenir les engagements de la France
Le deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2010, présenté au Conseil des ministres du 21 avril dernier, a pour objet de mettre en oeuvre au niveau national les dispositions de l'accord intervenu le 11 avril 2010 entre les Etats membres de la zone euro.
Cet accord porte sur les modalités du soutien financier qui pourrait être apporté, si nécessaire, à la Grèce afin de préserver la stabilité de la zone euro. Il prévoit la possibilité pour les Etats de l'Eurogroupe d'accorder à la Grèce des prêts bilatéraux, coordonnés par la Commission européenne dans le cadre d'un « package » comprenant également des financements du fonds monétaire international (FMI). Parallèlement, la Commission européenne, en liaison avec la Banque centrale européenne (BCE), le FMI et le Gouvernement grec, a élaboré un programme d'ajustement.
Le Parlement doit aujourd'hui donner les moyens au Gouvernement français de mettre en oeuvre les engagements qu'il a souscrits. A cette fin, il lui revient d'autoriser la création d'une nouvelle section du compte de concours financiers « Prêts à des états étrangers », dont l'intitulé - « Prêts aux Etats-membres de l'Union européenne dont la monnaie est l'euro » - ne vise pas expressément la Grèce. Cette section, dont les crédits sont évaluatifs, serait dotée en autorisation d'engagement de 16,8 milliards d'euros 1 ( * ) , correspondant à la quote-part de la France dans le montant total des fonds (de 80 milliards d'euros) prévus pour trois années. 3,9 milliards d'euros seraient inscrits en crédits de paiement, correspondant aux estimations de dépense effective réalisées par le Gouvernement pour l'année 2010. Le déficit budgétaire de l'Etat en 2010 serait porté de 149 à 152 milliards d'euros.
La Grèce n'étant plus en mesure de se financer sur les marchés, la mise en oeuvre de ce plan présente un caractère d'urgence : il importe de permettre à ce membre de la zone euro de faire face aux échéances de refinancement de sa dette. Une procédure parlementaire rapide, c'est-à-dire une adoption conforme par le Sénat du texte transmis par l'Assemblée nationale, s'impose donc.
Sur la procédure comme sur le fond, ce dispositif évoque la loi de finances rectificative d'octobre 2008 relative au financement de l'économie, adoptée au terme d'une procédure encore plus brève, afin d'assurer la liquidité du système financier à l'époque, d'un Etat souverain aujourd'hui.
2. De la crise financière à la crise de souveraineté
La crise financière, lorsqu'elle s'est propagée à l'économie réelle, a conduit en 2009 à la mise en oeuvre de plans de relance conçus pour refluer dans le courant de l'année 2010, avec le retour d'une croissance qui, lorsqu'elle serait consolidée, permettrait aux Etats de résorber les déséquilibres budgétaires hérités de la crise.
A la fin de 2009 et au début de cette année, la réalisation de ce scénario s'est accompagnée d'une séquence marquée consécutivement par les révélations sur de nouvelles irrégularités dans les comptes publics de la Grèce et le rôle des banques conseils dans ce maquillage, des rumeurs de spéculation contre l'euro et une défiance du marché des « CDS souverains », les titres qui permettent de se couvrir contre la défaillance d'un Etat, à l'endroit des membres de la zone euro dont la situation des finances publiques est la plus dégradée. Alors que la France et l'Allemagne continuaient de se financer aux conditions les plus favorables de leur histoire, la solvabilité des Etats devenait un sujet d'inquiétude pour les marchés et les observateurs, en premier lieu les agences de notation. Leurs analyses pouvaient se nourrir des appréciations portées par la Commission européenne sur les programmes de stabilité des Etats membres, qu'elle évalue chaque année entre janvier et mars.
Les Etats membres de l'Eurogroupe ont manifesté leur intention de soutenir la Grèce en cas de difficulté dès le 11 février, mais l'évocation des possibles modalités de cette intervention a mis à jour d'importantes divergences d'approche, notamment sur la possibilité juridique de venir en aide à un Etat défaillant, sur le rôle susceptible d'être joué par le FMI ou par un hypothétique Fonds monétaire européen et sur les conditions devant être imposées à la Grèce en contrepartie d'un soutien financier.
Le 25 mars, une déclaration de l'Eurogroupe réaffirmait sa volonté de « prendre, si nécessaire, des mesures déterminées et coordonnées pour préserver la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble », désormais dans « le cadre d'un accord comprenant une implication financière substantielle du Fonds monétaire international et une majorité de financement européen ». Les modalités de ce dispositif ont été précisées par la déclaration de l'Eurogroupe du 11 avril.
Dans l'intervalle, les difficultés de financement de la Grèce n'ont cessé de croître, au point de conduire ce pays à demander l'activation du plan d'aide, seule solution pour faire face aux échéances de refinancement intervenant au mois de mai 2010. Les agences de notation ont poursuivi leur revue des économies de la zone euro et l'une d'entre elles en a tiré les conséquences dès la fin du mois d'avril sur les notations attribuées au Portugal et à l'Espagne. Alors même que l'Espagne reste mieux notée que l'Italie, qu'aucun Etat n'a fait défaut et qu'en tout état de cause le FMI et les membres de l'Eurogroupe ont affirmé leur intention d'intervenir, des listes d'Etats menacés, appartenant ou non à la zone euro, apparaissent dans la presse. Des économistes se demandent si les Etats de la zone euro doivent vraiment être considérés comme too big to fail . La crédibilité de la monnaie unique ne protège plus les Etats les plus fragiles, ce sont les faiblesses de ces derniers qui menacent la zone dans son ensemble. La crise du risque souverain n'épargne plus personne.
Au total, un triple constat :
- des Etats à la solvabilité mise en cause, connaissant pour certains une profonde crise de compétitivité, ne pouvant dévaluer au sein d'une union monétaire qui n'a pas prévu de mécanisme de résolution des chocs asymétriques ;
- des Etats partageant une monnaie dont le délai de réaction pour élaborer un plan d'urgence avoisine trois mois, qui doivent en quelques semaines trancher des questions qui auraient dû - et il ne peut être reproché à la France de ne pas l'avoir souligné - être résolues lors du lancement de la monnaie unique ;
- des perspectives inquiétantes car, depuis le lancement de l'euro, les divergences de compétitivité et les déséquilibres des balances des paiements ont crû de manière régulière dans les années précédant la crise dans les économies des pays partageant cette monnaie, comme le soulignent les conclusions de l'Eurogroupe du 15 mars 2010. Malgré les politiques de cohésion, caractérisées par l'octroi des fonds structurels dont l'utilisation et l'efficacité ne sont pas vraiment évaluées, et de convergence, mesurée par le respect des critères de Maastricht dans le cadre de la mise en oeuvre des programme de stabilité, la zone euro est plus exposée aujourd'hui aux chocs asymétriques qu'elle ne l'était lors du basculement dans la monnaie unique.
3. Un acte fondateur plutôt qu'un acte de décès ?
Il n'est pas acquis que la monnaie unique survivrait à une crise de même ampleur, si elle concernait une économie d'une taille supérieure à celle de la Grèce. Dans ces conditions, la crise grecque doit être l'acte fondateur d'une zone euro réellement à la hauteur de ses responsabilités. Ceci suppose de s'accorder sur quelques principes :
- mettre en oeuvre un plan d'aide à la Grèce d'une ampleur suffisante pour éviter une contagion qui porterait la crise à une toute autre échelle. Les déclarations des Etats de l'Eurogroupe et du FMI tendant à inscrire le dispositif dans un horizon pluriannuel vont dans ce sens ;
- être exigeant quant aux contreparties exigées de la Grèce , dont la situation menace la stabilité de la zone euro et porte atteinte à la réputation de notre monnaie, afin d'écarter tout risque que le plan de soutien ne puisse d'une façon ou d'une autre être interprété comme favorisant l'aléa moral et les comportements non coopératifs ;
- améliorer la gouvernance de l'Eurogroupe , car si la Grèce est responsable de ce qui lui arrive, la zone euro a été irresponsable en s'accommodant d'une monnaie unique sans gouvernance stricte. Le renforcement doit intervenir au niveau de l'Eurogroupe, qui est désormais une institution européenne en application du traité de Lisbonne, et non à celui de la Commission, qui est une administration au service des vingt-sept membres de l'Union européenne et ne doit pas interférer dans la gestion de la monnaie. Ce parti pris est rendu d'autant plus nécessaire que la crise actuelle a fini de discréditer l'idée selon laquelle les vingt-sept membres de l'Union avaient tous vocation à adopter l'euro à brève ou moyenne échéance.
Les mécanismes à mettre en oeuvre doivent être fondés sur la surveillance mutuelle , notamment en matière de respect des critères de convergence, et sur la définition des sanctions applicables à ceux qui s'affranchissent de la discipline collective ;
- instituer une Autorité européenne des comptes publics indépendante pour rétablir la confiance entre les Etats . Les mensonges de la Grèce en matière de présentation de ses comptes publics, mais aussi l'incapacité d'Eurostat à les déceler rapidement, portent atteinte à la crédibilité de l'euro et encouragent la méfiance des marchés et la suspicion entre Etats. La confiance ne pourra être restaurée que si Eurostat cesse d'être un service de la Commission européenne et acquiert à la fois une indépendance statutaire et des pouvoirs d'investigation renforcés. La faiblesse des ressources consacrées au contrôle des comptes publics 2 ( * ) devrait par ailleurs inciter les Etats à demander une réallocation interne de ses moyens ;
- engager au niveau des Etats des ajustements budgétaires compatibles avec la soutenabilité de leurs finances publiques . A cet égard, la démarche qui consisterait à associer la mise en oeuvre du plan d'aide à la Grèce à l'annonce de mesures d'ajustement supplémentaires serait évidemment appréciée par les marchés ;
- résoudre le paradoxe des agences de notation , qui veut que leurs analyses fondées sur l'appréciation de tendances de long terme (capacité à rembourser la dette, évolution des facteurs de compétitivité des économies) soient délivrées selon des modalités qui peuvent alimenter des crises conjoncturelles. Il importe également de s'interroger sur l'importance accordée par les différents acteurs du système, et en particulier la BCE, aux notations délivrées par les agences ;
- doter la zone euro d'une politique économique car, lorsque l'ajustement par le change n'est plus possible, surtout dans une zone monétaire peu homogène, il importe d'en tirer les conséquences. Si l'on souhaite faire converger les prix des actifs et des facteurs de production au sein de la zone euro, la question des objectifs assignés à la BCE doit être posée et les propositions du FMI en matière de cible d'inflation méritent d'être discutées. L'harmonisation fiscale en Europe ne doit plus être un thème de colloque mais un objectif politique. La coordination des politiques budgétaires est une nécessité. Il ne s'agit pas de consentir de nouveaux abandons de souveraineté, mais de se donner les moyens de protéger la souveraineté des Etats dont l'euro est la monnaie.
4. L'exemplarité de la France, condition de sa crédibilité
Il ne sert à rien d'avoir raison sur les principes si l'on n'est pas convaincant dans les faits. Les prises de position de la France en faveur d'un « gouvernement économique de la zone euro » auraient peut-être mieux prospéré politiquement si notre politique budgétaire avait été plus vertueuse. Pour être crédible, il faut être exemplaire. Aujourd'hui, dans le domaine des finances publiques, l'exemplarité implique de respecter la trajectoire de retour à l'équilibre telle qu'elle a été définie par le programme de stabilité 2010-2013 transmis à la Commission européenne au mois de janvier.
Cette crise a le mérite de contraindre les gouvernements à la cohérence. Tout écart entre le discours tenu à Bruxelles et celui proposé aux opinions publiques internes est désormais susceptible d'être sanctionné par les marchés. Le double langage n'est plus possible, et cela constitue un progrès démocratique. La dissimulation devient un acte dangereux, les faux semblants ne sont plus permis. Il n'est d'autre choix que de présenter les enjeux de manière transparente.
Compte tenu de leurs implications, les décisions du Gouvernement ne peuvent être acceptées par l'opinion que si elles sont lestées d'un poids politique fort, qui doit être manifesté par un vote des assemblées - notamment sur le programme de stabilité -, avant d'être soumises au le corps électoral au printemps 2012.
Notre feuille de route vers la crédibilité doit donc comporter :
- l'explicitation des mesures qui seront prises dans le projet de loi de finances pour 2011 pour permettre le respect de la trajectoire du programme de stabilité , lors de la conférence sur le déficit du mois de mai, de la notification le 2 juin des compléments demandés par la Commission européenne puis du débat d'orientation des finances publiques du mois de juillet, en dépenses comme en recettes. Il est illusoire de penser que le retour de la croissance et la maîtrise des dépenses permettront seuls d'atteindre les objectifs. Il importe d'agir aussi sur les recettes. Dans un premier temps, l'effort doit porter sur la réduction de la dépense fiscale ;
- l'annonce d'une réforme des retraites susceptible de produire de véritables effets structurels , d'une ampleur plus proche de celle de 1993 que de celle de 2003 ;
- la définition de règles permettant de tendre vers l'objectif constitutionnel d'équilibre des finances publiques , inscrites pour certaines d'entre elles au sommet de la hiérarchie des normes ;
- la préparation d'une stratégie de prélèvements obligatoires compatible à la fois avec les exigences de redressement des comptes publics, l'attractivité de la France et le modèle de société dans lequel nous souhaitons vivre.
* 1 Le montant de 16,8 milliards d'euros résulte d'un amendement du Gouvernement adopté par l'Assemblée nationale. Le texte initial prévoyait un montant de seulement 6,3 milliards d'euros, mais cela vient du fait que la période couverte était de seulement une année.
* 2 Sur ce point, se référer à l'audition de M. Gallo GUEYE, chef de l'unité C1 à la direction des comptes nationaux et européens d'Eurostat, dont le compte-rendu est reproduit en annexe au présent rapport.