B. UNE APPROCHE MÉTHODOLOGIQUE ÉQUILIBRÉE
1. La nécessité de voter une réforme qui donne suffisamment de visibilité aux collectivités territoriales
Plusieurs arguments plaident en faveur du vote d'un ensemble cohérent de dispositions ou d'orientations dès le projet de loi de finances pour 2010.
La lourdeur de la mise en oeuvre de la réforme des finances locales, les ajustements indispensables, nécessitent qu'elle soit votée bien en amont de sa mise en application . Voter une réforme en loi de finances pour 2011, pour une application dès le 1 er janvier 2011, semble techniquement impossible et ferait peser des incertitudes importantes sur les budgets des collectivités territoriales de 2011.
En revanche, dans le projet du gouvernement, l'année 2010 est une année « blanche », de compensation à l'euro près, ce qui garantit la stabilité des finances locales et laisse le temps de préparer 2011. En tout état de cause, les conditions du « bouclage budgétaire » en 2011 ne devraient pas être plus faciles et n'inviteront pas à un débat serein.
L'autre souci de votre commission des finances consiste à encadrer la « mise entre parenthèses » de la règle d'autonomie financière pour sécuriser constitutionnellement la réforme.
En 2010, l'Etat versera exceptionnellement environ 31 milliards d'euros aux collectivités territoriales pour compenser la disparition de la taxe professionnelle. C'est donc une « entorse » au principe d'autonomie financière prévu par la loi organique du 29 juillet 2004, prise en application de l'article 72-2 de la Constitution, qui ne peut être acceptée par le Conseil constitutionnel que si le texte prévoit également, dès aujourd'hui, le principe, voire les modalités, d'un retour au respect de la règle constitutionnelle d'autonomie financière.
Ne voter que la disparition de la taxe professionnelle, sans rien prévoir pour garantir le retour, à partir de 2011, au respect du principe d'autonomie financière des collectivités territoriales, ferait peser un grand risque de censure de la loi si elle était déférée au Conseil constitutionnel 4 ( * ) .
2. Le report d'une partie de la réforme en seconde partie de la loi de finances pour respecter l'esprit de la LOLF et laisser plus de temps pour en apprécier l'impact
Pour des raisons constitutionnelles, votre commission des finances vous proposera de scinder l'article , conformément aux règles de présentation des lois de finances :
- en première partie de la loi de finances, les règles applicables dès 2010, c'est-à-dire en particulier la suppression de la taxe professionnelle pour les entreprises ;
- en seconde partie de la loi de finances, l'application, à partir de 2011, de la réforme des finances locales.
La loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 sur les lois de finances, prévoit comme l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 qui l'avait précédée, que les lois de finances doivent répartir les dispositions qu'elles contiennent en fonction de leurs incidences sur l'équilibre financier de l'année, en deux parties distinctes 5 ( * ) . Elle dispose ainsi que la loi de finances « comporte » en première partie : « ... les dispositions relatives aux ressources de l'Etat qui affectent l'équilibre budgétaire ; » et « peut comporter » en seconde partie : «... des dispositions relatives à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature qui n'affectent pas l'équilibre budgétaire ».
Attachée à la distinction établie par la loi organique, dont le non respect pourrait être sanctionné par le juge constitutionnel, votre commission des finances procède, si nécessaire, lors de l'examen de toutes les lois de finances, au reclassement en seconde partie des dispositions proposées par voie d'amendement parlementaire lorsque celles-ci n'ont pas d'impact sur l'équilibre du budget de l'année en cause.
Sans doute s'agit-il surtout, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans une jurisprudence relative à l'ordonnance précitée du 2 janvier 1959 de garantir qu'il ne sera pas porté atteinte, à l'occasion de l'examen de la seconde partie, aux grandes lignes de l'équilibre préalablement défini en fin de la première partie et donc de ne pas admettre en seconde partie des dispositions ayant un impact sur le solde de l'année 6 ( * ) .
Mais la distinction ainsi posée entre première et seconde partie constitue aussi un principe de clarté de nature à éclairer le consentement du législateur sur la portée de ces votes. C'est ce qu'a rappelé lors du débat d'orientation sur la réforme de la taxe professionnelle tenue le 5 novembre 2009, notre collègue Alain Lambert, rapporteur de la loi organique au Sénat.
Pour la clarté du débat et la mise en évidence des différents enjeux, ce principe doit s'appliquer avec rigueur aux dispositions relatives à la suppression de la taxe professionnelle et à ses conséquences.
Ainsi, s'agissant de l'article 2 du projet de loi de finances pour 2010, et après un examen attentif de chacune de ses dispositions, votre commission des finances vous propose de ne conserver en première partie que celles de ces dispositions qui sont applicables dès 2010 et qui portent sur :
- la suppression de la taxe professionnelle ;
- la création de la contribution économique territoriale et de ses deux composantes ainsi que les régimes d'exonération y afférents ;
- la création de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) ;
- la compensation, en 2010, des pertes de recettes pour les collectivités territoriales.
S'agissant des autres dispositions, qui concernent notamment le mode de calcul des recettes des collectivités percevant l'impôt sur la valeur ajoutée sur une base « territorialisée », la répartition des ressources fiscales entre catégories de collectivités territoriales, les systèmes de compensation à mettre en oeuvre à compter de 2011, les mécanismes de péréquation et l'ensemble des conséquences de la réforme sur l'équilibre des finances locales, votre commission des finances a décidé d'en reporter l'examen en seconde partie.
Cette scission donnera au Gouvernement un temps supplémentaire pour répondre aux nombreuses interrogations des parlementaires et pour fournir des simulations sur les effets de la réforme telle que votée par l'Assemblée nationale.
Elle permettra ainsi, non pas d'élaborer des dispositifs juridiques définitifs et parfaits sur l'ensemble des thèmes à traiter, mais de définir les principes et, autant que possible, les modalités de la réforme des finances locales de façon à réduire les incertitudes pesant sur les budgets des collectivités territoriales de 2011, à faciliter la réalisation de simulations précises et à parer le risque de censure du Conseil constitutionnel pour atteinte au respect du principe d'autonomie financière des collectivités territoriales.
* 4 Il est toutefois déjà arrivé au Conseil constitutionnel de valider une entorse à un principe constitutionnel sous réserve d'y remédier rapidement. Il pourrait donc valider la seule réforme de la TP sous réserve d'un retour à l'autonomie financière des collectivités territoriales en 2011.
* 5 L'article 34 de la LOLF précise que, « dans la première partie, la loi de finances de l'année :
1° Autorise, pour l'année, la perception des ressources de l'Etat et des impositions de toute nature affectées à des personnes morales autres que l'Etat ;
2° Comporte les dispositions relatives aux ressources de l'Etat qui affectent l'équilibre budgétaire ;
3° Comporte toutes dispositions relatives aux affectations de recettes au sein du budget de l'Etat ;
4° Evalue chacun des prélèvements mentionnés à l'article ;
5° Comporte l'évaluation de chacune des recettes budgétaires ;
6° Fixe les plafonds des dépenses du budget général et de chaque budget annexe, les plafonds des charges de chaque catégorie de comptes spéciaux ainsi que le plafond d'autorisation des emplois rémunérés par l'Etat ;
7° Arrête les données générales de l'équilibre budgétaire, présentées dans un tableau d'équilibre ;
8° Comporte les autorisations relatives aux emprunts et à la trésorerie de l'Etat prévues à l'article 26 et évalue les ressources et les charges de trésorerie qui concourent à la réalisation de l'équilibre financier, présentées dans un tableau de financement ;
9° Fixe le plafond de la variation nette, appréciée en fin d'année, de la dette négociable de l'Etat d'une durée supérieure à un an ;
10° Arrête les modalités selon lesquelles sont utilisés les éventuels surplus, par rapport aux évaluations de la loi de finances de l'année, du produit des impositions de toute nature établies au profit de l'Etat. »
Le même article de la LOLF dispose :
« Dans la seconde partie, la loi de finances de l'année :
1° Fixe, pour le budget général, par mission, le montant des autorisations d'engagement et des crédits de paiement ;
2° Fixe, par ministère et par budget annexe, le plafond des autorisations d'emplois ;
3° Fixe, par budget annexe et par compte spécial, le montant des autorisations d'engagement et des crédits de paiement ouverts ou des découverts autorisés ;
4° Fixe, pour le budget général, les budgets annexes et les comptes spéciaux, par programme, le montant du plafond des reports prévu au 2° du II de l'article 15 ;
5° Autorise l'octroi des garanties de l'Etat et fixe leur régime ;
6° Autorise l'Etat à prendre en charge les dettes de tiers, à constituer tout autre engagement correspondant à une reconnaissance unilatérale de dette, et fixe le régime de cette prise en charge ou de cet engagement ;
7° Peut :
a) Comporter des dispositions relatives à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature qui n'affectent pas l'équilibre budgétaire ;
b) Comporter des dispositions affectant directement les dépenses budgétaires de l'année ;
c) Définir les modalités de répartition des concours de l'Etat aux collectivités territoriales ;
d) Approuver des conventions financières ;
e) Comporter toutes dispositions relatives à l'information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques ;
f) Comporter toutes dispositions relatives à la comptabilité de l'Etat et au régime de la responsabilité pécuniaire des agents des services publics.
III. - La loi de finances de l'année doit comporter les dispositions prévues aux 1°, 5°, 6°, 7° et 8° du I et aux 1°, 2° et 3° du II ».
* 6 Cf. par exemple : décision n° 82-154 DC du 29 décembre 1982.