2. Les dividendes attendus de la vertu écologique
Comme cela vient d'être montré, l'effort demandé à l'économie française par le Grenelle de l'environnement est significatif. Il constitue cependant avant tout un investissement et il convient donc d'apprécier les dépenses engagées au regard des gains qu'elles vont générer. Ces estimations demandent certes une démarche complexe et forcément entourée d'incertitude dans la mesure où l'impact qu'on cherche à mesurer dépend des transformations structurelles qui découleront de la révision des arbitrages et de la capacité d'innovation des agents économiques face à la correction progressive et sectoriellement modulée du signal-prix. Malgré cette limite méthodologique, on dispose pourtant de quelques estimations dont les conclusions sont convergentes : les investissements écologiques sont économiquement rentables .
a) Dépenser aujourd'hui pour éviter de dépenser plus demain : un bilan comptable des coûts de l'inaction
Un premier type d'estimations de l'impact économique du Grenelle de l'environnement repose sur une sorte de bilan comptable entre le coût direct des mesures engagées et les gains financiers qu'elles génèrent, le mot « gains » devant être compris de manière large dans la mesure où il consiste à la fois en un flux de revenus futurs et en une série de coûts à venir évités. L'étude d'impact accompagnant le projet de loi portant engagement national pour l'environnement repose sur cette approche méthodologique.
Il est important de souligner que ce type d'approche ne permet pas de fournir une véritable estimation macro-économique de l'impact. Les différentes conséquences envisageables y sont en effet estimées de manière indépendante, le tableau global résultant d'une simple juxtaposition qui ne prend pas en compte les effets de rétroaction entre secteurs ou grands agrégats macro-économiques. Cette approche a cependant ses mérites :
- elle permet de brosser un large tableau des implications économiques du Grenelle en intégrant en particulier une évaluation monétaire des effets externes ;
- elle a une portée pédagogique forte. Elle permet en effet d'apporter, en première approximation, une réponse satisfaisante à des questions simples telles que : « combien coûte la rénovation thermique des bâtiments, combien cela va-t-il rapporter ? » Elle permet également d'apporter un argument fort et mobilisateur pour une action en faveur de l'environnement en mettant l'accent sur la notion de coûts de l'inaction : voilà ce que cela coûte, voilà ce que coûterait de continuer selon le scénario « business as usual ». La parution du rapport Stern de 2006 a montré tout l'effet mobilisateur d'une telle mise en évidence des coûts de l'inaction. Pour mémoire, le rapport conclut que les conséquences du changement climatique pourraient représenter annuellement 5 % du PIB mondial, voire même dans certains scénarios, atteindre 20 %, alors qu'une réduction des émissions de GES ne coûterait que 1 % du PIB mondial. Il souligne par ailleurs que plus l'action sera tardive, plus les efforts à accomplir seront « brutaux », donc coûteux. Plus récemment, un autre rapport, réalisé par l'OCDE 2 ( * ) , a lui aussi dressé un bilan détaillé par domaine d'activité des coûts de l'inaction, sans toutefois proposer une estimation « agrégée » de ces différentes analyses sectorielles.
Avant d'en présenter les résultats, et pour mieux en apprécier la portée, il est utile de rappeler brièvement quelles sont les difficultés méthodologiques que rencontre ce type d'approche fondée sur les coûts de l'inaction .
- La première est que les coûts évités par les investissements écologiques le sont en partie sur une période longue, ce qui pose le problème de leur taux d'actualisation (c'est-à-dire de la mesure de la préférence pour le présent).
- La deuxième est que les nuisances générées par la dégradation de l'environnement ont en partie le caractère d'effets externes dont l'impact, diffus, affecte tous les acteurs dans des aspects très divers de leur existence. Il est donc extrêmement difficile d'identifier, puis d'exprimer sous forme monétaire, l'ensemble de ces nuisances. C'est le cas par exemple des atteintes à la richesse de la biodiversité. On sait que des écosystèmes complexes contribuent à notre approvisionnement en eau, en air pur et en nourriture, qu'ils régulent le climat, nous fournissent des matières premières et sont à l'origine de nombreuses substances intervenant dans la fabrication de médicaments. Au-delà de cela, ils constituent une réserve génétique qui, d'une certaine manière, constitue « l'assurance-vie » de l'humanité. Mais quel est le prix de ce patrimoine ? De même, si les politiques en faveur du développement durable permettent d'éviter des souffrances, voire des pertes en vies humaines, causées par des maladies ou des catastrophes climatiques, quelle évaluation monétaire donner de ces « bénéfices » ?
- La troisième difficulté tient à l'existence probable d'effets de seuil dans la survenue des dégâts écologiques, de sorte qu'une fois franchis ces seuils, les problèmes changent d'échelle ou deviennent irréversibles. Ainsi, une inversion du Gulf Stream ou la fonte brutale des glaciers du Groenland modifierait radicalement les conditions météorologiques dans de vastes régions du globe et notamment en Europe occidentale.
En dépit de ces difficultés méthodologiques, l'étude d'impact associée au projet de loi portant engagement national pour l'environnement s'est efforcée de proposer une évaluation d'ensemble des retombées positives attendues du Grenelle de l'environnement, aussi bien de celles qui prennent la forme d'un gain ou d'une économie directement exprimable en monnaie que de celles qui sont externalisées sur l'ensemble de la société. Sur les 268 engagements du Grenelle, après avoir écarté ceux qui n'avaient pas d'incidences financières significatives (comme les mesures dans le domaine de l'urbanisme ou de la gouvernance) et ceux qu'il était techniquement impossible d'estimer, elle a finalement procédé à l'évaluation d'une quarantaine d'engagements.
S'agissant des mesures qui génèrent un gain direct, on distingue principalement deux postes.
- L'amélioration de l' efficacité énergétique des bâtiments devrait s'accompagner d'une forte diminution de la facture énergétique, dont l'ampleur exacte dépendra de l'évolution du prix du pétrole. L'étude d'impact estime que, même dans l'hypothèse d'un prix du baril de pétrole relativement bas (de l'ordre de 55 euros), les économies d'énergie associées à ces mesures seraient d'environ 145 milliards d'euros, permettant ainsi d'autofinancer une partie importante des investissements. L'autofinancement serait total à partir d'un prix du baril de pétrole atteignant 100 euros.
- Le second poste est celui des énergies renouvelables dont la production est commercialisée ou qui se substituent à une dépense énergétique actuelle. L'importance des gains attendus dépendra des économies d'échelle liées au développement de la filière et aux progrès techniques réalisés dans ce domaine, mais l'étude d'impact les estime à environ 60 milliards d'euros. Au total, en tenant compte de ces seuls gains directs, le coût net des mesures du Grenelle est divisé par 2, au minimum.
S'agissant des externalités environnementales, l'étude d'impact s'est concentrée uniquement sur les « bénéfices » liés à une moindre émission de GES. Chaque tonne supplémentaire de CO 2, émise aujourd'hui, en contribuant à modifier l'environnement, impose en effet, au cours des périodes de temps à venir, des coûts à l'ensemble des agents économiques (dépenses de santé supplémentaires, dépenses de remise en état après la survenue de catastrophes naturelles, dépenses de prévention publiques ou privés pour adapter le cadre de vie et l'appareil productif aux effets du changement climatique, etc). Pour déterminer ce « coût » du carbone, l'étude d'impact des mesures du Grenelle s'est appuyée sur les travaux de la commission Quinet 3 ( * ) , qui a proposé en 2008 une « valeur tutélaire du carbone » de 32 euros la tonne (croissante dans le temps). Sur cette base, la seule rénovation thermique du parc de bâtiment, en permettant d'éviter annuellement 12 millions de tonnes d'émissions de CO 2 , génèrerait un gain externe annuel de l'ordre de 385 millions d'euros, soit un gain cumulé de 12 milliards d'euros sur les 30 prochaines années, gain qui s'ajoute au gain économique direct lié à la baisse de la facture énergétique. Au total, c'est près de 130 millions de tonnes de CO 2 émises en moins chaque année qui devrait être émises à partir de 2020.
Ces résultats en eux-mêmes instructifs ne constituent pourtant qu'une estimation basse puisqu'ils ne tiennent compte que des effets externes liés à l'émission de CO 2 . Ils ignorent donc les gains liés à la décongestion du trafic routier de personnes et de marchandises ou encore les gains liés à la préservation de la biodiversité. Les progrès méthodologiques réalisés dans ce dernier domaine laissent pourtant espérer qu'il sera bientôt possible de disposer de « valeurs de référence » comparable à la « valeur tutélaire » de la tonne de CO 2 . Le récent rapport de la commission Chevassus-au-Louis 4 ( * ) consacré à « l'approche économique de la biodiversité et des services liés aux éco systèmes », s'efforce, par exemple, de quantifier la valeur économique de certains éco-systèmes comme les « forêts tempérées » ou les « prairies permanentes » et aboutit à une valeur, pour la France, de l'ordre de 970 euros/ha et par an pour l'ensemble des services forestiers pour lesquels des évaluations monétaires présentant une certaine robustesse pouvaient être réalisées.
Il faut noter pour finir que l'existence de ces fortes externalités positives liées aux politiques de prévention des dégâts environnementaux justifie que l'État soutienne financièrement les mutations nécessaires : ainsi, faire partiellement financer par la collectivité, via un prêt à taux zéro, les dépenses de rénovation thermique dans l'habitat résidentiel se justifie dans la mesure où c'est toute la collectivité qui va bénéficier de la maîtrise de l'effet de serre.
* 2 Coûts de l'inaction sur des défis environnementaux importants, OCDE 2008.
* 3 Début 2008, le Premier ministre a demandé au secrétaire d'État chargé de la Prospective, de l'Évaluation des Politiques publiques et du Développement de l'Économie numérique de proposer une nouvelle valeur du carbone pour l'évaluation des choix d'investissements publics et, plus généralement, pour l'évaluation environnementale des politiques publiques. C'est pour répondre à cette saisine qu'a été constituée une commission d'experts présidée par M. Alain Quinet, inspecteur général des finances.
* 4 Début 2008, le Premier ministre a demandé au secrétaire d'État chargé de la Prospective, de l'Évaluation des Politiques publiques et du Développement de l'Économie numérique de proposer des outils d'évaluation de la valeur de la biodiversité et des écosystèmes. C'est pour répondre à cette saisine qu'a été constituée une commission d'experts présidée par M. Bernard Chevassus-au-Louis, inspecteur général de l'Agriculture.