CHAPITRE III - CONDITIONS DE FORMATION DU CONTRAT
Le chapitre III, composé des articles 4 et 5, complète les dispositions du régime du crédit à la consommation afin de responsabiliser le prêteur dans le cadre de la formation du contrat.
Article 4 (articles L. 311-8 à L. 311-17 du code de la consommation) - Explications fournies à l'emprunteur et évaluation de sa solvabilité
Commentaire : cet article vise à renforcer la responsabilité du prêteur en lui imposant de nouvelles obligations : l'évaluation de la solvabilité, un devoir d'explication ainsi que la remise d'une fiche de dialogue sur les lieux de vente ou à distance. En outre est introduite une obligation d'offre de crédit amortissable, alternative au crédit renouvelable proposé pour les achats d'un montant supérieur à un seuil fixé par décret.
Le présent article crée une nouvelle section 4 au chapitre I er du titre I er du livre III du code de la consommation intitulée « Explications fournies à l'emprunteur et évaluation de sa solvabilité. » Cette section propose notamment de renforcer les obligations pesant sur le prêteur par deux nouvelles obligations prévues par la directive du 23 avril 2008 : le devoir d'explication 226 ( * ) ainsi que l'évaluation de la solvabilité 227 ( * ) .
Articles L. 311-8 et L. 311-9 du code de la consommation - Devoir d'explication et évaluation de la solvabilité
I. Le droit en vigueur
Le cadre régissant les obligations du prêteur lors de la formation du contrat de crédit (devoir de mise en garde et interdiction d'octroi de prêts excessifs) est aujourd'hui largement jurisprudentiel. En effet, les dispositions du code de la consommation ne prévoient aucune obligation pesant sur le prêteur relativement au conseil ainsi qu'à l'évaluation de la solvabilité de l'emprunteur.
En revanche, la Cour de cassation a défini récemment des principes similaires dans leurs effets. Elle a ainsi jugé, le 12 juillet 2005 228 ( * ) , qu'une banque avait manqué à son devoir de mise en garde d'emprunteurs sur les risques d'endettement « en ne vérifiant pas leurs capacités financières et en leur accordant un prêt excessif au regard de leurs facultés contributives ».
Ce jugement a été confirmé, s'agissant de ce devoir de mise en garde, par la décision de la Cour du 29 juin 2007 229 ( * ) selon laquelle le prêteur doit mettre en garde l'emprunteur non averti, lors de la conclusion du contrat, sur les risques d'endettement encourus dans une opération de crédit, eu égard à ses capacités financières. Enfin, dans un arrêt du 12 juillet 2005 230 ( * ) , elle a jugé que le banquier, gestionnaire de compte, était tenu à un « devoir d'éclairer » son client sur les avantages et les inconvénients des options de couverture du solde débiteur de son compte afin qu'il arbitre entre le recours au crédit et la mobilisation de son épargne de la manière la plus efficiente.
II. Le texte du Gouvernement
L'article 4 propose d'abord de substituer au texte de l'article L. 311-8 du code de la consommation, qu'il abroge, des dispositions nouvelles mettant à la charge du prêteur, ou de l'intermédiaire de crédit, un devoir d'explication qui consiste à « fournir à l'emprunteur les explications lui permettant de déterminer si le contrat de crédit proposé est adapté à ses choix et à sa situation financière », notamment à partir des informations de la fiche précontractuelle visée au nouvel article L. 311-6 du code. Il prévoit que le prêteur ou l'intermédiaire de crédit « attire l'attention de l'emprunteur sur les caractéristiques essentielles » du contrat ainsi que sur les conséquences de ce crédit sur la situation financière de ce dernier.
S'agissant du lieu de vente, sur lequel n'opère pas nécessairement le prêteur de manière directe puisqu'il peut mandater pour son compte des intermédiaires, l'article L. 311-8 impose alors au prêteur de « veiller à ce que l'emprunteur reçoive ces explications de manière complète et appropriée ».
Par ailleurs, le présent article 4 du texte du Gouvernement tend à modifier l'article L. 311-9 du code de la consommation afin d'imposer au prêteur l'obligation d'évaluer la solvabilité de l'emprunteur « à partir d'un nombre suffisant d'informations ». Pour ce faire, le prêteur peut recourir aux informations fournies par l'emprunteur, à sa demande. Mais il doit aussi et surtout consulter le Fichier des incidents caractérisés de remboursement des crédits aux particuliers (FICP), dans des conditions fixées par arrêté.
Le Fichier des incidents caractérisés de remboursement des crédits aux particuliers Le FICP est un fichier informatique créée en 1989 231 ( * ) afin de prévenir et de lutter contre le surendettement 232 ( * ) . Géré par la Banque de France , il a fait l'objet d'une déclaration à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Sont inscrits au FICP, d'une part, les incidents de paiement dits « caractérisés » , constatés sur les crédits accordés pour le financement de besoins non professionnels, et, d'autre part, les informations relatives aux personnes qui ont déposé un dossier auprès d'une commission de surendettement . Les personnes physiques faisant l'objet d'une inscription en sont informées par les établissements de crédit dans le cas d'un incident de remboursement ou par la Banque de France après le dépôt d'un dossier de surendettement. Toute information à ce sujet est accessible à la personne concernée qui se déplace physiquement dans une succursale de la Banque de France. L'inscription au FICP en tant que telle n'interdit pas à un établissement de souscrire un crédit : elle constitue cependant un outil d'alerte et de prévention de surendettement. La durée d'inscription est de cinq années maximum au titre des incidents de paiements, de huit années après une procédure de rétablissement personnel et de dix années au maximum pour les personnes qui réalisent un plan de remboursement obtenu après le passage dans une commission de surendettement. Le FICP ne peut être consulté que par les établissements de crédit, les associations délivrant du microcrédit social et la Banque de France. |
III. Le texte de la commission spéciale
Votre commission spéciale relève que la transposition de la directive communautaire tend à renforcer de manière significative le dispositif de communication de l'information au consommateur .
Elle a toutefois cherché à compléter cet ensemble afin qu'au-delà de l'information précontractuelle dont bénéficie l'emprunteur, celui-ci puisse effectivement disposer d'une offre de crédit réellement adaptée à ses besoins , en particulier à sa situation financière, ainsi que de conditions de conseil et de réflexion sur le lieu de vente qui lui permettent de procéder à un choix éclairé.
Ce faisant, votre commission s'est pleinement inscrite dans l'objectif du Gouvernement visant à limiter le mauvais usage du crédit renouvelable en encourageant la diffusion du prêt amortissable, tout comme du reste dans celui que poursuivait M. Philippe Marini dans sa proposition de loi 233 ( * ) . Aussi, sur la proposition de votre rapporteur , votre commission spéciale a adopté trois amendements qui se complètent dans leur esprit, ainsi qu' un amendement de nature plus rédactionnelle .
Le premier introduit au B du II du présent article un article L. 311-8-1 nouveau dans le code de la consommation afin que, sur le lieu de vente , le consommateur qui sollicite le financement de certains achats de biens ou services dont le montant total est supérieur à un seuil fixé par décret, puisse se voir systématiquement proposer de souscrire une offre de crédit amortissable alternative à l'éventuelle offre de crédit renouvelable. Cette disposition s'inscrit au coeur des préoccupations des commissaires de voir proposer « le crédit le plus adapté » au consommateur, et non « le crédit le plus rentable » ou « le crédit le moins risqué » pour le prêteur ou l'intermédiaire de crédit.
A cet égard, il convient d'indiquer que votre commission spéciale a relevé que, s'agissant du devoir d'explication, la rédaction de l'article L. 311-8 différait légèrement de celle du texte de la directive communautaire 234 ( * ) . Celle-ci prévoit en effet que les explications fournies par le prêteur doivent permettre au consommateur de déterminer si le contrat de crédit proposé est adapté à ses « besoins » . Or, le texte du Gouvernement fait référence aux « choix » du consommateur. Par souci tant d'assurer une transposition aussi précise que possible que de garantir la plus grande protection du consommateur, mieux prise en compte par la formulation objective retenue par la directive, votre commission spéciale a procédé à cette substitution sémantique dans premier alinéa du texte proposé par le A du II de cet article pour l'article L. 311-8.
Par ailleurs, elle a souhaité renforcer le devoir de conseil sur le lieu de vente . Aussi a-t-elle complété le texte proposé par le A du II de cet article pour l' article L. 311-8 par un alinéa visant à éviter que les personnels n'informent pas de manière appropriée l'emprunteur sur l'offre de crédit la plus adaptée. A cet effet, elle a imposé au prêteur de veiller à ce que les personnes qu'il charge de fournir à l'emprunteur les explications sur le crédit proposé et de recueillir les informations nécessaires à l'établissement de la fiche de dialogue soient dûment formées à la distribution du crédit à la consommation et à la prévention du surendettement. La « traçabilité » de cette obligation de formation sera assurée par un registre des personnels formés , tenu sur le lieu de vente à la disposition de l'autorité de contrôle. Votre rapporteur n'a pas proposé un dispositif d'enregistrement ou d'habilitation des personnels habilités, similaire à celui existant pour le démarchage bancaire et financier, en raison de la forte rotation des personnels de vente .
Enfin, par un dernier amendement, votre commission spéciale a complété le deuxième alinéa du texte proposé par le A du II pour l'article L. 311-8 afin de prévoir que le dialogue entre contractants relatif à l'offre de crédit adapté soit réalisé, sur le lieu de vente, dans des conditions garantissant la confidentialité des échanges.
S'agissant de l'évaluation obligatoire de la solvabilité de l'emprunteur , prévue au C du II et organisée par l'article L. 311-9 du code, la commission a approuvé le cadre législatif proposé par le Gouvernement, qui résulte directement des dispositions de la directive communautaire. En particulier, elle n'a pas retenu les amendements qui visaient à imposer la production de justificatifs ni ceux qui renvoyaient à la consultation d'un fichier positif.
Votre rapporteur a pris connaissance des techniques de « scoring » d'octroi de crédits sur le lieu de vente à partir des informations communiquées par le client. Il les a jugées performantes, eu égard au faible taux de défaillance des crédits distribués sur les lieux de vente : 2 % environ s'agissant des crédits renouvelables et moins de 1 % pour les crédits affectés, selon les statistiques de l'ASF. Ces techniques d'évaluation associées à la consultation obligatoire du FICP lui paraissent être de nature à permettre une évaluation appropriée de la solvabilité de l'emprunteur.
S'agissant de la consultation du FICP , d'aucuns font valoir que ce fichier ne donne pas une image réelle des incidents de paiement. Si la saisine par les commissions de surendettement s'opère en temps réel, en revanche, celle effectuée par les établissements de crédit peut enregistrer un retard de quelques semaines, en raison notamment de l'organisation actuelle de certains réseaux bancaires. La relativité de la notion d'incident de paiement a été également évoquée lors du cycle d'auditions 235 ( * ) devant votre commission spéciale, dans la mesure où l'organisme de crédit, maître de la décision d'inscription, peut pallier le défaut de paiement du débiteur par l'octroi d'un nouveau crédit.
Pour autant, les banques françaises se sont engagées dans la pratique systématique de la consultation du FICP dès 2004, approche qui ne constitue cependant qu'un outil parmi d'autres puisqu'en matière bancaire, elle se double en outre d'un contact personnalisé avec chaque client en cas d'incident de crédit ou de retard de paiement d'échéances significatifs 236 ( * ) .
En tout état de cause, le Gouverneur de la Banque de France s'est engagé à ce que la nécessaire modernisation du fonctionnement du FICP, tant en matière de consultation que de mise à jour des données, soir achevée d'ici mai 2010. Cette modernisation consiste à accroître la réactivité du FICP par son utilisation en temps réel par tous les acteurs. Il est ainsi prévu à terme de supprimer la transmission mensuelle par la Banque de France des bandes magnétiques aux établissements (dite « voie descendante »). En outre, la mise à jour des données sera immédiate.
Pour l'ensemble de votre commission spéciale, cet objectif doit absolument être atteint par les établissements financiers, sous l'autorité de la Banque de France, dans le délai annoncé : le fonctionnement rénové du FICP est en effet indispensable à la bonne mise en oeuvre des dispositions du présent article et, plus largement, à la démarche de responsabilisation de la loi.
Par ailleurs, votre rapporteur s'est interrogé sur les modalités de l'historisation et de la restitution des consultations du FICP par les différents établissements de crédit. Cette obligation étant assortie de sanctions, votre rapporteur estime qu'il sera nécessaire par voie réglementaire de prévoir les modalités de la traçabilité des consultations. Cependant, il souligne qu'en l'état de la réglementation, et eu égard au « droit à l'oubli » posé à l'article 6 de la loi « Informatique et libertés » 237 ( * ) , il est interdit à un organisme prêteur de conserver la preuve de la consultation du FICP faite au sujet d'un emprunteur.
Article L. 311-10 du code de la consommation - Fiche de dialogue
Au-delà de l'obligation de transcription des dispositions communautaires, le présent article 4 procède également à la re-rédaction du texte proposé par le D du II de l'article 4 pour l'article L. 311-10 du code de la consommation afin d'instituer une « fiche de dialogue » remplie conjointement par le prêteur et l'emprunteur lorsque l'opération de crédit se conclut sur le lieu de vente ou au moyen d'une techniques de communication à distance (téléphonie, correspondance ou Internet).
I. Le droit en vigueur
Cette « fiche de dialogue » constitue une innovation majeure puisque ni le droit en vigueur, ni même la directive, ne la prévoient .
Elle s'apparente à la pratique des « points budgets » de certains prêteurs qui consiste, lors de la conclusion d'un contrat de crédit, à demander à l'emprunteur sollicitant une ouverture de crédit de remplir une fiche d'information personnelle dans laquelle il renseigne notamment des éléments relatifs à sa situation familiale et professionnelle ainsi qu'à son budget mensuel.
II. Le texte du Gouvernement
Le renforcement du devoir de conseil et de l'obligation d'évaluation de la solvabilité par le prêteur ou l'intermédiaire de crédit est ainsi formalisée par l'établissement d'une fiche distincte de la fiche précontractuelle visée au nouvel article L. 311-6 du code de la consommation.
Les informations y figurant sont notamment « les éléments relatifs aux ressources et charges de l'emprunteur ainsi que, le cas échéant, aux prêts en cours contractés par ce dernier ». Etablie par écrit ou sur tout autre support durable, elle est signée et authentifiée par l'emprunteur.
II. Le texte de la commission spéciale
Votre commission spéciale se félicite de cette initiative du Gouvernement.
Cependant, votre rapporteur a fait valoir, à la suite du cycle d'auditions des différentes associations de consommateurs, qu' il importait que cette fiche ne puisse pas être utilisée comme preuve de la mauvaise foi de l'emprunteur , dans toute procédure contentieuse ou non, s'il s'avérait que les informations y figurant n'étaient pas exactes. En effet, un consommateur peut, en toute bonne foi, omettre d'y mentionner une charge ou un revenu.
C'est pourquoi, sur sa proposition , votre commission spéciale a adopté un amendement modifiant le texte proposé par le D du II de l'article 4 pour l'article L. 311-10 du code de la consommation.
Cet amendement prévoit que seules les informations figurant dans la fiche corroborées par des justificatifs peuvent être opposées à l'emprunteur .
Cette précision devrait être de nature à rassurer sur la nature juridique de ce document, et sur l'utilisation qui pourrait éventuellement en être faite. Il convient cependant d'observer qu'elle constitue également une incitation, pour les prêteurs, à demander à leurs clients de leurs fournir tous justificatifs nécessaires, sans toutefois le leur imposer. Pour votre rapporteur, cette rédaction constitue donc un heureux équilibre entre les demandes contradictoires relatives à la production de justificatifs.
Votre commission spéciale a adopté cet article ainsi modifié. |
* 226 Voir l'article 5 paragraphe 6 de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil. Ce devoir est également applicable à l'intermédiaire de crédit.
* 227 Voir l'article 8 paragraphe 1 de la directive précitée.
* 228 Cour de cass., Ch. mixte, 12 juillet 2005, Bull. n° 327.
* 229 Cour de cass., Ch. mixte, 29 juin 2007, Bull. n° 7.
* 230 Cour de cass., Ch. mixte, 12 juillet 2005, Bull. n° 326.
* 231 Loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles, dite « loi Neiertz ».
* 232 Voir l'article L. 333-4 du code précité.
* 233 Voir l'article 3 de la proposition n ° 94 (2008-2009) de loi de M. Philippe Marini et plusieurs de ses collègues visant à responsabiliser les acteurs du crédit à la consommation et à lutter contre le surendettement.
* 234 Voir l'article 5 paragraphe 6 de la directive précitée.
* 235 Notamment celle de M. Guy Raymond, professeur honoraire de la faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers.
* 236 Voir engagement FBF du 18 mai 2004.
* 237 Loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.