III. LA RÉNOVATION DE LA PROCÉDURE LÉGISLATIVE

Dans le prolongement de la révision constitutionnelle, le projet de loi organique vise à moderniser la procédure législative en déterminant le cadre dans lequel s'exerce le droit d'amendement ainsi que les conditions de mise en oeuvre, par les règlements des assemblées, des procédures d'examen simplifié ou des délais pour l'examen d'un texte en séance publique.

A. LA NÉCESSAIRE DYNAMISATION DE LA SÉANCE PUBLIQUE


Une mission législative « foisonnante »

Dans un rapport remis au Bureau du Sénat le 30 janvier 1990, MM. Henri de Raincourt, Guy Allouche et Gérard Larcher déploraient la « multiplication anarchique des séances et tout particulièrement des séances de nuit souvent obstruées par un nombre excessif d'amendements techniques » et constataient que les parlementaires « se sentent trop souvent exclus d'une mission législative devenu trop foisonnante, de débats hermétiques de techniciens et de spécialistes, alors que la séance publique devrait être le lieu du choix des orientations politiques fondamentales ».

Près de vingt ans plus tard, cet état des lieux a gardé toute son actualité. La responsabilité en incombe d'abord à l'exécutif du fait du nombre et de l'ampleur des projets de loi soumis au Parlement. Parallèlement, le nombre d'amendements s'est accru dans des proportions considérables même si le phénomène est beaucoup plus marqué à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. Ainsi 5.988 amendements ont été déposés au Sénat au cours de la session 2007-2008 (dont 1.308 par les commissions au fond) contre 13.778 à l'Assemblée nationale (dont 1.705 par les commissions au fond).

L' « embouteillage législatif » a pour conséquence de conduire le Gouvernement à déclarer l'urgence sur un grand nombre de textes dans le seul but d'économiser le temps d'une deuxième lecture au cours de laquelle la plupart des amendements non retenus en première lecture peuvent de nouveau être redéposés 13 ( * ) .


L'exemple des autres parlements européens

La France se trouve, à cet égard, dans une situation singulière par rapport à ses voisins européens, comme l'ont souligné les rapports de nos collègues MM. Patrice Gélard et Jean-Claude Peyronnet à la suite de la mission d'information de votre commission des lois sur les parlements d'autres Etats membres de l'Union européenne 14 ( * ) .

La séance publique y est en effet beaucoup moins encadrée. Trois voies ont été utilisées par les systèmes parlementaires européens pour organiser le travail en séance.

D'abord le temps consacré à la séance publique est réduit . Ainsi à la Chambre des communes, au Royaume-Uni, les horaires de séance publique ont été encadrés et le nombre de séances de nuit ramené à deux par semaine. Le pragmatisme britannique autorise le dépassement de ces horaires à condition cependant que les différents groupes politiques aient donné leur accord. En pratique, ces débordements n'interviennent que rarement.

En Espagne, le Congrès des députés siège trois semaines par mois, trois jours par semaine. Le Sénat se réunit deux semaines par mois, deux jours par semaine. Les séances de nuit se prolongent rarement au-delà de minuit au Congrès et de 22 heures au Sénat.

Le Bundestag ne siège quant à lui que deux semaines par mois, en principe trois jours (le mercredi pour une heure de questions ; le jeudi ; le vendredi matin). Le jeudi, la séance de nuit ne dépasse pas 22 heures.

En deuxième lieu, dans certaines assemblées, les temps de parole sont rigoureusement limités 15 ( * ) . Tel est le cas au Sénat polonais : à l'exception du rapporteur de la commission et du « rapporteur de la minorité », les autres parlementaires ne peuvent intervenir que deux fois au cours d'un même débat -pour une durée limitée à dix minutes pour la première intervention et à cinq minutes pour la seconde.

A la Chambre des députés italienne, ces limitations interviennent à deux stades : au cours de la discussion générale, ne peuvent intervenir outre le rapporteur de la commission et le gouvernement qu'un orateur par groupe tandis que lors de la discussion des articles, un député n'a le droit d'intervenir dans la discussion d'un article qu' une seule fois pour une durée maximale de vingt minutes (dix minutes au Sénat) même s'il est l'auteur de plusieurs amendements, sous-amendements ou articles additionnels 16 ( * ) -chaque député pouvant par ailleurs intervenir, avant la fin de la discussion, pour une durée n'excédant pas cinq minutes sur l'ensemble des sous-amendements présentés à ses propres amendements.

Par ailleurs, un député par groupe peut faire une explication de vote de cinq minutes, au plus, sur chaque article, amendement, sous-amendement et article additionnel.

La rationalisation du travail parlementaire peut aussi passer dans certains pays par le strict encadrement du droit d'amendement .

A la Diète polonaise, le droit d'amender est réservé à l'auteur du texte, ou à un groupe de quinze députés au moins, au président ou au vice-président d'un groupe politique et au Gouvernement.

En Espagne, si chaque parlementaire peut déposer des amendements, ce droit s'exerce en fait dans le cadre des groupes politiques . En effet, les amendements individuels doivent être revêtus de la signature du porte-parole du groupe politique auquel appartient le parlementaire auteur de l'amendement. En outre, seuls les groupes peuvent présenter des amendements sur la totalité du texte 17 ( * ) . Les groupes sont ainsi les véritables titulaires du droit de dépôt des amendements.

Au Sénat comme au Congrès, les amendements d'un même groupe font habituellement l'objet d'un vote unique. En effet, ils sont le plus souvent débattus en bloc sur chaque chapitre du projet de loi, sauf demande contraire des groupes. Ils sont en outre présentés par les porte-parole des groupes.

Au Congrès, chaque groupe dispose en principe de 10 minutes pour présenter l'ensemble de ses amendements en séance plénière , cette durée pouvant être étendue par le président de l'assemblée si l'importance du sujet le justifie (et non en fonction du nombre d'amendements). A l'issue de cette présentation, il est procédé au vote des « blocs » d'amendements présentés par chaque groupe. Un groupe peut toutefois demander que certains amendements fassent l'objet d'un vote séparé. Le groupe majoritaire peut ainsi demander que des amendements présentés par l'opposition soient soumis à un vote en séance plénière, afin de marquer leur rejet par l'assemblée. Les plus petits groupes territoriaux utilisent également cette prérogative pour inciter les autres groupes à prendre publiquement position sur certaines questions.

Au Royaume-Uni, le dépôt et la discussion des amendements s'effectuent surtout au stade de la commission, le président de la commission ne faisant généralement qu'un usage parcimonieux de son large pouvoir d'appréciation pour écarter de la discussion les amendements déposés . La discussion sur les amendements en commission et en séance ne fait cependant pas double emploi. En effet, s'il est possible de déposer ou de redéposer des amendements en séance publique après l'examen du texte par la commission, les amendements déjà largement débattus et rejetés au stade de la commission ne sont généralement pas rediscutés, le président de séance utilisant beaucoup plus activement que le président de la commission son pouvoir discrétionnaire de sélection des amendements. Il s'agit de la procédure dite du « kangourou » : on saute les amendements éliminés par le speaker.

Enfin, certains parlements ont choisi de fixer une durée déterminée à l'examen des textes .

Tel est le cas au Royaume-Uni. Depuis 1889, la Chambre des communes a la possibilité de voter des motions « guillotine » destinées à interrompre une étape de l'examen d'un texte. Toutefois, depuis 2004, la maîtrise des débats en séance publique passe par la détermination d'une durée programmée de l'examen des projets de loi.

La motion de programmation fixe à l'avance la durée de la discussion à chaque stade de la procédure.

En Espagne, le président du Congrès dispose de prérogatives étendues en matière d'organisation de la séance plénière. Il peut ainsi établir d'avance la durée maximale consacrée au débat d'un projet de loi, en distribuant le temps entre les interventions prévues, et procéder, à l'expiration du délai accordé, aux éventuelles mises aux voix.

Ces différents dispositifs doivent être replacés dans leur contexte institutionnel propre. En effet, plusieurs parlements accordent une place primordiale à la phase d'examen en commission au cours de laquelle le droit d'amendement peut alors s'exercer pleinement. Ainsi, lorsque le texte débattu dans l'hémicycle est celui adopté par la commission comme tel est souvent le cas (Royaume-Uni, Espagne, Finlande, Italie, Luxembourg, Belgique, Grèce, Autriche) la présentation d'amendements en séance publique peut être soumise à des conditions rigoureuses.

Dans la période récente, le Sénat comme l'Assemblée nationale se sont efforcés de réfléchir aux voies de la revalorisation du travail parlementaire et notamment la séance publique. Ainsi, dans notre assemblée, le groupe de réflexion sur l'institution sénatoriale présidé par notre ancien collègue, M. Daniel Hoeffel avait conclu dans sa majorité à la « nécessité d'alléger, de moderniser et de dynamiser le débat en séance publique afin de le rendre plus vivant, plus interactif, plus attractif » 18 ( * ) . Il avait préconisé la discussion des textes sur la base des conclusions de la commission afin, comme l'avait souligné M. Jacques Larché, alors président de votre commission des lois, de faire « l'économie de débats purement techniques sur des amendements de pure forme, de codification ou de cohérence, indispensables à la bonne lisibilité de la loi, mais inutilement consommateurs de temps ». Cette suggestion avait été reprise par votre commission des lois à l'issue du rapport précité de nos collègues Patrice Gélard et Jean-Claude Peyronnet.

Plusieurs des réformes proposées se heurtaient à l'obstacle constitutionnel. Elles ont du moins nourri pour partie les analyses du comité de réflexion et de proposition présidé par M. Edouard Balladur sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République et préparé ainsi la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

* 13 Sur 70 textes examinés par le Sénat au cours de la session 2007-2008 (dont 5 conventions), 21 projets de loi ont fait l'objet d'une déclaration d'urgence.

* 14 MM. Patrice Gélard et Jean-Claude Peyronnet : L'expérience des parlements nationaux au sein de l'Union européenne : quels enseignements pour le Sénat ? Les exemples allemand, britannique, espagnol, finlandais, italien et polonais - rapport n° 43 (2006-2007), et L'expérience des parlements nationaux au sein de l'Union européenne (suite) : Une source d'inspiration pour le Sénat - Les exemples luxembourgeois, belge, portugais, grec, tchèque, autrichien et slovaque - rapport du Sénat n° 418 (2006-2007).

* 15 En France, au Sénat, sur chaque article, chaque sénateur peut prendre la parole une fois pour cinq minutes et intervenir pour une explication de vote de cinq minutes non seulement sur l'article mais aussi sur chacun des amendements.

* 16 Cette durée de vingt minutes est toutefois doublée pour les lois constitutionnelles, les délégations législatives, les lois électorales ou autorisant la ratification de traités internationaux.

* 17 Un amendement sur la totalité vise l'opportunité ou l'esprit du projet de loi, en demande le renvoi au gouvernement ou propose un projet alternatif.

* 18 Rapport du groupe de réflexion sur l'institution sénatoriale présidé par M. Daniel Hoeffel.

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