EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est saisi en première lecture du projet de loi organique relatif à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution adoptés par l'Assemblée nationale le 20 janvier 2009.
Ce texte constitue le volet parlementaire des différentes dispositions organiques prévues par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 1 ( * ) .
Le renforcement des droits du Parlement a été au coeur de la loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la V ème République. Certaines des dispositions constitutionnelles relatives au Parlement sont entrées en vigueur dès le 25 juillet 2008, telle l'obligation pour le Gouvernement de demander l'autorisation de la prolongation d'une intervention des forces armées à l'étranger au-delà de quatre mois -appliquée pour la première fois le 28 janvier 2009- ; plusieurs des mesures emblématiques de la réforme -discussion en séance du texte de la commission, partage de l'ordre du jour- s'appliquent, quant à elles, directement au 1 er mars 2009 ; d'autres enfin requièrent en vertu de la Constitution une loi organique.
Ainsi, un texte organique est prévu par la Constitution pour fixer :
- les conditions dans lesquelles les assemblées peuvent voter des résolutions (article 34-1) ;
- les conditions auxquelles doivent répondre la présentation des projets de loi déposés devant l'Assemblée nationale ou le Sénat (article 39) ;
- le cadre dans lequel les règlements des assemblées fixent les conditions d'exercice du droit d'amendement (article 44).
Au terme d'un débat souvent difficile, l'Assemblée nationale a complété utilement le texte organique s'attachant en particulier à renforcer les obligations du Gouvernement dans le cadre de la présentation des projets de loi.
A la lumière d'une part des observations recueillies par votre rapporteur auprès des présidents de groupes, du président de la réunion des sénateurs non inscrits ainsi que des présidents de commission, et, d'autre part, des auditions de plusieurs constitutionnalistes éminents 2 ( * ) , votre commission vous propose plusieurs amendements inspirés par deux lignes directrices :
- le texte proposé doit être recentré sur les mesures à caractère organique ; il importe en effet d'assurer le respect de la hiérarchie des normes et de l' autonomie des assemblées ;
- les dispositions organiques doivent s'accorder avec l'intention principale qui a inspiré le constituant lors de la révision institutionnelle du 23 juillet 2008 : le rééquilibrage des pouvoirs au profit du Parlement .
Enfin, selon votre commission, l'examen d'un texte touchant étroitement à l'organisation des travaux législatifs doit procéder d'une démarche attentive aux préoccupations exprimées par tous les groupes politiques. Elle s'est efforcée, pour sa part, de travailler dans cet état d'esprit.
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I. LA DÉTERMINATION D'UN CADRE PRÉCIS POUR L'EXAMEN DES RÉSOLUTIONS
Le chapitre premier du projet de loi organique fixe les conditions dans lesquelles les assemblées peuvent voter des résolutions, conformément au nouvel article 34-1 de la Constitution introduit par la révision du 23 juillet 2008.
Une résolution peut être définie comme « l'acte unilatéral par lequel une assemblée soit décide des règles de son fonctionnement soit fait connaître au Gouvernement son sentiment sur une question donnée » 3 ( * ) .
A. UN DISPOSITIF CONSTITUTIONNEL ENCADRÉ
Sous la V ème République, avant la loi constitutionnelle du 23 juillet dernier, la possibilité pour les assemblées de voter des résolutions est restée strictement encadrée. Ces limitations ont été posées dès 1958 par le Conseil constitutionnel en réaction aux dérives observées pendant les Républiques antérieures -le vote de résolutions ayant abouti à plusieurs reprises à mettre en cause la responsabilité du Gouvernement. Ainsi, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions que les assemblées, dans le silence de la Constitution sur ce sujet, avaient introduites dans leur règlement pour leur permettre de voter des résolutions 4 ( * ) .
Seules deux catégories de résolution ont été admises : celles qui ont pour objet « la formulation de mesures et décisions d'ordre interne ayant trait au fonctionnement et à la discipline des deux assemblées » et celles qui sont « expressément » prévues dans les textes constitutionnels et organiques 5 ( * ) .
Les règlements des deux assemblées ont transcrit ces prescriptions. Le Règlement du Sénat -article 24, troisième alinéa- prévoit que « les propositions de résolution ont trait aux décisions relevant de la compétence exclusive du Sénat. Elles sont irrecevables dans tous les autres cas, hormis ceux prévus par les textes constitutionnels et organiques » tandis que le Règlement de l'Assemblée nationale -article 82 , premier alinéa)- dispose « Hormis les cas prévus expressément par les textes constitutionnels ou organiques, les propositions de résolution ne sont recevables que si elles formulent des mesures et décisions d'ordre intérieur qui, ayant trait au fonctionnement et à la discipline de l'Assemblée, relèvent de sa compétence exclusive ».
Chaque assemblée peut adopter :
- les propositions de résolution tendant à modifier son règlement ;
- les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête (article 11, premier alinéa du Règlement du Sénat ; articles 140 à 144 du Règlement de l'Assemblée nationale) ;
- les propositions de résolution tendant à la suspension de la détention ou de poursuites d'un sénateur (article 105 du Règlement du Sénat) ou d'un député (article 80, sixième alinéa, du Règlement de l'Assemblée nationale) 6 ( * ) ;
- depuis les révisions constitutionnelles du 25 juin 1992 et du 25 janvier 1999 les propositions de résolution sur les projets ou propositions d'actes de l'Union européenne ainsi que sur tout document émanant de ces institutions en application de l'article 88-4 de la Constitution.
Les trois premières catégories de propositions de résolution constituent des mesures d'ordre intérieur contraignantes. La dernière a seulement vocation à exprimer une position. Elle demeure cantonnée aux actes ou documents européens.
La loi constitutionnelle ajoute un nouveau type de résolution qui, comme le précédent, n'a pas de caractère contraignant. Cependant, contrairement aux résolutions européennes, le champ n'en est pas limité. Elles doivent, en contrepartie, répondre à des conditions de recevabilité très strictes.
La faculté reconnue aux assemblées par l'article 34-1 de la Constitution de voter des résolutions est pour une large part liée à l'initiative sénatoriale. Certes, le projet de loi prévoyait, comme l'avait suggéré le comité Balladur, une telle possibilité. L'Assemblée nationale, néanmoins, s'y était opposée de crainte qu'elle n'ouvre la voie à une double dérive : la multiplication des résolutions sur les sujets les plus divers, la remise en cause par des voies détournées de la responsabilité du Gouvernement.
Aussi, les députés, à l'initiative de leur commission des lois et avec l'avis favorable du Gouvernement, avaient-ils supprimé ce nouveau droit, tout en instituant, en contrepartie, la possibilité pour le Gouvernement, à son initiative ou à la demande d'un groupe parlementaire, de faire une « déclaration à caractère thématique qui donne lieu à un débat et peut faire l'objet d'un vote sans engager sa responsabilité ». Le principe d'une telle déclaration a été transcrit dans une rédaction différente à l'article 50-1 de la Constitution.
Le Sénat, à l'initiative de sa commission des lois et de sa commission des affaires étrangères et avec un avis de sagesse du Gouvernement, a rétabli la résolution de l'article 34-1 tout en l'encadrant.
Notre assemblée a jugé en premier lieu que les résolutions constitueraient le vecteur adapté pour exprimer des positions ou des voeux sur une question donnée qui aujourd'hui prennent trop souvent la forme de dispositions législatives alors même qu'elles n'ont aucun caractère normatif. Elles seraient, par exemple, particulièrement adaptées pour les textes à caractère mémoriel. Ainsi les résolutions contribueraient à permettre au Parlement de mieux assumer sa fonction législative.
Ensuite, le Sénat a estimé que ce dispositif ne justifie pas les inquiétudes qu'il inspirait parfois. En effet, les résolutions s'insèrent dans un système constitutionnel très éloigné des III et IV e Républiques. Depuis 1958, la responsabilité des gouvernements ne peut être mise en cause que de manière très encadrée. Par ailleurs, l'expérience des résolutions européennes introduites dans la Constitution par les révisions des 25 juin 1992 et 25 janvier 1999 témoigne d'un usage très mesuré et responsable de ce droit.
Afin de tenir compte des préoccupations exprimées à l'Assemblée nationale, le Sénat a cependant prévu, d'une part, que les conditions de mise en oeuvre du droit de résolution seraient renvoyées non au règlement de chaque assemblée, comme le prévoyait le texte initial du projet de loi constitutionnel, mais à la loi organique afin que des principes communs aux deux assemblées puissent être établis en la matière ; ensuite, il avait rappelé que les résolutions ne peuvent mettre en cause la responsabilité du Gouvernement. En deuxième lecture, les députés se sont ralliés à la position défendue par le Sénat en adoptant un amendement du Gouvernement qui reprenait la disposition votée par les sénateurs en précisant que sont irrecevables et ne peuvent être inscrites à l'ordre du jour les propositions de résolution dont le Gouvernement estime que leur adoption ou leur rejet serait de nature à mettre en cause sa responsabilité, ou qu'elles contiennent des injonctions à son égard.
Le caractère organique des dispositions proposées au chapitre premier répond ainsi à une exigence d'abord posée par le Sénat, soucieux de lever les réticences manifestées par la majorité de l'Assemblée nationale. Il permet de fixer un cadre d'application précis à des dispositions constitutionnelles qui elles-mêmes garantissent sans équivoque les prérogatives du Gouvernement. Les dispositions proposées par le projet de loi organique définissent ainsi de manière détaillée les conditions de dépôt, de recevabilité et d'examen des propositions de résolution.
* 1 Il fait suite ainsi à la loi organique n° 2009-38 du 13 janvier 2009 portant application de l'article 25 de la Constitution et précède les lois organiques qui devront être prises pour l'application des dispositions relatives à l'exception d'inconstitutionnalité (art. 61-1 et 62 de la Constitution), au Conseil supérieur de la magistrature (art. 65 de la Constitution) ou encore au Défenseur des droits des citoyens (art. 71-1 de la Constitution).
* 2 Cf. pour ces dernières bulletin des commissions.
* 3 Bruno Baufumé « La réhabilitation des résolutions : une nécessité constitutionnelle », Revue de droit public, 1994, p. 1399.
* 4 Sous des formes différentes, le Sénat avait repris les dispositions du Règlement du Conseil de la république tandis que l'Assemblée nationale avait encadré le vote des résolutions : les propositions de résolution ne pouvaient pas s'écarter du domaine de la loi ; elles étaient soumises aux mêmes règles d'irrecevabilité financière que les propositions de loi ; elles étaient frappées d'irrecevabilité dès que le Gouvernement les estimait de nature à mettre en cause sa responsabilité.
* 5 Décisions 59 DC des 17, 18 et 24 juin 1959 (Règlement de l'Assemblée nationale), et 59-3 DC des 24 e 25 juin 1959 (Règlement du Sénat).
* 6 Le règlement de l'Assemblée nationale prévoit aussi les propositions de résolution portant mise en accusation du chef de l'Etat devant la Haute Cour de justice -articles 158 à 160 du règlement de l'Assemblée nationale. Ces dispositions devraient cependant être revues en raison de la modification de l'article 68 de la Constitution par la loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007 dont la mise en oeuvre requiert cependant une loi organique qui n'a pas encore été déposée.