Article 48 - Habilitation à prendre par ordonnances des mesures visant à aménager les dispositifs de régulation de la diffusion cinématographique et à rénover les relations entre distributeurs et exploitants

Cet article propose d'habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnances (alinéa 1) des mesures législatives (énumérées par les alinéas 2 à 4) visant à aménager les dispositifs de régulation de la diffusion cinématographique et à rénover les relations entre distributeurs et exploitants, dans un délai de huit mois (alinéa 5).

I - Le droit en vigueur

Ainsi que l'ont rappelé Mme Anne Perrot et M. Jean-Pierre Leclerc dans leur rapport précité : « L'industrie du cinéma telle qu'elle existe aujourd'hui en France repose au contraire sur une volonté continue de contrecarrer les mécanismes de marché, qui auraient abouti à l'élimination de la création cinématographique française, incapable de résister à la puissance de séduction du cinéma américain. Depuis les années 1940, l'Etat agissant en concertation avec la profession a bâti un système d'intervention multiforme mêlant redistribution financière, autorisations d'exercice, contractualisation d'engagements, médiation dans les rapports commerciaux entre professionnels, autorégulation par la voie de codes de bonne conduite et d'accords. Cette intervention répond à des enjeux qui ne sont pas seulement économiques, mais aussi politiques et culturels ; elle a permis au cinéma français, malgré de nombreuses crises, de survivre et même dans la période récente d'afficher des bons résultats en termes de fréquentation, de diversité et d'équipement du territoire.

Les règles de la concurrence ne peuvent pas facilement s'épanouir dans un marché aussi organisé. Pourtant, elles s'appliquent bien au cinéma, comme les autorités de concurrence l'ont constamment affirmé. »

Rappelons, en effet, que le secteur du cinéma fait l'objet depuis les années 1940 d'une politique de régulation sectorielle, élaborée afin de préserver une activité industrielle et artistique aux enjeux culturels. Ainsi qu'il a été exposé dans la première partie du présent rapport, les règles de la concurrence doivent néanmoins s'appliquer à lui, les dérogations accordées devant être strictement proportionnées aux objectifs d'intérêt général recherchés et ne porter atteinte que de façon limitée au bon fonctionnement du marché.

La législation poursuit ainsi un double objectif louable : d'une part, veiller au libre jeu de la concurrence et, d'autre part, sauvegarder la création cinématographique.

Les engagements de programmation

La loi du 29 juillet 1982 dispose notamment que « tout groupement ou entente entre entreprises de spectacles cinématographiques destiné à assurer la programmation des oeuvres cinématographiques en salle est soumis à agrément préalable délivré par le directeur du Centre national de la cinématographie ». Cet agrément est subordonné à un certain nombre de règles qui concernent la prise d'engagements de programmation afin de maintenir le pluralisme de la diffusion des oeuvres cinématographiques.

Le Médiateur du cinéma

Par ailleurs, la même loi a créé une institution originale et qui a prouvé son efficacité : le Médiateur du cinéma.

En 2007, l'anniversaire des 25 ans du Médiateur du cinéma a marqué le succès de cette autorité administrative indépendante, spécifique au secteur du cinéma et qui permet de prendre pleinement en compte ses modes de fonctionnement afin d'en améliorer efficacement la régulation.

Dans le rapport pour avis de votre commission sur le compte spécial cinéma, audiovisuel et expression radiophonique locale pour 2008, M. Serge Lagauche avait insisté sur la grande utilité de cette autorité pour les professionnels du secteur. Réactive et souple, cette institution apparaît en effet très complémentaire de l'action conduite par le Conseil de la concurrence.

LES MISSIONS ET L'ACTIVITÉ DU MÉDIATEUR DE LA RÉPUBLIQUE 98 ( * )

Il est chargé d'une mission de conciliation préalable en cas de « litiges relatifs à la diffusion en salle des oeuvres cinématographiques et qui ont pour origine une situation de monopole de fait, une position dominante ou toute autre situation ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence et révélant l'existence d'obstacles à la plus large diffusion des oeuvres cinématographiques conforme à l'intérêt général ».

La fonction essentielle du Médiateur du cinéma est la conciliation par laquelle il invite les parties à mettre fin au litige qui les oppose en parvenant à un accord amiable. Le cas échéant, il rappelle l'existence des règles applicables, qu'elles soient relatives à la concurrence, aux pratiques commerciales, à l'exploitation des films en salles et à leur distribution. En cas d'échec de la conciliation, il peut, dans un délai maximum de deux mois à compter de la saisine, émettre une injonction, décision exécutoire qui s'impose aux parties. Il prescrit alors les mesures qui lui paraissent de nature à mettre fin à la situation litigieuse.

En outre, il s'est vu attribuer, par la loi du 15 mai 2001, le pouvoir de faire appel des décisions des Commissions départementales d'équipement cinématographique (CDEC) devant la Commission nationale d'équipement cinématographique (CNEC) chargée de statuer sur les demandes d'autorisation de complexes cinématographiques supérieurs à 300 fauteuils.

Le Médiateur est l'objet chaque semaine d'un nombre croissant de saisines. D'une petite dizaine par an lors de sa création, ce sont à présent plus de 90 dossiers qui sont officiellement ouverts chaque année : difficultés d'accès aux films, problèmes de concurrence entre salles indépendantes et grands circuits, questions tarifaires, conflits entre entreprises privées et entreprises soutenues par les pouvoirs publics, litiges liés à des initiatives à caractère non commercial, conséquences de la modernisation ou de l'extension du parc cinématographique sur une zone de chalandise, cartes illimitées ou encore mise en oeuvre des dispositifs scolaires.

Près des deux tiers des cas qui lui sont soumis trouvent une issue positive, que ce soit par conciliation (60 % des dossiers en 2006) ou injonction.

Depuis sa création, cette autorité administrative indépendante s'est imposée comme l'un des acteurs importants du paysage cinématographique français. Par ses médiations et des injonctions , il contribue , de manière discrète mais efficace, au règlement des conflits et participe à la régulation du marché. Par ses avis et ses recommandations, il veille au respect des règles du jeu et du droit de la concurrence . Le Médiateur du cinéma joue ainsi un rôle essentiel en faveur de la préservation de la diversité de l'offre cinématographique .

La régulation de la diffusion des oeuvres cinématographiques

Afin de rénover le cadre juridique s'appliquant à la régulation de la diffusion des oeuvres cinématographiques, Mmes Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, et Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, ont commandé à Mme Anne Perrot et M. Jean-Pierre Leclerc une étude sur l'équilibre à atteindre entre les règles du marché et le développement de la créativité cinématographique.

Rendu en mars 2008, ce rapport 99 ( * ) , intitulé « Cinéma et concurrence », dresse une analyse économique du secteur du cinéma et de ses modalités de régulation. Partant du principe que « la prise en compte des objectifs légitimes de protection de la culture n'a jamais été considérée, jusqu'à présent, comme une justification pour écarter purement et simplement les règles de concurrence », leurs préconisations tracent des perspectives que le présent article a pour ambition de mettre en oeuvre.

Ce rapport a avancé les principales préconisations suivantes :

1. Sécuriser les accords susceptibles d'être exemptés au titre du progrès économique, en utilisant la procédure de l'article L. 420-4 du code de commerce qui permet au gouvernement d'autoriser des accords ou des catégories d'accords par décret, pris sur l'avis conforme du Conseil de la concurrence, ou solliciter le Conseil de la concurrence pour avis, sur le fondement de l'article L. 462-1 du code de commerce, sur les questions de concurrence posées par les accords que la profession souhaiterait pouvoir conclure.

2. Respecter l'obligation de conclure des contrats écrits et simplifier cette formalité en concluant des contrats cadre et en recourant à des modalités de signature électronique.

3. Inviter le médiateur à élargir le champ de ses interventions, par l'exercice d'un pouvoir de conciliation ou de recommandation en matière de pratiques discriminatoires ou abusives dans l'accès des films aux écrans, de relations commerciales entre distributeurs et exploitants, de concurrence entre salles municipales et salles privées, de politique tarifaire et de rémunération des distributeurs, et renforcer ses moyens.

4. Étendre le régime des engagements de programmation aux multiplexes qui n'y sont pas soumis.

5. Procéder à un audit des aides à la distribution et à l'exploitation et renforcer leur sélectivité.

6. Évaluer les effets de la procédure d'autorisation d'ouverture des multiplexes sur la concentration du secteur de l'exploitation en salle et sur la diversité de programmation. En cas de suppression du régime d'autorisation de l'équipement commercial, instituer une procédure propre au cinéma, assise sur des commissions constituées au niveau régional et national.

7. Remédier aux effets de la concurrence par les prix entre les exploitants de salle sur la rémunération des distributeurs, soit :

- en dérogeant à l'article L.442-5 du code de commerce, pour donner aux distributeurs un droit de regard sur les prix pratiqués par les exploitants ;

- en abrogeant l'article 24 du code de l'industrie cinématographique et la décision réglementaire n°15 du directeur général du CNC, pour permettre aux distributeurs et aux exploitants de négocier librement des rémunérations minimales ou forfaitaires ;

- en définissant une rémunération minimale pour les distributeurs par la voie d'une négociation collective ou par la voie réglementaire ;

- en imposant aux distributeurs et aux exploitants la négociation d'un tarif de référence applicable en cas de promotions, un tarif minimum défini par la voie réglementaire s'appliquant en cas de non-respect de cette obligation ;

- en expérimentant, sans modification du cadre juridique existant, l'extension du tarif de référence aux promotions autres que les formules d'abonnement illimité.

8. Imposer aux salles municipales opérant en concurrence avec des exploitants privés de souscrire des engagements de programmation, ou la définition d'un projet cinématographique précis par des conventions ou cahiers des charges s'imposant aux gestionnaires de l'établissement.

9. Favoriser la concertation périodique entre les distributeurs autour d'un calendrier de sortie des films.

10. Veiller à ce que les mécanismes de soutien financier ou les obligations de financement de la production ne contribuent pas à la multiplication des films produits et des copies par un saupoudrage des financements.

11. Recentrer l'octroi des subventions art et essai, en pondérant l'aide accordée aux salles art et essai en fonction du nombre de copies ou du nombre de spectateurs, ou en excluant du calcul de ces aides les films ayant dépassé un seuil d'entrées, et récompenser les efforts d'exposition des films dans la durée.

12. Intéresser les distributeurs sur les recettes réalisées par les films qu'ils ont distribués sur les différents supports d'exploitation, notamment par l'intermédiaire des aides automatiques versées au titre du compte de soutien.

13. Fixer par voie d'accord interprofessionnel la fenêtre d'exploitation des services de vidéo à la demande, afin de préserver les principes de la chronologie des médias. Dans le cas d'une ouverture de négociations individuelles entre les ayants droit et les diffuseurs de services pour déterminer la chronologie d'exploitation propre à chaque film, répartir entre les différents médias les obligations de financement de la production et les quotas de diffusion.

14. Donner aux ayants droit la garantie d'une rémunération minimale à l'occasion de la location de films en VOD, pour le secteur de l'exploitation en salle.

II - Les dispositions du projet de loi

L'article vise 48 du présent projet de loi vise à traduire en droit les propositions de nature législative contenues dans le rapport Perrot-Leclerc précité, notamment pour ce qui concerne l'extension du champ de compétences du médiateur du cinéma et le régime des engagements de programmation des établissements de spectacles cinématographiques.

Ce contexte explique que l'énumération des dispositions pour lesquelles le Gouvernement sollicite l'application de l'article 38 de la Constitution couvre les domaines suivants :

- les dispositifs de régulation de la diffusion cinématographique concernant les conditions de délivrance de l'agrément des groupements et ententes de programmation, les engagements de programmation des exploitants d'établissements de spectacles cinématographiques ainsi que l'étendue des pouvoirs du médiateur du cinéma (1°, alinéa 2) ;

- les conditions de cession des droits de représentation cinématographique et les conditions de cession des droits d'exploitation des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles sous forme de vidéogrammes destinés à l'usage privé du public ou par les services de médias audiovisuels à la demande (3°, alinéa 4) ;

- les conditions et modalités de délivrance de l'agrément des formules d'accès au cinéma donnant droit à des entrées multiples (2°, alinéa 3).

S'agissant de ce dernier point, le Gouvernement souhaite prendre, par voie d'ordonnances, des mesures confirmes à l'esprit des propositions formulées par la commission d'agrément des formules d'accès au cinéma du CNC dans son bilan d'activité du 12 février 2008, consacré aux « formules d'abonnement de type accès illimité au cinéma ».

Si, en effet, le cadre législatif et réglementaire mis en place depuis 2003 a répondu, en partie, au constat qui avait été fait lors de la mise sur le marché de la première formule d'abonnement avec accès illimité et donc aux attentes des principaux acteurs concernés, en préservant notamment le pluralisme de l'offre cinématographique et des lieux de diffusion, il a toutefois montré ses limites, à l'occasion du renouvellement des agréments de ces formules en 2007, et particulièrement en ce qui concerne la détermination du prix de référence.

Conformément aux préconisations de la commission d'agrément du CNC, l'ordonnance pourrait donc comporter une série de mesures propres à alléger la procédure d'agrément et à renforcer l'efficacité de celle-ci, au bénéfice de tous les acteurs concernés par ce dispositif : les émetteurs, les exploitants garantis, les distributeurs et les ayants droit.

L'ensemble de ces aménagements nécessitant une concertation approfondie entre les professionnels du cinéma et les sujets traités étant souvent, par ailleurs, très techniques, il est prévu que le Gouvernement dispose, pour rédiger cette ordonnance, d'un délai plus long que celui prévu par l'article 47 du présent projet de loi.

C'est pourquoi le II du présent article (alinéa 5) prévoit que :

- l'ordonnance doit être prise au plus tard dans un délai de huit mois à compter de la publication du présent projet de loi ;

- un projet de loi portant ratification de cette ordonnance doit être déposé, devant le Parlement, au plus tard le dernier jour du troisième mois qui suit celui de sa publication.

Aucun projet d'ordonnance n'a pu être remis à vos rapporteurs dans la mesure où sa rédaction dépend des négociations professionnelles en cours. Mais, si les négociations entre professionnels aboutissent, l'ordonnance permettra, à n'en pas douter, une rénovation utile des dispositifs de régulation de la diffusion cinématographique et des relations entre distributeurs et exploitants.

III - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a utilement précisé que les dispositions que le Gouvernement pourra prendre pour actualiser les registres du cinéma et de l'audiovisuel et pour renforcer la transparence de l'information relative aux recettes d'exploitation des oeuvres devront être prises « dans le respect des dispositions du code de la propriété intellectuelle. »

IV - La position de votre commission

Ainsi qu'elle l'a exprimé à l'article précédent, votre commission ne peut que regretter qu'une réforme aussi importante du cadre juridique régissant ce secteur essentiel de la culture soit réalisée par voie d'ordonnances.

L'aménagement des dispositifs de régulation de la diffusion des oeuvres cinématographiques aurait sans doute pu faire l'objet d'un projet de loi spécifique que le Parlement aurait examiné dans le courant de l'année 2009. Ainsi, la mutation du secteur du cinéma et de son cadre juridique aurait-elle fait l'objet d'un débat public, qui aurait également permis de mieux le valoriser aux yeux de nos concitoyens.

Votre commission constate cependant que le problème d'encombrement de l'ordre du jour des assemblées parlementaires a peu de chance d'être résolu à brève échéance. Aussi a-t-elle admis la procédure des ordonnances, sous réserve néanmoins qu'un comité de suivi soit créé, selon les modalités déjà indiquées.

Ainsi, à défaut d'un projet de loi spécifiquement dédié à ces réformes essentielles, que notre commission des affaires culturelles avait appelé de ses voeux, le Parlement sera associé à l'élaboration de ce nouveau cadre juridique en amont du processus de validation des ordonnances.

Sous ces réserves, votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.

* 98 Extraits du rapport précité présenté par M. Serge Lagauche au nom de la commission des affaires culturelles.

* 99 Voir le résumé du rapport en annexe au présent rapport.

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