N° 326

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008

Annexe au procès-verbal de la séance du 14 mai 2008

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi portant adaptation du droit pénal à l' institution de la Cour pénale internationale ,

Par M. Patrice GÉLARD,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Jacques Hyest , président ; MM. Patrice Gélard, Bernard Saugey, Jean-Claude Peyronnet, François Zocchetto, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Georges Othily , vice-présidents ; MM. Christian Cointat, Pierre Jarlier, Jacques Mahéas, Simon Sutour , secrétaires ; M. Nicolas Alfonsi, Mme Michèle André, M. Philippe Arnaud, Mme Éliane Assassi, MM. Robert Badinter, José Balarello, Laurent Béteille, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. François-Noël Buffet, Marcel-Pierre Cléach, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Yves Détraigne, Michel Dreyfus-Schmidt, Pierre Fauchon, Gaston Flosse, Bernard Frimat, René Garrec, Jean-Claude Gaudin, Charles Gautier, Jacques Gautier, Mme Jacqueline Gourault, M. Jean-René Lecerf, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. François Pillet, Hugues Portelli, Marcel Rainaud, Henri de Richemont, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Troendle, MM. Alex Türk, Jean-Pierre Vial, Jean-Paul Virapoullé, Richard Yung.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

308 (2006-2007)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

La commission des Lois, réunie le mercredi 14 mai 2008 sous la présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président, a examiné, sur le rapport de M. Patrice Gélard, le projet de loi n° 308 (2006-2007) portant adaptation du droit pénal à l'institution de la cour pénale internationale.

La commission a estimé que le projet de loi était fidèle pour l'essentiel à l'esprit de la convention de Rome.

Elle a souhaité cependant rapprocher encore davantage la définition de certains crimes de guerre introduits dans le code pénal des termes de la convention de Rome. Elle a ainsi adopté quatre amendements à l'article 7 du projet de loi tendant à :

- incriminer le pillage même si celui-ci n'est pas commis en bande (art. 461-15 du code pénal) ;

- interdire l'enrôlement forcé de toutes les personnes protégées -et pas seulement de celles appartenant à la partie adverse- (art. 461-20 du code pénal) ;

- autoriser la mise en cause de la responsabilité pénale du supérieur hiérarchique civil dans le cas où celui-ci aurait délibérément négligé de tenir compte d'informations indiquant clairement que le subordonné allait commettre un crime de guerre (art. 462-7 du code pénal) ;

- encadrer les conditions dans lesquelles l'auteur d'un crime de guerre pourrait être exonéré de responsabilité pénale en cas de légitime défense (art. 462-9 du code pénal).

La commission a souhaité également aller au-delà des exigences de la convention de Rome en portant de quinze à dix-huit ans l'âge à partir duquel il peut être procédé à la conscription ou à l'enrôlement dans les forces armées (art. 461-7 du code pénal).

Enfin, elle a aligné le régime des interdictions applicables aux auteurs de crime contre l'humanité sur celui, plus sévère, prévu par le projet de loi pour les crimes de guerre (article 8).

Par ailleurs, votre commission a estimé que si la convention de Rome prévoyait l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre, il était souhaitable de réserver, en droit français, ce principe aux seuls crimes contre l'humanité, l'allongement des délais de prescription pour les crimes de guerre, prévu par le projet de loi, constituant déjà une avancée significative.

Elle a par ailleurs longuement débattu de la reconnaissance d'une compétence universelle aux juridictions françaises afin de leur permettre de poursuivre et juger l'auteur d'un crime international même si les faits se sont déroulés hors du territoire de la République et que le responsable et la victime sont étrangers.

Votre commission a toutefois jugé que, d'une part, la convention de Rome n'imposait pas une telle reconnaissance, d'autre part, l'application de la compétence universelle dans les cas où elle était déjà admise en droit français soulevait plusieurs incertitudes et, enfin, la mise en place d'une cour pénale internationale permettait précisément d'éviter, s'agissant des crimes internationaux, toute impunité et rendait sans doute inutile l'extension de la compétence territoriale des juridictions françaises.

La commission a adopté le projet de loi ainsi modifié.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Voici six ans, appelé à examiner la loi relative à la coopération avec la Cour pénale internationale (CPI) à l'initiative de notre excellent collègue, M. Robert Badinter, votre commission constatait que ce texte ne réalisait pas encore « une adaptation complète de notre droit aux exigences du statut de la Cour » et qu'il conviendrait d'intégrer les incriminations prévues par la convention de Rome qui ne figuraient pas dans le code pénal et, en particulier, celles concernant les crimes de guerre 1 ( * ) .

Le présent projet de loi déposé en mai 2007 devant le Sénat par le précédent gouvernement répond à ce voeu. Son adoption, comme l'a souligné Mme Mireille Delmas-Marty, professeur au Collège de France, lors de son audition par votre rapporteur, marquera un progrès essentiel et très attendu dans la pleine participation de la France à la justice pénale internationale.

L'incorporation dans notre droit pénal des infractions prévues par le statut de Rome est en effet une nécessité : en vertu du « principe de complémentarité » (article premier de la convention) entre la CPI et les Etats parties, il incombe au premier chef à ces derniers de juger, dans le cadre de leurs procédures internes, les auteurs des crimes visés par la convention. La Cour n'exercera sa compétence que si les Etats ne peuvent pas ou ne veulent pas poursuivre ces criminels. En conséquence, chacun des signataires de la convention doit incorporer dans son droit les infractions prévues par le statut de Rome. Dans le cas contraire, la Cour pénale internationale se trouverait compétente du fait de la carence de la législation interne.

Le concours des justices nationales est ainsi indispensable à la mise en place d'un système pénal international efficace.

Compte tenu du rôle éminent qu'elle a joué dans l'institution de la Cour pénale internationale, la France se doit d'être exemplaire dans l'incorporation des normes juridiques de la convention de Rome. Tout en tenant compte des spécificités de notre droit pénal, le projet de loi est, pour l'essentiel, fidèle à l'esprit de ce texte. Votre commission vous soumettra plusieurs amendements tendant à rapprocher encore davantage les adaptations proposées dans le code pénal des stipulations de la convention.

*

* *

I. LES PREMIERS PAS ENCORE PRUDENTS DE LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE

A. COMPÉTENCE ET ORGANISATION

L'exercice d'une justice pénale internationale a connu plusieurs précédents : les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo mis en place au lendemain de la deuxième guerre mondiale pour juger les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité commis par les forces armées et les responsables politiques allemands et japonais ; le tribunal pénal international appelé à juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit humanitaire sur le territoire de l'ex-Yougoslavie (TPIY) puis le tribunal international pour le Rwanda (TPIR). Ces deux tribunaux créés par des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies 2 ( * ) ont poursuivi respectivement 80 et 160 accusés.

Jusqu'alors ces juridictions étaient marquées par leur caractère à la fois spécialisé et temporaire . Le souci de ne plus enfermer la compétence de telles juridictions dans un champ géographique particulier et de leur conférer une forme de pérennité a conduit à la mise en place de la Cour pénale internationale par la convention de Rome adoptée le 17 juillet 1998 par la conférence diplomatique des plénipotentiaires des Nations unies. Ce traité est entré en vigueur quatre ans plus tard, le 1 er juillet 2002, après la soixantième ratification.

La France a ratifié le traité de Rome le 9 juin 2000. Un an plus tôt, le 28 juin 1999, le Congrès du Parlement insérait dans la Constitution un article 53-2 aux termes duquel « la République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998 ». La loi du 26 février 2002 relative à la coopération avec la Cour pénale internationale a constitué le premier volet de l'adaptation de notre législation interne à la convention 3 ( * ) .

1. Une compétence complémentaire de celle des juridictions nationales pour les crimes internationaux

La Cour pénale internationale est compétente pour les « crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale » (article 5) : le génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre 4 ( * ) .

La Cour exerce sa compétence dès lors que, soit l'Etat de la nationalité des auteurs présumés, soit l'Etat sur le territoire duquel le crime a eu lieu, est partie à la convention ou donne son consentement exprès.

La Cour peut être saisie par un Etat partie, par le Conseil de sécurité des Nations unies 5 ( * ) ou de sa propre initiative (saisine demandée par le procureur de la Cour sur la base d'informations émanant de toutes sources, y compris des victimes, et autorisée par les juges de la chambre préliminaire).

En vertu du principe de complémentarité , la Cour ne peut toutefois exercer sa compétence que dans les cas où les Etats ne souhaitent pas ou ne peuvent pas poursuivre les criminels. Les Etats peuvent contester la compétence de la Cour mais à l'issue de la procédure de contestation, la décision finale appartient à la CPI, juge de sa compétence et de la recevabilité des affaires qui lui sont soumises.

L'article 124 de la convention de Rome permet aux Etats parties de déclarer que pour une période de sept ans à partir de l'entrée en vigueur du statut, ils n'accepteront pas la compétence de la Cour à l'égard des crimes de guerre, lorsqu'il est allégué qu'un tel crime a été commis sur leur territoire ou par leurs ressortissants. Seules la France et la Colombie ont demandé à bénéficier de cette stipulation.

* 1 Rapport sur la proposition de loi relative à la coopération avec la Cour pénale internationale par M. Patrice Gélard au nom de la commission des lois, n° 205, Sénat, 2001-2002.

* 2 Sur la base du chapitre VII de la Charte des Nations unies qui confère au Conseil de sécurité des pouvoirs « en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression ».

* 3 Cette loi détermine les règles relatives à l'entraide judiciaire, à l'arrestation, à la remise ainsi qu'à l'exécution des peines et des mesures de réparation.

* 4 Le statut de Rome vise aussi le crime d'agression dont la définition a été toutefois différée au moment où le statut serait révisé.

* 5 Le Conseil de sécurité peut saisir la cour d'une affaire relevant du chapitre VII (menace contre la paix » ou au contraire suspendre l'action de la cour (article 16 du statut de Rome).

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