III. UNE RATIFICATION DE L'ORDONNANCE DU 4 JUILLET 2005 CONDITIONNÉE
Le projet de loi déposé au mois de septembre 2005 prévoyait de ratifier l'ordonnance n° 2005-709 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation sans modifier la moindre de ses dispositions ( article premier ). Il opérait cependant quelques coordinations dans divers textes législatifs ( article 2 ). Enfin, son entrée en vigueur était différée au 1 er juillet 2006, afin qu'elle coïncide avec celle de l'ordonnance ( article 3 ).
Souscrivant à la ratification de l'ordonnance, votre commission vous propose de modifier plusieurs de ses dispositions, de prévoir des coordinations supplémentaires et d'évoquer quelques pistes de réforme du droit de la filiation qui excédaient le champ de l'habilitation délivrée par la loi du 9 décembre 2004.
A. MODIFIER PLUSIEURS DISPOSITIONS DE L'ORDONNANCE
Le premier amendement qui vous est soumis procède à la réécriture de l' article premier du projet de loi afin de subordonner la ratification de l'ordonnance à diverses modifications, dont certaines de précision ou de coordination (1°, 2°, 3°, 4°, a) du 5°, 13° et 14° du II) et d'autres de fond. Les modifications de fond concernent les règles de dévolution du nom de famille, les conflits de filiation, la présomption de paternité, et les actions en justice relatives à la filiation.
1. Autoriser le changement de nom de famille des enfants nés avant le 1er janvier 2005 et encore mineurs
Le I de l'amendement ouvre aux parents d'un enfant né avant le 1 er janvier 2005 et encore mineur à la date de la ratification de l'ordonnance la possibilité de modifier le nom de famille de cet enfant, par une déclaration de changement de nom souscrite devant l'officier de l'état civil ( article 311-23 du code civil ).
Il permet de répondre aux demandes de nombreuses familles , relayées par plusieurs de nos collègues, qui ont été privées par l'ordonnance du 4 juillet 2005 de la possibilité de substituer le nom du père à celui de la mère, soit par une déclaration conjointe devant le greffier en chef du tribunal de grande instance, soit par la légitimation résultant du mariage.
Cette réserve figurait également dans l'amendement gouvernemental au projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs, adopté par les deux assemblées au début de l'année 2007 avant d'être censuré par le Conseil constitutionnel en raison de son absence de lien avec les dispositions du projet de loi initial.
2. Permettre au mari dont la présomption de paternité a été écartée de reconnaître l'enfant
Le b) du 5° du II de l'amendement consacre la possibilité, pour le mari dont la présomption de paternité a été écartée, de procéder à la reconnaissance de l'enfant , sans avoir à prouver en justice sa paternité.
Cette possibilité était admise par la circulaire d'application de l'ordonnance du 30 juin 2006 mais n'était guère évidente à la lecture des nouvelles dispositions du code civil. Il convient toutefois d'observer qu'elle n'a d'intérêt pratique qu'en cas de réconciliation entre les époux.
En effet, la reconnaissance peut être contestée en justice, ce qui ne manquera pas de survenir si le conflit entre les époux ayant fait tomber la présomption de paternité subsiste. Par surcroît, le mari ne pourra pas obtenir la modification du nom de famille de l'enfant, sauf en cas d'accord de la mère pour souscrire une déclaration de changement de nom devant l'officier de l'état civil.
A l'inverse, le tribunal de grande instance pourra le cas échéant établir de manière définitive la paternité à l'égard de l'enfant et statuer sur l'exercice de l'autorité parentale, la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant et l'attribution du nom ( article 331 du code civil ).
3. Fixer une règle de résolution des conflits de filiation respectueuse de la présomption « pater is est »
Le principe chronologique posé par l'ordonnance du 4 juillet 2005 ne permet pas de prévenir tous les conflits de filiation, contrairement à l'objectif recherché, et peut aboutir à des situations choquantes.
Le 11° du II de l'amendement insère un nouvel article 336-1 dans le code civil afin de prévoir que, dans l'hypothèse où l'officier de l'état civil s'apercevrait au moment de l'établissement de l'acte de naissance de l'enfant que les indications relatives au père sont contradictoires avec celles figurant dans une reconnaissance paternelle prénatale en sa possession, il doit porter dans l'acte de naissance les indications communiquées par la personne qui lui déclare la naissance et en aviser le procureur de la République afin qu'il saisisse le tribunal de grande instance pour faire trancher ce conflit de filiation.
Concrètement, il s'agit d' éviter qu'un couple marié se trouve empêché de faire jouer la présomption de paternité du mari au seul motif qu'un autre homme, ayant été ou se prétendant l'amant de la mère, aurait fait une reconnaissance paternelle prénatale . Sans doute cet homme sera-t-il le plus souvent de bonne foi, mais il serait choquant d'obliger le mari à engager l'action en justice alors que les éléments constitutifs de la présomption de paternité sont réunis.
Telle est la raison pour laquelle il vous est proposé de prévoir que l'acte de naissance doit mentionner le nom du mari en qualité de père, si les époux le demandent, et que le conflit de filiation doit être tranché par le tribunal de grande instance sur saisine du procureur de la République.
La même solution est prévue pour les conflits de filiation résultant de reconnaissances de paternité contradictoires concernant un enfant né hors mariage.
4. Sécuriser les actions en justice relatives à la filiation
Le 6°, le 8° et le a) du 9° du II de l'amendement précisent le point de départ des délais pendant lesquels la possession d'état d'un enfant peut être constatée ou contestée .
Dans la mesure où la possession d'état peut se poursuivre après le décès du parent prétendu car l'enfant continue de se comporter et reste considéré comme tel 57 ( * ) , il convient de préciser que, dans cette hypothèse, le délai court à compter du décès du parent prétendu ( articles 317, 330 et 333 du code civil ).
Le 7° du II de l'amendement a pour objet de prévenir une éventuelle condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme .
Alors qu'il n'existe actuellement aucune fin de non-recevoir à l'action en recherche de paternité, la décision de la mère d'accoucher sous X élève une fin de non-recevoir à l'action en recherche de maternité ( article 325 du code civil ). Cette discrimination entre hommes et femmes est fréquemment dénoncée comme contraire à l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Pour y mettre fin et conformément aux recommandations du Conseil national de l'accès aux origines personnelles, il vous est proposé de supprimer la fin de non-recevoir de l'action en recherche de maternité tenant à la décision de la mère d'accoucher sous X . Toutefois, cette suppression ne remet pas en cause la possibilité, pour la mère, de demander la préservation du secret de son admission à la maternité et de son identité ( article 326 du code civil ). Dans cette hypothèse, l'enfant ou son représentant légal éprouvera des difficultés pour exercer l'action en recherche de maternité puisqu'il ne saura généralement pas contre qui la diriger, de la même manière que l'action en recherche de paternité est difficile à exercer lorsque la mère ignore l'identité du père.
Le b) du 9° du II de l'amendement rend inopposable au ministère public la fin de non-recevoir selon laquelle nul ne peut contester la filiation lorsque la possession d'état conforme au titre a duré cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance , afin de lui permettre de lutter contre les fraudes dans le délai de droit commun de dix ans.
Le 10° du II de l'amendement aligne le délai de contestation de la filiation établie par la possession d'état constatée par un acte de notoriété, fixé à cinq ans, sur celui de la contestation, par la voie de la tierce opposition, de la filiation établie par la possession d'état constatée par un jugement, qui est de dix ans. Il semble en effet anormal de conférer une portée moindre à un jugement du tribunal de grande instance qu'à un acte de notoriété délivré par le juge d'instance sur la seule foi de trois témoignages et dont la publicité n'est assurée que par sa mention en marge de l'acte de naissance de l'enfant.
Enfin, le 12° du II de l'amendement aligne le délai de prescription de l'action à fins de subsides sur le délai de prescription de droit commun des actions relatives à la filiation.
Les délais de l'action alimentaire étaient traditionnellement bien plus importants que ceux de l'action d'état : l'action à fins de subsides pouvait être exercée durant toute la minorité de l'enfant alors que l'action en recherche de paternité était enserrée dans un délai de deux ans à compter de la naissance ou de la cessation du concubinage ou de l'entretien et était rouverte, au profit de l'enfant, pendant deux ans à compter de sa majorité.
Depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 4 juillet 2005, l'action alimentaire peut être exercée pendant la minorité de l'enfant puis, par ce dernier, dans les deux ans suivant sa majorité, c'est-à-dire jusqu'à l'âge de vingt ans ( article 342 du code civil ). Or l'action en recherche de paternité peut désormais être exercée par la mère durant toute la minorité de l'enfant puis, par ce dernier, dans un délai de dix ans à compter de sa majorité.
Comme l'a fait valoir M. Jacques Massip, conseiller doyen honoraire de la Cour de cassation, ce changement prive l'action à fins de subside de l'un de ses intérêts et la limitation des possibilités d'action en justice aux deux années qui suivent la majorité se comprend mal car il est rare aujourd'hui que les jeunes jouissent de leur indépendance financière à vingt ans.
Telles sont les raisons pour lesquelles votre commission vous propose de fixer à dix ans le délai de prescription de l'action à fins de subsides, étant précisé que cette action sera désormais extrêmement rare compte tenu de l'allongement des délais d'exercice de l'action en recherche de paternité. Son maintien se justifie toutefois car l'établissement du lien de filiation paternelle de l'enfant n'est pas toujours possible (cas de l'inceste absolu) ni même souhaité (par exemple en cas de viol).
* 57 M. Pierre Murat, professeur à l'université de Grenoble II, souligne ainsi que la mort, pas davantage que la volonté individuelle, ne peut à elle seule mettre fin au faisceau d'indices qui révèle le rapport de filiation. Le décès du parent prétendu met fin à un seul des éléments constitutifs de la possession d'état : le tractatus.