II. AUDITIONS
Audition de MM. Xavier EMMANUELLI, président, et Bernard LACHARME, secrétaire général, du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées
Réunie le mercredi 24 janvier 2007 , sous la présidence de M. Nicolas About, président , la commission a tout d'abord procédé à l'audition de MM. Xavier Emmanuelli, président, et Bernard Lacharme , secrétaire général du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées , sur le projet de loi n° 170 (2006-2007) instituant le droit opposable au logement et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale (urgence déclarée).
M. Xavier Emmanuelli, président du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées , a indiqué que le projet de loi a inspiré deux observations au Haut Comité : la nécessité de mettre en place un comité de suivi, afin de veiller au respect du principe du droit au logement opposable ; la nécessité de vérifier l'absence de contradiction entre le droit au logement opposable et les diverses mesures sociales figurant également dans le projet de loi.
M. Bernard Lacharme, secrétaire général du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées , a souligné que le Haut Comité mène depuis plusieurs années une réflexion, en lien avec les associations, sur le droit au logement opposable et a remis un rapport à ce sujet, plaidant en faveur d'une phase d'expérimentation locale.
Le projet de loi pose le principe de la responsabilité de l'Etat pour assurer le respect de ce droit et, fort heureusement, le texte retient la définition du droit au logement figurant déjà dans la loi du 31 mai 1990 visant la mise en oeuvre d'un droit au logement. La mise en oeuvre d'un droit au logement opposable devra s'accompagner d'un effort de construction de logements à la hauteur des besoins. A ce stade, le Haut Comité n'a pas analysé en détail le dispositif du projet de loi, considérant qu'il devra nécessairement être complété.
En réponse à M. Nicolas About, président, qui demandait si l'annonce faite par le Président de la République lors de ses voeux à la Nation n'avait pas pris de court le Haut Comité, M. Xavier Emmanuelli a répondu que le Haut Comité était prêt, puisque son rapport sur l'expérimentation locale avait déjà été remis au Premier ministre.
M. Bernard Seillier, rapporteur , a indiqué qu'il souhaite compléter le projet de loi pour préciser les modalités de mise en oeuvre du droit au logement opposable. Il a souligné que la disparition de l'abbé Pierre rend plus nécessaire que jamais cette avancée en matière de logement et a demandé que le comité de suivi dispose de moyens suffisants pour accomplir sa mission.
M. Nicolas About, président , a attiré l'attention sur la situation particulière de l'Ile-de-France et de l'outre-mer, où l'ampleur des besoins rend plus difficile la réalisation du droit au logement opposable.
M. Xavier Emmanuelli a confirmé que le comité de suivi devra être doté de moyens significatifs et que l'Ile-de-France pose des problèmes spécifiques.
M. Bernard Seillier, rapporteur , s'est interrogé sur les modalités de coordination de l'ensemble des parties prenantes à la politique du logement.
M. Bernard Lacharme a indiqué que le Haut Comité devrait être élargi aux représentants des associations concernées. Il convient de généraliser les commissions de médiation, instaurées en 1998, mais qui n'existent pas encore dans tous les départements, et de mieux répertorier les contingents préfectoraux. La répartition des responsabilités entre l'Etat et les collectivités territoriales doit être débattue avec les élus. Il serait également utile de disposer d'une expertise, qui pourrait être fournie par l'Inspection générale des finances et par le Conseil national des Ponts et chaussées, sur les moyens financiers devant être dégagés pour réaliser le droit au logement opposable. L'agence nationale de l'habitat (Anah) pourrait aussi être invitée à formuler des propositions en vue d'une meilleure mobilisation du parc privé.
M. Bernard Seillier, rapporteur , a demandé si la création d'un comité de suivi pérenne préfigure la formation d'un service public de l'habitat.
M. Xavier Emmanuelli a estimé qu'il s'agit là d'une proposition certainement pertinente, mais sur laquelle il est encore un peu tôt pour se prononcer.
M. Bernard Lacharme a demandé que l'on distingue nettement la fonction de suivi de la fonction d'animation du dispositif, qui est aujourd'hui mal assurée par l'Etat. Il est regrettable que les plans départementaux pour le logement des personnes défavorisées soient de qualité très inégale et les bonnes pratiques observées sur le territoire devraient être généralisées.
Après que M. Bernard Seillier, rapporteur, eut souligné l'importance de l'accompagnement social des personnes mal logées, M. Xavier Emmanuelli a rappelé que les personnes sans domicile manquent parfois des codes nécessaires à la vie en société et qu'il convient donc de développer les maisons-relais pour assurer cet accompagnement.
M. Thierry Repentin a indiqué que les associations approuvent l'idée du droit au logement opposable, mais expriment des réserves sur le contenu du texte proposé. A son sens, le projet de loi oblige à dresser un constat d'échec des politiques mises en oeuvre jusqu'ici : la loi d'orientation de lutte contre les exclusions du 31 juillet 1998 et la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain du 14 décembre 2000 n'ont manifestement pas atteint leurs objectifs. Le projet de loi permet aux préfets de mobiliser les logements HLM disponibles, mais ne garantit pas que les logements sociaux seront construits en nombre suffisant. Il risque de décevoir nombre de familles mal logées qui verront leur demande de logement rejetée, parce qu'elles ne figurent pas dans les catégories de publics prioritaires pour bénéficier du droit au logement opposable. Il a demandé à M. Xavier Emmanuelli quels moyens supplémentaires il aurait prévus pour compléter le dispositif s'il avait été l'auteur du projet de loi.
M. Alain Gournac a suggéré que le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées puisse se constituer, dans une composition élargie aux représentants des élus et des associations, en comité de suivi qui serait chargé de veiller à l'application de la loi.
M. Nicolas About, président , a fait observer que, précisément, le Haut Comité constituerait la structure centrale de ce comité.
Mme Marie-Thérèse Hermange a souligné l'importance de la distinction qui doit être opérée entre logement et hébergement, cette seconde notion impliquant un accompagnement social, sanitaire et psychologique. Elle a comparé les évolutions observées en matière de logement avec celles qui se sont produites dans le domaine de la protection de l'enfance, qui privilégie, depuis une vingtaine d'années, le maintien des enfants à leur domicile.
M. Michel Esneu a regretté que la réforme proposée ait pour effet de culpabiliser et de déconsidérer le personnel politique, qui donne l'impression de n'avoir pas su traiter correctement le problème du logement. Or, il semble que 60 % des personnes sans abri sont issues de l'immigration : les problèmes actuels seraient donc dus, en grande partie, à l'arrivée massive de personnes de nationalité étrangère, auxquelles il était difficile de procurer rapidement un logement. Il a également dénoncé la complexité des procédures administratives qui doivent être respectées pour que des logements sociaux soient construits.
Mme Isabelle Debré a elle aussi déploré que les responsables politiques soient décrédibilisés et a demandé quel rôle doivent jouer les associations dans l'accompagnement social des personnes mal logées.
Mme Raymonde Le Texier a souligné que l'essentiel est de travailler, en amont, à la construction de logements, plutôt que de voter de nouvelles lois. Elle a suggéré que les maires qui ne respectent pas l'obligation qui leur est faite par l'article 55 de la loi SRU de construire 20 % de logements sociaux dans leur commune puissent voir leur responsabilité mise en cause devant le tribunal administratif. Elle a estimé que toutes les personnes mal logées n'ont pas nécessairement besoin d'un accompagnement social et a contesté l'idée selon laquelle la construction de logements sociaux se heurterait à de grandes complications administratives.
Mme Brigitte Bout a dit avoir le sentiment d'entendre deux France s'exprimer dans ce débat : la France rurale, dont elle est issue, ne connaît pas les mêmes difficultés que la région parisienne et s'efforce d'appliquer convenablement la loi SRU, tout en proposant un accompagnement social aux personnes mal logées.
M. Xavier Emmanuelli est d'abord revenu sur la spécificité de la région parisienne, dont les nombreuses communes très imbriquées rassemblent une population considérable. Il a ensuite souligné que les problèmes de logement peuvent effectivement concerner des personnes bien intégrées socialement. Il a rappelé que le droit au logement opposable ne concernera que les personnes en situation régulière sur notre territoire et a indiqué que le Samu social loge chaque nuit 7.000 étrangers en situation irrégulière dans des hôtels. S'agissant des relations entre l'Etat et les associations, il a souhaité qu'un respect mutuel s'instaure et que l'action des associations soit évaluée.
Il a ensuite demandé que le droit au logement s'accompagne d'un droit à l'hébergement, afin de garantir la réinsertion des personnes qui vivent dans la rue. Ces dernières ont besoin de réapprendre les codes nécessaires à la vie sociale, qui sont très différents des réflexes qu'elles acquièrent lorsqu'elles sont sans domicile.
Il a indiqué que de nouveaux acteurs doivent être associés au Haut Comité, afin qu'il assure le suivi de la réforme, ce qui ne lui interdit pas de subsister dans sa forme actuelle pour poursuivre sa mission. Il a souhaité une mise en cohérence de tous les partenaires, l'Etat devant assumer le rôle de chef d'orchestre, et a espéré que la loi stimulera la construction de logements.
M. Bernard Lacharme a indiqué que si le Haut Comité avait eu à écrire la loi, il aurait d'abord procédé à une large concertation avec les partenaires concernés. Le Gouvernement a préféré poser le principe du droit au logement opposable avant de débattre de ses modalités d'application. Le vote de la loi marquera cependant une étape essentielle, dans la mesure où l'affirmation d'un droit opposable au logement imposera aux pouvoirs publics de s'organiser pour répondre aux besoins exprimés en matière de logement. Le Haut Comité a suggéré que les acteurs du logement en Ile-de-France se regroupent dans un syndicat qui pourrait s'inspirer du syndicat des transports d'Ile-de-France.
M. Nicolas About, président , a demandé si la création d'une garantie des loyers impayés dès le premier mois est de nature à redonner confiance aux propriétaires de logements et à les encourager à les proposer à la location.
M. Bernard Lacharme a souligné que la garantie des loyers impayés est une mesure attendue, mais qu'elle présente encore un caractère trop limité, dans la mesure où elle concerne les personnes ayant un lien avec l'entreprise, mais pas la totalité des bénéficiaires de minima sociaux.
Audition de M. Jacques PÉLISSARD, président de l'association des maires de France
Puis la commission a procédé à l'audition de M. Jacques Pélissard , président de l'association des maires de France .
M. Nicolas About, président , a précisé que l'association des maires de France (AMF) ne s'est pas encore formellement prononcée sur le contenu du projet de loi. Son président intervient donc à titre personnel pour donner son sentiment sur les dispositions de ce texte.
Au préalable, M. Jacques Pélissard, président de l'association des maires de France , a rappelé que l'AMF constitue par essence une institution à caractère pluraliste et indiqué qu'il exprime en l'occurrence la position des huit membres de son bureau permanent dans l'attente d'une consultation prochaine des instances plénières de l'association.
D'une façon générale, les maires de France souscrivent totalement à l'inspiration généreuse du projet de loi. Toutefois, et sur un plan strictement juridique, la notion de droit au logement opposable peut apparaître complexe, dans la mesure où elle suppose d'attribuer la qualité de créancier à une partie de la population et de définir la puissance publique comme son débiteur. Dans ces conditions, l'AMF considère que la responsabilité de ce droit opposable doit être attribuée à l'Etat, et à lui seul.
Après avoir observé que le projet de loi ne prévoit pas de désigner les maires parmi les membres des commissions de médiation, M. Jacques Pélissard a souligné que le calendrier de mise en oeuvre du droit au logement opposable, matérialisé par la possibilité pour les demandeurs de saisir la juridiction administrative, doit obéir à des considérations réalistes. Il serait donc concevable d'avancer sa date d'entrée en vigueur au 1 er novembre 2007, au lieu du 1 er décembre 2008, au profit des personnes en situation d'urgence absolue qu'il convient prioritairement d'héberger dès l'hiver prochain. En revanche, compte tenu de l'ampleur des problèmes, la situation des personnes qui attendent de longue date un logement social ne pourra probablement être traitée qu'à l'horizon 2010 ou 2012.
D'une façon générale, les élus locaux ont montré un grand intérêt pour les dispositions de ce projet de loi, tout en ne cachant pas certaines craintes de judiciarisation accrue des rapports sociaux, en raison de l'existence de trois types de recours contentieux devant le juge administratif : sur l'accès à la commission de médiation, sur ses décisions et sur le montant des indemnisations accordées.
Après avoir salué le travail mené par l'AMF sur la question du droit au logement, M. Bernard Seillier, rapporteur , a souhaité connaître l'opinion de son président sur l'opportunité de conduire des expérimentations dans ce domaine, sur la composition de la commission de médiation et sur les délais de mise en oeuvre des dispositions du projet de loi. Il a par ailleurs souligné que l'importance des problèmes de logement rencontrés varie considérablement suivant les départements et les régions : il conviendrait peut-être de moduler le calendrier d'application de ces mesures en fonction de ces données.
A ce titre, M. Nicolas About, président , a fait valoir que les difficultés de logement se posent avec une acuité toute particulière outre-mer et en Ile-de-France.
M. Jacques Pélissard s'est déclaré favorable à la possibilité de mener des expérimentations, à condition, toutefois, qu'un tel processus ne soit pas irréversible. Il a jugé intéressante la proposition consistant à adapter le calendrier d'entrée en vigueur des dispositions du projet de loi en fonction des besoins des territoires. Il a souhaité qu'une réflexion soit engagée sur l'idée d'une extension des dispositions de l'article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain du 13 décembre 2000 aux agglomérations de moins de 50.000 habitants.
A son tour, Mme Sylvie Desmarescaux a souligné la qualité des travaux de l'AMF sur le droit au logement. Après avoir souligné que de nombreux élus, en particulier en milieu rural, expriment quelque appréhension face à la perspective de nouveaux recours contentieux, elle a souhaité que les personnes attendant depuis longtemps un logement social ne soient pas indirectement pénalisées par la priorité donnée aux populations de sans abri.
M. Roland Muzeau a rappelé les déclarations du président de l'Union sociale pour l'habitat (USH), M. Michel Delebarre, selon qui, en l'état actuel du projet de loi, la notion de droit au logement opposable constitue un leurre. D'autres associations d'élus ont également fait part de leurs réticences ou de leurs interrogations. Il a insisté par ailleurs sur la problématique spécifique de la région d'Ile de France, caractérisée par d'importants besoins non satisfaits en matière d'hébergement. Dans ce contexte, il s'est élevé contre la poursuite des ventes de logements sociaux, en particulier dans le département des Hauts-de-Seine, et il a réclamé avec insistance la mise en oeuvre au minimum d'un moratoire sur cette question. Il a souligné enfin que, pour les villes qui ont signé un accord avec l'Etat prévoyant le transfert de contingents préfectoraux, la responsabilité du nouveau droit au logement opposable sera de facto transférée aux communes.
Après avoir indiqué qu'il juge courageuses et qu'il fait siennes les observations formulées par le président de l'AMF sur l'article 55 de la loi SRU, M. Thierry Repentin a estimé qu'au-delà de ces nouvelles dispositions législatives, il convient d'agir en amont, en développant la construction de logements sociaux. En revanche, il ne lui paraît pas possible, par souci de cohérence juridique, de confier à l'Etat l'intégralité de la responsabilité de ce droit opposable pour exonérer totalement les maires. Dans ces conditions, il semble difficile pour les élus locaux de demander à être représentés au sein de la commission de médiation.
Précisant qu'elle exerce les fonctions de premier adjoint dans une commune des Hauts-de-Seine comportant plus de 20 % de logements sociaux, Mme Isabelle Debré a attiré l'attention de la commission sur l'insuffisante fluidité du parc de logement sociaux. Il conviendrait sans doute de revoir les critères d'éligibilité pour éviter que des familles dont les enfants ont quitté le domicile familial depuis longtemps ne continuent à occuper des appartements manifestement surdimensionnés. En ce qui concerne la question de la responsabilité des élus, elle a reconnu qu'il est effectivement contradictoire que les maires aspirent à être représentés au sein de la commission de médiation, tout en souhaitant être préservés contre l'exercice de recours contentieux. Elle a néanmoins souhaité qu'une solution de compromis soit trouvée pour résoudre cette question difficile.
M. Jacques Pélissard a indiqué que l'AMF entend mener une importante campagne d'information à l'attention des élus locaux sur les dispositions de ce projet de loi, notamment par le renforcement des liens avec les structures départementales de l'association. Sur la question des ventes de logement HLM, il s'est borné, conformément au statut pluraliste de l'AMF, à considérer qu'il appartient à chaque exécutif local de mettre en oeuvre ses choix politiques dans le respect de la loi. En ce qui concerne la priorité reconnue aux personnes en situation d'urgence par rapport à celles qui attendent de longue date un logement social, sa conviction est qu'il sera possible d'éviter de trop fortes distorsions entre ces deux populations, en conciliant les principes de solidarité et d'équité.
En tout état de cause, l'Etat doit se voir attribuer l'entière responsabilité de ce droit opposable et disposer des moyens de l'assumer grâce aux contingents préfectoraux. La présence du maire doit être prévue au sein de la commission de médiation, car il est en mesure d'apporter une contribution importante à cette structure chargée d'identifier les besoins et de valider les demandes de ses administrés.
Enfin, M. Jacques Pélissard a souligné la nécessité d'encourager une rotation plus rapide des logements au sein du parc de logement social, tout en reconnaissant la difficulté de cet exercice.