ARTICLE ADDITIONNEL APRES L'ARTICLE 29
Neutralité fiscale du « droit de réutilisation » des actifs remis en garantie dans le cadre des contrats de garantie financière

Commentaire : dans la continuité de l'ordonnance n° 2005-171 du 24 février 2005, qui a simplifié les procédures de constitution et de réalisation des contrats de garantie financière, le présent article additionnel crée un nouvel article 38 bis -0 A bis aux fins d'assurer la neutralité du traitement fiscal des transferts temporaires de propriété résultant de la réutilisation, par le bénéficiaire d'une sûreté constituée dans le cadre d'un contrat de garantie financière, des titres ou droits nantis à son profit. Il introduit également des dispositions de conséquence dans d'autres régimes fiscaux.

I. LE DROIT EXISTANT

A. L'ESSOR DES CONTRATS DE GARANTIE FINANCIÈRE ET LA « DIRECTIVE COLLATÉRAL »

Parallèlement à la forte croissance des transactions financières, et plus particulièrement de celles portant sur les produits dérivés, les contrats de garantie financière, qui ont pour objet de réduire le risque de crédit par lequel l'une ou l'autre des parties à une transaction n'honore pas son obligation de paiement, ont connu un fort développement au cours de la période récente, à côté d'autres techniques de gestion du risque de crédit que sont l'assurance ou les dérivés de crédit. On estime ainsi que le montant total des garanties constituées sur les marchés de produits dérivés s'élevait à environ 1.000 milliards de dollars début 2004.

Dans une optique de réduction de ce risque et de gestion des contraintes d'allocation des fonds propres, les opérateurs de marché ont souhaité conclure des garanties transfrontalières, qui ont pleinement participé de la croissance du montant global des garanties. L'établissement de ces garanties, également nommée « collatéralisation », s'effectue soit par la constitution d'une sûreté avec ou sans dépossession et composée de titres et/ou d'espèces, soit par un transfert en pleine propriété de titres ou d'espèces.

Afin de lever certaines difficultés liées aux formalités nationales de constitution des garanties et de garantir une meilleure sécurité juridique des opérations transfrontalières, la directive 2002/47/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie financière, parfois appelée « directive collatéral », a entendu mettre en place un régime homogène de la collatéralisation au niveau européen.

Cette directive poursuivait quatre objectifs :

- l'extension du champ d'application rationae personae et rationae materiae des garanties financières ;

- la suppression du formalisme attaché à leur constitution et à leur réalisation ;

- la protection des bénéficiaires contre les faillites et saisies lors de la réalisation des garanties ;

- et l'application de la lex rei sitae (lieu de localisation du « compte pertinent » auquel sont crédités les instruments financiers) en tant que règle de conflit de lois.

Elle a également expressément prévu, dans son article 5, la faculté de « réutilisation » (ou « re-use ») des titres nantis par le créancier-bénéficiaire du nantissement en contrepartie d'une simple obligation de restitution (cf. infra ).

B. UNE TRANSPOSITION CIBLÉE ET INNOVANTE EN DROIT FRANÇAIS

La directive sur les garanties financières était en réalité déjà assez largement transposée en droit français avant son adoption, en particulier au travers des dispositions régissant la pension livrée, le prêt de titres, le gage de compte d'instruments financiers (« version française » du contrat de garantie financière avec constitution de sûreté) et le gage-espèces. Le formalisme se révélait allégé et l'opposabilité étendue en cas de procédure collective.

De même, à l'initiative de votre commission des finances, les mécanismes conventionnels de résiliation-compensation des créances et des dettes close-out netting », et, dans le cas d'une compensation de soldes issus de conventions distinctes, « global netting ») ont été améliorés et unifiés , successivement par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques puis par la loi n° 2003-706 du 1 er août 2003 de sécurité financière.

L'ordonnance n° 2005-171 du 24 février 2005 simplifiant les procédures de constitution et de réalisation des contrats de garantie financière, prise en application de l'habilitation conférée, à l'initiative de votre commission des finances, par l'article 35 de la loi de simplification du droit n° 2004-1343 du 9 décembre 2004, a néanmoins complété la transposition de la directive « collatéral » et introduit dans notre droit le nouveau droit de réutilisation. Six nouveaux articles ont en particulier été créés dans le code monétaire et financier (l'article L. 431-7 ayant été scindé en cinq articles), répartis en deux sections, respectivement relatives à la compensation et à la cession de créances, et aux garanties proprement dites.

Les changements introduits par l'ordonnance ont principalement porté sur deux points :

- l'extension de la compensation globale avec déchéance du terme à l'ensemble des opérations nées entre institutions réglementées, qu'elles résultent ou non d'opérations incorporant des instruments financiers ;

- la création, à côté des garanties financières classiques préexistantes, de garanties financières sui generis dépourvues de formalisme, protégées contre les actions individuelles et les procédures collectives affectant le constituant, et susceptibles de prévoir la faculté de réutilisation des actifs remis en garantie.

C. UN DROIT DE RÉUTILISATION NOVATEUR MAIS PEU UTILISÉ

Le droit de réutilisation, c'est-à-dire la possibilité donnée à un créancier gagiste de disposer en pleine propriété des actifs (dans les faits des titres ) ou droits nantis à son bénéfice, est une innovation importante dans notre droit romano-germanique, puisque les créanciers gagistes n'étaient auparavant investis que d'un droit de possession, sauf exception telle que le gage-espèces.

Prévu par le considérant 19 et l'article 5 de la directive 2002/47/CE, et transposé dans le III de l'article L. 431-7-3 du code monétaire et financier, ce droit assure la continuité et des effets équivalents entre les garanties à titre de sûreté et les garanties translatives de propriété. Il présente trois grands avantages :

- la réutilisation des actifs par le bénéficiaire, dans les conditions fixées par le contrat, à des fins de remise en garantie, par exemple lors d'opérations liées. Le bénéficiaire d'une sûreté constituée dans le cadre d'un contrat de garantie financière dispose ainsi des mêmes attributs qu'un propriétaire , à charge pour lui de restituer à terme au constituant les actifs à l'identique ou équivalents. Le fonctionnement des contrats de garantie financière stipulant un droit de réutilisation présente ainsi, pour le bénéficiaire, de nombreuses similitudes avec les opérations de prêts et d'emprunts de titres ;

- un formalisme réduit puisque la seule obligation explicitement prévue par le III de l'article L. 431-7-3 du code monétaire et financier, précité, réside dans la restitution par le bénéficiaire, in fine , de biens ou droits identiques ou équivalents à ceux qui lui ont été remis. La réutilisation des titres remis en garantie peut donc, par exemple, consister en un nouveau prêt ou une mise en pension ;

- enfin la perception d'un revenu par le bénéficiaire de la garantie, qui peut dès lors en tenir compte pour octroyer de meilleures conditions de financement au constituant. Le droit de réutilisation est donc un facteur de diminution du coût pour le constituant et de plus grand intérêt économique pour le créancier.

Le Conseil national de la comptabilité (CNC) a rendu un important avis le 30 juin 2006 sur ce droit de réutilisation, tendant à anticiper sur la mise en place d'un nouveau régime fiscal, et qui expose les modalités de comptabilisation dans les écritures du constituant et du bénéficiaire de la garantie, lors des quatre étapes successives de recours au droit de réutilisation.

Le principe général est que le constituant conserve l'essentiel des risques et avantages attachés à l'actif donné en garantie. Lors de la remise en pleine propriété de l'actif au bénéficiaire du contrat, le constituant enregistre une créance représentative de la valeur comptable de l'actif ainsi transféré, et le bénéficiaire comptabilise distinctement, au prix du marché, l'actif et une dette représentative de l'obligation de sa restitution ultérieure, ce qui est donc neutre sur son résultat.

En dépit de son intérêt pratique, le droit de réutilisation demeure aujourd'hui peu ou pas utilisé, car sa neutralité fiscale n'est pas assurée , à la différence des opérations analogues que sont les prêts de titres, mises en pension et remises en garantie. Il n'est en effet pas visé par l'article 38 bis du code général des impôts, qui traite les prêts de titres. Les transferts temporaires de propriété résultant de l'exercice de ce droit sont donc actuellement imposables selon les conditions de droit commun.

Il était, dès lors, devenu nécessaire de corriger cette situation, pour assurer l'effectivité des importantes innovations apportées par l'ordonnance du 24 février 2005, précitée, et d'assurer la cohérence du régime fiscal avec l'avis rendu par le CNC quant aux écritures comptables chez le bénéficiaire et le constituant de la garantie.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le présent article crée un nouvel article 38 bis -0 A bis dans le code général des impôts, dédié au traitement fiscal des opérations de remise en garantie avec remise en pleine propriété ou recourant au droit de réutilisation , compte tenu de la similitude de leurs effets juridiques, temporairement translatifs de propriété. La neutralité fiscale (qui garantit l'absence d'imposition lors du transfert de propriété) de ces opérations est donc fondée sur leur caractère temporaire et sur la restitution ultérieure de l'actif au constituant ; la cession à un tiers par le bénéficiaire des titres reçus en garantie emporte naturellement taxation.

Cet article modifie également d'autres dispositions du même code relatives à l'imposition des plus-values, à la non-déductibilité des provisions, au régime mère-fille et à l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée, afin de tenir compte de la création de l'article 38 bis -0 A bis , sans remettre en cause le droit existant.

Le II du présent article prévoit l'application de ce dispositif pour la détermination des résultats des exercices clos à compter du 31 décembre 2006.

A. LE RECENTRAGE DE L'ARTICLE 38 BIS SUR LES PRÊTS DE TITRES

L'article 38 bis du code général des impôts prévoit le régime de neutralité fiscale applicable aux prêts de titres et aux opérations de remise en pleine propriété à titre de garantie réalisées dans les conditions du I de l'article L. 431-7-3 du code monétaire et financier. La création, par le présent article, d'un nouvel article 38 bis -0 A bis , contribue à ce que le régime de l'article 38 bis soit dédié aux seuls prêts de titres.

Le 1 du I du présent article modifie donc l'article 38 bis pour tenir compte de cette réorganisation : il supprime le II bis de cet article, et modifie le III pour supprimer les références aux espèces, valeurs, et titres ou effets remis en garantie.

B. LE RÉGIME DE NEUTRALITÉ DES REMISES EN PLEINE PROPRIÉTÉ ET DE L'EXERCICE DU DROIT DE RÉUTILISATION

Le 2 du I , qui constitue le coeur du présent article, crée le nouvel article  38 bis -0 A bis , destiné à assurer la neutralité fiscale des remises en garantie de titres emportant leur transfert de propriété et réalisées dans les conditions prévues au I (remises en pleine propriété) et au III (recours au nouveau droit de réutilisation , cf. supra ) de l'article L. 431-7-3 du code monétaire et financier, précité.

Afin de lever toute éventuelle ambiguïté, il convient de préciser que dans l'un et l'autre cas, la remise en garantie emporte bien in fine transfert de propriété , que celui-ci soit prévu dès l'acte constitutif de la garantie (remises en pleine propriété) ou qu'il intervienne lors de l'exercice du droit de réutilisation des titres nantis, le nantissement n'étant juridiquement pas, en effet, une sûreté constitutive d'un transfert de propriété mais d'une dépossession.

Le texte proposé pour le I de l'article 38 bis -0 A bis expose les quatre conditions requises pour que les titres, remis en garantie en pleine propriété ou par constitution d'une sûreté donnant lieu à réutilisation par le bénéficiaire, puissent bénéficier du régime de neutralité fiscale :

- le constituant et le bénéficiaire de la garantie sont imposables sur leur bénéfice selon un régime réel d'imposition . Une précision s'impose néanmoins s'agissant des organismes de placement collectif en valeurs mobilières ( OPCVM ), qui ne sont pas des sujets imposables, et pourraient donc, selon une lecture littérale de ces dispositions sur le régime réel d'imposition du bénéficiaire, être exclus du régime de neutralité fiscale. Il subsiste néanmoins une incertitude sur leur éligibilité, en tant que bénéficiaires, au nouveau régime du « re-use ». D'après les informations recueillies par votre rapporteur général, la future instruction fiscale devra préciser ce point , après confirmation éventuelle par le CNC de l'éligibilité des OPCVM ;

- les remises portent sur les valeurs, titres ou effets définis à l'article L. 432-12 du code monétaire et financier, relatif aux mises en pension, et respectent les conditions prévues pour les pensions à l'article L. 432-13 du même code ;

- la restitution au constituant de la garantie porte sur des titres équivalents et de même nature que ceux remis en garantie ;

- les remises en garantie sont effectuées dans le cadre d'opérations à terme d'instruments financiers réalisées de gré à gré, de prêts ou de mises en pension de titres, ou dans le cadre des opérations intervenant dans les systèmes de règlements interbancaires et les systèmes de règlement et de livraison d'instruments financiers, prévues à l'article L. 330-2 du code monétaire et financier.

Sur le fond, le régime fiscal est identique à celui de l'article 38 bis , dont la rédaction du I et du 1 du II est reprise dans le texte proposé pour le II et le 1° du III de l'article 38 bis -0 A bis , s'agissant des dispositions relatives :

- au fait que les titres remis par le constituant de la garantie sont réputés prélevés par priorité sur les titres de même nature acquis ou souscrits à la date la plus récente, selon le principe de droit commun du « premier entré-premier sorti » prévu par le 6 de l'article 39 duodecies du code général des impôts ;

- à l'inscription au bilan de la créance représentative des titres remis à leur valeur d'origine ;

- à l'assimilation à un revenu de créance de la rémunération allouée au titre de la remise en garantie ;

- à l'inscription au bilan du bénéficiaire de la garantie, au prix de marché , des titres reçus en garantie et de la dette représentative de l'obligation de restitution de ces titres, lors de la remise en garantie puis de la restitution des titres.

Le texte proposé pour le 2° du III de l'article 38 bis -0 A bis précise que les titres reçus en garantie et qui font l'objet d'un prêt dans les conditions prévues à l'article 38 bis sont soumis aux règles prévues au 1 bis du II de cet article. Il soumet au même régime de neutralité fiscale l'exercice du droit de réutilisation par le bénéficiaire sous forme de mise en pension livrée des titres reçus, dans les conditions prévues à l'article 38 bis -0 A du code général des impôts.

Selon une rédaction analogue au 2 du II de l'article 38 bis , le texte proposé pour le 3° du III de l'article 38 bis -0 A bis prévoit que lorsque le bénéficiaire de la garantie cède des titres (soit une sortie du dispositif de neutralité), ceux-ci sont prélevés par priorité sur les titres de même nature reçus en garantie à la date la plus ancienne (cf. supra ). Les achats ultérieurs de titres de même nature sont affectés par priorité au remplacement de ces titres. Les autres titres de même nature détenus par le bénéficiaire de la garantie ne sont pas en principe affectés par cette règle d'imputation dérogatoire. L'instruction fiscale devrait préciser ce point.

La rédaction proposée pour le IV prévoit qu'en cas de défaillance de l'une des parties au contrat de garantie, la cession est fiscalement réputée réalisée à la date de la défaillance . Dans ce cas, le résultat de la cession des titres par le constituant qui les a remis en garantie est égal à la différence entre leur valeur réelle au jour de la défaillance et leur prix de revient fiscal dans ses écritures comptables.

C. LES AUTRES DISPOSITIONS DE CONSÉQUENCE

Le 3 du I du présent article complète le 5° du I de l'article 39 du code général des impôts, relatif à la constitution et à la déductibilité éventuelle des provisions, pour prévoir que la dépréciation des titres remis en garantie dans les conditions précitées, comme la créance représentative de ces titres, ne peuvent donner lieu à la constitution d'une provision fiscalement déductible.

Le 4 réécrit le 8 de l'article 39 duodecies du même code, relatif au point de départ du délai de deux ans de détention permettant de distinguer les régimes des plus-values à court et à long terme, pour insérer, par coordination, une équivalence de traitement pour les cessions de titres (par le prêteur ou le constituant initial) restitués à l'issue d'un prêt ou d'une remise en garantie réalisée dans les conditions précitées. Le délai de deux ans s'apprécie alors, dans les deux cas, à compter de la date de la première inscription au bilan des titres restitués.

Le 5 remplace les neuvième et dixième alinéas du 1 de l'article 145 du même code, relatifs au régime fiscal des sociétés mères et filiales, par un unique alinéa contribuant à simplifier la rédaction et à tirer les conséquences du présent dispositif. Cet alinéa dispose ainsi que les titres prêtés, mis en pension ou remis en garantie dans les conditions précitées ne peuvent être pris en compte par les parties au contrat en cause pour l'application du régime des sociétés mères et filiales.

Enfin le 6 procède à une substitution de référence dans le 4° de l'article 260 C et le a du 1° de l'article 261 C du même code, relatifs à l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée pour certaines activités bancaires et financières . Il est ainsi fait référence aux articles L. 432-6 à L. 432-11 du code monétaire et financier, relatifs au régime des prêts de titres et qui constituent la nouvelle référence après l'abrogation du chapitre V modifié de la loi n° 87-416 du 17 juin 1987 sur l'épargne.

Décision de la commission : votre commission vous demande d'adopter cet article additionnel.

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