EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le projet de loi n° 93 (2006-2007) tendant à promouvoir l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, dont le Sénat est saisi en premier lieu, est conforme aux engagements pris par le Président de la République le 4 janvier dernier pour « faire progresser notre démocratie et les droits des femmes ».
Il s'inscrit dans la continuité de la loi constitutionnelle n° 99-569 du 8 juillet 1999, qui a autorisé le législateur à « favoriser » l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives et des lois n° 2000-493 du 6 juin 2000 et n° 2003-327 du 11 avril 2003, qui ont institué des dispositions législatives contraignantes ou incitatives pour y parvenir.
En assurant la place des femmes dans les exécutifs municipaux et régionaux, en instituant des remplaçants de sexe opposé pour les conseillers généraux et en renforçant la modulation financière de la première fraction de l'aide publique aux partis politiques qui ne respectent pas l'égal accès des femmes et des hommes dans les candidatures qu'ils présentent aux élections législatives, ce projet de loi constitue une nouvelle étape dans la mise en oeuvre de la parité.
A cet égard, votre commission des Lois regrette le caractère tardif du dépôt de ce texte au regard des échéances électorales nationales de 2007.
Dans un souci de cohérence, elle a choisi de joindre à son examen quatorze propositions de loi sénatoriales également relatives à l'application de l'objectif constitutionnel d'égal accès.
Conformément à sa position traditionnelle, elle s'est efforcée de concilier au mieux l'objectif d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives avec la liberté du suffrage et de la liberté de candidature.
Après avoir montré que le respect de cet objectif a incontestablement progressé mais de manière inégale depuis 1999 au cours des diverses élections en France, votre rapporteur établira une présentation synthétique des dispositions du projet de loi et des propositions de loi, puis précisera la position de votre commission des Lois sur cette réforme.
I. UNE NOUVELLE ÉTAPE DANS LA MISE EN oeUVRE DE L'ÉGAL ACCÈS DES FEMMES ET DES HOMMES AUX MANDATS ÉLECTORAUX ET FONCTIONS ÉLECTIVES CONFORME AUX ENGAGEMENTS DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
A. LA CONSTITUTION PERMET AU LÉGISLATEUR DE FAVORISER L'ÉGAL ACCÈS DES FEMMES ET DES HOMMES AUX MANDATS ÉLECTORAUX ET FONCTIONS ÉLECTIVES EN CONSERVANT UNE CERTAINE SOUPLESSE
1. L'objectif constitutionnel d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives
La citoyenneté, qui donne l'accès à la vie politique démocratique, se caractérise par la jouissance des droits de vote et d'éligibilité.
Or, si dès 1789, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen a proclamé, dans son article 6, « La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation », les Françaises n'ont obtenu ces droits qu'avec l'ordonnance du 21 avril 1944 signée par le général de Gaulle au nom du Gouvernement provisoire de la République française 1 ( * ) (par comparaison, les Allemandes les ont obtenu en 1918, les Américaines en 1920, les Anglaises en 1928 et les Turques en 1934).
Si la Constitution les a reconnues explicitement « égales en droit » aux hommes 2 ( * ) et que quelques femmes issues de la Résistance ont siégé immédiatement au Parlement, force est de constater que le taux de féminisation des assemblées parlementaires ou locales est longtemps demeuré peu élevé au regard de leur importance numérique dans le corps électoral mais aussi de leur représentation au sein des organes délibérants de nombre de pays démocratiques.
A compter des années 70, alors que progressait leur émancipation personnelle (lois sur la contraception et l'avortement) et juridique (notion d'autorité parentale introduite par la loi du 4 juin 1970), le débat sur leur participation à la vie politique dans le cadre des principes traditionnels de la démocratie française est devenu récurrent.
En 1980 3 ( * ) et en 1982 4 ( * ) , afin de renforcer leur présence dans les conseils municipaux, des « quotas » de candidatures féminines ont été proposés par le législateur avant d'être abandonnés ou déclarés non conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel 5 ( * ) .
La position du juge constitutionnel en 1982 « Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice. Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret. Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques. » et qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « Tous les citoyens étant égaux » aux yeux de la loi « sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celles de leurs vertus et de leurs talents ». Considérant que du rapprochement de ces textes il résulte que la qualité de citoyen ouvre le droit de vote et d'éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux qui n'en sont pas exclus pour une raison d'âge, d'incapacité ou de nationalité, ou pour une raison tendant à préserver la liberté de l'électeur ou l'indépendance de l'élu ; que ces principes de valeur constitutionnelle s'opposent à toute division par catégories des électeurs ou des éligibles ; qu'il en est ainsi pour tout suffrage politique, notamment pour l'élection des conseillers municipaux ; Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la règle qui, pour l'établissement des listes soumises aux électeurs, comporte une distinction entre candidats en raison de leur sexe, est contraire aux principes constitutionnels ci-dessus... ». |
Lors de l'examen du projet de loi relatif au mode d'élection des conseillers régionaux et des conseillers à l'Assemblée de Corse et au fonctionnement des conseils régionaux en 1999, l'Assemblée nationale avait adopté un amendement imposant à chaque liste d'assurer la parité entre candidats de chaque sexe.
Le Conseil constitutionnel, confirmant sa jurisprudence de 1982, avait à nouveau déclaré cette disposition non conforme à la Constitution 6 ( * ) .
La loi constitutionnelle n°99-569 du 8 juillet 1999 a donc modifié l'article 3 de la Constitution pour prévoir que la loi « favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ».
Il ressort des travaux préparatoires 7 ( * ) que ces fonctions correspondent en particulier aux responsabilités d'adjoints au maire ou de membre des exécutifs des conseils généraux et régionaux.
En complément, l'article 4 de la Constitution , qui indique que « les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage (...) se forment et exercent leur activité librement (...) respectent les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie », a été complété pour préciser qu'ils « contribuent à la mise en oeuvre » de l'objectif d'égal accès précité « dans les conditions déterminées par la loi ».
Comme le rappelait notre ancien collègue Guy Cabanel, « la révision des articles 3 et 4 de la Constitution, dans les termes proposés par le Sénat en deuxième lecture, a manifesté un accord, non seulement sur le constat, mais aussi sur la nécessité de l'adoption de mesures législatives pour faciliter l'égal accès des femmes » 8 ( * ) .
Ainsi, le constituant a posé les conditions d'une réelle égalité entre femmes et hommes pour accéder à la vie publique.
* 1 Dans son article 17, ce texte disposait que « les femmes sont électrices dans les mêmes conditions que les hommes ».
* 2 « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme » (troisième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946).
* 3 Reprenant une proposition de Mme Françoise Giroud, présentée à l'initiative de Mme Monique Pelletier, ministre déléguée à la Famille et à la Condition féminine, un projet de loi prévoyait 20 % de candidatures féminines obligatoires aux élections municipales. Adopté par l'Assemblée nationale, il n'a pas été soumis par le Sénat en raison de la proximité de l'élection présidentielle.
* 4 Lors des débats sur le projet de loi sur le mode d'élection des conseillers municipaux, l'Assemblée nationale et le Sénat votèrent à la quasi unanimité un amendement limitant à 75 % la proportion des candidats d'un même sexe pouvant figurer sur une liste.
* 5 Décision n° 82-146 du 18 novembre 1982 - Loi modifiant le code électoral et le code des communes et relative à l'élection des conseillers municipaux et aux conditions d'inscription des Français établis hors de France sur les listes électorales.
* 6 Décision n° 99-407 DC du 14 janvier 1999 - loi relative au mode d'élection des conseillers régionaux et des conseillers à l'Assemblée de Corse et au fonctionnement des conseils régionaux.
* 7 Rapport n° 231 (1999-2000) au nom de votre commission des lois sur le projet de loi tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.
* 8 Rapport n° 231 précité.