D. AGIR SUR UN NOMBRE LIMITÉ D'ENJEUX PRIORITAIRES
1. La notion d'équité entre les générations
Il est évident que la notion d'équité entre les générations s'inscrive au coeur des débats de la prochaine réforme des retraites. Il pourrait même s'agir du seul levier susceptible de convaincre l'opinion publique du caractère inéluctable de nouveaux efforts destinés à assurer la pérennité de l'assurance vieillesse.
La retraite par répartition repose en effet sur un contrat social implicite : chaque génération a droit au fait que ses enfants assurent à son bénéfice une retraite correspondant à celle qu'elle a assurée elle-même à ses parents. Ce contrat passé entre les générations 1 (les parents) et 2 (les enfants) engage la génération 3, celle des petits-enfants.
Mais ses termes sont flous dans la mesure où ils ne portent ni sur le taux de remplacement, ni sur le taux de cotisations. Et de plus en plus d'intervenants dans le débat public craignent que l'insuffisance des réformes réalisées jusqu'ici n'entraîne, compte tenu du vieillissement de la population, un transfert de revenu inéquitable entre les différentes générations. Les actifs d'aujourd'hui, au lieu d'épargner, tireraient ainsi une traite sur les actifs de demain et il n'est pas certain que ceux-ci accepteront de reconnaître cette créance. Les mêmes questions se posent d'ailleurs pour la dette publique. Une génération a-t-elle le droit de prendre des engagements démesurés pour la génération suivante ? Et inversement, une génération a-t-elle le droit de renier des engagements pris pour elle si elle les juge inéquitables ?
D'un point de vue économique, voire éthique, on peut considérer qu'une génération a respecté le contrat social si elle a accumulé une quantité de capital productif permettant une évolution satisfaisante du revenu des générations futures. Mais ce critère est difficile à appréhender. Et l'on ne peut que s'inquiéter du ralentissement du rythme de la productivité du travail, passée de 4 % avant 1973, à 1,8 % au cours des trois décennies suivantes, pour ne plus s'élever qu'à 1,1 % depuis la fin des années 1990.
La notion d'équilibre entre les générations se trouve donc placée au coeur du fonctionnement de la retraite par répartition. Compte tenu de l'importance du chômage et des difficultés d'insertion sur le marché du travail, il apparaît indispensable de renforcer la crédibilité de ce système pour les jeunes actifs, précisément en restaurant la pérennité financière de l'assurance vieillesse.
Le COR estime d'une façon assez rassurante que « quel que soit le scénario examiné, on retrouve un résultat maintenant bien connu : aucune génération ne voit son niveau de vie absolu se dégrader par rapport à la précédente, en moyenne ». L'annexe du deuxième rapport 2004 finit toutefois par reconnaître, en des termes très mesurés, que la question de l'équité générationnelle est posée.
« Il existe, en revanche, un risque plus net d'iniquité intergénérationnelle au détriment des générations plus jeunes, non au regard du critère de niveau de vie absolu, mais au regard du critère de niveau de vie relatif, dans le cas où se produirait un fort décrochage dans le long terme entre évolution des salaires et évolution des pensions. Dans ce cas de figure, en effet, seraient défavorisées les générations actives au moment où le rapport de revenu entre actifs et retraités aura été au plus bas, et qui auront été les premières à subir les effets de la baisse du taux de remplacement et de l'indexation moins généreuses des retraites. »
Les conclusions du COR sur le sujet apparaissent d'une extrême prudence et ne fournissent aux décideurs publics strictement aucune indication opérationnelle exploitable. A contrario , on peut aussi considérer que tout le poids des ajustements économiques et sociaux, depuis la fin des Trente Glorieuses, a reposé sur les plus jeunes :
« De cette façon, le salaire relatif (relativement à la moyenne nationale) des différentes classes d'âge met en évidence un retournement profond dans les conditions respectives des classes d'âge : les vingt-six - trente ans voient décliner leur salaire relatif à partir du début des années 1970 ; cinq ans plus tard, c'est au tour des trentenaires de voir fléchir leur niveau relatif, puis au début des années 1990 au tour des quadragénaires de l'époque. Les générations nées dans les années 1940 apparaissent ainsi comme situées systématiquement au sommet d'une vague qui s'écroule pour les puînés. » (...) 11 ( * ) .
Un phénomène aussi important ne pourra rester sans conséquence sur l'avenir des retraites : la question de l'équité entre les générations est clairement posée . On peut même se demander si l'on ne se dirige pas vers une sorte de « guerre des âges ». La perception diffuse de ces phénomènes par l'opinion publique tend à remettre en cause sa vision de l'avenir des retraites.
* 11 Cf. article consacré « aux nouvelles générations devant la panne prolongée de l'ascenseur social » du sociologue Louis Chauvel - Janvier 2006 - Revue de l'OFCE.