2. Des régimes par annuités devenus irréformables ?
Les réformes de 1993 et de 2003 ont mis en évidence la lenteur des délais de réaction aux changements des paramètres du régime général et des régimes alignés. A la lumière de ces deux précédents, votre rapporteur estime qu'il conviendrait d'engager une réflexion sur la capacité de la technique des annuités à faire face au défi que représente, pour l'Etat providence, le vieillissement de la population.
Le système des annuités, tel qu'il est conçu dans le régime général, utilise les prestations comme variable d'ajustement en permettant de changer les règles du jeu de façon rétroactive aussi longtemps que la pension n'est pas liquidée, et bientôt aussi longtemps que l'assuré n'a pas atteint l'âge légal de la retraite (soixante ans). Mais il s'agit d'une opération politique à haut risque, et non d'un acte de gestion courante. La technique des annuités rend donc tout processus de réforme très délicat. Elle a d'ailleurs été abandonnée par l'Allemagne en 1992, qui lui a préféré le système des points. La Suède, dont la réforme des retraites fait figure de référence en Europe, a remplacé, elle aussi, en 1998, les annuités par des « comptes notionnels ».
Chaque réforme renforce ainsi les tenants du statu quo , suscite de puissantes coalitions d'intérêts corporatistes et rend les évolutions ultérieures de plus en plus difficiles. En outre, l'une des caractéristiques principales de ces opérations consiste à mettre très inégalement à contribution les différentes catégories d'assurés sociaux : certains perdent peu, d'autres beaucoup. Dans ces conditions, on peut même se demander si le système des annuités apparaît suffisamment réformable pour pouvoir faire face au choc démographique attendu.
3. L'intérêt de la généralisation de la technique des points
Votre rapporteur se demande s'il ne serait plus simple et plus efficace de changer de formule, en adoptant la technique des points pour les principaux régimes de base, sans pour autant que ceux-ci n'aient à s'engager dans un processus d'unification manifestement hors de portée à brève échéance.
Cela permettrait d'introduire un autre mode de régulation, basé sur la responsabilité personnelle, donnant une place beaucoup plus large aux choix individuels des assurés sociaux. En effet, la gouvernance des régimes de retraite devrait idéalement reposer sur les mécanismes les plus simples possible, et favoriser, autant que faire se peut, la réalisation automatique des ajustements financiers. Les décisions individuelles des assurés sociaux semblent plus efficaces que les règles de fonctionnement actuelles des grands régimes de base, qui reposent sur un ensemble vaste et complexe de normes, parfois contradictoires entre elles.
La technique de gestion par points des retraites a d'ailleurs largement fait ses preuves à l'Agirc depuis 1947 et à l'Arrco depuis 1961. Elle a été ensuite reproduite par la plupart des régimes complémentaires créés depuis, dans des secteurs aussi divers que le commerce, l'agriculture ou la fonction publique. Le régime de base des professions libérales a également d'adopter cette solution dans le cadre de la réforme du 21 août 2003.
Cette technique apparaît à l'usage particulièrement souple. Elle peut être utilisée aussi bien par les régimes par répartition pure (Arrco, Agirc, Ircantec), que par les régimes en répartition provisionnée, comme le nouveau régime additionnel des fonctionnaires, voire par les régimes financés en capitalisation (Préfon). En outre, les systèmes par points sont par nature contributifs, dans la mesure où le montant de la retraite servie est proportionnel au nombre total de points. Ces mécanismes reflètent donc, pour chaque cotisant, le détail de son activité passée, ainsi que la chronique des taux de cotisation et des salaires d'activité antérieurs. Mais le principe de contributivité peut être modulé par l'introduction de mécanismes de solidarité. Cela passe ou bien par l'attribution de points gratuits sans contrepartie de cotisations salariales, afin de compenser certaines périodes non travaillées (chômage, maladie...), ou bien par la mise en place de majorations de pension en fonction du nombre d'enfants élevés.
Recourir à la technique des points pour gérer un système de retraite par répartition présente de nombreux avantages car elle permet de promouvoir plus de souplesse et d'équité dans le fonctionnement de l'assurance vieillesse. Cette technique est par ailleurs lisible pour les assurés sociaux : il s'agit d'unités de compte comme il en existe en assurance vie, la formule d'épargne longue la plus utilisée par les Français. La technique des points fournit également aux instances dirigeantes de la caisse un ensemble de leviers d'interventions efficaces permettant, par des ajustements annuels, d'assurer sa pérennité sur le long terme.
Il convient enfin de souligner que la technique des points ne remettrait en rien en cause le choix fait, en 1945, en faveur de la répartition.