Article 8
Modernisation du statut des Terres australes
et antarctiques
françaises
L'article 8 du projet de loi a pour objet d'actualiser les dispositions de la loi n° 55-1052 du 6 août 1955 conférant l'autonomie administrative et financières aux Terres australes et antarctiques françaises (TAAF).
En effet, les TAAF ne relèvent pas de la catégorie des collectivités d'outre-mer, régies par l'article 74 de la Constitution, mais constituent une collectivité sui generis , dont le statut est défini par la seule loi ordinaire.
Ainsi, l'article 72-3, premier alinéa, de la Constitution, issu de la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République, dispose que : « La loi détermine le régime législatif et l'organisation particulière des Terres australes et antarctiques françaises ».
1. Le territoire et l'organisation administrative des TAAF
L'article premier de la loi n° 55-1052 du 6 août 1955 confère aux Terres australes et antarctiques françaises le statut de territoire d'outre-mer, où la France exerce sa souveraineté dans deux contextes différents :
- dans les Terres australes (Crozet, Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam) où elle n'a jamais été contestée par aucun pays, mais où elle est affirmée par la présence de bases occupées en permanence et par une surveillance de la zone économique exclusive de 200 milles nautiques qui entoure ces îles ;
- en Antarctique, où la souveraineté française sur la Terre Adélie s'exerce dans le cadre du Traité sur l'Antarctique signé à Washington en 1959, qui a cristallisé les revendications territoriales et affirmé la liberté de la recherche scientifique sur tout le continent. En 1991, le protocole de Madrid sur la protection de l'environnement a fait de ce continent une réserve naturelle consacrée à la paix et à la science.
L'ensemble du territoire des TAAF est placé sous l'autorité d'un administrateur supérieur (art. 2 de la loi du 6 août 1955).
Aux termes de l'article 3 de la loi du 6 août 1955, l'administrateur supérieur des TAAF est assisté d'un conseil consultatif devant se réunir au moins deux fois par an, notamment pour examiner le projet de budget du territoire. Ce conseil se réunit alternativement à Saint-Pierre-de-La-Réunion, siège de l'administration des TAAF depuis 1997, et à Paris.
Les missions de l'administrateur supérieur sont définies par le décret n° 56-935 du 18 septembre 1956 portant organisation administrative des TAAF, actualisé par un décret du 21 mai 2004.
Nommé par décret en conseil des ministres, l'administrateur supérieur des TAAF est le dépositaire des pouvoirs de la République dans le territoire (art. premier du décret du 18 septembre 1956). A ce titre, il reçoit ses instructions du ministre chargé de l'outre-mer, promulgue les lois et décrets applicables au territoire et assure leur exécution.
Il est le chef de l'administration du territoire (art. 3 du décret).
L'administration des TAAF emploie une quarantaine de personnes à Saint-Pierre-de-La-Réunion.
En outre, l'administrateur supérieur des TAAF qui, depuis le décret n° 2003-1172 du 8 décembre 2003 est un préfet, est représenté par un chef de district à Saint-Paul-et-Amsterdam, à Crozet, aux Kerguelen et en Terre-Adélie. Chaque chef de district bénéficie de l'appui d'agents du ministère de la défense, au titre de la « participation extérieure ». Ainsi, 11 agents du ministère de la défense travaillent au siège des TAAF à la Réunion, 9 à Crozet, 18 aux Kerguelen, 9 à Amsterdam et 2 en Terre-Adélie.
La fonction de chef de district rassemble à la fois les missions d'officier de police judiciaire et d'officier d'état civil , ainsi que des responsabilités notamment en matière d'équipement, de sécurité et de gestion (des finances, du ravitaillement...).
2. Les dispositions du projet de loi
L'article 8 du projet de loi tend à moderniser le statut des TAAF, adopté en 1955.
A cette fin, il vise tout d'abord à modifier l'intitulé de la loi du 6 août 1955, qui devient la « Loi portant statut des Terres australes et antarctiques françaises ».
Par ailleurs, il rattache au territoire les îles éparses, réaffirme la personnalité morale des TAAF, actualise leur régime législatif et renvoie au pouvoir réglementaire la détermination des règles relatives au conseil consultatif.
a) Le rattachement des îles éparses aux TAAF
Les cinq îles éparses ( Glorieuses , Juan de Nova , Europa et Bassas da India situées dans le canal du Mozambique , et Tromelin , isolée dans l'Océan indien), accueillent régulièrement des garnisons militaires et des météorologues.
Les îles Eparses L'île d'Europa est la plus grande des îles Eparses (30 km 2 ). Un lagon couvre le cinquième de l'île, qui dispose d'une végétation indigène quasiment intacte. Bassas da India est un atoll en formation d'une superficie inférieure à 1 km 2 , que la mer recouvre presque entièrement à marée haute. Juan de Nova est une île en croissant d'une superficie de 5 km 2 , protégée par un vaste lagon et une barrière corallienne. Depuis 1973, un détachement du 2 ème Régiment Parachutiste d'Infanterie de Marine (RPIMA) est installé à Europa et à Juan de Nova. L'archipel des Glorieuses est composé de deux îles coralliennes, d'une superficie totale de 7 km 2 ; une station météorologique automatique et un détachement de la légion étrangère y sont installés. Tromelin est une petite île plate de 1 km 2 , située à 535 km dans le nord-est de la Réunion. La station météorologique qui y est installée depuis 1954 s'est révélée d'un grand intérêt pour la détection des formations cycloniques dans le sud-ouest de l'océan Indien (La Réunion, Madagascar, Ile Maurice). Dépourvues de population permanente , les îles Eparses n'ont pas un statut de département ni de collectivité d'outre-mer. Lors de l'examen du projet de loi relatif à la pollution de la mer, le Conseil d'Etat a considéré que la loi s'appliquait de plein droit dans ces îles qui, ne constituant pas un territoire, n'étaient pas régies par le principe de la spécialité législative. |
Le décret n° 60-555 du 1 er avril 1960 relatif à la situation administrative de certaines îles relevant de la souveraineté de la France a placé les îles Éparses sous l'autorité du ministre chargé de l'outre-mer, tout en permettant à ce dernier de déléguer cette compétence à un fonctionnaire relevant de son autorité.
Ainsi, l'arrêté du 3 janvier 2005 relatif à l'administration des îles Tromelin, Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India, confie l'administration de ces îles au préfet, administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises.
Selon la même logique, le 2° (a) de l'article 8 tend à intégrer les îles éparses dans la liste des territoires visés à l'article premier de la loi du 6 août 1955 et composant les TAAF.
Ce rattachement assurera la cohérence de l'administration des îles éparses, qui constitueront le cinquième district des TAAF . Ces îles seraient donc soumises au même régime juridique que ce territoire, celui de la spécialité législative, qui permettra, par des dispositions dérogatoires au droit commun, d'assurer l'exploitation de leurs ressources économiques.
Aussi le 8° de l'article 8 du projet de loi vise-t-il à préciser que les îles éparses seront régies à compter de la promulgation de la loi, par les dispositions législatives et réglementaires en vigueur, à cette date, dans les TAAF.
Votre rapporteur souhaite cependant attirer l'attention du Gouvernement sur la nécessité de veiller à ce que ce rattachement n'aboutisse pas à l'application aux personnels de l'Etat exerçant leur mission dans les îles Eparses de la surrémunération applicable aux TAAF.
b) L'affirmation de la personnalité morale des TAAF
Le 2° (b) de l'article 8 tend à affirmer, à l'article premier de la loi du 16 août 1955, la personnalité morale des Terres australes et antarctiques françaises.
Si le territoire dispose déjà de la personnalité morale, celle-ci n'est pas explicitement mentionnée dans la loi, qui lui attribue cependant « l'autonomie administrative et financière ».
La personnalité morale apparaît sans doute comme le régime juridique le plus adapté à ce territoire, qui assure son autonomie financière à hauteur de 80 % . En effet, la personnalité morale permet au territoire d'avoir un budget propre et d'intervenir en justice.
Les TAAF perçoivent en effet des droits de pêche, des recettes issues du sous-affrètement du Marion Dufresne et des recettes de la vente des produits saisis dans le cadre de la lutte contre la pêche illicite.
Les personnes séjournant sur le territoire acquittent en outre un impôt sur le revenu, la contribution directe territoriale. La vente de produits philatéliques et de certaines prestations, notamment à Météo France, assurent également des recettes au territoire.
La capacité des TAAF à assurer leur fonctionnement de façon largement autonome ne doit pas cependant conduire l'Etat à négliger l'incidence que peuvent avoir certaines décisions sur les ressources du territoire .
En effet, on peut estimer que la suppression de l'immatriculation des navires de commerce au registre des TAAF (pavillon des Kerguelen), prévue par l'article 34 de la loi n° 2005-412 du 3 mai 2005 relative à la création du registre international français (RIF), entraîne une perte de recettes de 900.000 euros par an pour le budget des TAAF.
Il paraît nécessaire d'assurer la compensation de cette perte afin de permettre aux services du territoire d'exercer pleinement leur mission.
Votre commission vous soumet à cette fin un amendement tendant à compléter l'article 5 de la loi du 9 août 1955.
En outre, il convient de rendre applicables aux TAAF les dispositions de droit commun permettant aux collectivités territoriales de déroger à la règle du dépôt de leur trésorerie au Trésor public, afin de placer leurs disponibilités et d'en obtenir une rémunération.
Les TAAF bénéficieraient ainsi de recettes supplémentaires.
L' amendement que vous propose votre commission tend par conséquent à rendre applicables dans les TAAF les dispositions du chapitre VIII du titre unique du livre VI de la première partie du code général des collectivités territoriales 294 ( * ) , relatives à ce type de dérogation. Il reviendrait au préfet, administrateur supérieur, de prendre les décisions de déroger à l'obligation de dépôt auprès de l'Etat des fonds du territoire.
c) L'actualisation du régime législatif des TAAF
Le 3° de l'article 8 tend à insérer dans la loi du 6 août 1955 un article 1 er -1 confirmant l'application dans les TAAF du principe de spécialité législative , à l'exception de certaines matières limitativement énumérées.
Seules seraient donc applicables dans les TAAF les dispositions législatives et réglementaires comportant une mention expresse à cette fin.
Cependant, les dispositions intervenant dans les matières dites régaliennes, ou pour lesquelles un régime spécifique ne paraît pas nécessaire, seraient applicables de plein droit, sous réserve d'adaptations à l'organisation particulière du territoire.
Matières dans lesquelles les dispositions législatives et réglementaires seront applicables de plein droit dans les TAAF : - composition, organisation, fonctionnement et attribution des pouvoirs constitutionnels de la République, du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation, de la Cour des comptes, du tribunal des conflits et des juridictions nationales, du Médiateur de la République, du Défenseur des enfants, de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) et de la CNIL ; - défense nationale ; - nationalité ; - droit civil ; - droit pénal et procédure pénale ; - monnaie, Trésor, change et domaines relevant des affaires étrangères du pays (lutte contre le financement du terrorisme, régime des investissements étrangers...) ; - droit commercial et droit des assurances ; - procédure administrative contentieuse et non contentieuse ; - statut des agents publics de l'Etat ; - recherche ; - ratification des engagements internationaux |
En outre, les modalités d'entrée en vigueur des lois et règlements dans les TAAF seraient modernisées, comme dans les collectivités d'outre-mer visées par le projet de loi organique, pour tenir compte des évolutions issues de l'ordonnance n° 2004-164 du 20 février 2004 relative aux modalités et effets de la publication des lois et de certains actes administratifs 295 ( * ) .
Le 3° de l'article 8 insèrerait à cette fin, dans la loi du 6 août 1955, un article 1 er -2 prévoyant l'entrée en vigueur des lois et des actes administratifs publiés au Journal officiel à la date qu'ils fixent ou, à défaut, le dixième jour suivant cette publication.
Les TAAF se verraient donc appliquer un « délai de distance » de dix jours , les distinguant des quatre collectivités d'outre-mer visées par le projet de loi organique, où les mêmes textes seraient applicables à la date qu'ils fixent ou, à défaut, dès le lendemain de leur publication.
L'exposé des motifs du projet de loi précise par ailleurs que les formalités locales de promulgation des lois et règlements, figurant à l'article 1 er du décret du 18 septembre 1956, ainsi que la formalité d'affichage prévue à son article 13, devraient être supprimées.
Enfin, le VI du nouvel article 1 er -2 de la loi du 6 août 1955 préciserait que les textes comportant une mention expresse d'application dans les TAAF intervenus avant l'entrée en vigueur de la loi et n'ayant pas encore été promulgués deviendront applicables le dixième jour suivant la publication de la loi, sauf s'ils en disposent autrement.
Le nouveau régime législatif des TAAF entrerait en vigueur le 1 er janvier 2008 296 ( * ) .
d) Actualisation des dispositions relatives à l'administrateur supérieur et au conseil consultatif
L'article 8 du projet de loi modernise les dispositions de la loi du 6 août 1955 relatives à l'administrateur supérieur des TAAF et au conseil consultatif qui l'assiste.
Ainsi, il précise, à l'article 2 de la loi du 6 août 1955, que l'administrateur supérieur, représentant de l'Etat, est le « chef du territoire ».
Votre commission vous soumet un amendement tendant à compléter les dispositions du 4° de l'article 8, afin de préciser les missions de l'administrateur supérieur des TAAF. Les dispositions de l'article 2 de la loi du 6 août 1955 seraient ainsi complétées sur le modèle des dispositions de l'article premier de la loi n° 2004-193 du 27 février 2004 complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française relatives au représentant de l'Etat dans cette collectivité. L'amendement vise à prévoir que l'administrateur supérieur, en tant que représentant de l'Etat :
- assure l'ordre public et concourt au respect des libertés publiques et des droits individuels et collectifs ;
- dirige les services de l'Etat, à l'exclusion des organismes à caractère juridictionnel ;
- exerce, en matière de défense et d'action de l'Etat en mer, les fonctions prévues par la législation et la réglementation en vigueur ;
- assure au nom de l'Etat le contrôle des organismes ou personnes publics ou privés bénéficiant des subventions ou contributions de l'Etat ;
- prend des règlements dans les matières relevant de sa compétence.
Il paraît en effet nécessaire que les missions de l'administrateur supérieur, essentielles pour le fonctionnement du territoire, soient clairement définies au sein de la loi relative à son organisation particulière, conformément au dernier alinéa de l'article 72-3 de la Constitution.
Par ailleurs, le 5° de l'article 8 vise à réécrire l'article 3 de cette loi afin de renvoyer à un décret la composition, l'organisation, le fonctionnement et les attributions du conseil consultatif .
En conséquence, l'article 4 de la loi, définissant le fonctionnement et les attributions de ce conseil, serait abrogé (6° de l'article 8 du projet de loi).
Le conseil consultatif des TAAF comprend actuellement 7 membres nommés pour 5 ans, dont un membre désigné par le ministre de la défense nationale, un membre désigné par le ministre de l'outre-mer parmi les membres de l'office de la recherche scientifique, un membre désigné par le ministre de l'éducation nationale parmi les membres du Centre national de la recherche scientifique, un membre désigné par le ministre chargé de l'aéronautique marchande, un membre désigné par le ministre de la marine marchande et deux membres désignés par le ministre de l'outre-mer parmi les personnalités ayant participé à des missions scientifiques dans les îles australes et antarctiques françaises.
La nouvelle composition du conseil consultatif devrait en particulier assurer la participation d'un nombre suffisant de membres à chaque réunion, en augmentant l'effectif total du conseil et en créant des sièges de suppléants.
Enfin, le 7° de l'article 8 du projet de loi tend à remplacer, aux articles 5 et 7 de la loi du 6 août 1955, l'expression « ministère de la France d'outre-mer », devenue obsolète, par l'expression « ministère chargé de l'outre-mer ».
Votre commission vous soumet un amendement tendant à supprimer, à l'article 5 de la loi du 6 août 1955, une référence obsolète aux « missions en Terre Adélie et sur le continent Antarctique », qui n'ont plus lieu d'être financées par les crédits destinés aux TAAF.
L'amendement proposé vise en outre à permettre à l'administrateur supérieur de décider de déroger à l'obligation de dépôt des fonds du territoire auprès de l'Etat , dans les conditions définies par le droit commun des collectivités territoriales (chapitre VIII du titre unique du livre VI de la première partie du code général des collectivités territoriales). Cette faculté permettrait au territoire de mieux gérer ses fonds de trésorerie, dont le montant peut parfois être en décalage par rapport aux dépenses à réaliser. Ces dispositions feraient l'objet d'un nouvel article 5-1, inséré au sein de la loi du 6 août 1955.
3. L'insertion du statut de l'île de Clipperton au sein de la loi du 6 août 1955
Afin de renforcer la cohérence et la lisibilité du droit de l'outre-mer, l' amendement de votre commission tend à insérer au sein de la loi du 6 août 1955 un titre relatif au statut de l'île de Clipperton, reprenant les dispositions de l'article 7 du projet de loi.
En conséquence, l'intitulé de la loi serait modifié pour devenir « loi portant statut des Terres australes et antarctiques françaises et de l'île de Clipperton ».
Enfin, l'amendement tend à abroger le décret du 12 juin 1936 relatif à l'île de Clipperton et prévoit qu'un décret précise les modalités d'application du nouvel article 9 de la loi du 6 août 1955 plaçant l'île sous l'autorité directe du Gouvernement.
Votre commission vous propose d'adopter l'article 8 ainsi modifié.
* 294 Art. L. 1618-1 et L. 1618-2.
* 295 Cf. l'exposé général du présent rapport.
* 296 Cf. le dernier alinéa du 8° de l'article 8, tendant à compléter l'article 8 de la loi du 6 août 1955.