Articles 2014 et 2015 nouveaux du code civil
Qualité des parties au contrat de fiducie

Dans ses conclusions, votre commission vous propose de définir, aux articles 2014 et 2015 nouveaux du code civil , la qualité des parties au contrat de fiducie .

S'agissant du constituant, votre commission vous propose de conserver l'esprit de la proposition de loi en permettant à toute personne physique ou morale de recourir au contrat de fiducie en qualité de constituant .

En tant qu'instrument d'attractivité économique, l'institution fiduciaire devrait avant tout bénéficier aux personnes morales que sont les sociétés.

Les acteurs économiques, et en particulier les petites et moyennes entreprises -qui n'ont pas actuellement les moyens de recourir à des montages juridiques soumis à des droits étrangers- devraient en effet trouver dans la fiducie un outil, régi par le droit français, permettant d'assurer la plupart des fonctions offertes par le trust anglo-saxon. Les grandes entreprises, qui emploient fréquemment des montages juridiques régis par des droits étrangers reconnaissant le trust ou la fiducie, pourraient ainsi utiliser ce nouvel instrument juridique.

De fait, votre commission est consciente que la fiducie devrait, en pratique, être principalement utilisée dans le cadre d'opérations commerciales . A l'étranger, il semble d'ailleurs que l'institution fiduciaire n'est que très marginalement utilisée à des fins de libéralités. Ainsi, aux Etats-Unis, le trust serait employé, à 90 %, dans le cadre d'opérations commerciales.

Toutefois, bien que ne pouvant conduire à consentir des libéralités, le contrat de fiducie pourrait malgré tout être utilisé avec profit dans des opérations de gestion patrimoniale intéressant des personnes physiques et pouvant se combiner, le cas échéant, tant avec les dispositions du droit des successions et des libéralités qu'avec celles du droit des tutelles.

Par exemple, il pourrait être envisagé de combiner avec un contrat de fiducie le régime nouveau des libéralités graduelles 32 ( * ) ou résiduelles 33 ( * ) , qui permettent une transmission à titre gratuit vers un premier bénéficiaire à charge pour celui-ci de transmettre le reliquat ou la totalité du bien reçu à un second gratifié préalablement désigné. Le premier gratifié pourrait ainsi, aux seules fins de gestion, transférer à un fiduciaire les biens reçus à titre gratuit. Dès lors qu'il serait inscrit comme seul bénéficiaire dans le contrat de fiducie, les biens feraient retour dans son patrimoine soit à son décès, soit lorsqu'il décide d'abandonner la jouissance de ceux-ci, pour être ensuite transmis au second gratifié.

Votre commission estime que cette faculté doit donc pouvoir être largement ouverte .

Compte tenu de cette option, votre commission vous propose de ne poser aucune limitation quant à la qualité du constituant. En l'absence de disposition expresse, le constituant pourra ainsi être toute personne physique ou morale, quelle que soit sa forme juridique .

S'agissant du fiduciaire , votre commission vous propose en revanche, contrairement au texte de notre collègue Philippe Marini, de restreindre les catégories de personnes pouvant avoir la qualité de fiduciaire. Ce choix s'explique par deux soucis :

- d'une part, réserver la qualité de fiduciaire à des entités présentant des garanties en termes de gestion de patrimoine pour le compte de tiers . Il est essentiel que le fiduciaire, qui exercera la plupart des prérogatives d'un propriétaire sur les biens qui lui auront été transmis, soit une entité soumise à des règles professionnelles strictes permettant d'assurer la protection des constituants contre d'éventuels abus de confiance et les conséquences de son insolvabilité ;

- d'autre part, éviter que la fiducie ne soit utilisée à des fins de blanchiment de capitaux ou de financement d'activités terroristes . Le Groupe d'action financière (GAFI) 34 ( * ) a en effet souligné que « les fiducies (...) facilitent souvent le travail des blanchisseurs de capitaux. (...) Une fois que le produit illégal a été introduit dans le système bancaire, les fiducies peuvent être exploitées pour brouiller un peu plus les liens entre le produit et l'activité illégale qui l'a généré. » 35 ( * ) .

Il est donc apparu indispensable à votre commission de ne conférer la qualité de fiduciaire qu'à des personnes dont l'activité -voire la constitution- font l'objet d'un contrôle des autorités de régulation du secteur concerné et qui sont soumises à des obligations strictes en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement d'activités terroristes.

C'est la raison pour laquelle, dans ses conclusions, votre commission vous propose de réserver la qualité de fiduciaire :

- aux établissements de crédit mentionnés à l'article L. 511-1 du code monétaire et financier, c'est-à-dire aux personnes morales qui effectuent à titre de profession habituelle des opérations de banque 36 ( * ) ou des opérations connexes à leur activité 37 ( * ) ;

- aux institutions et services énumérés à l'article L. 518-1 du même code, à savoir : le Trésor public, la Banque de France, La Poste, l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM), l'Institut d'émission d'outre-mer (IEOM) et la Caisse des dépôts et consignations ;

- aux entreprises d'investissement mentionnées à l'article L. 531-4 du même code, c'est-à-dire aux personnes morales autres que des établissements de crédit qui, à titre de profession habituelle, fournissent des services d'investissement tels que la réception, la transmission ou l'exécution d'ordres pour le compte de tiers, la négociation pour compte propre, la gestion de portefeuille pour le compte de tiers, la prise ferme ou le placement 38 ( * ) ;

- aux entreprises d'assurance régies par l'article L. 310-1 du code des assurances . Cette catégorie comprendrait les seules personnes morales soumises au contrôle de l'Etat. Les entreprises de réassurance ne pourraient, en conséquence, être désignées en qualité de fiduciaires. Cette exclusion se justifie par le fait que ces entreprises ne sont pas soumises, à l'heure actuelle, aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Les entités susmentionnées sont en effet soumises à un agrément ou à une déclaration lors de leur création. En outre, elles font l'objet d'un contrôle permanent, selon le cas, des différentes autorités administratives créées par le législateur, telle la Commission bancaire ou l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles. Ainsi, sur le plan disciplinaire, en cas de manquements de ces personnes à leurs obligations portant sur ces personnes, ces autorités de contrôle peuvent infliger diverses sanctions (avertissements, blâmes, amendes), le cas échéant transmises au procureur de la République.

Surtout, ces différentes entités sont soumises à des contrôles stricts destinés à lutter contre le blanchiment de capitaux .

Elles sont d'abord soumises à une obligation de vigilance , mentionnée à l'article L. 563-1 du code monétaire et financier. Cette obligation leur impose de s'assurer que l'identité de leurs clients est conforme à la réalité et, le cas échéant, de s'enquérir du véritable donneur d'ordre ou du bénéficiaire. En outre, une obligation de vigilance renforcée est imposée pour les opérations d'un montant dépassant 150.000 € qui, sans justifier une déclaration de soupçon, se présentent dans des conditions inhabituelles de complexité et ne paraissent pas avoir de justification économique et d'objet licite 39 ( * ) .

Par ailleurs, ces personnes doivent déclarer leurs soupçons au service TRACFIN, institué auprès du ministre chargé de l'économie, quand les sommes ou opérations pourraient provenir du trafic de stupéfiants, de la fraude aux intérêts financiers de la Communauté européenne, de la corruption, d'activités criminelles organisées ou pourraient participer au financement du terrorisme. Même en l'absence de soupçons, elles sont d'ailleurs tenues de déclarer à ce service toute opération dont l'identité du donneur d'ordre ou du bénéficiaire reste douteuse malgré les diligences effectuées, intervenue pour compte propre ou pour compte de tiers avec des personnes physiques ou morales, y compris leurs filiales ou établissements, agissant sous forme de fonds fiduciaires ou de tout autre instrument de gestion d'un patrimoine d'affectation dont l'identité des constituants et des bénéficiaires n'est pas connue 40 ( * ) .

En outre, ces opérateurs sont tenus de consigner les caractéristiques de toute opération par écrit et de conserver, pendant cinq ans à compter de la cessation des relations, les documents relatifs à l'identité de leurs clients , aux opérations traitées ainsi qu'aux déclarations faites auprès de TRACFIN.

Votre commission s'est, en outre, interrogée sur l'ouverture éventuelle de la qualité de fiduciaire à certaines professions juridiques réglementées.

Sur ce point, il est résulté des auditions conduites par votre rapporteur des positions très divergentes selon les professions concernées. Ainsi, les représentants du Conseil supérieur du notariat n'ont pas sollicité, tout au moins dans un premier temps, la qualité de fiduciaire pour leurs membres.

En revanche, les trois organisations représentant la profession d'avocat 41 ( * ) ont fait connaître leur souhait de principe d'ouvrir aux avocats les fonctions de fiduciaire, relevant par ailleurs que leurs règles ordinales le leur permettaient déjà depuis plusieurs années 42 ( * ) . Toutefois, les modalités d'exercice de la fonction de fiduciaire par des avocats en exercice posent le délicat problème de savoir si, en sa qualité de fiduciaire, l'avocat devrait rester soumis à l'ensemble des règles de sa profession ou, à l'inverse, s'il devrait en être totalement exonéré, l'activité de fiduciaire étant alors considérée comme une activité totalement distincte de celle de l'avocat 43 ( * ) . Or, il a été indiqué à votre rapporteur que, sur cette problématique, la réflexion des institutions représentatives de la profession d'avocat n'était pas encore parvenue à son terme.

Il convient également d'indiquer que les contestations relatives à la légalité du décret n° 2006-736 du 26 juin 2006 relatif à la lutte contre le blanchiment 44 ( * ) , ainsi que la nécessité de transposer, avant le 31 décembre 2007, la troisième directive communautaire « blanchiment » 45 ( * ) qui renforce les obligations de déclaration actuelles, plaident pour que, à ce stade , les professions juridiques réglementées ne soient pas incluses parmi les personnes susceptibles d'être fiduciaires .

En tout état de cause, et quelle que soit la forme juridique du fiduciaire, ce dernier ne pourrait être le constituant lui-même. L'opération fiduciaire reposant sur le contrat, une telle éventualité serait impossible dès lors que le contrat implique la présence de deux personnes juridiques distinctes.

A l'égard du bénéficiaire du contrat de fiducie, votre commission vous propose, dans ses conclusions, à l'instar de la proposition de loi, de n'apporter aucune restriction à la qualité de bénéficiaire. Le bénéficiaire de la fiducie pourrait donc être tant une personne physique qu'une personne morale .

S'agissant du cumul éventuel de la qualité de bénéficiaire avec celle de constituant ou de fiduciaire , votre commission vous propose de reprendre le choix fait par la proposition de loi. Le texte proposé dans les conclusions permet donc :

- au constituant d'être lui-même le bénéficiaire ou l'un des bénéficiaires de l'opération fiduciaire ;

- au fiduciaire d'être le bénéficiaire ou l'un d'entre eux. Un tel cumul autorise notamment ce que la pratique qualifie de « fiducie-sûreté sans entiercement ». Dans une telle opération, un débiteur transfère, en qualité de constituant, la propriété d'un bien à son créancier en qualité de fiduciaire, qui, afin de se garantir contre la défaillance de paiement du constituant, est alors désigné bénéficiaire des biens du patrimoine fiduciaire. Un tel mécanisme est d'ailleurs d'ores et déjà autorisé, quoique de façon implicite, dans le cadre du régime de cession des créances professionnelles par bordereau « Dailly » à titre de garantie 46 ( * ) .

Votre commission s'est interrogée sur la nécessité de limiter expressément le cumul des qualités de fiduciaire et de bénéficiaire au seul cas de la fiducie-sûreté en l'excluant totalement pour la fiducie-gestion.

En effet, dans le cadre de la fiducie-gestion, le cumul de ces qualités ne saurait avoir pour objet d'empêcher les créanciers personnels du fiduciaire de saisir, pendant la durée du contrat de fiducie, les biens formant le patrimoine fiduciaire. Une telle pratique ne pourrait s'analyser que comme une fraude aux droits des créanciers.

Or, si, sur ce point, les droits anglais et suisse excluent effectivement la possibilité pour le trustee ou le fiduciaire d'être le seul bénéficiaire du trust, votre commission estime, par souci de conserver un régime juridique unitaire à la fiducie ainsi créée, qu'il n'est pas nécessaire de prévoir une interdiction spécifique de ce cumul en cas de fiducie-gestion . L'adage « fraus omnia corrumpit », d'application générale, permettra en effet de rendre inopposable aux créanciers lésés la manoeuvre résultant de cette situation .

* 32 Voir les articles 1048 à 1056 du code civil.

* 33 Voir les articles 1057 à 1061 du même code.

* 34 Organisme intergouvernemental ayant pour objet de développer et de promouvoir des politiques nationales et internationales visant à lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

* 35 Rapport du GAFI-XII sur les typologies du blanchiment de capitaux (2000-2001), pp. 9-10.

* 36 Ces opérations sont définies par l'article L. 311-1 du code monétaire et financier comme la réception de fonds du public, les opérations de crédit, ainsi que la mise à la disposition de la clientèle ou la gestion de moyens de paiement.

* 37 Telles que : les opérations de change ; les opérations sur or, métaux précieux et pièces ; le placement, la souscription, l'achat, la gestion, la garde et la vente de valeurs mobilières et de tout produit financier ; le conseil et l'assistance en matière de gestion de patrimoine ; le conseil et l'assistance en matière de gestion financière, l'ingénierie financière (article L. 311-2 du code monétaire et financier).

* 38 Voir l'article L. 321-1 du code monétaire et financier.

* 39 Article L. 563-3 du code monétaire et financier.

* 40 Article L. 562-2 du même code.

* 41 Conseil national des Barreaux, Ordre des avocats à la cour d'appel de Paris, Conférence des Bâtonniers.

* 42 Aux termes de l'article 6-2 du Règlement intérieur national de la profession d'avocat, un avocat « peut exercer des missions pour le compte de personnes physiques ou morales agissant sous forme ou pour le compte de fonds fiduciaires ou de tout instrument de gestion d'un patrimoine d'affectation ».

* 43 Tel est le cas, par exemple, de la profession d'administrateur judiciaire, qui peut être exercée par un avocat, celui-ci n'étant pas soumis, dans l'exercice de cette fonction, aux règles applicables aux avocats.

* 44 Ce décret ayant fait, en particulier, l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat à l'initiative du Conseil national des barreaux.

* 45 Directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.

* 46 Voir les articles L. 313-24 et suivants du code monétaire et financier.

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