Article 2013 nouveau du code civil
Nullité de la fiducie procédant d'une intention libérale

Votre commission vous propose de reprendre dans ses conclusions, à l'article 2013 du code civil, le choix fait par la proposition de loi d' interdire la fiducie-libéralité .

Cette décision permet d'éviter que la fiducie soit utilisée dans le seul but de détourner les règles, récemment modifiées, relatives aux libéralités et à la dévolution successorale.

Toutefois, votre commission juge souhaitable d'adopter un critère plus large que ne l'est l'interdiction de la simple transmission à titre gratuit au profit du bénéficiaire. Sera ainsi prohibé tout contrat de fiducie procédant d'une « intention libérale au profit du bénéficiaire ».

Cette formulation est plus proche de celle désormais retenue par l'article 893 du code civil qui dispose que « la libéralité est l'acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d'une autre personne » et qu'il ne peut être fait de libéralité « que par donation entre vifs ou par testament ». Il serait donc pleinement acquis que la fiducie ne peut servir d'instrument aux fins d'accorder une libéralité.

Par hypothèse, cette règle n'aura pas d'incidence sur la validité des contrats de fiducie dont le constituant lui-même serait le bénéficiaire .

En revanche, elle implique que, pour que le contrat de fiducie soit valable, le bénéficiaire de la fiducie, lorsqu'il n'est pas le constituant lui-même, devra justifier d'une contrepartie équivalente en valeur à la valeur des biens qui lui seraient transmis par le fiduciaire au terme du contrat .

De fait, cette contrepartie pourra être de toute nature. Il pourrait s'agir du versement d'une somme d'argent ou simplement d'une prestation de services, à condition que cette dernière ne soit pas considérée comme déséquilibrée au regard de l'avantage procuré par le contrat de fiducie au bénéficiaire.

En outre, le bénéficiaire ne pouvant être considéré comme une partie au contrat de fiducie, la contrepartie résultera, en principe, d'une obligation juridique extérieure au contrat de fiducie lui-même. Ainsi, on peut imaginer que cette contrepartie puisse résulter d'une prestation du bénéficiaire (en qualité, par exemple, de fournisseur ou de sous-traitant) en vertu d'un engagement le liant directement au constituant. Dans une telle hypothèse, la remise de tout ou partie des biens du patrimoine fiduciaire au bénéficiaire pourra s'analyser comme le paiement de la prestation effectuée par celui-ci au profit du constituant.

En tout état de cause, le juge devra examiner au cas par cas, dans le cadre de relations contractuelles interdépendantes, l'existence et la valeur de la contrepartie apportée par le bénéficiaire du contrat de fiducie.

Votre commission estime nécessaire de préciser que la nullité applicable en cas d'intention libérale est d'ordre public . Il convient en effet d'éviter que les juridictions interprètent cette disposition comme créant une nullité relative que seules les parties au contrat de fiducie pourraient invoquer. Lorsqu'une fiducie est créée dans une intention libérale, l'ordre public est en cause et c'est pourquoi la nullité doit pouvoir être invoquée par tout intéressé, à commencer par le ministère public.

La prohibition de toute intention libérale implique, en particulier, l'impossibilité d'utiliser la fiducie afin de gratifier des associations et fondations d'utilité publique, alors même que, dans le cadre de droit étrangers, ce mécanisme juridique ou le trust peuvent être employés à cette fin 31 ( * ) . Aussi les dispositions actuelles relatives au mécénat ne seraient-elles nullement remises en cause, voire concurrencées, par la création de la fiducie en droit français .

En effet, les fondations bénéficient d'une législation particulière depuis la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat. Cette loi permet aux personnes physiques ou morales d'affecter de manière irrévocable des biens, droits ou ressources à la réalisation d'une oeuvre d'intérêt général. Dans la mesure où la fondation ne jouit de la capacité juridique qu'à compter de l'entrée en vigueur du décret en Conseil d'Etat lui accordant une reconnaissance d'utilité publique, l'article 18-2 de la loi admet la validité d'un legs au profit d'une fondation qui n'existe pas au jour du décès du donateur, sous réserve de la reconnaissance d'utilité publique, qui rétroagit alors au jour du décès.

Dès lors, les champs d'application de la législation sur la fiducie, d'une part, et sur le mécénat, d'autre part, resteraient distincts. Le choix d'utiliser l'un ou l'autre de ces deux dispositifs juridiques dépendra de la finalité que les parties entendent donner au transfert de propriété auquel elles souhaitent consentir. Les dispositions relatives au mécénat ne pourront ainsi être employées que pour faire des dons au profit d'oeuvres d'intérêt public, quand bien même ces derniers seraient consentis avec des charges -parfois lourdes- imposées au donataire.

* 31 Tel est le cas, en particulier, des « charitable trusts » du droit anglais et du droit américain.

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